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CHAPITRE IV : CADRE MÉTHODOLOGIQUE

5.3 Les familles anxieuses

Tout d’abord, il importe de mentionner que ce profil est davantage exploratoire que les précédents. Le profil des familles anxieuses demanderait plus de données pour en arriver à un profil plus homogène. Ici, nous ferons quand même la présentation de ce profil, mais il existe des disparités plus grandes que dans les deux autres sous-groupes. Ce sous-groupe comprend les familles pour qui le choix d’un établissement privé se rapproche le plus, dans notre échantillon, du processus de défection du secteur public vers le secteur privé. Les enfants des familles anxieuses ont tous fréquenté des établissements publics pour le primaire. À cette fin, l’offre scolaire publique au

28Il s’agit des familles Bertrand, Simard, Aubry, Benoit et Goulet. Dans cette étude, tous les noms des participants sont

niveau primaire a été jugée satisfaisante par l’ensemble des familles de ce sous-groupe. Cependant, pour le secondaire, l’offre éducative publique, dans leur secteur, ne comblait plus totalement leurs besoins et leurs attentes quant à la scolarisation et la socialisation de leurs enfants. Tel que le mentionnent monsieur Simard et monsieur Benoit, l’évaluation que les familles anxieuses font de la qualité des écoles secondaires publiques de leur secteur n’est pas positive.

 Monsieur Simard : Moi, dans mon secteur au niveau des écoles secondaires la petite école en secondaire 1 c’est à pleine capacité ça n’a plus de bon sang. Après ça, il faut qu’ils s’en aillent ailleurs pour poursuivre le secondaire 4 à 5. À l’époque, au niveau de l’offre au public il n’y avait pas vraiment de programmes qui intéressaient mon enfant. Déjà là, ce n’était pas très stimulant.

 Monsieur Benoit : Je dirais que c’est une école [publique] qui a eu une mauvaise réputation. Je pense que la direction et les enseignants ont fait beaucoup de travail pour améliorer cette image-là. Je crois que maintenant l’image et les programmes ça va mieux, mais une réputation c’est long à faire partir. Est-ce que cela a influencé notre choix? Je ne le sais pas. Peut-être.

Ressentant une dégradation de leur environnement et ayant les moyens d’agir, moyennant des sacrifices financiers parfois importants, les familles anxieuses optent pour la défection vers des établissements privés dont ils valorisent moins les résultats scolaires que l’encadrement rapproché des élèves (van Zanten, 2009). Cette défection vers les établissements privés se manifeste vers la fin du primaire. C’est à partir de ce moment que les familles de ce sous-groupe ont commencé à réfléchir aux choix scolaires. Parmi les écoles qu’ils ont considérées pour le secondaire, les familles anxieuses ont toutes visité au moins une école publique et une école privée. Deux familles ont visité trois écoles, mais toutes les familles anxieuses ont procédé au choix de l’école secondaire pour leur enfant en opposant ou comparant les écoles publiques aux écoles privées.

La majorité des familles anxieuses n’ont fait passer qu’un seul examen de sélection ou de classement à leur enfant. Par rapport aux examens de sélection ou de classement, les familles anxieuses mettent beaucoup de temps et d’énergie à la préparation de leur enfant parce qu’ils n’ont, pour la majorité, qu’une seule préférence pour le choix de l’école secondaire. Ces derniers ont utilisé un livre de préparation pour les examens d’admission dans les écoles privées. La majorité des familles anxieuses ont mentionné que la période des examens et du choix de l’établissement était un moment de stress important parce que la plupart n’avaient, en fait, qu’un seul choix. À la différence des familles convaincues et averties, les familles anxieuses n’avaient pas vraiment de deuxième option. Alors, le risque que leur enfant se retrouve dans une école publique, moins valorisée par les

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parents, était beaucoup plus grand. C’est d’ailleurs pourquoi les familles anxieuses mettent beaucoup d’efforts pour choisir une école secondaire pour leur enfant. Ils mobilisent beaucoup leurs réseaux sociaux pour obtenir de l’information sur le fonctionnement interne de l’école, sa réputation et ses programmes. À cette fin, ils réduisent beaucoup le champ des écoles possibles pour leur enfant puisqu’ils demeurent, pour la plupart, dans des secteurs plus périphériques de la région de la Capitale-Nationale et où l’offre d’école secondaire publique et privée est moins abondante.

Les principaux critères de choix (communs) ayant mené les familles anxieuses à faire le choix d’une école secondaire privée sont l’encadrement, les programmes, les infrastructures scolaires et parascolaires et le site où l’école est située. L’encadrement dans les établissements privés est le principal critère de choix des familles anxieuses puisque ces dernières sont très soucieuses du nombre d’élèves dans les établissements, de la proximité de l’école avec des sources de dérangement comme des restaurants de types « fast food », de la rigueur dans les apprentissages scolaires et de la socialisation des élèves. Ils recherchent un environnement scolaire sécuritaire à l’écart des distractions de la ville.

 Monsieur Benoit : C’est loin des distractions de la ville, si je peux dire. Il y a un lac. Ils sont dans la montagne. Il y a des sentiers. Sur l’heure du dîner, ils peuvent aller se promener, mais dans la nature. Quand je dis loin des distractions de la ville, ils ne peuvent pas sortir pour aller en ville. Ils ne peuvent pas sortir pour aller au dépanneur sur l’heure du dîner. Ils ne peuvent pas sortir vraiment. Ils ne peuvent pas aller loin.

 Monsieur Aubry : On était à même de passer devant l’école publique et il voyait un peu les individus et leur allure un peu plus « tough ». Ce n’est pas le même milieu malgré qu’à l’école privée [X] il n’y a pas de costume. Il y a quand même un code vestimentaire. On voyait que les élèves à l’école publique [Y], ils sont un peu laissés à eux-mêmes. Sur l’heure du dîner ils vont au dépanneur. Ils vont au casse- croûte. Là-bas, tu ne peux pas t’en aller. Le plus loin que tu peux aller c’est dans la montagne.

Comme on peut le constater, à travers la recherche de l’école secondaire, les familles anxieuses recherchent un environnement sécuritaire pour leur enfant. Le cas de monsieur Aubry est très intéressant et il résume bien la défection des familles anxieuses de l’école publique vers l’école privée, notamment pour retrouver cette sécurité au niveau de l’encadrement des comportements des élèves. Comme le dit monsieur Aubry :

À l’école privée, c’est autant au niveau de la performance que du comportement. Il n’y a pas de passe-droit. Si tu te fais prendre avec de la drogue et on le sait qu’il y en a, tu es dehors de l’école. Notre enfant nous l’a dit qu’il y en a donc, c’est tout cet encadrement-là, ce sentiment d’assurance là qu’on avait à l’école privée [X]. À l’école publique [Y], je ne suis pas sûre qu’on ait eu cela nécessairement. Le sentiment que notre enfant est en sécurité et qu’il ne se fait pas taxer. C’est un monde dur. C’est vrai que c’est la vraie vie [à l’école secondaire publique], mais on dirait que lorsqu’ils sortent du primaire on veut les protéger encore de cela. Ils vont y être confrontés un jour ou l’autre. Rendu au cégep ils le sont, mais il me semble qu’ils sont plus évolués et qu’ils sont plus matures.

On voit dans le discours de monsieur Aubry la crainte des familles anxieuses quant à l’environnement plus dur des écoles secondaires publiques. Les familles anxieuses comme celle de monsieur Aubry ont majoritairement fréquenté de grosses écoles secondaires publiques lors de leur enfance et ils en gardent une image négative. En faisant le choix de l’école secondaire privée pour leur enfant, ils sentent que leur enfant sera peut-être plus en mesure de faire face à cette réalité au moment de son entrée au cégep, étant plus « évolués » et « matures » pour reprendre les mots de monsieur Aubry. Enfin, l’accès à un transport scolaire est aussi important dans le processus de choix en raison de la situation géographique de ces familles. Cependant, les écoles privées semblent s’être rapidement ajustées à cette caractéristique de leur clientèle et offrent aujourd’hui un service de transport scolaire adapté à la situation géographique des enfants fréquentant leurs établissements. La logistique se présente surtout comme une charge financière supplémentaire à prendre en considération lors du choix de l’établissement.

5.3.1 Des visées individuelles

Tout d’abord, il est possible de voir, dans le discours des familles anxieuses, une prédominance des visées expressives, dans la mesure où les parents qui font le choix d’un établissement privé ont des projets de socialisation particuliers. Ceci fait référence à ce que van Zanten (2009) nomme des visées expressives de repli parce que ces familles « ont une probabilité plus grande d’habiter des quartiers mélangés [ce qui] les conduits à développer une expressivité de repli, caractérisée par une forte inquiétude à l’égard de la socialisation, voire de la sécurité de leurs enfants. » (van Zanten, 2009, p. 241). Cette expressivité de repli se traduit surtout dans l’évaluation que ces familles font de l’offre éducative dans leur secteur, qu’ils caractérisent comme étant moins bien adaptés aux besoins de leurs enfants. Comme les familles averties, les familles anxieuses voient la période de l’adolescence comme une période pendant laquelle les jeunes ont besoin d’être entourés et protégés pour se construire. Les familles anxieuses mettent alors beaucoup d’emphase sur l’encadrement, la

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discipline et les infrastructures dans leur processus de choix d’une école secondaire.

Comme les familles averties, les enfants des familles anxieuses ont tous fréquenté des établissements publics pour le primaire. L’école primaire de quartier s’est avérée être le choix de toutes les familles anxieuses. Ce n’est que vers la fin du primaire qu’ils ont commencé à regarder les écoles secondaires. À cette fin, le choix de l’établissement secondaire représente un choix qui est pris très au sérieux. À l’image des familles convaincues, les familles anxieuses ressentent une pression pour trouver une école ayant les caractéristiques mentionnées plus haut, soit : offrant un encadrement scolaire et social serré, des règles de conduite plutôt sévères, un environnement sécuritaire et des infrastructures favorisant le développement scolaire et réflexif des enfants. N’ayant pas visité plusieurs écoles, les familles anxieuses ne sont pas nécessairement craintives de faire un « mauvais » choix pour leur enfant, mais stressées par le fait qu’elles n’ont pas nécessairement de second choix. Rejetant le choix d’une école secondaire publique pour leur enfant et ayant commencé à évaluer l’offre éducative privée à proximité (proximité relative puisqu’ils habitent pour la plupart en périphérie de la ville) plus tard que les autres familles (à la fin du primaire), ils ne considèrent pas un grand nombre d’écoles pour leur enfant. Encore, le transport demeure un élément qui a du poids dans le choix de l’école secondaire privée puisque les familles anxieuses ne veulent pas faire subir de longs moments de transport à leur enfant non plus. En raison de ces facteurs énumérés ici, les familles anxieuses misent principalement sur une seule école secondaire privée pour leur enfant.

5.3.2 Des idéaux collectifs

Sur le plan des idéaux collectifs, les familles anxieuses favorisent majoritairement une intégration par cloisonnement, où le choix d’un établissement privé permet d’éviter les élèves handicapés, avec des difficultés d’apprentissage ou des troubles du comportement plus souvent associés aux écoles publiques. Les familles anxieuses recherchent un certain entresoi afin de favoriser la transmission d’un certain nombre de valeurs (discipline, sentiment d’appartenance et d’implication), de pratiques scolaires moins basées sur la performance que sur le développement global des jeunes. Le nombre d’élèves dans les écoles s’avère être un critère de choix important pour ces familles. Comme le dit monsieur Benoit : « Je pense que la question du nombre a de l`importance. Ça fait une différence lorsque tu es dans un milieu fermé. Tu n’as pas le choix un moment donné d`entrer en contact avec les autres et d`entrer en contact avec les adultes qui sont là parce qu`eux aussi ils sont dans ce milieu fermé. » Enfin, ces familles donnent une large place à la dimension morale du choix scolaire

en soulevant les comportements irrespectueux et parfois violents des enfants qui se retrouvent dans les écoles secondaires publiques.

5.3.3 Croyance dans un effet d’établissement ou non

La préférence qu’ont les familles anxieuses en faveur des établissements privés se fonde aussi sur une croyance en un effet d’établissement au privé. Encore, comme il a été possible de le voir avec les critères ayant mené au choix de l’établissement par les familles anxieuses (emphase sur l’encadrement scolaire et social), le risque est définitivement abordé sous l’angle de la limitation des risques pouvant causer des souffrances aux enfants. Les parents sont très attentifs au profil psychologique de leur enfant. Ils veulent offrir à leur enfant l’environnement scolaire le plus adapté à leur réussite, leur bonheur et leur développement intellectuel.

 Monsieur Simard : Moi, ce qui m’a fait tourner de l’autre côté [il avait mentionné ne pas avoir de préférence pour le privé] c’est l’académique, les infrastructures et la stimulation qui pouvait y avoir. Ils ne sont pas 4 sur un ordinateur. Il y a le sans- fil partout. Ils travaillent avec des tableaux multimédias. C’est plus innovateur comme style ou stratégie d’enseignement que les écoles publiques que j’avais visitées parce qu’elles manquent de sous pour faire la même chose.

 Monsieur Aubry : Notre enfant a toujours entendu parler de l’école privée de notre choix comme étant une école extraordinaire. Il la voyait à chaque fois qu’on allait chez ses grands-parents. C’est un site exceptionnel. Notre enfant, c’est un enfant qui est insécurisé un peu. D’aller dans une grande école publique comme celle qui est au coin de chez nous, qui est une école de 2500 élèves. C’était un petit peu inquiétant versus l’école privée où il y a juste 700 élèves.

Enfin, les familles anxieuses n’expriment pas un manque de confiance en la capacité des enseignants dans le secteur public, mais ils apprécient beaucoup le niveau d’implication des enseignants dans les établissements privés.

5.3.4 Des ressources plurielles

Sur le plan des ressources, les familles anxieuses jouissent de moins de capital économique que les autres types de familles rencontrées dans le cadre de cette étude. Ces parents ne font pas un suivi très rapproché de leurs enfants pour que ces derniers répondent aux attentes et exigences immédiates des établissements dans lesquels leurs enfants sont scolarisés, mais aussi des attentes et exigences futures des institutions postsecondaires. Les familles anxieuses possèdent un lot relativement important de capital culturel, même s’il est moindre que celui des deux autres types de

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familles. Là où ils se distinguent, c’est sur le plan du capital économique. L’ensemble des familles anxieuses a mentionné devoir faire des sacrifices financiers pour payer les frais de scolarité de leur enfant dans les écoles privées. C’est l’aspect qui les distingue puisque le sport, les arts et la musique sont aussi très valorisés par les familles anxieuses. À l’image des familles averties, ces activités permettent d’acquérir des positions à l’intérieur des écoles, notamment en faisant partie de certains programmes particuliers et en apportant un équilibre pour que leur enfant puisse supporter physiquement et mentalement le travail exigé par l’école. Le fait de faire des sacrifices financiers pour avoir accès à une école secondaire privée représente leur recherche à être rassuré. Leur motivation principale à faire cet investissement est la crainte quasi viscérale qu’ils entretiennent vis- à-vis des multiples risques associés à l’école secondaire publique mentionnée plus haut. À l’image des familles convaincues, cet investissement financier dans la scolarité de leur enfant représente une dimension à l’exercice de leur responsabilité parentale d’offrir ce qu’il y a de mieux à leurs enfants.

5.3.5 La négociation familiale

Dans le cadre de la négociation familiale chez les familles anxieuses, le type dominant est celui de la famille « ouverte » de Kellerhals et coll. (1984) puisque la décision a impliqué un large éventail de connaissances et d’amis qui informent, structurent et consolident le choix. À cette fin, les réseaux sociaux jouent un rôle important dans le processus de choix de l’établissement puisqu’ils informent la famille sur la qualité des établissements scolaires. La consultation d’autres familles sert moins à construire la prise de décision qu’à légitimer la défection vers des établissements privés. Au nom de la préservation du bien-être de leurs enfants, les familles anxieuses vont adopter un style de négociation avec leur enfant qui oscille entre une délégation et une imposition du choix. Ils mettent tous l’accent sur l’épanouissement de leur enfant. Lorsque le choix est délégué, il ne l’est que dans la mesure où ce choix convient très bien aux parents aussi. Il est possible de voir ceci dans le discours de monsieur Benoit et Aubry notamment :

 Monsieur Benoit : Je répondrais simplement en disant que c'est notre fils qui a choisi. C'est sûr que connaissant le milieu et en ayant entendu parler par des personnes que leurs enfants étaient déjà là c'est sûr qu'on avait déjà une vision positive de cette école-là. Toutefois, si notre fils avait décidé d'aller au niveau du public ailleurs on aurait respecté ça. Dans le fond, on voulait que ça soit lui qui choisisse et qu'il le fasse en connaissance de cause.

 Monsieur Aubry : Moi, il m'aurait dit c'est l’école publique mon choix. La discussion aurait peut-être été plus longue parce que ma blonde aurait probablement insisté. Il n'y a pas eu ce débat-là à faire parce qu'il a choisi l'école qu'on souhaitait. Moi, j'avais l'impression que je voulais lui donner un libre choix.

S'il m'avait dit papa, je veux aller à l’école publique, j'aurais peut-être réagi comme ma blonde dans le fond. J'aurais peut-être essayé de l'influencer dans son choix. On n'a pas eu à le faire. Dans ma tête, je voulais lui donner vraiment un libre choix.

La délégation du choix illustre aussi l’importance qu’accordent ces familles à l’autonomie sociale des jeunes en adoptant un dialogue plutôt d’« égal à égal » avec leurs enfants. La délégation du choix aux enfants correspond aussi à des modes de socialisation par lesquels on cherche surtout à favoriser le développement naturel des enfants (van Zanten, 2009). Ce n’est pas le cas avec toutes les familles de ce sous-groupe puisque certains adoptent aussi un style de négociation allant plus vers l’imposition. Comme le dit monsieur Bertrand : « Ç’a été un choix de parent. Mon enfant n'avait pas de préférence même s’il avait des amis qui allaient à 2-3 écoles. Il n'avait pas de préférence. L'influence de l'enfant n'a pas été forte. C'est plutôt les parents qui ont pris la décision. Ça va être la même chose pour l'autre. C'est vraiment nous qui allons décider encore. » Enfin, que le choix soit délégué ou imposé, la division du travail familial autour du choix implique tous les membres de la famille (dans une moindre grande importance l’enfant lorsque le choix est imposé, par contre). Les réseaux sociaux sont d’une grande importance pour les familles anxieuses.