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CHAPITRE II : RECENSION DES ÉCRITS SUR LE CHOIX SCOLAIRE

2.2 Les médiations au choix scolaire

Il s’agit ici de l’influence de l’offre scolaire, l’organisation des écoles sur le plan de la sélection et les ressources financières, culturelles et sociales des parents. En portant attention aux auteurs ayant traité des médiations locales au choix d’un établissement d’enseignement par les parents, on

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remarque que cette littérature est elle aussi abondante. Un peu partout dans le monde, on s’est intéressé aux facteurs pouvant influencer le choix scolaire des parents. Si ces facteurs sont parfois liés à la structure même des systèmes éducatifs étrangers, ils sont malgré tout pertinents pour notre recherche. D’une part, nous aborderons les facteurs plus systémiques au choix scolaire à partir des études de Georges Felouzis et Joëlle Perroton (France), de Douglas Lee Lauen (États-Unis) et de Jennifer L. Jennings (États-Unis). D’autre part, nous aborderons les ressources financières, culturelles et sociales à partir des études d’Antonio Olmedo Reinoso (Espagne), d’Ee-Seul Yoon et Kalervo N. Gulson (Canada), de Robert C. Bulman (États-Unis) et de Catherine Barthon et Brigitte Monfroy (France).

La première étude que nous avons retenue pour aborder la question des effets liés à la structure même des systèmes éducatifs est celle de Georges Felouzis et Joëlle Perroton (2007), qui ont analysé l’influence d’un quasi-marché scolaire en France sur les inégalités sociales. D’emblée, Felouzis et Perroton expliquent que l’idée d’un marché scolaire conçu comme la rencontre entre une offre et une demande ne fonctionne pas en éducation parce que l’offre scolaire est régulée par l’État. C’est pour cela qu’il vaut mieux parler de quasi-marché scolaire parce que le choix scolaire est laissé aux parents, mais l’État conserve le contrôle du curriculum d’enseignement, de la formation des enseignants et de l’approbation du financement des établissements. Pour faire un lien avec les motivations des parents quant au choix scolaire, Felouzis et Perroton (2007) mentionnent que les parents français font moins leur choix en fonction de la qualité de l’établissement et de son bon fonctionnement que pour éviter l’école de quartier, souvent caractérisé par une forte proportion d’élèves venant d’un milieu socioéconomique inférieur. En France, les familles venant d’un milieu socioéconomique inférieur s’orientent vers des programmes scolaires moins sélectifs lors du passage au lycée. Pour échapper aux établissements qu’ils jugent de moins bonne qualité, les familles venant d’un milieu socioéconomique plus aisé ont plus de possibilités. Felouzis et Perroton (2007) soulignent que le choix d’un établissement d’enseignement privé permet de réduire l’incertitude ou l’anxiété des parents quant à la qualité de l’enseignement et de l’établissement. Ce qui arrive avec un quasi-marché scolaire régulé par le jugement des parents, c’est une accentuation de la segmentation de l’offre et une accentuation de la mise à l’écart des plus défavorisés. Comme le mentionnent Felouzis et Perroton : « c’est la confiance en la qualité d’un établissement qui détermine le comportement des ―consommateurs‖ sur ce marché. » (Felouzis et Perrotton, 2007, p. 714) Ainsi, l’offre éducative a un effet direct sur les choix scolaires et la ségrégation sociale parce qu’à « l’école comme à la ville, c’est dans l’entresoi social et culturel que se reproduisent les inégalités et les positions sociales » (idem, p. 715-716). On constate ici le postulat de départ des

études sur le choix scolaire, à savoir que le choix est utilisé comme une stratégie de « clôture sociale » par les parents de la classe moyenne et supérieure.

Selon van Zanten (1996), l’offre éducative a un effet direct sur les projets scolaires et de socialisation des parents. La notion de projet scolaire fait référence aux compétences instrumentales (écrire, lire, compter, etc.) acquises spécifiquement à l’école et la notion de projet de socialisation fait référence au prolongement de l’éducation familiale dans le domaine de l’acquisition de valeurs à l’école (van Zanten, 1996). À cela, il faut ajouter les deux propriétés fondamentales à la notion de projet. Le projet a un effet de réalisation qui concerne autant le court terme que le long terme. Si la réalisation à court terme du projet peut se traduire à travers les résultats scolaires par exemple, la réalisation du projet à long terme se traduit davantage en termes de temps pour réussir un programme ou une formation. Le projet a un effet de cohérence qui vient renforcer la pertinence et la prédictivité du projet. Cet effet de cohérence signifie qu’il est possible de trouver des types de logique qui renforcent la crédibilité des projets scolaires (Béret, 1996). C’est à partir de ces deux propriétés qu’il est possible de concevoir le choix scolaire comme la résultante d’orientations stabilisées de parents rendant compte des conditions dans lesquelles ils se retrouvent. Ainsi, le travail de construction de leurs propres représentations de l’école ou de la qualité de l’école se traduit dans leurs projets de scolarisation et de socialisation (Béret, 1996). Enfin, à partir de l’étude Felouzis et Perroton (2007), on peut conclure que l’offre scolaire est à la fois une ressource que les parents peuvent utiliser grâce à leur compréhension et leur connaissance de la qualité éducative et sociale des établissements.

L’étude de Lauen (2007), conduite dans un des plus grands centres urbains des États-Unis, porte sur les effets du contexte sur le choix d’une école secondaire privée ou publique sélective. Plus précisément, l’auteur cible quatre effets contextuels, à savoir l’impact de la famille, de l’école, du voisinage et des pairs. En effet, la famille joue un rôle important dans la transmission des habiletés ou ressources permettant aux enfants de bien réussir à l’école. L’analyse du choix d’un établissement d’enseignement secondaire par les parents de la classe moyenne et supérieure doit tenir compte de la façon dont ces parents mobilisent les différentes ressources qui leur sont disponibles et utilisables. Pour la famille, les ressources culturelles et économiques deviennent essentielles d’autant plus qu’elles sont les plus puissantes dans le champ de l’éducation (van Zanten, 2009). L’école, par la socialisation et ses divers mécanismes de sélection des élèves, forme les carrières éducatives des étudiants en leur fournissant des occasions de prendre des cours

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supplémentaires ou de participer à des activités extrascolaires par exemple qui, à leur tour, affectent la capacité des élèves à avoir accès ou non aux destinations privilégiées telles que l’université ou les programmes de formation contingentés, étant pour la plupart réservés aux élèves les plus performants à l’école (Lauen, 2007). Le voisinage et les pairs, quant à eux, sont liés ensemble parce qu’ils forment aussi les carrières scolaires des élèves à travers des mentors, amis de parents et groupes ayant profité de leur éducation sur le plan professionnel et financier (Lauen, 2007). Ceci est d’autant plus important parce que les familles désavantagées socioéconomiquement sont moins enclines à exercer leur choix scolaire (Lauen, 2007). N’ayant pas toujours une connaissance accrue du système éducatif et des différentes options qui s’offrent à eux et à leurs enfants, les parents moins favorisés socioéconomiquement ne portent pas la même attention aux résultats scolaires ou aux programmes dans lesquels leurs enfants s’inscrivent. Dans les quartiers socialement isolés ou moins favorisés, les élèves manquent de ressources pour chercher, postuler et se déplacer vers d’autres écoles situées à l’extérieur du quartier de résidence et qui seraient peut-être mieux adaptées à leurs besoins (Lauen, 2007). Enfin, il n’est pas nécessaire de connaître et de participer à l’ensemble des activités qui affectent la capacité des élèves à avoir accès aux destinations privilégiées dans la société contemporaine pour y arriver, mais il faut savoir que ceux qui ont accès à cette information sont avantagés dans ce quasi-marché éducatif (Lauen, 2007).

Comme le démontre l’étude de Jennings (2010), ceux qui ont accès aux informations sont avantagés dans ce quasi-marché éducatif. Ceci est vrai non seulement pour les parents qui ont à choisir un établissement d’enseignement secondaire pour leur enfant, mais aussi pour les administrateurs d’écoles qui ont à rendre des comptes à leurs supérieurs. Plus ou moins à la même époque où les politiques en faveur du choix scolaire ont été mises de l’avant, les décideurs en éducation se sont tournés vers des indicateurs quantitatifs de performance pour tenir les écoles responsables de la performance des étudiants (Jennings, 2010). Si, au Québec, cette pratique s’avère moins institutionnalisée qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni par exemple, la logique est la même. Ce que soutient l’étude de Jennings (2010), c’est que le choix scolaire est réservé aux parents et aux enfants, mais que l’école ou les directions d’écoles ont aussi leur mot à dire dans ce processus de choix. A priori, le choix scolaire appartient bien aux parents, mais les acteurs scolaires agissent sur le contexte dans lequel ces choix sont exercés. Les écoles rivalisent dans un marché éducatif et elles cherchent constamment à améliorer leurs résultats aux évaluations et leur réputation pour attirer le plus d’élèves possible (Jennings, 2010).

Comme le mentionne Jennings : « […] when schools simultaneously face strong accountability pressures, schools may respond strategically to weakly regulated choice systems. » (Jennings, 2010, p. 245). Jennings (2010) identifie quatre stratégies de gestion adoptées par les administrateurs. Tout d’abord, la direction d’école peut signaler aux parents que l’école convient ou ne convient pas à leur enfant par l’emblème de l’école, les portes ouvertes, les codes de conduites, le code vestimentaire ou des sessions d’informations. Le signalement permet de contrôler la population fréquentant les établissements en disant de manière informelle aux parents et aux enfants quel type d’élève convient à cette école. La deuxième stratégie évoquée par l’auteur est d’utiliser des données sur la performance scolaire des élèves présentant une demande d’admission à leur école pour faire de la sélection. Encore, les écoles peuvent former une alliance ou un partenariat avec une école préparatoire ou de niveau inférieur similaire sur le plan des exigences scolaires. Les directions d’écoles peuvent aussi tenter de connaître les préférences des parents et des enfants afin de ne pas perdre du temps à recruter des élèves avec peu d’intérêt pour leur école. Selon le type de gestion des directions, les stratégies sont appliquées de manières différentes (Jennings, 2010). Dans un tel contexte, qui choisit vraiment l’école de son choix puisqu’il est grandement influencé par les médiations locales? Jennings (2010) fournit une réponse partielle lorsqu’elle approche l’approche des dirigeants d’école. Dans cette étude, nous n’aborderons pas spécifiquement ces stratégies de gestion, mais elles permettent de comprendre que les parents et les élèves ne sont pas complètement libres de choisir l’école de leur choix. Il existe des mécanismes de régulation qui peuvent influencer ou orienter ces choix scolaires. Enfin, nous aurons l’occasion de revenir sur cette question puisqu’il sera justement question de l’influence des différentes sources de capital dans la prochaine section.