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CHAPITRE III : CADRE D’ANALYSE

3.5 La négociation familiale

Pour la négociation familiale, van Zanten distingue deux types de négociation, à savoir une négociation du choix dans le couple et une négociation du choix avec l’enfant. Comme le dit van Zanten : « choisir l’établissement de son enfant constitue en effet, une décision importante qui met à l’épreuve l’organisation des couples et leurs modalités de prise de décision » (idem, p. 128).La nature des relations que le couple entretient avec les autres dépend d’abord d’un clivage entre les familles « fermées » et les familles « ouvertes » (van Zanten, 2009). Ici, l’auteure s’appuie sur la typologie de Jean Kellerhals, Pierre-Yves Trourot et Emmanuel Lazega (1984) qui distingue deux types de famille « fermée ». Les familles « bastions » sont souvent caractérisées par une forte

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homogamie sociale entre les conjoints, favorisant ainsi la création d’un nous homogène et fusionnel quant aux choix scolaires. Les familles de type « parallèles » sont composées de parents qui évoluent de façon plus indépendante. Les familles « ouvertes » font plutôt leur choix en relation avec les autres familles. « Les décisions impliquent un large éventail de connaissances et d’amis qui informent, structurent et consolident le choix » (idem, p. 130). Selon le type idéal familial, les parents vont harmoniser leurs visées et leurs valeurs de manières différentes.

Certains parents optent aussi pour une division du travail familial autour du choix. Selon van Zanten : « la recherche d’informations ―chaudes‖, à savoir des jugements que portent d’autres personnes sur des établissements qu’ils connaissent de l’intérieur, est essentiellement un travail féminin » (idem, p. 134). Les hommes se tournent davantage vers l’obtention de données « froides » comme les résultats des établissements (palmarès des établissements) et les données fournies par les administrations ou collectives. Enfin, selon van Zanten : « cette répartition des tâches est nettement orientée […] vers la rentabilisation du temps, des dispositions et des compétences de chaque conjoint » (idem, p. 138).

Dans le cadre de la négociation avec l’enfant, les parents adoptent différentes stratégies ou méthodes pour impliquer les enfants dans les choix scolaires. Pour ce faire, van Zanten identifie trois formes de négociation : l’encerclement, l’argumentation ou la délégation du choix à l’enfant. L’encerclement fait référence à des pratiques parentales ayant pour objectif de restreindre l’univers souhaitable ou possible pour les enfants en les encourageant à suivre des options, des filières ou des établissements en particulier. Lorsque les parents adoptent le choix scolaire avec cette forme de négociation, ils vont préparer le choix ensemble, en prenant le maximum d’information sur les écoles, en négociant entre eux et en faisant une présélection des écoles souhaitables. Il s’agit, en fait, d’une forme de manipulation parentale douce, au fil de discussions avec leur enfant puisque certains enfants peuvent préférer poursuivre leur parcours avec leurs amis. Dans cette situation, les parents vont plutôt promouvoir le cadre physique, les activités sportives ou culturelles des autres écoles pour motiver leur enfant. Les parents vont justifier ce type de négociation en recherchant « une scolarité ―sur mesure‖ où les choix sont faits en fonction des caractéristiques et des souhaits qu’ils attribuent à chacun de leurs enfants » (idem, p. 141-142).

La deuxième forme de négociation est l’argumentation ou la coconstruction du choix. Cette forme de négociation laisse plus de place à l’enfant, dans la mesure où leur point de vue est pris en compte

dans le processus de choix scolaire. Les parents « n’excluent pas d’emblée les choix scolaires et professionnels des enfants », mais ils cherchent à les influencer le plus possible « en énonçant les comptabilités et les incompatibilités présentes et futures » de ces choix pour la réalisation de soi (idem, p.143).Ils cherchent à convaincre leurs enfants, mais ils peuvent se faire prendre au piège en se faisant proposer un choix distinct bien argumenté. Ainsi, les parents ne peuvent refuser sans recourir à une imposition du choix scolaire (van Zanten, 2009). Les parents peuvent aussi s’allier à leur enfant pour recueillir de l’information sur le choix de ses amis. Cela leur permet de s’assurer de la présence d’autres enfants semblables dans l’école de choix de leur enfant. L’argumentation fonctionne bien lorsque les préférences de l’enfant satisfont les visées personnelles des parents.

Il se peut que le choix scolaire soit aussi délégué volontairement ou par défaut aux enfants. Cette forme de négociation intervient, notamment, chez des parents qui ont peur de devenir impopulaires en contraignant l’enfant ou des parents qui mettent plutôt l’accent sur le bien-être et l’épanouissement de leur enfant. Ces parents « acceptent les choix de leurs enfants quand ils ont l’impression de ne pas pouvoir s’y opposer sans avoir recours à la manipulation stratégique ou rhétorique ou à l’imposition » (idem, p. 147). Les parents acceptent de déléguer le choix de l’établissement à leur enfant notamment au nom de la préservation de son bien-être. Ils mettent l’accent sur l’épanouissement de leur enfant. Le choix scolaire est délégué volontairement, dans la mesure où la personnalité de l’enfant intervient fortement dans la négociation familiale. Les choix scolaires sont influencés par la négociation au sein du couple, mais surtout par la façon dont est conçue l’intervention de l’enfant dans la décision. L’intervention de ces derniers sera plus ou moins grande selon la distribution des ressources économiques, culturelles et sociales entre les parents des classes moyennes.

 L’application du modèle

En nous basant sur la typologie de Kellerhals et coll. (1984) (dans van Zanten, 2009), nous analyserons comment les parents des classes moyennes québécoises harmonisent au sein du couple leurs visées et leurs valeurs face aux choix scolaires. Nous analyserons aussi la division du travail familial autour du choix d’un établissement d’enseignement lorsque cela s’applique. Nous essayerons de voir si cette division du travail familial s’effectue de la même façon au Québec, dans notre échantillon, comparativement au cas de la France analysé par van Zanten. Il s’agit de voir comment les parents procèdent pour obtenir des informations « chaudes » et « froides » sur les établissements publics et privés.

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Dans un second temps, nous analyserons comment les parents des classes moyennes québécoises négocient les choix scolaires avec leurs enfants. Le choix scolaire est basé sur trois types distincts de négociation (l’encerclement, l’argumentation, ou la délégation du choix) qui s’agencent de façon variable et complexe selon la façon dont est conçue l’intervention de l’enfant dans la décision. Il s’agira donc de voir le lien entre le type de négociation familiale privilégié par les parents et les différentes logiques d’action (visées individuelles) des classes moyennes lorsqu’ils sont confrontés au choix d’un établissement d’enseignement secondaire pour leurs enfants.