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Section 1 : Les limites légales à la détermination des règles impératives

A- La violation de l’ordre public comme cause légale de nullité dans l’AUSC

150. Traditionnellement admise comme une implication du statut d’ordre public de la règle de droit, la nullité est communément vue comme la sanction principalement attachée à la violation d’une règle impérative. Ainsi qu’il est rappelé par la doctrine, « si l’ordre public est

difficilement définissable, il est en revanche souvent déterminé par la théorie des nullité »392. Ceci est en principe vrai en droit des sociétés393. En droit Ohada, la relation nullité-ordre public sociétaire est clairement posée comme caractéristique de la sanction des actes, décisions ou délibérations ne modifiant pas les statuts de la société et se déduit facilement des règles

390 Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ,

4ème éd., 1999, p. 25, n° 10. 391 Idem.

392 A. BERNARD, « L’avenir de l’ordre public » : RRJ 2017-4, p. 1336, n° 18.

393 Voir D. GRILLET-PONTON, « La méconnaissance d’une règle impérative de la loi, cause de nullité des actes

et délibérations des organes de la société » : Rev. sociétés 1984, p. 273. Adde J. MESTRE, D. VELARDOCCHIO et A. ALVES, Lamy. Sociétés commerciales, éd. Lamy, 2007, p. 1260, n° 2591. Selon ces derniers, Il est évident qu’« il n’y a aucune difficulté à retenir cette qualification (d’ordre public) lorsque l’inobservation d’une règle

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organisant la nullité de la société et des actes ou délibérations modifiant les statuts. En effet, la quasi-totalité des causes de nullité prévues vise la protection de l’ordre public sociétaire.

151. D’abord, l’article 244 de l’AUSC prévoit pour les actes, décisions et délibérations ne modifiant pas les statuts, que leur nullité résulte de la violation d’une disposition de l’Acte uniforme « la prévoyant expressément ». Cette dernière pouvant, de ce fait, être qualifiée de disposition impérative de la loi.

152. Ensuite, et dans ce même registre, le législateur ajoute comme cause de nullité, « la

violation d’une disposition impérative du présent acte uniforme »394. Ainsi, toutes les règles d’ordre public textuel et virtuel sont visées dans ce cadre pour être sanctionnées par la nullité.

153. Enfin, la violation de toute « clause des statuts jugée essentielle par la juridiction

compétente »395 est interdite sous la même sanction de nullité. Etant entendu que cette expression de « clause statutaire jugée essentielle » n’était pas connue en droit Ohada, la question de savoir ce qu’elle signifie est logiquement agitée en doctrine396. S’il nous semble évident que cette expression se rapporte à la notion d’ordre public, elle répond de manière peu satisfaisante à une question longtemps posée en droit français et qui consistait à savoir s’il y a, en droit des sociétés, une impérativité autre que d’origine légale397.

154. En ce qui la concerne, la Cour de cassation française a apporté une réponse claire à

l’occasion d’une décision appelée à la plus large diffusion398. Selon elle, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts n'est sanctionné par la nullité que dans les cas où il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d'aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci. On comprend par cette décision que l'impérativité des clauses statutaires en droit français n’est envisageable qu’en raison d’un rattachement objectif de la clause statutaire à une disposition légale impérative. L’intérêt de cette interprétation de la haute juridiction française est d’orienter et d’encadrer l’activité des juges de fond dans la détermination des clauses statutaires essentielles que la volonté individuelle ne devrait pas pouvoir contrarier.

394 Voir article 244, 2e tiret.

395 Voir article 244 AUSC, 4e tiret.

396 Voir P. S. BADJI, Réforme du droit des sociétés commerciales de l’Ohada, l’Harmattan, 2016, p. 161, n° 160. 397 M.-L. COQUELET, « Nullité des délibérations sociales pour violation des statuts : oui mais sous conditions ! »,

in Dr. des sociétés, Août 2010, n° 8-9, pp.10-12., comm. sous Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14.855.

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155. L’adoption d’une telle interprétation par la CCJA -c’est d’ailleurs ce qu’il faut

espérer399- permettra d’éviter que les juges nationaux qualifient sans raisons objectives des clauses statutaires d’ « essentielles ». Notons du reste que l’idée de la reconnaissance de la valeur impérative à des clauses statutaires a toujours recueilli l’adhésion d’une bonne partie de la doctrine400. Ceci est d’autant vrai dans le cas de l’Ohada où le législateur autorise dans certains cas, les associés à substituer par des clauses statutaires les dispositions de l’AUSC. Dans ces conditions, la juridiction compétente est en mesure d’identifier dans les statuts, des clauses inspirées par des considérations d’intérêt général qui se trouveraient compromises si les associés ou les organes sociaux étaient libres d’en empêcher l’application401. Jugé dès lors essentiel, le dispositif de ces clauses devrait avoir la même portée obligatoire que la règle de droit impérative d’autant que l’une et l’autre sont soumises au même régime de nullité402.

156. En ce qui concerne les actes, décisions et délibérations modifiant les statuts403, même sans faire référence expresse aux dispositions impératives, les causes légales de leur nullité visent l’ordre public sociétaire à travers les mêmes formules que dans le cas des délibérations ne modifiant pas les statuts. Il s’agit de la méconnaissance par les associés dans ces différents actes, des clauses statutaires jugées essentielles par la juridiction compétente ou de la violation des dispositions de l’acte uniforme prévoyant expressément la nullité comme sanction. D’autres causes de nullité évoquées par le législateur, relèvent des dispositions impératives des textes régissant les contrats en général. La violation de ces dernières, qui relèvent en principe de l’ordre public contractuel, est soumise au même régime de nullité que les actes qui violent l’ordre public sociétaire.

157. On peut déduire de ce qui précède que, dans l’un ou l’autre de ces cas, c’est-à-dire pour l’ensemble des actes, décisions et délibérations modifiant ou non les statuts, les mêmes causes de nullité sont prévues pour assurer le respect de dispositions qualifiables d’ordre public

399 Certains auteurs ont en effet vite fait d’émettre leur crainte quant à la pertinence de ce pouvoir attribué au juge.

cf. D. PORACCHIA et BRIGNON, « Aspects contractuels de la réforme : Statuts et pactes extrastatutaires », op.

cit., p. 17. « On avouera ne pas être convaincu », écrivent-ils à ce propos en argumentant qu’il n’est pas pertinent de laisser au juge, le pouvoir d’apprécier si la clause est ou non essentielle. Dans ces conditions, seule une telle interprétation qui tire ses arguments de la loi est garante de la sécurité juridique.

400 On s’est notamment fondé sur l’équivalence de l’article 1134 du code civil établi entre la loi et les clauses

contractuelles ainsi que sur les aspects institutionnels de la société commerciale. Voir J.-P. LEGROS, « La violation des statuts est-elle une cause de nullité ? », in Dr. des sociétés, avr. 1991, p. 1 ; voir aussi Lamy Sociétés

commerciales, 2009, n° 2698.

401 En Droit français, alors même que la législation de 1966 relative aux sociétés commerciales n’annule pas les

manquements aux stipulations statutaires, la Cour de cassation française a sanctionné par la nullité des violations de clauses statutaires qu’elle jugeait essentielles, Voir note sous Cass. Com., 6 mai 1974, Dalloz, 1975, p. 102.

402 Il est évident qu’en l’état actuel du droit Ohada, cette formule du législateur augmente assurément la possibilité

des nullités virtuelles que le juge induira du caractère essentiel de telle ou telle autre clause statutaire.

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sociétaire. Cette sanction s’applique soit parce que la disposition légale violée la prévoit expressément, soit parce que la clause statutaire violée est qualifiée d’ « essentielle » par le juge, et donc inviolable ; ou soit encore, parce qu’elle est la réponse au non respect d’une condition de formation des contrats en général. Pour ce qui est des nullités de société à proprement parler, les règles impératives à ne pas violer sont celles qui organisent les conditions de formation du groupement et qui prévoient expressément cette sanction ou qui relèvent des textes régissant la nullité des contrats en général.

158. Il apparaît donc que le législateur Ohada marque particulièrement et sans ambiguïté sa

volonté de sanctionner par principe tout manquement à l’ordre public sociétaire par la nullité des actes posés en contradiction à ce dernier, que ce soit par les organes de la société ou par les associés404. Néanmoins, contrairement à cette volonté affichée, le législateur semble dans le même temps lutter contre les nullités. Il entreprend une véritable croisade contre les causes de nullité405, qui ont tendance à être étouffées par leur propre régime juridique dont l’objectif semble être d’éviter in fine le prononcé des nullités par le juge. Il s’agit là, selon le Professeur Paul LE CANNU, d’un système de sanction propre au droit des sociétés qui génère « une

ineffectivité latente » de ce droit406. En réalité, le législateur Ohada comme celui français prévoit

simultanément des mesures palliatives à côté des causes de nullité qu’il consacre rendant ainsi possible la couverture de ces causes dans la plupart des hypothèses où leur existence peut être prouvée.

404 Il en est ainsi par exemple des actes du conseil d’administration ou des assemblées générales ayant pour effet

des résolutions, nominations ou révocation ou par exemple des cessions d’actions ou de parts sociales par les associés. Sont visés ici, les actes ayant trait au fonctionnement et à la gestion courante de la société, aux délibérations sociales ainsi que d’actes de la société ou de ses associés. Ainsi en est-il des délibérations relatives à l’assemblée générale constitutive, au vote des associés, à la désignation et à la rémunération des dirigeants sociaux, à l’exclusion d’un associé, aux délibérations du conseil d’administration irrégulièrement constitué. Cf. « La nullité

dans le nouvel Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique »,

Formation donnée par le Centre de Recherche En Droit et Institutions Judiciaires, Inédit, Possotomè, Bénin, Juin 2015.

405 B. O. KASSIA, « Le recul de la nullité dans l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales et du groupement

économique » : Penant 2004, n° 848, p. 379. Voir aussi, F. ANOUKAHA, A. CISSE, N. DIOUF, et alii, OHADA :

Sociétés commerciales et GIE, éd. Bruylant, 2002, p. 27, n° 43.

406 P. LE CANNU, Effectivité et ineffectivité du droit des sociétés, in Mélanges en l'honneur de Dominique Schmidt - Liber Amicorum, éd. Joly, 2005, p. 342, n° 10.

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