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Section 1 : Les limites légales à la détermination des règles impératives

A- L’influence des cas de compétence exclusive des juges nationau

124. Contrairement au but d’harmonisation du droit que visent les actes uniformes dans les Etats membres de l’Ohada, l’interprétation de certaines dispositions du droit des sociétés dans l’espace Ohada relève de la compétence exclusive des juridictions nationales. Le rôle prépondérant de celles-ci dans la mise en œuvre de celles-là est de nature à faire craindre en pratique, le développement d’un ordre public sociétaire propre à chaque Etat membre.

125. A notre avis, une raison de droit justifie l’éventualité de l’émergence d'un ordre public sociétaire exclusivement défini par les juridictions nationales de chaque Etat membre de l’Ohada. C’est, comme beaucoup d’auteurs en conviennent, « que le droit interne des affaires

d’un Etat partie se compose d’une part des dispositions des Actes uniformes et, d’autre part, de celles du droit interne ayant le même objet que ces actes »333. En effet, conformément à l’article 916 de l’AUSC334, certaines des sociétés commerciales régies par le droit Ohada sont, en raison de leur régime particulier335, soumises à un ordre juridique mixte concurremment composé des règles de l’AUSC et d’autres dispositions élaborées par chaque législateur national en tenant compte des spécificités de ces sociétés commerciales. Sans autoriser expressément la création de régimes dérogatoires au droit commun applicable aux sociétés commerciales, l’article 916 autorise néanmoins le législateur national à compléter la réglementation en tenant compte des spécificités des sociétés en question. Il s’agit selon le Professeur Paul Gérard POUGOUE336d’un indispensable « complètement » des dispositions du droit Ohada.

126. Cette réglementation nationale complémentaire offre sans aucun doute le moyen aux

Etats-parties de consacrer des dispositions impératives propres à leur territoire. En effet, ces dernières n’étant pas communes à tous les Etats de l’Organisation, elles excluent la compétence de la CCJA en cas de litige relatif à leur application. Il apparaît clairement que le juge national détient dans le cas précis de ces sociétés au régime particulier, un pouvoir sur le contenu de l’ordre public sociétaire en droit Ohada, qui reste toutefois soumis aux mêmes aléas quant à sa connaissance précise.

333 E. ONANA et J. M. MBOCK BIUMLA, OHADA, cinq ans de la jurisprudence commentée de la cour commune de justice et d’arbitrage de l’Ohada (1999-2004), ama-cenc, Yaounde, 2005, p. 133.

334 L’article 916 dispose en effet que « Le présent acte uniforme s’applique aux sociétés soumises à un régime particulier sous réserve des dispositions législatives ou réglementaires auxquelles elles sont assujetties »

335 C’est le cas par exemple des sociétés à capital mixte dont des aspects particuliers de la réglementation peuvent

relever de la législation nationale de chaque Etat partie à l’Ohada en raison notamment de l’origine public d’une fraction au moins du capital social de la société. On peut aussi citer les sociétés de banque et d’assurance

336 P.-G. POUGOUE, « Les sociétés d’Etat à l’épreuve du droit OHADA » : Juridis Périodique : revue de droit et de science politique, n° 65, jan.-fév.-Mar. 2006, p. 100.

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127. Par ailleurs, d’autres indices pratiques prouvent que les juridictions nationales continuent généralement d’avoir, chacune sur son territoire, le monopole de l’interprétation des textes de l’Ohada. Les études empiriques montrent que le taux de saisine de la CCJA est largement en deçà de la moyenne des attentes337. En effet, bien des turbulences jurisprudentielles et des controverses doctrinales se manifestent sur de nombreux points sur lesquels la CCJA n’a pas l’occasion d’être saisie338. D’abord, les demandes d’avis aménagées par le traité de l’Ohada à l’initiative des juridictions nationales étant facultatives 339 et sélectives340, les juges nationaux questionnent rarement la CCJA sur l’interprétation commune à avoir d’une disposition communautaire qu’ils doivent appliquer. Mais, on se rend aussi compte du peu d’enthousiasme avec lequel les plaideurs des différents pays saisissent la juridiction communautaire alors que cette dernière n’a pas la possibilité de se saisir d’office. « Les statistiques ont révélé en effet, que seuls les justiciables de la Côte d'Ivoire, pays de son

siège, et dans une moindre mesure, du Sénégal, ont régulièrement saisi la CCJA d'affaires contentieuses »341.

128. En dehors de ces cas dans lesquels les juridictions nationales recouvrent, de droit ou de

fait, leur autorité jurisprudentielle relativement à l’interprétation des actes uniformes, il y a des cas fréquents d’« incertitudes sur la compétence de la CCJA »342. Ils se rapportent notamment à la question des « pourvois mixtes » qui procèdent essentiellement de la résistance des cours

337 P. LENDONGO, « Statistiques de la CCJA en matière contentieuse, arbitrale et consultative en dix ans de

fonctionnement », Acte du colloque international d’évaluation de la jurisprudence sur le thème : « Tendances jurisprudentielles de la CCJA en matière d’interprétation et d’application du traité Ohada et des actes uniformes », Lomé, 24 et 25 sept. 2010, disponible sur www.ohada.com , Réf. Ohadata : D-11-16 ; J. WAMBO, « Brèves sur le jurisprudence de la CCJA pour l’année 2011 » : Rev. ERSUMA, n° 1, juin 2012, p. 468 et s.

338 J. ISSA-SAYEGH, « Le bilan jurisprudentiel du Droit uniforme OHADA (Incertitudes législatives et turbulences jurisprudentielles) » ; Communication donnée au 31e congrès IDEF, Lomé 2008, disponible sur http://www.institut-idef.org/Le-bilan-jurisprudentiel-du-droit.html.

339 L’article 14 du traité de l’Ohada dispose en son alinéa 2 in fine que : « La même faculté de solliciter l’avis consultatif de la Cour est reconnue aux juridictions nationales saisies en application de l’article 13 ci-dessus » 340 Seules les juridictions nationales saisies d’un contentieux de l’application d’un acte uniforme peuvent solliciter

sur les questions qui lui sont posées, l’éclairage de la cour en vue de trancher la question pendante devant elle. Mais surtout elles n’ont aucune obligation légale de consulter le CCJA. Ceci fait qu’après plus de vingt années d’application des actes uniformes, seulement trois avis ont été rendus sur demande de juridictions nationales. Elle a été successivement consultée par le tribunal judiciaire de première instance de Libreville (CCJA, Avis n° 001/ 1999/JN du 7 juillet 1999, in Recueil de la cour, n° spécial, Janvier 2003, p. 70), la cour d’appel de Ndjamena (CCJA, Avis n° 001/ 2004/JN du 28 janvier 2004, in Recueil de la cour, n° 3, Janvier-Juin 2004, p. 151) et le tribunal de commerce de Brazzaville (CCJA, Avis n° 001/2006/JN du 7 juillet 1999, in Recueil de la cour, n°11 spécial, Janvier-Juin 2008, p. 129).

341 V. D. ADOSSOU, « Formation des magistrats des hautes juridictions nationales des Etats-Parties à l’Ohada. Propos conclusifs sur l’article 14 du traité de l’Ohada », disponible sur www.ohada.com . Voir aussi B. DIALLO, « Vaincre la résistance des juridictions suprêmes nationales : les pistes possibles de réforme » : Revue Jurifis info, n° 5, sept.-nov. 2009, p. 7, disponible en ligne sur www.jurifis.com .

342 J. ISSA-SAYEGH, « Le bilan jurisprudentiel du Droit uniforme OHADA (Incertitudes législatives et turbulences jurisprudentielles) » ; Communication donnée au 31e congrès IDEF, Lomé 2008, disponible sur http://www.institut-idef.org/Le-bilan-jurisprudentiel-du-droit.html .

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suprêmes nationales à admettre la compétence de la juridiction communautaire, occasionnant de fait, l’émergence de chapelles jurisprudentielles nationales343, ce qui ne garantit pas une cohérence prétorienne de la notion d’ordre public sociétaire.

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