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Section 1 : Les limites légales à la détermination des règles impératives

B- La restriction des effets de la nullité en cas de prononcé de la sanction

178. La ‘‘chasse aux nullités’’ en droit des sociétés ne s’arrête pas aux efforts du législateur en vue d’empêcher la mise en œuvre de l’action tendant à l’annulation des actes violant l’ordre public sociétaire. Dans les cas où l’action en nullité est favorablement accueillie, notamment en ce qui concerne les règles obligatoires de la constitution, ses effets sont amputés d’une caractéristique essentielle de la nullité de droit commun qu’est l’anéantissement rétroactif. Fiction juridique, qui consiste à reporter les effets d'une situation de droit à une date antérieure

439 G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité élémentaire de droit commercial, t. I, 1998, 17ème éd., Par M. GERMAIN

et L. VOGEL, p. 842, n° 1076.

440 M. COZIAN, A. VIANDIER et F. DEBOISSY, Droit des sociétés, LexisNexis, op. cit., p. 236, n° 426. Les

auteurs analysent ce délai de trois ans comme l’un des obstacles mis en place par le législateur pour compliquer la tâche des demandeurs éventuels. Voir aussi P. LE CANNU et B. DONDERO, Droit des sociétés, LGDJ, 2014, 6e

éd., p. 247, n° 391.

441 H. RUMEAU-MAILLOT, « Les délais de prescriptions en droit des sociétés » : Rev. sociétés 2012, p. 300 et

s., n° 40.

442 F. ANOUKAHA, A. CISSE, N. DIOUF, et alii, OHADA : Sociétés commerciales et GIE, éd. Bruylant, 2002,

p. 115, n° 183.

443 Voir M. AZAVANT, « La sanction civile en droit des sociétés ou l’apport du droit commun au droit spécial »

: Rev. sociétés 2003, p. 441 et s., n° 26 ; voir aussi P. MALAURIE, L. AYNES, P. STOFFEL-MUNCK, Les

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à sa date réelle où elle s’est produite, la rétroactivité d’une sanction a pour fonction principale de renforcer l'efficacité de celle-ci, de la rendre plus énergique en vue de révéler par là-même, toute la force obligatoire de la norme dont la violation est sanctionnée444. C’est ainsi que l’énergie réputée caractériser l’ordre public sociétaire devrait se révéler dans les effets de la sanction des actes qui lui sont contraires, particulièrement leur anéantissement rétroactif.

179. Toutefois, pour des raisons de sécurité juridique, notamment des tiers et de la société

elle-même, la rétroactivité de la nullité est réputée perturber la cohérence du droit des sociétés. L’opinion est couramment partagée que le droit des sociétés s’accommode mal des sanctions rétroactives et le phénomène semble exacerbé s’agissant de la rétroactivité des nullités en droit des sociétés445. Néanmoins, on peut s’étonner que l’absence de rétroactivité joue même lorsque l’ordre public est intéressé et que la nullité encourue devrait, de ce fait, être absolue446. D’après le Professeur Paul LE CANNU447, cette « hostilité primitive » qui consiste à réduire les effets de la nullité « aboutit à la consolidation des violations de la loi », y compris de ses dispositions impératives. Il n’est donc pas dénué de sens de se demander si cette limitation légale de la rétroactivité des nullités en droit des sociétés ne traduit pas, au moins indirectement, une atténuation de la portée obligatoire des dispositions d’ordre public de la matière. Et une réponse affirmative nous paraît soutenable.

180. En effet, une mise en perspective des effets de la nullité et de la clause réputée non écrite

permet de soutenir que la restriction des effets de la nullité marque une atténuation de la portée impérative des règles que la nullité sanctionne448. En fait, on réalise avec le réputé non écrit que, la sanction rétroactive n’est pas totalement absente du droit des sociétés. En ce qui concerne le réputé non écrit, « la rétroactivité est ici centrale » et elle « a ceci de particulier

qu’il permet de sanctionner la clause illicite en la privant rétroactivement de sa force

444 I. PARACHKEVOVA, « La rétroactivité des sanctions en droit des sociétés », JCP E 2013, 1511, n° 1. 445 I. PARACHKEVOVA, idem. Voir aussi J.-P. STORCK, « La rétroactivité des décisions sociales » : Rev. sociétés 1985, p. 55.

446 Tel que l’a fait noter un auteur, « l’admission de la nullité est inversement proportionnelle à la gravité de l’acte accompli. Plus ce dernier est important, moins la nullité est admise ; moins l’acte est important, plus la nullité est largement admise » ; cf. B. O. KASSIA, « Le recul de la nullité dans l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales et les groupements d’intérêt économique », art. précité, p. 379.

447 P. LE CANNU, « La canalisation des nullités subséquentes en droit des sociétés », in Le juge et le droit de l’économie, Mélanges en l’honneur de Pierre BEZRAD, op. cit, p. 120, n° 16. Pour l’auteur, l’élimination légale

de la rétroactivité dans la nullité des décisions sociales notamment, consolide des violations de lois qui en soi, paraissent peu acceptables.

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illicite »449. On est alors tenté de croire que cette dernière sanction est plus révélatrice de l’énergie d’ordre public de la règle violée450.

181. Dans ces conditions, tout se passe comme si l’ordre public sociétaire est constitué de deux catégories de dispositions impératives : les unes réellement impératives seraient sanctionnées par le réputé non écrit qui anéantit rétroactivement la situation illicite et les autres de portée impérative moindre, sanctionnées par une nullité aux effets parcellaires451. Une telle lecture est de nature à se consolider dans l’esprit des acteurs du droit Ohada quand on sait par ailleurs que le réputé non écrit se distingue de la nullité par l’avantage qu’il présente d’être extrajudiciaire et imprescriptible.

182. Suite à ce constat, on n’a pas manqué d’agiter l’idée de faire produire à la nullité en droit des sociétés, l’effet d’anéantissement rétroactif qui caractérise la sanction dans sa théorie générale. La raison avancée est que, la rétroactivité peut se révéler être au service même de l’intérêt de la société et de sa sécurité juridique452. En effet, la rétroactivité de la sanction marquerait une faveur pour l’efficacité économique et assurerait la cohérence de la vie des affaires avec les règles qui l’organise, notamment celles auxquelles il est interdit de déroger. En tout état de cause, écrit l’auteur, la restriction de la rétroactivité des nullités dans le droit des sociétés perd de plus en plus sa justesse et en la matière. En réalité conclut-il, la rétroactivité de la nullité fait désormais l’objet d’un traitement paradoxal : elle est tantôt pourchassée conformément aux idées reçues, tantôt provoquée en vue de renforcer l’efficacité de la sanction et de restaurer la force obligatoire de la règle violée453.

183. En définitive, il convient de reconnaitre qu’en dépit des nombreux cas dans lesquels la nullité est posée par le législateur comme sanction de la violation de l’ordre public sociétaire, la philosophie qui gouverne le régime de cette nullité semble plutôt traduire une réticence à appliquer la sanction même en présence de la violation constatée de règles impératives. Cette réalité pose alors la question de la portée réelle des règles d’ordre public en cause qui, à

449 I. PARACHKEVOVA, « La rétroactivité des sanctions en droit des sociétés » : JCP E 2013, 1511, n° 6. 450 Sur la comparaison de la force sanctionnatrice de la nullité par rapport à celle du réputé contradictoire, voir K.

FADIKA, « La clarification du régime des nullités » : Rev. Dr. et Patr., Sept. 2014, n° 239, p. 90. A l’issue d’une analyse comparative des sanctions réprimant les violations de l’ordre public en droit des sociétés de l’Ohada, l’auteur conclu à propos du réputé non écrit qu’il est une sanction « plus forte que la nullité ».

451 Dans cette hypothèse, on tendrait à croire que le législateur Ohada ne fait pas la distinction classique entre la

nullité relative de la nullité absolue censée se fonder sur l’intérêt plus ou moins important, que la règle de droit protège. Mais plutôt distinguerait-il entre des règles de droit d’une forte impérativité sanctionnées par le réputé non écrit des clauses contraires et des règles d’une moindre impérativité sanctionnée par une nullité dont les modalités de la mise en œuvre sont particulièrement indulgentes.

452 I. PARACHKEVOVA, « La rétroactivité des sanctions en droit des sociétés », JCP E 2013, 1511, n° 6 à 9. 453 I. PARACHKEVOVA, « La rétroactivité des sanctions en droit des sociétés » : JCP E 2013, 1511, n° 3 et 4.

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l’analyse, se révèlent être d’une portée impérative relative ; laquelle relativité se confirme par ailleurs et davantage avec la libéralisation des modes de règlements de tous types de litiges sociétaires en droit Ohada.

Section 2 : La portée de l’ordre public contrariée par la faculté du règlement alternatif

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