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III. Illustration clinique : l’activité « jeux de société » d’un CATTP pour

III.4. Evolution

III.4.1. c Vincent

Initialement instable, hypervigilant, peu ajusté dans la relation, oscillant entre faux self hyper conforme et opposition / provocation, Vincent a beaucoup évolué au cours de ses quelques mois de prise en charge.

En décembre il a commencé à investir timidement les temps de parole en début de groupe, rapportant quelques événements de sa vie : initialement de petites anecdotes sans affects exprimés, puis des éléments plus personnels. Alors qu’il donnait l’impression d’être assez vide, nous avons découvert chez lui une vie imaginative riche, des ressources. Il semble touché de l’attention que nous portons sur lui.

Il s’est apaisé physiquement, peut se montrer calme et attentif au lieu d’osciller entre instabilité motrice et somnolence.

Dans sa relation aux autres, il s’est progressivement ajusté. Envers les adultes il est moins dans la serviabilité exagérée, la maîtrise ou la provocation. Il suscite un contre-transfert plus positif, très probablement parce qu’il est plus authentique dans la relation. Il est sensible aux absences des adultes, s’en inquiète. Envers les autres adolescents, il se montre plus ouvert.

Il exprime son désaccord de façon plus fluide et assurée : ni dans l’hyperconformisme soumis en faux self, ni dans l’opposition passive. En janvier, il peut nous dire qu’il souhaite arrêter le CATTP et argumenter sa décision. Il accepte de différer cette décision jusqu’à son prochain entretien bilan, et finalement décide de continuer sa prise en charge.

Les temps d’activité lui offrent un espace dont il peut se saisir pour manifester de l’opposition ou de l’ambivalence sans que cela ne débouche sur une rupture, expérience rare et précieuse pour lui. Il semble avoir retenu de son histoire de vie la nécessité de se montrer agréable, conforme et serviable en toutes circonstances.

Le médiateur nous a semblé particulièrement bien adapté pour Vincent. Il est l’adolescent qui s’est le plus saisi de la seule composante malléable du jeu de société : ses règles. Tout au long de l’observation, dans son jeu avec les règles, c’est avec les modalités de sa relation aux autres et au cadre qu’il joue.

Initialement il prend une position de mauvais objet du groupe, transgresseur. En attaquant les règles, c’est un peu le cadre et la relation au groupe qu’il met à mal. D’ailleurs, lorsqu’on l’empêche de tricher, c’est le cadre qu’il attaque en sortant son téléphone ou en se retirant du jeu. Cette attaque des règles peut aussi être comprise comme une forme de tendance antisociale, c’est-à-dire - selon Winnicott - un appel, un espoir d’obtenir ce dont il se sent déprivé (116). Nous avons été assez sensibles à cet aspect, imaginant qu’il avait en lui un besoin très fort de gagner, de se sentir le meilleur, et aussi qu’on s’adapte à lui en lui accordant une place spéciale.

Peu après que nous avons décidé de nous montrer plus souples et de fermer les yeux sur les entorses aux règles, il cesse de tricher, se risque à respecter les règles et à tenter de gagner par ses propres moyens. Une hypothèse est qu’en lui accordant tacitement la permission de tricher, nous lui avons proposé une petite compensation de ce dont il se sentait jusqu’alors privé : se sentir accepté même lorsqu’il n’est pas conforme, savoir qu’il occupe une place spéciale pour quelqu’un, vivre une expérience d’illusion omnipotente. Lors de cette période où Vincent cesse de tricher, il commence à se montrer plus ouvert dans la relation aux autres et au groupe.

Il est visible qu’il utilise le jeu principalement pour être en lien, beaucoup plus intéressé par le fait de gêner ou arranger un autre joueur que par sa propre avancée. Il dit aussi que le jeu importe peu : « en fait, on arrive toujours à s’amuser ».

Cliniquement, nous avons donc vu beaucoup d’amélioration chez Vincent : apaisement de l’instabilité psychomotrice, de l’anxiété, assouplissement de ses défenses avec un moindre recours au faux self, meilleure expression des affects, notamment d’une certaine tristesse. Il a pu accéder à un plaisir partagé, se risquer à se montrer authentique dans une relation, et développer ses compétences sociales. Cette évolution remplit partiellement les objectifs de prise en charge que nous nous étions fixés pour lui.

Son assistante familiale, Mme H, se dit partiellement satisfaite de la prise en charge, car les troubles du comportement et les vols de sucreries chez elle se feraient un peu plus rares. Leur relation reste assez difficile, Mme H menaçant régulièrement Vincent de demander une réorientation à sa prochaine « bêtise ».

Sa présentation clinique différente en activité et en entretien individuel permet d’enrichir la réflexion diagnostique. L’accès qu’il donne à son monde interne et à ses affects en activité nous fait reconsidérer son diagnostic initial de syndrome d’Asperger. Il nous semble que Vincent présente au

premier plan les stigmates d’une histoire de vie marquée par les carences affectives et les discontinuités, avec une construction en faux self, une tendance antisociale et une agitation qui peuvent être compris comme une défense contre la menace dépressive (69,116).

Par ailleurs, la coexistence d’un substrat neurologique à ses troubles, notamment un syndrome d’alcoolisation fœtale partiel, est probable (122).

La prise en charge se poursuit pour Vincent au CATTP, dans ses deux activités. La médiation de la relation entre son assistante familiale et lui reste un enjeu majeur de la prise en charge.