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III. Illustration clinique : l’activité « jeux de société » d’un CATTP pour

III.2. Présentation de l’activité « jeux de société » :

III.3.1. Rencontre du groupe (04.10.2017)

L’observation a commencé en octobre, mais l’activité a en réalité commencé mi septembre, alors que j’étais absente. Ma première séance est donc la 3e pour le groupe. Les quatre adolescents me

connaissent déjà, m’ayant côtoyée lors d’activités l’année précédente ou pendant l’été.

VD est absente, elle est remplacée par SD. Deux autres adolescents sont inscrits à l’activité en théorie, mais sont absents ce jour.

Temps interstitiel en salle d’attente

Lorsque nous passons devant la salle d’attente, les quatre adolescents jouent au baby-foot, dans une ambiance joyeuse. Vincent se précipite pour être le premier à nous serrer la main. Ils prennent rapidement leurs affaires pour nous suivre jusqu’à la salle d’activité, sauf Alexis, qui s’attarde dans le couloir, frôle le mur avec sa main en chantonnant, prenant une attitude de petit garçon. Lorsqu’ES le reprend sur ce point, il la dévisage sans rien dire, le visage figé.

Temps de discussion et collation

Nous proposons un tour de présentation pour Vincent et Alexis, qui n'ont visiblement pas encore retenu les prénoms des autres, ni des soignants. Ne pas intégrer les prénoms des autres a un

caractère assez immature. C’est à la fois un signe de la régression induite par le groupe, et de carence affective. C’est également un moyen de rester fermé sur le plan relationnel. Leur passivité – ils ne savent pas identifier les personnes avec lesquelles ils vont passer deux heures, mais cela ne semble pas les déranger – signe une grande docilité, presque une soumission à l’adulte. Ils sont en position infantile plus qu’adolescente.

Gordon et Oscar présentent les soignants sans erreur, prénom et fonction. Ils semblent fiers d’être les « anciens » du groupe. Ils sont assis côte à côte, à leurs places habituelles de l’année précédente.

Lorsque nous leur demandons comment ils vont, tous répondent laconiquement « ça va ». Personne ne parlant spontanément, nous leur proposons de rapporter un événement agréable ou inhabituel de la semaine passée – le rituel de début de séance. Oscar est sorti en famille le week-end dernier.

Gordon a mangé un bouillon de poule. Alexis est sorti du collège à 10 heures ce matin. Il se frotte les yeux et pose sa tête sur ses bras, se dit fatigué. Vincent dit n’avoir rien de spécial à raconter.

Nous parlons du jeu du jour. Oscar et Gordon connaissent déjà tous les jeux. VD propose de faire découvrir à Alexis et Vincent ceux qu’ils ne connaissent pas encore. Vincent demande à jouer à Bang ! ®, le seul jeu qu’il connaisse, mais les autres ne semblent pas intéressés. Alexis demande plusieurs fois à jouer au Loup-garou, nous devons lui répéter que nous ne sommes pas assez nombreux. Le groupe se met rapidement d’accord pour jouer à Saboteur ®, puis à Resistance ®.

Temps de jeu

Il règne une ambiance joyeuse, portée surtout par Gordon.

Dès qu'on s'installe à la table de jeu, Alexis commence à chantonner, à faire des sons aigus bizarres, des gestes étranges, maniérés et enfantins sur la table. Il adopte une attitude très infantile et semble chercher en permanence à attirer notre attention. Lorsqu'on le recadre, il nous fixe d’un regard vide, puis recommence presque aussitôt. Ceci dure tout le temps de jeu.

Gordon explique les règles du Saboteur ®, de façon assez claire. Vincent est attentif, mais Alexis pas du tout : il regarde ailleurs et a besoin d'être régulièrement sollicité.

Nous faisons deux parties.

Oscar et Gordon sont à l'aise, ils jouent leurs rôles de façon adaptée et stratégique. Ils plaisantent avec nous, sur un pied d'égalité, évoquant des souvenirs de parties de ce jeu dans l’ancien groupe. Vincent reste discret. Il joue correctement la première partie lorsqu’il est Nain, mais lors de la 2e

partie, alors qu'il est Saboteur, il n'ose pas prendre le risque de se dévoiler, ce qu’Oscar - son partenaire Saboteur - lui reproche sévèrement ensuite.

Alexis est en difficulté, il n'a manifestement pas bien compris les règles et a une stratégie parfois inadaptée : il joue des cartes avantageuses pour quiconque le lui demande, sans se rendre compte qu’ils ne sont manifestement pas dans la même équipe. Il cherche notamment à rendre service à Gordon. ES tente de l’aider à s’interroger sur sa réflexion stratégique, sans succès.

Après le Saboteur, nous discutons au sujet du 2e jeu, hésitant entre Resistance ® et un jeu plus

simple. Alexis demande encore à jouer au Loup-garou, Vincent dit ne pas aimer Resistance ®. Il finissent par voter, en faveur du Uno ®.

Oscar et Gordon sont à l'aise, ils s’amusent. Oscar peut rire de perdre.

Vincent devient plus instable et irritable : il se balance sur sa chaise, reproche à Oscar de ne pas bien cacher son jeu, conteste des détails des règles.

Alexis est encore en difficulté : il fait plusieurs erreurs, ou teste si nous faisons appliquer les règles. Son discours est plaintif : il n'a que des mauvaises cartes, le jeu est trop difficile... Il se montre peu attentif, il faut lui rappeler lorsque c'est son tour de jouer. Il prend peu de plaisir apparent au jeu, semble vite fatigué de la séance.

Nous arrêtons de jouer quelques minutes avant l’heure de fin.

Temps de discussion et au revoir

Les quatre adolescents ne parlant pas spontanément, nous leur demandons donc de dire chacun un mot en rapport avec la séance, ce qui leur restera en mémoire, ce qui les a marqués ou leur a plu. Gordon donne tout simplement le nom d’un des jeux : « Saboteur ® ». Oscar dit en souriant « défaite » car il a perdu toutes les parties. Alexis choisit « nain », et précise « parce que les nains, ils sont gentils ». Vincent ne veut rien dire.

Alexis sort sans dire au revoir, il revient le faire lorsque nous le rappelons. Sa mère n'est pas là, il est réticent à l’idée de l'attendre seul en salle d'attente et demande que nous restions avec lui, ou que nous le laissions attendre avec nous dans notre bureau : « je ne peux pas rester tout seul ». Il patiente finalement quelques minutes seul en salle d’attente avant que sa mère arrive.

Temps de reprise.

Cette séance a été vécue par nous trois comme éprouvante, surtout parce qu’Alexis a suscité beaucoup d’agacement chez nous.

Commentaire

L’enveloppe groupale n’est pas encore constituée, il n’y a pour l’instant qu’un « agrégat d’individus » (51).

Oscar et Gordon font sans cesse référence à l’ancien groupe, qui leur manque peut-être. Ils se mettent sur un pied d’égalité avec les adultes, comme s’ils étaient aussi les fondateurs du groupe. Ils transmettent leur vision du groupe, leur idéal groupal aux autres, mais les excluent aussi en faisant des références qu’ils ne peuvent pas comprendre.

Chez Vincent et Alexis on voit des mouvements de résistance, de différenciation : les deux refusent initialement les jeux proposés, demandent leurs jeux préférés, et prennent peu de plaisir apparent. Vincent refuse de parler en début et en fin de groupe, et Alexis le fait principalement pour se plaindre.

Dans leur rapport au médiateur, ils sont hétérogènes. Gordon et Oscar sont à l’aise. Vincent semble irrité par les limitations des règles. Alexis n’est pas du tout intéressé par l’aspect organisé du jeu, il n’écoute pas les règles et ne les suit qu’avec difficulté. Ils n’ont pas la même capacité à jouer, et il n’est pas naturel pour eux de jouer ensemble.