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I. Prises en charge médiatisées de groupe en psychiatrie infanto-juvénile

I.2. Processus thérapeutiques :

I.2.3. a Médiateur et contenance

Le concept de contenance a déjà été abordé plus haut. Développé dans l’étude de la relation mère- enfant par Winnicott sous le terme de soutien (holding) (49), puis par Bion via la fonction alpha (29), par Anzieu à travers les concepts de Moi-peau et d’enveloppe psychique (40), la contenance est un processus actif qui consiste à accueillir, contenir et permettre la transformation des vécus bruts et incompréhensibles.

En quoi le médiateur joue-t-il un rôle de contenance?

Pour Roussillon, la souffrance psychique peut être conçue comme de la « matière première

psychique » : un ensemble de traces mnésiques perceptives restant à l’état brut, faute d’avoir pu être

psychique pour la traiter. Cette tendance est intéressante pour le soin, encore faut-il que la psyché trouve un endroit propice où projeter (17).

Les mediums malléables, tels que définis par Roussillon, peuvent accueillir les projections des patients. La sensorialité du médiateur a un effet attracteur pour des traces psychiques d’expériences vécues à une époque antérieure au langage, qui n’ont pas pu être verbalisées, élaborées et symbolisées, et restent donc en souffrance dans la psyché. Le medium malléable utilisant les voies sensorielles, il peut entrer en contact et réveiller cette mémoire archaïque infra langage mieux que la parole (57). En attirant et accueillant les projections de ces éléments très archaïques, puis en permettant leur transformation via la manipulation, le médiateur rejoint la définition d’une entité contenante. Les angoisses deviennent un peu moins dangereuses, car elles sont « maîtrisables » dans la manipulation concrète du médiateur (3).

Les médiateurs qui ne sont pas à proprement parler des mediums malléables selon la définition de Roussillon - ceux que Chouvier appelle les « objets trouvés » (conte, jeu théâtral, photographie) - aident également à canaliser les angoisses, en les encadrant dans un discours socialisé ou en conduisant les patients à avoir une activité de représentation (3).

Le médiateur peut avoir une fonction de contenance et pare-excitation, de régulation de la régression de la mise en situation groupale (13). Il peut matérialiser l’enveloppe psychique groupale (58), et ainsi jouer une fonction de tamponnage ou régulation des angoisses générées initialement par la mise en groupe (3). Une fois l’enveloppe groupale constituée, il existe une synergie entre les propriétés contenantes du groupe et du médiateur (55).

Chapelier met en garde contre un risque de l’utilisation des médiateurs, qui serait une utilisation défensive par les thérapeutes pour contenir les excitations débordantes, une « contention » plutôt qu’une contenance, qui inhiberait trop l’apparition d’une possible créativité (9).

I.2.3.b. Médiateur et lien intersubjectif

La médiation implique l’inclusion d’un tiers dans la relation. Ce tiers est un intermédiaire qui à la fois relie et sépare. Ainsi, dans la façon dont le médiateur régule la relation à l’autre, on peut voir deux qualités se dessiner : faciliter l’accès à la relation, mais aussi tempérer la relation en l’empêchant de devenir trop intense ou conflictuelle.

Le médiateur aide à accéder à la relation en tant qu’équivalent du langage quand le patient a des difficultés à utiliser celui-ci. Les thérapeutes d’enfants, à commencer par Klein, Anna Freud puis Winnicott, utilisent fréquemment le dessin ou les jeux comme médiateurs en entretien pour faciliter l’établissement de la relation avec leurs jeunes patients. Le médiateur permet l’accès à des représentations, l’expression du monde interne et l’échange entre individus autrement qu’en passant par les mots (59). En projetant son matériel psychique sur le médiateur, le patient l’adresse au soignant sans passer par la verbalisation.

La médiation peut aussi être ce qui rend la relation tolérable, moins intense. Elle est à la fois prétexte à la rencontre et ce qui sépare les protagonistes, fait pare-excitation (60). Le recours à un médiateur permet de modérer, tamponner l’excitation que suscite la mise en relation (61).

En effet, la relation duelle patient-thérapeute peut être vécue par le patient comme trop intense et menaçante, empreinte de séduction et de persécution (62). Rendre la relation tolérable est une préoccupation majeure dans le travail avec les adolescents qui sont pris dans le « paradoxe narcissico-objectal » décrit par Jeammet : ils ont infiniment besoin de relation, mais du fait de

fragilités narcissiques ce besoin est vécu comme un échec, un aveu de faiblesse qui menace encore plus le narcissisme. « Plus il en a besoin, moins elle est supportable » (63). Tout sentiment de dépendance est vécu comme intolérable, ce qui rend l’accès à une thérapie individuelle difficile. En servant de prétexte à la rencontre et à la parole, le médiateur évite que l’adolescent ne se sente dépendant, en demande de cette relation.

En activité thérapeutique à médiation, patients et soignants sont côte à côte, actifs ensemble. Parler en étant occupé diminue la charge émotionnelle, puisque l’attention est partagée et fixée sur un « point de fuite » qui n’est pas le patient lui-même. Être occupés ensemble permet de laisser des silences sereins, qui ne sont pas vécus de façon angoissante ou pesante comme un échec de la parole. Être actif donne une liberté à l’adolescent dans sa gestion de la relation : il a le choix de faire ou de ne pas faire, de faire autre chose, et toujours on l’encourage à faire à sa manière. Ceci lui permet de récupérer ou conserver un sentiment de maîtrise, qui diminue la crainte de s’investir dans la relation de soin. Il n’a pas à demander : on lui propose quelque chose dont il se saisit ou non, sans que cela n’entraîne de réaction de la part du soignant. Il est libre de prendre et profiter de la médiation sans se sentir dépendant, et donc sans menacer son propre narcissisme. Les soins à médiation peuvent donc constituer une bonne manière de contourner l’antagonisme narcissico- objectal (61).

Reprenons la conception de Roussillon de la souffrance psychique comme matière première psychique brute que la psyché cherche à externaliser pour la traiter. En situation thérapeutique individuelle, c’est le thérapeute qui s’offre comme réceptacle de cette matière première psychique, ce qui peut être difficile avec les patients souffrant de problématiques narcissiques-identitaires recourant massivement à l’identification projective, « transfert par retournement » (17), appelé encore « transfert par dépôt » (55). Introduire un médiateur est un aménagement intéressant pour détourner en partie le processus évacuateur du thérapeute vers l’objet médiateur, qui est capable

d’accueillir la « matière première psychique » transférée sur lui et de permettre sa transformation en représentation symbolique. Le médiateur, en absorbant sur lui une partie de la matière psychique projetée, permet de diffracter et réguler le transfert (17).