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I. Prises en charge médiatisées de groupe en psychiatrie infanto-juvénile

I.2. Processus thérapeutiques :

I.2.3. f Médiateur et symbolisation

Roussillon définit la souffrance psychique comme liée à des parts non-appropriées de l’histoire et de l’expérience subjective, qui n’ont pas été symbolisées - ou mal, et ne peuvent pas être intégrées et appropriées par le sujet. L’expérience subjective laisse une trace interne dans la psyché. Il y a deux temps : celui où « ça se passe » - l’enregistrement de l’expérience, et le temps où ça signifie – le temps de la symbolisation. La symbolisation primaire correspond au passage de la trace perceptive à la représentation de chose, la symbolisation secondaire étant le passage de la représentation de chose à la représentation de mot. La mise en représentation symbolique de

l’expérience nécessite un travail psychique, qui est particulièrement complexe pour les expériences infantiles, surtout si elles surviennent avant le langage verbal (17).

Roussillon propose une définition de la psychothérapie comme un travail visant à optimiser ou développer les capacités de symbolisation d’un sujet (ou groupe) par l’analyse des difficultés dans l’histoire de la symbolisation, ou par la proposition de nouvelles expériences de symbolisation (5).

En quoi la médiation peut-elle soutenir la symbolisation?

La psyché a tendance à mettre en scène de façon externalisée ses processus pour pouvoir les élaborer. Ce processus a pu être considéré comme pathologique, notamment quand Klein décrit l’identification projective (50), mais répondrait en fait à la nécessité de la psyché de s’appuyer sur une « forme sensible donnée à l’expérience » (71) pour « se ressaisir de manière réflexive » (72). Milner souligne le rôle de l’illusion dans la formation du symbole, et le besoin d’un intermédiaire entre réalité interne et externe (18).

Le retour des éléments en attente de symbolisation se fait selon les caractéristiques sensorielles du médiateur. Pour Roussillon, un bon medium malléable doit se laisser déformer pour servir de symbolisateur, c’est-à-dire d’interprète entre réalité psychique et forme (17). Les caractéristiques de la médiation doivent faire écho à la réalité psychique, c’est-à-dire qu’il doit y avoir une forme de résonance entre elles pour que se forment des « boucles de symbolisation » entre psyché et médiateur. Le processus psychique doit trouver un contenant suffisamment similaire à lui pour que puisse se former une symbolisation dans l’interaction entre eux (72) : « On ne transfère pas

n’importe quel contenu psychique sur n’importe quel objet » (17).

Dans un groupe à médiation, la symbolisation apparaît selon deux modalités différentes en même temps : à partir du support matériel du médium, et dans le transfert avec les thérapeutes et le groupe

(57). L’associativité s’appuie à la fois sur le médiateur et sur le groupe. Kaës parle de « chaîne signifiante groupale » (41). Cette associativité ne repose pas tant sur les mots que sur la succession des utilisations du médiateur et des formes, à laquelle plusieurs psychismes participent.

Symbolisation au contact du médiateur

En médiation, l’associativité du patient est externalisée et focalisée sur l’utilisation du médiateur (73–75). L’associativité en activité à médiation ne repose pas principalement sur la parole : au contraire, il s’agit d’une associativité essentiellement non verbale, à repérer dans les gestes et les actes. Brun parle de « chaîne associative formelle » (76). Le thérapeute peut observer la dynamique mimo-gestuo-posturale dans son ensemble, prendre en compte le langage sensori-moteur des patients (57).

La mise en contact avec le médiateur déclenche une réactivation d’éprouvés archaïques, impensables, proches des agonies primitives décrites par Winnicott (77) qui n’ont pas pu être traduites en langage verbal : la fameuse « matière première psychique en souffrance » de Roussillon.

Un enfant psychotique - en deçà de la distinction moi / non-moi - peut s’identifier à la matière, se vivre comme elle, ou la vivre comme un fragment de son corps propre. Le retournement passif- actif, où l’enfant inflige à la matière ses propres angoisses archaïques de chute, morcellement ou liquéfaction, est souvent la première forme de symbolisation pour l’enfant psychotique (57).

On peut suivre, au fil des utilisations de l’objet médiateur par l’enfant, l’éventuelle complexification du jeu et l’histoire racontée ainsi. Ce processus se fait par étapes, par fragments. Le patient projette quelque chose de lui-même dans la médiation par petits fragments, qui sont ensuite « repris à l’objet » (72).

A titre d’exemple, à partir de son expérience de médiation picturale avec des enfants psychotiques, Brun décrit un processus de constitution d’un fond dans l’enchaînement des « signifiants formels »

(expression d’Anzieu (51)) au cours des séances. Dans son observation, les enfants passent par trois positions : d’abord une « position adhésive » durant laquelle ils attaquent la feuille, aucune forme n’est représentable sur la feuille puisqu’elle ne constitue pas un fond, puis une « position de détachement du fond » dans laquelle des formes sont créées mais sans but représentatif, avant une « position de figuration » dans laquelle des formes représentatives peuvent apparaître. À chacune de ces positions correspond une évolution de l’enveloppe psychique de l’enfant (78).

En groupe à médiation, les premières productions tendent à matérialiser le cadre, puis le groupe, puis les processus psychiques (72).

Qu’en est-il des médiations qui ne reposent pas sur un medium malléable mais sur un objet culturel - comme le conte, le psychodrame, l’écriture - et dans lesquels la sensorialité n’est pas au premier plan ? Si l’on prend l’exemple d’un atelier conte, des symboles se prêtent comme supports et attirent les projections des éléments irreprésentables, les englobent dans un discours socialisé, dans des représentations et des mots. Le conte de fées amène « le vécu inorganisé, difficilement

représentable (...) vers l'univers merveilleux de la représentation. (...) La détresse fondamentale, celle de la non-représentation, est battue en brèche. » (79). Il permet une « remise en jeu de l'activité du préconscient et de la figurabilité » (80). Dans le psychodrame, la mise en scène lie

l’espace, le corps, la décharge motrice et la parole autour de thèmes choisis en groupe et traités en association libre. La symbolisation se fait par les actes simulés, spontanés, voie d’expression des fantasmes (3).

Symbolisation dans le transfert

La symbolisation en soin à médiation ne provient pas que du contact avec le médiateur, mais aussi de la dynamique transférentielle. Le medium n’a de fonction médiatrice et symbolisatrice que considéré dans la dynamique transféro-contre-transférentielle (81). Le medium focalise les liens

transférentiels déposés de manière diffractée sur le cadre, le groupe, le thérapeute et sur lui-même, et les articule (82).

Le soin passe par la relance du processus d’intégration des premières formes non achevées de métabolisation de l’expérience psychique, en les transformant en « messages signifiants » à valeur narrative (72). Ces ébauches de messages, ou « messages non encore advenus » (83), doivent être « échoïsés », réfléchis par les soignants pour pouvoir prendre leur fonction de messages. En renvoyant au patient le fait que son ébauche de message a potentiellement du sens, elle peut en prendre un. Il se forme un langage, composé de messages potentiels qui doivent être réfléchis et auxquels on doit répondre pour qu’ils deviennent signifiants pour le sujet, la réponse leur donnant leur valeur a posteriori (72). Les expériences impensables et irreprésentables peuvent donc trouver un sens dans la relation transférentielle, et être appropriées (57), participant ainsi au processus de subjectivation.

L’associativité du patient utilise le médiateur comme inducteur, et celle du thérapeute se greffe sur l’associativité du patient pour laisser se déployer une co-associativité (17). On retrouve ici le concept winnicottien « le travail se déroule là où deux aires de jeu se chevauchent » (83).

I.2.3.g. Évaluation et modélisation des processus thérapeutiques des soins à