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a Séance 13 (20.12.2017), ou la question de la continuité et de la distance

III. Illustration clinique : l’activité « jeux de société » d’un CATTP pour

III.2. Présentation de l’activité « jeux de société » :

III.3.2. a Séance 13 (20.12.2017), ou la question de la continuité et de la distance

Présents: Oscar, Alexis, Vincent. Soignants: VD, ES, FV. Gordon est absent, excusé.

Depuis quelques semaines, nous envisageons de proposer un changement de groupe à Alexis, qui ne semble pas tirer de bénéfices de cette activité : il semble n’y prendre aucun plaisir, a des difficultés à utiliser le médiateur, et a une position de mauvais objet dans le groupe.

J’ai été absente aux 2 séances précédentes, en oubliant de les en prévenir. Dans la mesure du possible, nous prenons soin de toujours prévenir les adolescents de nos absences. Mon oubli, tout à fait inhabituel, est à considérer comme un acte manqué : je le comprends comme une petite mesure de rétorsion inconsciente envers eux après 10 séances de défense, résistance et absences de leur part.

Temps interstitiel en salle d’attente.

Oscar arrive le premier, en avance comme souvent, et attend seul. Il me dit échanger des sms avec son père pour s’occuper. Je reste avec lui quelques minutes et nous parlons de jeux vidéos, sujet qui ne manque jamais de l’animer. Lorsque nous venons les chercher à 14h, Alexis et Vincent sont là, ils jouent à trois au babyfoot. Alexis cesse de jouer pour me dire bonjour, mais Vincent dit vouloir terminer la partie d’abord, ce qui ne lui ressemble pas : en général il bondit pour être le premier à nous serrer la main. VD insiste pour que la partie cesse mais Vincent continue de jouer, seul, jusqu’à ce qu’Oscar lui prenne la balle.

Temps de discussion.

Vincent est calme, beaucoup plus apaisé physiquement que d’habitude. Oscar semble rêveur, ailleurs.

Ça fait trois semaines que je n’ai pas vu les adolescents, et demande de leurs nouvelles.

Je regarde Vincent d’abord. Il dit aller bien, réfléchit puis raconte qu’une fête a eu lieu dans son collège, au cours de laquelle il a pu revoir d’anciens professeurs, ce qui lui a fait plaisir. C’est la première fois qu’il rapporte une anecdote au groupe.

Oscar dit aller bien, il est content d’avoir installé le sapin de Noël chez lui. C’est lui qui en aurait pris l’initiative, car selon lui ni son père ni sa belle-mère n’avaient l’intention de le faire. Il aurait

déjà eu son cadeau de Noël en avance. C’est un rituel familial important pour lui, qui visiblement ne tient plus, sans qu’il sache pourquoi.

Alexis parle lui aussi d’une fête de Noël dans son collège, qui lui a permis de revoir avec plaisir une enseignante de l’année précédente.

VD raconte pour Oscar, Alexis et moi la séance précédente, à laquelle nous étions absents. Elle encourage Vincent à raconter cette séance et à décrire le nouveau jeu qu’ils ont testé, Bioviva ®. Elle propose que nous y jouions, les adolescents sont d’accord.

Temps de jeu.

Vincent prend l’initiative de la mise en place des tables et de l’installation du jeu. Il trouve que je m’assieds trop loin du reste du groupe et me demande de me rapprocher : « il faut qu’on soit tous ensemble, sinon ça marche pas ». Alexis, lui, tient absolument à s’installer à côté de VD. VD est celle de nous trois qui est la moins agacée par son comportement, et à ce moment-là je me demande s’il en a conscience, ce qui signerait de meilleures compétences relationnelles.

On suggère à Vincent d’expliquer les règles, ce qu’il fait de façon assez désordonnée et confuse. VD intervient par moments pour rectifier ou clarifier, ce qui semble agacer Vincent. Oscar suit bien, Alexis nettement moins.

Il s’agit d’un jeu de questions au tour par tour. Il est assez éducatif, très cadrant, moins ludique que les jeux dont nous avons l’habitude.

Le groupe est très calme, un peu triste, peu vivant, et je m’ennuie un peu. Les trois adolescents sont actifs lorsqu’il faut répondre aux questions, mais le reste du temps ils semblent ailleurs, perdus dans leurs pensées. En dehors des questions et réponses, il y a peu de paroles échangées, malgré les efforts d’ES et VD pour animer le jeu.

Lorsqu’Alexis doit choisir une réponse il compte sur le hasard, la chance. Alors qu’il chantonne et joue à promener ses mains sur la table, je lui demande d’arrêter, et il me répond d’un ton plaintif « mais je m’amuse ! ». Dans sa façon préférentielle de jouer il est donc totalement en décalage avec

les autres adolescents, préférant une forme de jeu qui relève de la phase sensori-motrice - classiquement décrite de la naissance à l’âge de 2 ans (88)- à un jeu structuré.

À un moment, déterminé à rattraper son retard de points par rapport à Oscar, Vincent triche. VD le reprend, il nie, et Oscar confirme sur un ton neutre qu’il l’a vu tricher. Je me fais la réflexion qu’Oscar n’est pas scandalisé par la tricherie comme d’habitude, et me demande s’il s’assouplit ou si sa relative indifférence est plutôt le signe qu’il n’est pas assez impliqué dans le jeu pour s’en soucier. Vincent semble vexé d’avoir été repris.

Oscar gagne d’un point d’avance sur Vincent, qui est déçu et ne veut pas aider à ranger le jeu.

Temps de discussion et au revoir.

Nous oublions tous le rituel de clôture habituel (le mot de fin de séance). Nous parlons spontanément du jeu, de ce que les uns et les autres en ont pensé (qu’il n’est pas très drôle). Alexis n’écoute pas, il semble chercher à initier un jeu interactif avec ES, comme un très jeune enfant : il lui donne un très léger coup de pied, cherche à accrocher son regard, sourit et attend visiblement qu’elle lui donne un coup de pied à son tour - ce qu’elle ne fait pas, à la grande déception d’Alexis. Là encore, cette façon de jouer est extrêmement régressive.

Nous les informons que l’unité fermera la semaine suivante pour la première semaine des vacances de Noël, la prochaine séance aura donc lieu 15 jours plus tard.

Vincent se dépêche et manque de partir sans nous dire au revoir. Alexis, au contraire, dit au revoir deux fois.

Commentaire

Plusieurs dimensions sont montrées par le groupe dans cette séance : comment s’inscrire dans la continuité, quelle proximité avoir, comment se comprendre, comment un tiers peut exister.

Lorsque Vincent parle des professeurs qu’il était content de revoir, il s’adresse un peu à moi aussi, me disant qu’il est content de me retrouver après cette absence dont j’avais oublié de le prévenir, et dont il s’est un peu vengé en m’ignorant et refusant de me saluer en salle d’attente. Il dit la fragilité de la présence des adultes pour lui. Le thème des retrouvailles est repris par Alexis aussitôt après. Oscar, lui, raconte que c’est lui qui a dû prendre l’initiative de décorer sa maison pour Noël. Il craignait que les adultes n’oublient de le faire, disant lui aussi le peu de soutien et portage qu’il ressent de leur part, son regret qu’ils ne maintiennent pas pour lui le rituel de cette fête, et son attachement à celle-ci.

Le lien qui est fait avec la séance précédente - à laquelle deux adolescents et moi étions absents - conforte la continuité du groupe, donne l’idée qu’il existe une permanence malgré les absences, et qu’ils peuvent être actifs pour établir ces liens.

Après la question de la continuité, vient la question de la proximité du lien : en me demandant de me rapprocher, Vincent vient dire quelque chose de son besoin primaire, massif et peu élaboré de proximité. Il propose un rapprochement physique pour être ensemble, comme si la proximité dans la relation se régulait par la proximité physique.

Ensuite, se pose la question de comment s’entendre dans la relation, avec des règles qui s’imposent. Ce n’est pas évident puisqu’il faut être disponible, comprendre, intégrer ce tiers-règle et accepter de le tenir. Le tiers-règle reste vivant tout au long du groupe, il donne lieu à des transgressions et à des discussions.

Plusieurs actes manqués sont présents lors de cette séance : le mien trois semaines auparavant qui continue d’avoir des effets, celui de nous trois lorsque nous oublions le rituel de clôture, celui de Vincent qui part sans dire au revoir et celui d’Alexis qui dit au revoir deux fois de suite.

La perturbation des codes et rituels du groupe - pourtant habituels et en théorie bien intégrés - sur ce qui marque la séparation, à la fin d’une séance elle-même marquée par les allusions à la séparation, et avant une séance annulée, ne sont certainement pas anodins. Il me semble que ces actes manqués viennent indiquer l’existence d’un attachement fort entre les membres du groupe, encore impossible à penser et verbaliser (110). L’oubli du rituel de clôture peut être compris comme une volonté de ne pas fermer la séance et de la prolonger, de ne pas acter la séparation, de même que l’oubli de dire au revoir. Juste après, quelqu’un dit au revoir deux fois, comme pour compenser l’oubli, ou par besoin d’un moment de rapprochement avant une rupture, une séparation de 15 jours.

La cohérence des interventions de ces adolescents si différents autour du même thème, et l’homogénéité du climat émotionnel pendant la séance, nous font penser également qu’une entité groupale, une mentalité de groupe s’est enfin constituée. Bion définit la mentalité de groupe comme

« le fond commun où sont versées les contributions anonymes (…) cette mentalité de groupe présente une uniformité contrastant avec la diversité de pensée propre à la mentalité des individus qui ont contribué à la former» (37).