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3 Sextus Empiricus, Adv. Math., XI, 16, 1-17, 1 : « Parmi les êtres, les uns sont indifférents, d’autres diffèrent, parmi ceux

qui diffèrent, les uns sont bons, les autres mauvais » (τῶν ὄντων ἃ μέν ἐστιν ἀδιάφορα, ἃ δὲ διαφέροντα, τῶν δὲ διαφερόντων ἃ μὲν ἀγαθά ἃ δὲ κακά). Notre traduction.

4 DL VII, 61 : « Parmi les êtres les sont bons, les autres non bons et parmi les non bons, les uns sont mauvais, les autres

indifférents » (Τῶν ὄντων τὰ μέν ἐστιν ἀγαθά, τὰ δ’ οὐκ ἀγαθά, καὶ Τῶν οὐκ ἀγαθῶν τὰ μέν ἐστι κακά, τὰ δὲ ἀδιάφορα). Notre traduction.

c’est l’indifférent qui est une espèce alors que le bien et le mal sont des sous espèces – de même niveau. Dans un cas, c’est le bien qui se trouve mis en exergue et qui fonctionne comme un critère – la question est de savoir « si c’est un bien ou non ». Dans l’autre cas, c’est le fait de différer qui se trouve en position de critère – il s’agit de savoir « si cela diffère ou non ». Par suite, dans un cas la division des indifférents apparaît comme une subdivision, dans l’autre comme la division d’une subdivision. On ne saurait arguer du caractère non stoïcien de la version de Sextus. Plusieurs arguments nous semblent susceptibles d’appuyer le caractère stoïcien de cette formulation. En effet, nous l’avons vu en évoquant les différentes tripartitions des « choses qui existent », les ἀδιάφορα sont posés en vis-à-vis par rapport au bien et au mal qui sont, même si ce n’est pas explicite, la subdivision d’une catégorie de choses qui diffèrent. Sextus ne fait que donner une formalisation explicite, il donne le terme manquant. D’autre part, à l’inverse, la version envisagée par Diogène Laërce dans le passage que nous venons d’étudier est une exception. Enfin, dans la mesure où le principe de différence est, dans tous les exposés, au principe de la division des ἀδιάφορα, nous avons là un schème de division des réalités existantes. Genre et espèce témoignent de la manière dont on se représente le monde, ce qui n’est pas un vain mot chez les stoïciens qui admettent qu’une représentation correcte du réel est possible – ils parlent à ce propos de « représentation

compréhensive » (φαντασία καταληπτική)1. Le genre et l’espèce disent donc à la fois la conception du

monde et les partages effectifs de ce monde. Cela se trouverait confirmé par le statut conceptuel que les stoïciens attribuent au genre et à l’espèce. Loin d’être un problème, la non réciprocité des définitions du genre et de l’espèce – l’espèce est définie en fonction du genre mais le genre se définit en fonction des concepts (ἐννοήματα) – nous permet en effet de saisir le statut de l’espèce et du genre. Genre et espèce sont des manières commodes de rendre compte du réel et surtout de ce qui existe. Genre et espèce n’ont aucune place dans l’ontologie stoïcienne ; ce ne sont ni des corps ni des incorporels2. Il s’agit simplement de termes, de mots, qui renvoient à une certaine manière de

considérer le réel.

1 Nous renvoyons au texte canonique de Sextus Empiricus, Adv. Math., VII, 247-260 = LS 40E et K ainsi qu’à l’article de

D. N. Sedley, « Zeno’s definition of phantasia katalèptikè », dans T. Scaltsas and A. S. Mason (éds.), The Philosophy of Zeno. Zeno of Citium and his Legacy (Larnaca 2002), 133-54, déjà publié sous le titre « La définition de phantasia kataleptike par Zénon » dans G. Romeyer Dherbey, J.-B. Gourinat (éds.), Les Stoïciens, Paris 2005, p. 75-92.

2 DL VII, 61 : « Un concept est un phantasme de la pensée qui n’est ni quelque chose ni quelque chose de qualifié, mais

quasi-quelque chose et quasi-quelque chose de qualifié, comme lorsque survient l’image mentale d’un cheval alors qu’il n’est pas présent » (Ἐννόημα δέ ἐστι φάντασμα διανοίας, οὔτε τὶ ὂν οὔτε ποιόν, ὡσανεὶ δέ τι ὂν καὶ ὡσανεὶ ποιόν, οἷον γίνεται ἀνατύπωμα ἵππου καὶ μὴ παρόντος). Traduction R. Goulet. Cette doctrine remonte à Zénon. Voir à ce propos Stobée, Eclog., I, 12, 3, p. 136, 21 W = SVF I, 65 = fr. phys 40 (p. 472 Diels) = LS 30A : « Doctrine de Zénon : Ils disent que les concepts ne sont ni des ‘quelques-choses’, ni des ‘qualifiés’, mais des phantasmes fabriqués par l’âme, qui sont des ‘quasi

3. Les enjeux philosophiques de la division

La division est un outil philosophique. Elle rend compte du réel, mais elle le fait en termes de partages et non de définitions. Il est rare que la division conduise à une définition chez les stoïciens.

La division rend compte du réel, mais au moins autant de la perspective qui est prise sur ce réel. La

division est un discours sur le réel qui répond à la distinction (distinctio) que l’on peut faire entre les

choses et à la différence (differentia)1 qui existe entre les choses selon une certaine perspective. Cela ne

signifie pas que chacun peut déterminer les partages qui lui plaisent ou lui semblent pertinents. Il existe des critères pertinents de division qui donnent lieu à des domaines pertinents qui correspondent aux articulations du réel éthique. Ce n’est que sur la base de ces critères et de ces domaines qu’une marge de manœuvre est laissée. La division témoigne d’une certaine perspective prise sur le réel et elle insiste sur un certain aspect. Elle dit quelque chose à propos de ces partages pertinents qu’il n’est pas question de changer. En d’autres termes, la division pertinente du réel existant est éthique pour les stoïciens. Diviser le réel autrement que de manière éthique n’est pas pertinent pour eux ; la division éthique du monde qui négligerait la catégorie des indifférents ne rendrait pas compte du réel de manière satisfaisante.

Pour les stoïciens, la division relève de la « dialectique »2, et plus précisément de la rubrique

qui a trait aux « signifiants » (σημαίνοντα), une partie qui se distingue de celle consacrée aux signifiés (σημαινόμενα) et que Diogène désigne par deux fois, au moment de la division de la

dialectique et à l’issue de l’exposé sur cette première branche de la dialectique3, comme « théorie du

son vocal » (περὶ φωνῆς θεωρία). C’est donc la fécondité philosophique de la dialectique que la division vient mettre en lumière.

4. La réappropriation stoïcienne d’un protocole classique

quelques-choses’ et des ‘quasi-qualifiés’. Ce sont là, disent-ils, ce que les anciens philosophes appelaient Idées » (Ζήνωνος <καὶ τῶν ἀπ’ αὐτοῦ>. τὰ ἐννοήματά φασι μήτε τινὰ εἶναι μήτε ποιά, ὡσανεὶ δέ τινα καὶ ὡσανεὶ ποιὰ φαντάσματα ψυχῆς· ταῦτα δὲ ὑπὸ τῶν ἀρχαίων ἰδέας προσαγορεύεσθαι). Traduction LS. Pour une analyse de la dimension polémique par rapport à l’ontologie platonicienne, voir J. Brunschwig, « La théorie stoïcienne du genre suprême et l’ontologie platonicienne », art. cit. et J.-B. Gourinat, op. cit., p. 55-56 et L. Montoneri, « Platon, die Ältere Akademie und die stoische Dialektik » dans K. Döring et th. Ebert (éds.), Dialektiker und Stoiker. Zur Logik der Stoa und ihrer Vorläufer, Stuttgart, 1993, p. 239-251. On peut en effet rapprocher le terme ἐννόημα de celui qu’emploie Parménide (132b) quand il envisage la possibilité que l’idée soit un simple concept. Cette doctrine aurait été suivi par Cléanthe, Chrysippe et Archédème. Voir J.-B. Gourinat, op. cit., p. 55 qui fait référence à SVF I, 494 et II, 364 = FDS 318A.

1 Cf. Gaffiot s. v. distinctio et differentia qui admettent respectivement une acception subjective et une acception

objective.

2 DL VII, 55-62. 3 DL VII, 43 ; 62.

Une autre remarque concerne la réappropriation stoïcienne de ce principe. La division (διαίρεσις) est en effet un outil philosophique1 attesté depuis Platon2, qui entend se distinguer

explicitement de ses prédécesseurs à cet égard3. La division permet aux interlocuteurs des dialogues

de passer du nom des choses aux choses elles-mêmes4, opération philosophique par excellence. Le cas

du pêcheur à la ligne, censé fournir un paradigme pour ce passage du nom de « sophiste » au

sophiste lui-même5, ne donne rien d’autre en effet qu’un canevas méthodologique fondé sur la

division, une méthode que suivra également le Politique, à quelques aménagements près6. Il ne s’agit

plus d’une problématique technique7 mais d’un cadre gnoséologique – entre sciences pratiques et

sciences exclusivement théorétiques8. La division permet d’atteindre la chose en aboutissant à une

définition (ὅρος)9. A cet égard, la définition est bel et bien le critère de pertinence et de réussite de la

1 Platon, Sophiste, 253 b-c. L’Étranger : — « Mais alors puisque nous avons admis que les genres aussi acceptent entre

eux un mélange de cette sorte, n’est-il pas nécessaire qu’il y ait une certaine science qui permette d’avancer le long des raisonnements et qu’elle soit à la disposition de celui qui prétend indiquer exactement quels genres s’accordent avec d’autres, et quels autres ne s’acceptent pas mutuellement, et, ensuite, s’il y en a quelques-uns qui s’unifient à partir de tous les autres, de telle sorte qu’ils aient le pouvoir de se mélanger et, enfin, en ce qui concerne les séparations, s’il y en a d’autres qui sont la cause de la division des ensembles ? » Traduction N. L. Cordero.

2 Pour cette question chez Platon, on se reportera à D. El Murr, « La division et l’unité du politique de Platon », Les

études philosophiques, 2005/3, n°74, p. 295-324 ; J.-F. Pradeau et L. Brisson, introduction au Politique, Paris, Flammarion, p. 22-28.

3 La critique du Sophiste à l’égard des penseurs précédents est éloquente sur ce point.

4 Platon, Sophiste, 218 b-c. L’Étranger : — « En revanche, et pour commencer, c’est – il me semble – en commun que

nous devons tous deux examiner le sophiste, afin de chercher et de montrer grâce à une définition ce qu’il est. Car pour l’instant, nous ne partageons, toi et moi, que son nom ; en ce qui concerne l’objet que nous désignons par lui, par contre, il est probable que nous avons chacun de nous, des notions particulières. Mais, dans tous les cas, il est toujours préférable de se mettre d’accord sur la chose elle-même, grâce à des définitions, plutôt que sur le nom isolé, sans définition ». Traduction N. L. Cordero. C’est le terme λόγος qui est traduit ici par « définition » mais N. L. Cordero s’en justifie en note (p. 216) en s’appuyant sur F. M. Cornford (Plato’s Theory of Knowledge, Londres, 1935, p. 170) qui affirme que « ce nouveau sens du λόγος est une définition de l’espèce obtenue grâce à la découverte du genre qui l’inclut, et de sa différence spécifique », et sur P. Kucharski (Les chemins du savoir dans les derniers dialogues de Platon, Paris, 1949, p. 164) qui ajoute, selon la reformulation de N. L. Cordero, que le λόγος « se confond avec la méthode même qui nous a permis d’aboutir à cette connaissance ».

5 Platon, Sophiste, 221c. L’Étranger : — « Eh bien, servons-nous de ce modèle et tentons de savoir ce qu’est le

sophiste ».

6 Platon, Politique, 258b. L’Étranger : — « Il faut procéder à une division des sciences (Τὰς ἐπιστήμας ἄρα διαληπτέον),

comme nous l’avons fait en menant notre enquête sur le personnage précédent (scil. le sophiste) (…) mais il me semble, Socrate, que ce ne sera pas selon le même découpage (Οὐ μὲν δὴ κατὰ ταὐτόν) ». Traduction L. Brisson et J.-F. Pradeau.

7 Platon, Sophiste, 219a et c.

8 Platon, Politique, 258c-e. L’Étranger : — « De quel côté va-t-on trouver ce sentier qui mène vers le politique (Τὴν

πολιτικὴν ἀτραπὸν) ? Il faut en effet le découvrir, et le distinguer des autres, en marquant qu’il ressortit à une nature unique et en indiquant que tous les sentiers qui s’en écartent ressortissent à une seule autre espèce, faire en sorte que notre âme conçoive que l’ensemble des sciences se répartit en deux espèces. (…) Divise (διαίρει) alors l’ensemble des sciences de la façon que voici, en donnant aux unes le nom de ‘pratiques’ (πρακτικὴν) et aux autres celui de ‘purement cognitives’ (μόνον γνωστικήν) ». Traduction L. Brisson et J.-F. Pradeau.

9 Pour le Politique, 266e ; 292a ; c ; 293c ; e ; 296 e. Platon n’emploie jamais dans aucun de ces dialogues le terme ὁρισμός

division comme le souligne D. El Murr1 à propos de l’analyse du Politique où il montre de façon très

convaincante que la division est le principe d’unité de ce dialogue2. Élément philosophique par

excellence, la division en espèces qui sont en même temps des parties3, est, avec la définition, l’un des

deux attributs caractéristiques du dialecticien4, capable de rassembler aussi bien que de distinguer

finement à l’intérieur de ce qui est rassemblé5. Quand on parle de « méthode », il importe

cependant de préciser qu’il ne s’agit pas d’une méthode heuristique qui fonctionnerait en quelque sorte toute seule. La division ne fonctionne que quand elle est menée par le dialecticien qui lui donne

un point de départ et un canevas6, qui est capable de rectifier des erreurs7, autrement dit qui sait déjà,

quoi qu’il en dise, ce qu’est la chose. Le dialecticien possède déjà la définition. La division permet d’exposer, de mettre au jour le passage du nom des choses aux choses elles-mêmes. Elle ne permet pas à celui qui ne connaîtrait pas la définition de la découvrir. A la limite, la division n’est une méthode de découverte du réel qu’au sens le plus littéral du terme, au sens où l’on met sous les yeux des

1 D. El Murr, art. cit. : « À l’évidence, la pertinence d’une division ne se mesure que rétrospectivement, à l’aune de son

résultat (la définition). Or, pour ce faire, la validité de la définition doit être évaluée. Pour le dire dans les mots, maintes fois réitérés, du Politique, on sait qu’une division est achevée et une définition complète, quand le nom (d’où la précision en 267a5-6) donné au résultat de la dernière coupe correspond à la seule et unique réalité recherchée. Par conséquent, il faut, pour s’assurer que la division est achevée, vérifier si la réalité visée dont on connaît le nom (art politique, ou homme royal) peut seule prétendre au titre qui la définit (pasteur d’hommes) » (p. 298-299). « Le dialogue souligne avec beaucoup d’insistance la nécessité pour la réalité définie de rester seule au terme de la division : cf. l’usage de l’adjectif μόνον en 267c2, 268c2, C10, 275b4, 276b6, 279a4, 303e, 304a3. Voir aussi l’usage de l’adverbe τέλεως ou de l’adjectif τέλεον en 267c-d, 275a9, 277A1, a5, 281d2 » (note 1, p. 299). Et d’appliquer cela au dialogue du Politique : « Aussi la définition finale dit l’essentiel et confirme non seulement le succès de la division, mais sa rigueur et son unicité : Mais celle qui dirige (ἄρχουσαν) toutes les autres [sciences, cf. 305c9], qui prend soin (ἐπιμελουμένην) des lois et de tous ceux qui sont dans la cité et qui tissent ensemble (συνυφαίνουσαν) toutes choses de la façon la plus correcte, rien ne serait plus juste, semble-t-il, pour circonscrire sa puissance propre (τὴν δύναμιν αὐτῆς) en une dénomination commune, que de l’appeler politique (305e2-6) » (p. 315-316).

2 D. El Murr, art. cit., p. 296 : « Pour peu qu’on prête attention à la lettre du texte, à l’ensemble des passages où Platon,

par la bouche de l’Étranger, n’a de cesse de rappeler les différentes étapes de la division, il devient clair que l’unité du Politique est celle de l’unique διαίρεσις qui le parcourt ».

3 Platon, Politique, 263b : « Prends bien garde à ne pas croire que cette claire distinction (scil. Que la partie et l’espèce

sont deux choses différentes (Εἶδός τε καὶ μέρος ἕτερον ἀλλήλων εἶναι), tu l’as entendue de ma bouche. (…) Chaque fois que quelque chose est considéré comme une espèce (εἶδος) de quoi que ce soit, il est nécessaire qu’elle soit aussi partie (μέρος) de la chose dont elle est dite être l’espèce, mais il n’est pas du tout nécessaire que la partie soit en même temps espèce. Voilà, Socrate, des deux explications, celles que tu devrais toujours considérer comme mienne ». Traduction L. Brisson et J.-F. Pradeau.

4 Platon, Phèdre, 266b-c : « Oui, voilà, Phèdre, de quoi, pour ma part, je suis amoureux : des divisions et des

rassemblements qui me permettent de parler et de penser. Si je crois avoir trouvé chez quelqu’un d’autre l’aptitude à porter ses regards vers une unité qui soit aussi, par nature, l’unité naturelle d’une multiplicité, ‘je marche sur ses pas et je le suis à la trace comme si c’était un dieu’. Qui plus est, ceux qui sont capables de faire cela, dieu sait si j’ai raison ou tort de les appeler ainsi, mais, jusqu’à présent, je les appelle ‘dialecticiens’ ». Traduction L. Brisson.

5 Platon, Phèdre, 266b.

6 Les schémas de division du Sophiste et du Politique ne sont pas les mêmes. Cf. ci-dessus pour la mention explicite de

l’Étranger .

7 De même, après avoir rangé le sophiste parmi les acquéreurs et les vendeurs, l’Étranger en vient à montrer qu’il se range

partages pertinents du réel. À cet égard, la division permet plusieurs niveaux de lecture du réel : les

divisions du Sophiste et du Politique ne sont pas celles du Phèdre et le cadre dialogique dans lequel

s’inscrit la division est loin d’être indifférent. L’Étranger conduit Socrate et Théétète vers une définition à partir d’un cadre problématique pertinent – les techniques ou les sciences. La quête menée à propos du sophiste se distingue également de celle visant à définir le politique dans la mesure où, pour saisir le premier, on insiste davantage sur la traque des fausses similitudes1. Les

discours de Phèdre et de Socrate partent en revanche d’une définition – fût-elle imprécise – pour distinguer des formes légitimes et illégitimes d’amour et proposer enfin une définition

axiologiquement pertinente2. En ce sens, le Phèdre se rapproche de la précaution du Sophiste à l’égard

des similitudes trompeuses. On comprend dès lors que la division permet de rendre compte du réel en aboutissant, grâce à l’aide du dialecticien, à la définition des choses, autrement dit à leur essence. On comprend aussi que la division permet de distinguer les fausses similitudes et de distinguer également des formes légitimes et illégitimes. La division a des enjeux gnoséologiques – rendre compte du réel – et normatifs – distinguer des formes correctes et incorrectes d’itération. Dans les deux cas, il s’agit de rendre compte dans le discours, des articulations du réel, ce qu’illustre la

métaphore platonicienne du bon boucher3.

En cela, Platon fait des émules. Il est suivi par Aristote et par les péripatéticiens ainsi que par

les stoïciens comme en témoigne Galien4, autrement dit, des penseurs qui tiennent la dialectique en

1 Voir à ce propos la thèse défendue par A. Jaulin (« Rupture et continuité : les divisions du Sophiste de Platon », dans

M.-L. Desclos, Figues de la rupture, figures de la continuité chez les Anciens, Recherches sur la philosophie et le langage. Actes du colloque du PARSA 2002, Presses de l’Université Pierre Mendès France, 2011, p. 169-179) qui montre que les divisions du Sophiste, qui opèrent sur des opinions, consisteraient avant tout à distinguer les fausses similitudes, le Même et l’Autre.

2 Platon, Phèdre, 265e-266 b : « Nos deux discours ont ramené le dérèglement de l’esprit à une espèce commune. Mais,

comme d’un corps unique partent des membres qui, par nature, forment un couple et portent le même nom, même s’ils sont dit ‘de gauche’ et ‘de droite’, ainsi nos deux discours ont considéré le dérangement de la raison en nous comme une espèce naturelle unique, même si l’un de ces discours a coupé un morceau du côté droit, alors que l’autre a coupé du côté gauche et qu’il a vilipendé tout à fait à juste titre ; l’autre discours, nous conduisant sur le côté droit de la folie, y a trouvé à son tour une espèce divine d’amour, qui porte le même nom et, la présentant aux regards, il l’a louée comme la cause des plus grands biens pour l’homme ». Traduction L. Brisson.

3 Platon, Phèdre, 265e : « pouvoir (…) découper par espèces suivant les articulations naturelles, en tâchant de ne casser

aucune partie, comme le ferait un mauvais boucher sacrificateur » (Τὸ (…) κατ’ εἴδη δύνασθαι διατέμνειν κατ’ ἄρθρα ᾗ πέφυκεν, καὶ μὴ ἐπιχειρεῖν καταγνύναι μέρος μηδέν, κακοῦ μαγείρου τρόπῳ χρώμενον). Traduction L. Brisson.

4 Galien, Adversus Lycum libellus, 3, 7 Vol. XVIII A. p. 209, l. 6-11 (Kühn) = en partie SVF II, 230 = LS 32G (qui omet

la fin de la phrase) : « Car c’est dans la reconnaissance des différences (ἐν γάρ τοι τῇ γνώσει τῶν διαφορῶν) de chacune des choses existantes que consistent les diverses formes d’expertise. L’exposé le plus complet s’en trouve chez Platon, dès le début du Philèbe. Mais son idée a été conservée par Aristote, Théophraste, Chrysippe et Mnesitheos et par quiconque tient, à propos de l’art qui touche aux lettres, le même discours » (ἐν γάρ τοι τῇ γνώσει τῶν διαφορῶν ἑκάστου τῶν ὄντων αἱ τέχναι συνίστανται. καὶ τοῦτο ἐπὶ πλεῖστον μὲν κἀν τῷ Φιλήβῳ διῆλθεν ὁ Πλάτων εὐθὺς ἐν ἀρχῇ τοῦ συγγράμματος· ἐφύλαξε δ’ αὐτοῦ τὴν γνώμην Ἀριστοτέλης καὶ Θεόφραστος, Χρύσιππός τε καὶ Μνησίθεος καὶ οὐδεὶς ὅστις οὐ διῆλθεν ἐν τῷ περὶ τέχνης γράμματι τὸν αὐτὸν λόγον). Traduction LS amendée.

haute estime1. Que la division soit un outil philosophique et qu’elle permette de rendre compte du

réel, Aristote en convient2, à ceci près que les procédures et les enjeux de la division sont loin d’être

identiques chez les deux auteurs3.

A cet égard, les stoïciens se rapprochent davantage de Platon que d’Aristote quand ils divisent les choses qui existent selon la contrariété – l’ἀντιδιαίρεσις – (des choses qui diffèrent/des