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1 2 1 L’assentiment donné à une « représentation hormétique » (φαντασία ὁρμητική)

2 DL VII, 49 = SVF II, 5.

3 Cicéron, Ac. Pr., II, vii, 21 = LS 39C, et p. 184 pour la reformulation.

4 Voir à ce propos J.-B. Gourinat, La dialectique des stoïciens, Paris, Vrin, 2000, p. 47. Également Les stoïciens et l’âme,

Paris, PUF, 1996, p. 50-62 où il proposait trois caractéristiques pour ces représentations humaines : rationalité, complexité, possibilité pour certaines d’être acquise dans l’étude et non spontanément. Et il précise, p. 50, citant Sextus, Adv. Math., VIII, 70, que la représentation rationnelle est celle d’après laquelle il est possible que le représentant soit manifesté dans un discours.

5 Sur la dimension bifide de la représentation humaine, on se reportera à C. Imbert qui expose et développe cet aspect de

manière à la fois précise et originale dans « Théorie de la représentation et doctrine logique », », J. Brunschwig (éd.), Les stoïciens et leur logique, Paris, Vrin, 2006 (1978), édition révisée, p. 79-108.

6 DL VII, 63 : « Ils disent que l’exprimable est ce qui subsiste en conformité avec la représentation rationnelle » (Φασὶ

δὲ [τὸ] λεκτὸν εἶναι τὸ κατὰ φαντασίαν λογικὴν ὑφιστάμενον). Traduction R. Goulet. Voir aussi Sextus Empiricus, Adv. Math., VIII, 70 = SVF III, 187.

7 Sextus Empiricus, Adv. Math., VIII, 11-12 = SVF II, 166 = LS 33 B.

8 DL VII, 49 = SVF II, 52 : « La représentation vient en effet en tête, puis la pensée qui est prédisposée pour la parole,

exprime par le langage ce qu’elle éprouve du fait de la représentation » (προηγεῖται γὰρ ἡ φαντασία, εἶθ’ ἡ διάνοια ἐκλαλητικὴ ὑπάρχουσα, ὃ πάσχει ὑπὸ τῆς φαντασίας, τοῦτο ἐκφέρει λόγῳ). Traduction R. Goulet. À ce propos, J.-B. Gourinat, Les stoïciens et l’âme, Paris, PUF, 1996, p. 22 et note 1 affirme avec raison que, en raison de l’équivalence entre l’hégémonique et διάνοια (SVF I 202 ; II 894 ; III 306 ; III 459), autrement dit, en raison du fait que la pensée n’est pas, comme chez Platon (République, VII, 511d), un type d’activité de l’âme : « il ne faut pas comprendre, comme Bréhier, ‘que la représentation vient d’abord, puis la pensée réfléchie qui énonce ce qu’elle éprouve’, mais que ‘la représentation vient d’abord, puis la pensée énonce ce qu’elle éprouve’ ».

9 Sur la dimension bifide de la représentation humaine, on se reportera à C. Imbert qui expose et développe cet aspect de

Quant à l’assentiment – le terme συγκατάθεσις aussi bien que l’acception technique du verbe

sont inventées par Zénon1 – doit être compris comme l’intervention, dans la connaissance comme

dans l’action, de la responsabilité2. De ce fait, l’assentiment apprécie, pour les valider – ou pas – les

prétentions d’une représentation à la vérité ou d’une impulsion à l’action3. L’individu est considéré

comme responsable de ses croyances et de ses actions qui, réciproquement, « dépendent de lui » et

sont « en son pouvoir »4. La thèse est claire, même si elle a suscité nombre de problèmes dont le De

fato de Cicéron rend compte5.

Plus précisément pour ce qui nous concerne, le processus d’évaluation fait référence à une

« représentation rationnelle » qui intéresse la différence des choses, positivement ou négativement,

autrement dit le rapport de l’individu avec tel ou tel aspect de son environnement, du point de vue

1 Le terme n’est pas attesté avant Zénon et, malgré les éventuels rapprochements avec des notions et des thématiques

platoniciennes (voir B. Inwood, Ethics and Human Action in Early Stoicism, Oxford, Clarendon Press, 1985, p. 260, note 6 à propos de République, 437b-c et de Phédon, 98a-99d ; A.-J. Voelke, L’idée de volonté dans le stoïcisme, Paris, Vrin, 1973, p. 31, cite Gorgias et rappelle l’acception originelle et littérale, à savoir « être en accord avec quelqu’un » qui « évoque l’idée d’un scrutin où l’on dépose le même suffrage qu’un autre votant »), malgré la présence du verbe συγκατατίθεσθαι chez Platon (Gorgias, 501c), chez Aristote (Aristote, Topiques, III, 1, 116a1) et chez Épicure (Sentences Vaticanes, 29 et fr. 36, section 19, 4 des Deperditorum librorum reliquiae édités par G. Arrighetti, Epicuro, Opere 2, Turin, 1973, p. 376), l’ensemble des commentateurs insiste sur le fait que l’usage stoïcien de l’assentiment est une innovation doctrinale. Voir par exemple Cicéron, Ac. Post. 40 = SVF I, 61 et, pour les commentateurs C. Taylor, Sources of the Self, p. 137. Nous devons ces précisions à M.-O. Goulet-Cazé, « A propos de l’assentiment stoïcien », dans M.-O. Goulet-Cazé (éd.), Études sur la théorie stoïcienne de l’action, 2011, p. 73-236, p. 73-76 et pour une présentation synthétique de cette notion, J.-B. Gourinat, Les stoïciens et l’âme, op. cit., p. 63-79.

2 Il s’agit certes de l’expression de la raison, comme le souligne M.-O. Goulet-Cazé, art. cit., p. 73, mais, à strictement

parler, les représentations humaines sont toujours rationnelles. Quant aux impulsions, si elles sont très souvent qualifiées d’irrationnelles, cela doit s’entendre en un sens bien spécifique : des impulsions excessives (dans le cas de la passion) ou des impulsions non encore validées (dans le cas de la tendance à l’action caractéristique de la représentation hormétique dont nous allons parler).

3 A. A. Long, « Stoic Psychology », dans K. Algra et alii, The Cambridge History of Hellenistic Philosophy, Cambridge,

Cambridge UP, 1999, p. 560-584 : « The function of assent is to evaluate impressions, to adjudicate on the truth value of reason to endorse as one’s judgment of the way things are. This description of assent shows why it is sometimes treated as the very hallmark of rationality » (p. 577).

4 Voir à ce propos M.-O. Goulet-Cazé, art. cit., p. 77 : « Toute représentation reçoit ou non une validation par un

assentiment de l’hégémonique qui se prononce sur sa vérité ou sa fausseté. L’assentiment tel que l’a conçu Zénon (…) dépend de nous (en grec ἐφ’ ἡμῖν) et est volontaire. Dans le domaine de la connaissance, il juge si les représentations sont vraies ou fausses, témoignant ainsi de l’activité de l’âme qui, au lieu d’être affectée passivement par la représentation, réagit à celle-ci en se prononçant sur la fiabilité de la représentation et de son contenu propositionnel. Dans le domaine de l’action, il porte une appréciation sur l’opportunité de suivre ou non une impulsion déclenchée par la représentation d’un bien apparent ». Cependant, comme le souligne J.-B. Gourinat, « La prohairesis chez Épictète : décision, volonté ou ‘personne morale’ ? », Philosophie antique, 5 (2005), p. 93-133, notamment p. 129, il n’est pas certain, mais seulement plausible que Chrysippe ait utilisé l’expression ἐφ’ ἡμῖν et l’expression cicéronienne en nostra postestas pourrait tout aussi bien traduire un παρ’ ἡμᾶς. Il n’en demeure pas moins que l’idée est présente d’un assentiment « au pouvoir » de l’individu et dont il se trouve responsable. Nous reviendrons en détail sur cette notion d’ἐφ’ ἡμῖν au cours du chapitre 5.

5 Nous nous permettons de renvoyer à l’article d’I. Koch, « Le destin et ‘ce qui dépend de nous’ », dans M.-O. Goulet-

de cet individu1. Les stoïciens qualifient d’« hormétique » ou « impulsive » la représentation qui a

trait à la différence des choses. Ils parlent de φαντασία ὁρμητική2.

Τὸ δὲ κινοῦν τὴν ὁρμὴν οὐδὲν ἕτερον εἶναι λέγουσιν ἀλλ’ ἢ φαντασίαν ὁρμητικὴν τοῦ καθήκοντος αὐτόθεν.

Ce qui met en mouvement l’impulsion n’est rien d’autre, disent-ils, qu’une représentation

de ce qui convient, capable de déclencher tout de suite une impulsion3.

Ce texte, le seul où intervient nommément cette expression de φαντασία ὁρμητική, pose un certain nombre de problèmes et a donné lieu à des interprétations, et par conséquent à des traductions, très

différentes dont font notamment état J. A. Stevens4, F. Ildefonse5 et M.-O. Goulet-Cazé6. Le point

porte essentiellement sur l’adverbe αὐτόθεν, qui pose aussi bien un problème au niveau de la syntaxe qu’au niveau du sens. Doit-on comprendre que l’adverbe, que l’on peut traduire par « immédiatement » ou « tout de suite », est rattaché à τοῦ καθήκοντος – pour donner « ce qui

convient immédiatement »7 – ou bien à ὁρμητικὴν – ce qui donnerait « qui déclenche

immédiatement l’impulsion »8. Et, dans ce dernier cas, la question serait de savoir si la

représentation peut déclencher immédiatement l’action, en se passant de l’assentiment, ou plutôt, si l’on doit donner au texte ce sens qui contredirait manifestement les autres témoignages dont nous

disposons et qui insiste sur l’importance de l’assentiment dans le déclenchement de l’action9. Une

manière de répondre à cette question consiste à interroger le sens à donner ici à la notion

1 Cette précision est importante pour justifier le caractère au premier abord partiel des éléments développés dans cette

section.

2 Contre J. A. Stevens, « Preliminary Impulse in Stoic Psychology », Ancient Philosophy, vol. XX, n°1, 2000, p. 139-168,

p. 142, note 6 et avec B. Inwood, op. cit., p. 56 et 224, nous considérons la φαντασία ὁρμητική comme un concept technique, même si l’expression n’apparaît qu’une seule fois dans les textes stoïciens.

3 Stobée, Eclog., II, 7. 9, t. II, p. 86, 17-18 W = en partie SVF III, 169 = LS 53 Q, traduit par F. Ildefonse, « La

psychologie de l’action », dans M.-O. Goulet-Cazé (éd.), Études sur la théorie stoïcienne de l’action, 2011, p. 1-71, (p. 64).

4 J. A. Stevens, art. cit., p. 142, note 6. 5 F. Ildefonse, art. cit., p. 8-13.

6 M.-O. Goulet-Cazé, art. cit., p. 97-98.

7 Telle est la solution proposée par T. Bénatouïl, La pratique du stoïcisme, op. cit., p. 121 (« une représentation impulsive

de ce qui convient immédiatement ») qui reprend une suggestion de J. Annas, Hellenistic Philosophy of Mind, Berkeley- Los Angeles-London, 1992, p. 91 (« an impulsory appearance of what is then and there appropriate ») et de B. Inwood, op. cit., Oxford-New York, 1985, p. 224 (« a hormetic presentation of what is obviously appropriate »).

8 Telle est la solution qu’adopte F. Ildefonse, art. cit., p. 8, qui s’inscrit dans la lignée des interprétations de A. A. Long et

D. N. Sedley, Hellenistic Philosophers, Cambridge, Cambridge UP, 1987 (« an impression capable of directly impelling a proper function »), J. Brunschwig et P. Pellegrin, LS 53Q (« une représentation capable d’impulser d’elle-même une fonction propre ») J. A. Stevens, art. cit., p. 142 (« capable of immediately impelling an appropriate act »), M.-O. Goulet-Cazé, art. cit., p. 98 (« une représentation capable d’impulser de façon immédiate ce qui convient » ou bien « une représentation de ce qui convient, suceptible d’entraîner de soi-même une impulsion »).

9 Sénèque, Ep. Mor., 113, 18 = SVF III, 169 = LS 53A ; Plutarque, De Stoic. Rep., XLVII, 1057A = SVF III, 177. J.

Brunschwig, « Sur une façon stoïcienne de ne pas être », Études sur les philosophies hellénistiques, Paris, PUF., 1995, p. 251-268, souligne également ce risque en commentant justement ce passage de Stobée. Voir notamment p. 261-262.

d’impulsion en adoptant une hypothèse défendue par F. Ildefonse à propos du schéma explicatif de l’action et qui consiste à distinguer deux types d’impulsions, une impulsion qui n’intervient qu’à la suite de l’assentiment et débouche immédiatement sur l’action, et une impulsion-tendance qui

attend sa validation ou son invalidation dans un acte d’assentiment1. C’est bien à une telle

impulsion-tendance, non encore entérinée par l’assentiment que Stobée ferait ici référence2. La

représentation du convenable suscite d’emblée une tendance vers, mais l’impulsion effective,

autrement dit l’action3, implique en revanche un acte d’assentiment4. Le point effectivement délicat

trouve donc, nous semble-t-il, une solution heureuse dans la distinction entre deux sortes d’impulsions, ce qui conduit à affirmer que, quelle que soit l’interprétation que l’on donne de l’adverbe, la représentation impulsive doit être comprise comme une impulsion non encore validée

par l’assentiment et qui appelle un assentiment pour devenir une « impulsion pratique »5,

autrement dit une véritable action.

Une autre question serait de savoir si l’on doit comprendre le καθῆκον dans le sens technique

qu’il prend dans la pensée stoïcienne, comme une action que l’on est portée à accomplir et qui est

conforme à la constitution de celui qui l’accomplit, ce qui conduit J. Brunschwig et P. Pellegrin à

1 F. Ildefonse, art. cit., p. 57-60 : « Une représentation (φαντασία) qui est la représentation d’un objet ou d’une situation

affecte la partie directrice. Elle y produit immédiatement une impulsion – ce premier mouvement involontaire ; à cette nuance près, me semble-t-il, que l’impulsion éveillée par la représentation vient du fonds propre de l’âme – de la partie directrice. L’animal dépourvu de raison est doué d’impulsion et d’assentiment, au même titre que l’animal pourvu de raison et, pour les stoïciens, ces facultés constituent le lot assigné par le destin aux êtres animés, irrationnels et rationnels. Mais chez l’animal dépourvu de raison, il y a enchaînement rapide : une impulsion suit immédiatement la représentation, l’assentiment et l’impulsion à agir s’ensuivent, et l’action. L’enchaînement entre ces différents processus est si rapide qu’il suffit à expliquer que les étapes peuvent sauter dans certains témoignages. L’assentiment s’y distingue à peine de l’impulsion dans le cas de l’animal dont l’action est la mise en œuvre, l’efficace d’une activité déterminée naturellement, l’efficace d’une activité déterminée par la nature (…). Les différentes étapes se dégagent et se détachent beaucoup plus clairement chez l’homme, vivant rationnel, chez lequel la raison, pour reprendre les termes de Diogène Laërce, ‘vient s’ajouter comme un artisan de l’impulsion’. (…) La raison, un travail de la raison, dégage dans l’impulsion une distance qui n’existe pas dans le cas de l’animal où tout se produit conformément à la nature et sans élaboration de l’impulsion. Ici donc, la raison, à l’issue d’un travail de l’impulsion, intercale nettement l’assentiment dont l’efficace produit une impulsion effective qui débouche sur l’action. Il y a une élaboration de l’impulsion, donc une impulsion avant le travail de la raison et une après. Le travail de la raison débouche sur un assentiment qui sanctionne la modification de l’impulsion ».

2 T. Bénatouïl, La pratique du stoïcisme, op. cit., p. 200, cité par F. Ildefonse, art. cit., p. 63, estime que « la seule

incompatibilité qui semble exister entre la description de Sénèque et celle de Stobée concerne la phase qui précède immédiatement l’assentiment à la norme donnant lieu à l’action. Sénèque la désigne comme une impulsion que l’assentiment confirme, Stobée comme une représentation impulsive ».

3 Sur le lien entre impulsion et action, voir F. Ildefonse, art. cit., p. 61, qui rejoint T. Bénatouïl, La pratique du stoïcisme,

op. cit., p. 196. J. A. Stevens, art. cit., p. 152, propose une interprétation différente.

4 Voir notamment Plutarque, De Stoic. Rep., XLVII, 1057A = SVF III, 177 et les affirmations de A. A. Long, art. cit., p.

579 et de T. Bénatouïl, La pratique du stoïcisme, op. cit., p. 196.

traduire καθῆκον par « fonction propre »1. J. A. Stevens estime avec A. A. Long, que l’adjectif en

*ικός est un adjectif verbal et que, par conséquent, il ne peut pas porter sur un objet mais sur une action et, en l’occurrence ici, ὁρμητιή ne pourrait porter que sur acte, un « acte approprié » ou une « fonction propre ». Deux aspects doivent être pris en compte : le fait que l’impulsion porte sur une action et non sur un objet – ce à quoi nous souscrivons puisque tous les textes s’accordent sur ce

point2 – et, d’autre part, le fait que καθῆκον doive renvoyer à une action effectivement conforme à la

constitution – ce qui est beaucoup plus difficile à comprendre. Cela ne permet pas, en effet, de prendre en compte les phénomènes d’erreur, autrement dit le comportement de la plupart dont nous allons traiter plus loin. Si ce qui déclenche l’action « en général » est une représentation capable de donner lieu à une fonction propre, cela implique que le vivant ne met en œuvre que des fonctions propres, ce qui, on le verra, est loin d’être le cas pour le vivant rationnel. Une solution consisterait à dire, en anticipant, que le propos de Stobée vise à rendre compte du comportement naturel, c’est à dire optimal, du vivant, y compris du vivant rationnel. Dans cette perspective, ce que

se représente l’individu, c’est ce qui est effectivement convenable : la représentation de ce qui

convient conduit, si on lui donne son assentiment, à une action convenable (καθῆκον). L’explication

du comportement factuel en général qui a avoir aussi avec des actions qui ne sont pas convenables

doit s’en tenir à dire que c’est ce que l’on se représente, à tort ou à raison, comme convenable qui déclenche l’action. Aussi distinguera-t-on la « représentation – erronée – qu’il est bon d’accomplir

telle ou telle action » d’un côté et, de l’autre, la représentation correcte de ce qui effectivement est

convenable et qui, quand on lui donne son assentiment, conduit à accomplir une action conforme à la constitution de celui qui l’accomplit et que les stoïciens qualifient de καθῆκον. Le terme καθῆκον serait alors utilisé dans son sens strict d’action conforme à la constitution de l’individu, mais manquerait alors un terme pour rendre compte de l’objet de la représentation impulsive dans le cadre d’une explication factuelle et non pas optimale des comportements. On pourrait cependant comprendre que l’expression « représentation du convenable » insiste sur la représentation plus que

1 A. A. Long et D. N. Sedley suivi par J. Brunschwig et P. Pellegrin ainsi que par J. A. Stevens, art. cit., qui critique l’autre

position à travers une série d’objections à l’encontre de B. Inwood.

2 Clément d’Alexandrie, Strom., VII, 7, 38, 2-3 (p. 853 Pott.) = SVF III, 176 : « Personne ne désire une boisson mais

l’acte de boire tel breuvage, ni un héritage mais l’acte d’hériter, et de même pas non plus une connaissance, mais l’acte de connaître » (διόπερ οὐδεὶς ἐπιθυμεῖ πόματος, ἀλλὰ τοῦ πιεῖν τὸ ποτόν, οὐδὲ μὴν κληρονομίας, ἀλλὰ τοῦ κληρονομῆσαι, οὑτωσὶ δὲ οὐδὲ γνώσεως, ἀλλὰ τοῦ γνῶναι). Traduction F. Ildefonse, art. cit., p. 21. Voir également Cicéron, Tusc., IV, ix, 21 = SVF III, 398 ; Sénèque, Ep. Mor., 117, 12. Cela serait également confirmé par le témoignage de Stobée, Eclog., II, 7, 11f, t. II, p. 97, 22-98, 1 = en partie SVF III, 91, qui affirme que « le choix, les désirs, les volitions se rattachent à des prédicats, de même aussi que les impulsions » (Κατηγορημάτων γὰρ αἵ τε αἱρέσεις καὶ ὀρέξεις καὶ βουλήσεις γίνονται, ὥσπερ καὶ αἱ ὁρμαί). Traduction F. Ildefonse, art. cit., p. 21.

sur la notion de convenable, autrement dit, que la notion de convenable est modalisée par l’appréciation subjective dont elle dépend. Καθῆκον ferait moins référence à un type d’acte qu’à l’appréciation subjective d’une convenance, appréciation qui peut être vraie ou fausse. Les deux hypothèses de lecture ne sont pas contradictoires : Stobée propose bien une redescription du comportement optimal, mais l’usage de καθῆκον comme objet de la représentation impulsive « en général » est également possible si l’on précise que cela ne renvoie pas à un acte effectivement convenable mais à l’appréciation subjective, susceptible d’être erronée, que tel acte est convenable. Cela se trouve confirmé par la définition de la passion de chagrin : « un mal (…) au sujet duquel il

convient (καθήκει) de se contracter »1. Le καθῆκον peut alors être compris comme « une norme

reconnue comme légitime (à tort ou à raison) par la raison »2.

Deux caractéristiques de la représentation « impulsive » ou « hormétique » méritent d’être retenues. Elle est premièrement une représentation de ce qui est convenable ou de ce qui convient (φαντασία τοῦ καθήκοντος) à laquelle l’individu donne – ou pas – son assentiment. Autrement dit, ce que nous appelons « jugement de valeur » fait essentiellement référence, pour les stoïciens, à l’impression que tel acte est convenable, ce qui appellera un certain nombre de précisions. Une telle représentation, représentation du convenable, est, d’autre part, un type de représentation qui est intrinsèquement associée à l’impulsion (ὁρμή) – ou à la répulsion (ἀφορμή) comme Stobée le précise dans la suite du texte que nous citions3 – qu’elle suscite, comme en témoigne d’ailleurs le terme

ὁρμητική qui la caractérise. Elle est par suite, sous réserve d’intervention de l’assentiment, associée à l’action. L’impulsion, qui est au cœur de la pensée stoïcienne de l’action, dépend d’une représentation de ce qui convient (φαντασία τοῦ καθήκοντος). La reformulation proposée par T.

Brennan rend compte de ce double aspect4.

1 Stobée, Eclog., II, 7. 10b, p. 90, 14 W = SVF III, 394. Cf. aussi Cicéron, Tusc., III, 61-62.

2 T. Bénatouïl, Faire usage, op. cit., p. 122 qui poursuit« Le terme καθῆκον possède la même ambiguïté que celui de λόγος,

puisqu’il entre dans la définition de la raion (pratique) humaine et dans celle de la raison droite. C’est même par l’intermédiaire des καθήκοντα que se tisse la continuité entre raison humaine, raison pervertie et raison droite » (p. 122)

3 Stobée, Eclog., II, 7. 9, t. II, p. 87, 5-7 W = en partie SVF III, 169. La répulsion (ἀφορμή) y est expressément présentée

comme le contraire de l’impulsion. Il convient de préciser que le terme a une double acception : ἀφορμή est le contraire de la répulsion, mais ἀφορμαί peut également désigner ce que l’on traduirait comme des « points de départs » naturels vers le bien. Nous y reviendrons.

4 T. Brennan, « Stoic Moral Psychology », dans B. Inwood (éd.), The Cambridge Companion to the Stoics, Cambridge-

New York, Cambridge UP, 2003, p. 157-294, p. 266 : « Practical impressions – or ‘impulsive’ impressions as the Stoics call them (phantasiai hormètikai) are those whose content involves some evaluative predication : some attribution of goodness, badness or other value to a state affairs ; and, in particular, to a ddescription of an action to the agent might take ».

Par « jugement de valeur », nous faisons donc référence à l’assentiment donné à une représentation « impulsive », autrement dit à un processus psychique qui implique plusieurs aspects et plusieurs étapes. Ce processus appelle des précisions, à propos de la représentation et de son objet – le convenable – d’une part, et, d’autre part, à propos du devenir pratique de cette représentation et de ses enjeux, la question de l’assentiment intervenant respectivement dans chacun de ces deux axes de réflexion. La distinction entre les différents aspects que nous allons aborder est purement formelle et destinée à assurer la clarté du propos en insistant sur tel ou tel aspect, mais ces différents aspects ne