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Les « vieux-vieux » (75-84 ans)

2.4 L’âge et la santé

2.4.2 Les « vieux-vieux » (75-84 ans)

Pour ce qui est des « vieux-vieux », leur situation semble, dans la littérature, moins claire que précédemment. Bien qu’ils soient nombreux à être en bonne santé et actifs au sein de leur réseau personnel, un nombre grandissant d’entre eux est cependant confronté au processus de fragilisation qui les affecte peu à peu sur de nombreuses dimensions de la santé. Malgré la forte variabilité inter-individuelle qui prévaut dans cette catégorie d’âge, l’impact du processus de fragilisation sur la vie relationnelle des « vieux-vieux » n’en est pas moins repérable puisqu’ils sont, en moyenne, moins actifs dans leur réseau personnel que les « jeunes-vieux » (Ajrouch et al., 2005; Carstensen, 1991). Certains problèmes de santé (ouïe, troubles physiques, douleurs, etc) entravent peu à peu la capacité des

« vieux-vieux » à maintenir la réciprocité (« équilibrée ») des échanges avec les membres de leur réseau personnel (Klein Ikkink & Van Tilburg,1999). Les services, les invitations,

les visites, et même, parfois, les téléphones reçus ne peuvent plus être rendus, ce qui déséquilibre les échanges, générant un sentiment de malaise chez les « vieux-vieux » qui, se sentant redevables, ne parviennent plus rendre ce qui leur a été donné (Johnson & Troll, 1994; Johnson, 1988; Offer, 2012). Ce faisant, ils tendent peu à peu à se désengager des relations qu’ils perçoivent dès lors comme plus laborieuses qu’enrichissantes (Johnson &

Troll, 1994;Johnson, 1988; Offer, 2012).

Dans un premier temps, ce désengagement touche d’abord les relations périphériques qui exigent, en somme, une réciprocité « équilibrée », à savoir celles qui, sans long passé commun, ne peuvent se projeter dans un long terme relationnel. Ce sont les relations avec les amis non intimes, les « copains », et les connaissances qui tendent peu à peu à se réduire et à disparaître (Van Tilburg, 1998;Johnson, 1988; Antonucci, 2001; Antonucci et al., 2007; Bowling, 1994; Cornwell et al., 2008; Pinquart & Sörensen, 2000; Carr &

Moorman, 2011) mais aussi les relations qui sont les plus coûteuses en termes d’efforts physiques ou d’énergie (amis proches mais éloignés géographiquement, institutionnalisés, etc) (Johnson & Troll,1994). Il est vrai que les membres du réseau personnel de la même classe d’âge (sœurs/frères, cousins/cousines et amis) disparaissent (décès) ou deviennent moins accessibles (institutionnalisation, problèmes de santé, etc), étant soumis eux aussi au même processus de fragilisation (Lalive d’Epinay et al., 2000; Bickel & Girardin, 2008; Johnson & Troll, 1996;Johnson,1988; Dykstra & Hagestad,2007). Dans de telles conditions, les échanges deviennent de plus en plus difficiles de part et d’autre de la relation (Johnson,1988;Dykstra & Hagestad,2007). En raison de ces difficultés, les relations avec les amis de longue date – ceux avec qui les individus âgés ont tissé, au fil des ans, des liens affectifs solides axés sur la confidence et les échanges tant pratiques qu’affectifs – s’affaiblissent avec le temps en raison de la difficulté grandissante des personnes âgées et de leurs amis intimes à se rendre mutuellement visites ou services (Armi et al., 2008; Bickel & Girardin, 2008; Lalive d’Epinay et al., 2000; Johnson & Troll, 1994), et cela même si ce type de liens particulier n’exige pas l’échange immédiat d’hospitalité (visites, services, etc) (Johnson & Troll, 1994).

Ceci dit, ce désengagement progressif des relations périphériques ou l’affaiblissement des relations avec les amis proches ne signifient pas pour autant la fin de la vie relationnelle.

De nouvelles amitiés peuvent être initiées aussi bien chez les « vieux-vieux » que les « très-vieux » (Johnson & Troll, 1994). En effet, certains d’entre eux – sans doute les moins atteints par le processus de fragilisation – parviennent à maintenir leur capacité à nouer de nouveaux contacts et à se lier d’amitié. Ceci dit, contrairement aux étapes précédentes du parcours de vie, les critères de choix des amis se sont élargis, contraints par les exigences de l’âge et de la santé déclinante. De fait, ce sont surtout certains membres du réseau personnel qui – parce qu’ils sont proches géographiquement, accessibles et disponibles – deviennent des amis, et cela même s’ils étaient perçus auparavant comme des relations périphériques.

Le lien d’amitié peut donc être re-défini en fonction d’impératifs pratiques (proximité et disponibilité) et s’avère de fait moins exigeant qu’auparavant, ne répondant plus aux critères absolus de l’homogénéité (âge, sexe, niveau d’éducation, valeurs, opinions, etc.) et du vécu commun (Johnson & Troll,1994). C’est le cas de connaissances rencontrées dans des associations de personnes âgées ou à l’église, ou encore de voisins avec qui certains

« vieux-vieux » – et même « très-vieux » – entretiennent des relations actives (conver-sation, échanges de petits services, de visites et sorties ensemble) (Bickel & Girardin, 2008). Par ailleurs, certaines relations peuvent même être initiées dans un contexte plus

formel telles que celles entretenues avec une aide-ménagère, une dame de compagnie, ou une infirmière à domicile. Ces nouvelles relations peuvent s’approfondir au fil du temps, à travers les échanges quotidiens (discussions et services), et évoluer en amitié (Johnson

& Troll, 1994). Même si, « a priori », ces nouvelles amitiés ne peuvent être considérées comme proches, certaines d’entre elles, qui répondent adéquatement aux besoins de sup-port des plus âgés, peuvent néanmoins le devenir et intégrer leur réseau personnel (Bickel

& Girardin, 2008; Bowling, 1994; Van Tilburg,1998).

Alors que les relations sociales et amicales des « vieux-vieux » sont soumises à un travail de re-négociation et de re-définition, débouchant, globalement, à une baisse de la vie relationnelle – certaines étant désengagées, d’autres réduites – afin de s’adapter aux mieux aux contraintes du processus de fragilisation, la vie familiale semble, au contraire, relativement épargnée (Van Tilburg,1998;Antonucci,2001;Antonucci et al.,2007; Bow-ling, 1994; Cornwell et al., 2008; Pinquart & Sörensen, 2000; Carr & Moorman, 2011).

En effet, la plupart des « vieux-vieux » maintiennent – et cela même s’ils sont fragili-sés – des relations actives avec les membres de leur famille, non seulement en termes de contacts (visites, téléphones) mais aussi en termes de services échangés (Bickel & Girar-din, 2008; Armi et al., 2008; Lowenstein et al., 2004). En effet, bien que, globalement, ils soient nombreux à recevoir de l’aide de leur famille, et plus particulièrement de leurs enfants, une bonne part d’entre eux maintiennent activement la réciprocité des échanges tant pratiques qu’émotionnels (Bickel & Girardin,2008;Armi et al.,2008; Lowenstein et al., 2004; Parrott & Bengtson, 1999). Ce faisant, ils entretiennent non seulement l’équi-libre des échanges avec les membres de leur famille mais ils continuent aussi à alimenter leur « support bank » en prévision de l’aide dont ils auront besoin dans un futur proche (Antonucci & Jackson,1989;Antonucci,1990,2001;Antonucci et al.,2007;Van Tilburg, 1998; Silverstein et al., 2002).

Avec le temps cependant, les visites et certains services rendus tendent peu à peu à s’affaiblir (Bickel & Girardin, 2008;Armi et al., 2008). A l’inverse, et contrairement aux amis, la famille (les enfants, plus particulièrement) se mobilise davantage – et cela dès les premiers signes de fragilité du parent âgé – en octroyant plus de services pratiques et du soutien, tout en intensifiant les visites et les appels téléphoniques, et cela même si le parent âgé est toujours en mesure de jouer un rôle actif dans les échanges (Armi et al., 2008; Bickel & Girardin,2008;Parrott & Bengtson,1999;Bowling, 1994). Par cette mo-bilisation précoce, la famille anticipe, en somme, l’incapacité grandissante du parent âgé à entretenir le lien. Par conséquent, même si les « vieux-vieux » perdent en moyenne peu à peu leur capacité à la réciprocité, les relations avec la famille se maintiennent et restent stables au cours du temps (Armi et al., 2008;Parrott & Bengtson, 1999). Contrairement aux « jeunes-vieux » qui s’investissent dans leur réseau personnel et familial, les « vieux-vieux » se désengagent, re-définissent ou négocient leurs relations personnelles – tout en maintenant néanmoins leurs relations familiales – afin de s’adapter au mieux au processus de fragilisation qui atteint peu à peu leur capacité relationnelle (réciprocité). En résumé, les réseaux personnels des « vieux-vieux » se contractent, c’est-à-dire que les membres périphériques du réseau tendent à disparaître alors que les liens avec les membres de la famille proche s’intensifient (Van Tilburg,1998;Antonucci,2001;Antonucci et al.,2007; Bowling, 1994; Cornwell et al., 2008; Pinquart & Sörensen, 2000; Carr & Moorman, 2011).

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