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Les configurations familiales aux dernières étapes de la vie

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Thesis

Reference

Les configurations familiales aux dernières étapes de la vie

GIRARDIN KECIOUR, Myriam

Abstract

Cette thèse propose une perspective alternative – l'approche configurationnelle – pour étudier les familles aux dernières étapes de la vie. Au lieu de partir d'une définition pré-établie de la famille, cette approche conçoit les familles comme des configurations, à savoir des réseaux composés de membres significatifs de la famille qui -- par les ressources variées qu'ils s'échangent -- sont interdépendants. S'appuyant sur l'échantillon genevois de l'étude VLV, les analyses révèlent la diversité des configurations familiales dans la vieillesse. Distinctes dans leur composition, elles le sont aussi dans le type de capital social qu'elles génèrent et leur gestion de l'ambivalence structurelle, inhérente aux liens d'interdépendance. Diversité et complexité sont les maître-mots des relations familiales dans la vieillesse, constat qui nuance quelque peu l'image positive, homogène et aidante de la famille, longtemps défendue dans les modèles dominants de la gérontologie sociale.

GIRARDIN KECIOUR, Myriam. Les configurations familiales aux dernières étapes de la vie. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2017, no. SdS 56

URN : urn:nbn:ch:unige-926880

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:92688

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:92688

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dernières étapes de la vie

THÈSE

présentée à la Faculté des sciences de la société de l’Université de Genève

par

Myriam Girardin

sous la direction de

Prof. Éric Widmer

pour l’obtention du grade de

Docteur ès sciences de la société mention sociologie

Membres du jury de thèse:

Jean-François Bickel, Professeur, Haute école de travail social, Fribourg Anna-Maija Castrén, Professeure, University of Eastern Finland Michel Oris, Professeur, Université de Genève, Président du Jury Eric Widmer, Professeur, Université de Genève, Directeur de thèse

Thèse no. 56 Genève, 13 février 2017

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La Faculté des sciences de la société, sur préavis du jury, a autorisé l’impression de la présente thèse, sans entendre, par-là, émettre aucune opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur auteur.

Genève, le 13 février 2017

Le doyen

Bernard Debarbieux

Impression d’après le manuscrit de l’auteur

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Depuis des décennies, un grand pan de la recherche en gérontologie sociale s’est in- téressé à l’impact positif des relations sociales sur les personnes âgées en montrant que le support social permettait aux personnes âgées de s’adapter au mieux aux affres de la vieillesse. C’est dans ce cadre-là que la famille a d’abord été abordée en gérontologie sociale. Perçue comme une composante d’un complexe plus large de relations sociales, elle a souvent été définie comme une entité stable et homogène, constituée de membres unis par des liens de sang ou d’alliance et source d’un support inépuisable, permettant aux individus âgés de faire face aux aléas de leur vieillesse. Cependant, en raison de la complexification des trajectoires familiales, la famille s’est fortement diversifiée depuis les années 60. Étudier la famille en se basant uniquement sur le modèle de la famille « nu- cléaire » – qui considère la famille comme un groupe de personnes unies par des liens de sang ou d’alliance – s’avère aujourd’hui dépassé. Bien que de nombreux chercheurs en gé- rontologie sociale se soient davantage intéressés cette dernière décennie à la diversité des familles dans la vieillesse et à leur dynamique, la recherche dans ce domaine peine toujours à innover dans ses outils – à la fois conceptuels et méthodologiques – pour approcher la diversité et la complexité des relations familiales aux dernières étapes de la vie.

Pour pallier à ce manque et sortir du carcan théorique des modèles dominants de la gérontologie sociale, cette thèse propose de changer d’angle d’analyse en adoptant une perspective alternative pour étudier les familles dans la vieillesse: l’approche configura- tionnelle. Celle-ci considère la famille non plus comme une composante d’un réseau d’aide plus large mais comme une configuration, à savoir un réseau de membres significatifs de la famille qui – par les ressources variées qu’ils s’échangent – sont dépendants les uns des autres, inter-dépendants. Ne reposant pas sur une définition pré-établie de la famille, cette perspective permet de recenser les membres de la famille qui sont perçus par les individus âgés comme les plus significatifs et d’identifier ainsi les différentes conceptions personnelles de la famille significative dans la vieillesse. Par ailleurs, en considérant les familles comme des configurations, cette approche offre des outils statistiques provenant de l’analyse de réseaux qui permettent de décrire l’organisation des liens de soutien et le flux des tensions qui caractérisent les configurations familiales. Autrement dit, il est possible grâce à cette approche de mesurer le volume et les types de capital social (chaîne etpont) qui y sont produits mais aussi d’évaluer statistiquement le degré de conflictualité et l’ambivalence qu’elles génèrent.

Sur la base de l’échantillon genevois de l’étude VLV (Vivre / Leben / Vivere) com- prenant 563 individus âgés de 65 ans et plus, aptes à répondre seuls au questionnaire et vivant aussi bien à domicile qu’en institution, ce travail de thèse révèle que les membres de la famille mentionnés comme significatifs par les individus âgés sont divers, s’inscrivant

— même dans la vieillesse – bien au-delà des liens de sang et d’alliance. Pour preuve, les amis se situent parmi les membres significatifs de la famille les plus mentionnés. Les

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analyses montrent par ailleurs que les membres cités comme significatifs se combinent les uns aux autres pour former six configurations familiales distinctes: « Conjugal », « Fils »,

« Fille », « Fratrie », « Parenté » et « Isolés ». Certaines reposent sur des liens de sang et d’alliance alors que d’autres s’axent davantage sur des relations de type affinitaire. Cer- taines comprennent au moins cinq membres (le maximum requis lors de l’entretien) tandis que d’autres ne comportent qu’un nombre très limité de membres, voire d’aucun dans 11%

des cas. Ces six configurations familiales témoignent de la diversité des définitions person- nelles de la famille significative dans le canton de Genève. Celles-ci cependant ne sont pas aléatoires; elles dépendent à la fois du réservoir de parenté à disposition (enfants, petits- enfants, etc.), des transitions de vie passées (veuvage, re(mariage), etc.), des ressources socio-économiques mais aussi de l’investissement affectif, personnalisé des individus âgés dans certaines de leurs relations familiales, par exemple, dans celles développées au cours du temps avec certains membres de leur fratrie, de leur parenté éloignée et même avec certains de leurs enfants. Les résultats montrent en effet que les parents âgés ne citent pas

« forcément » tous leurs enfants comme significatifs, ils sélectionnent certains plus que d’autres et parfois ne les mentionnent pas du tout comme membres significatifs de leur famille.

Distinctes dans leur composition, ces différentes configurations familiales le sont aussi dans l’organisation de leurs liens d’interdépendance. Certaines affichent un fort degré d’in- terdépendance, les liens de soutien y étant particulièrement denses alors que d’autres se caractérisent par un plus faible degré d’interdépendance, les liens de soutien étant plus lâches. Ces diverses caractéristiques structurelles annoncent la production d’un capital social différent tant dans sa forme que dans son volume selon le type de configurations familiales étudiées. Ces six configurations ne génèrent pas seulement du capital social mais aussi des conflits et de l’ambivalence structurelle. Celle-ci est gérée au niveau confi- gurationnel de manière différente selon les ressources des répondants âgés (réservoir de parenté, revenu, santé, etc.) et la composition particulière de leur configuration familiale.

La présence de liens intergénérationnels – synonymes d’un fort degré d’interdépendance en raison des obligations familiales qui les sous-tendent – s’associe à une gestion de l’am- bivalence marquée par les tensions et les conflits alors que l’absence de tels liens prédit un risque plus grand de détachement, voire d’isolement social. Au delà de la composition, les ressources sont primordiales; elles alimentent les échanges entre les différents membres et leur manque fragilise les liens de soutien au point que ces derniers parfois se rompent et disparaissent. Ces résultats mettent en évidence que les inégalités sociales – et de genre – sont toujours aussi virulentes aux dernières étapes de la vie et que leur impact touche aussi les relations familiales les plus « proches », celles que les répondants eux-mêmes désignent comme les plus significatives.

Ce travail de thèse souligne ainsi que la diversité, la complexité et les inégalités sont les maître-mots des relations familiales aux dernières étapes de la vie, constat qui nuance quelque peu l’image positive, homogène et aidante de la famille, longtemps défendue dans les modèles dominants de la gérontologie sociale.

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La notion du « convoi », bien connue en gérontologie sociale, se réfère à l’ensemble des membres d’un réseau personnel qui accompagnent l’individu au cours de son parcours de vie et qui, par le support qu’ils lui apportent, l’aident à traverser au mieux les différentes étapes de sa vie. La trajectoire du doctorant ressemble à bien des égards au parcours de vie avec ses nombreuses étapes et ses événements-clé. Accédant à l’étape ultime de mon parcours de doctorante, je souhaite ici remercier chaleureusement tous les membres de mon « convoi » qui m’ont soutenue tout au long de cette grande aventure et qui m’ont permis d’arriver au bout !

Je remercie plus particulièrement Eric Widmer, mon directeur de thèse, qui m’a offert la possiblité de participer à la recherche « VLV » et de réaliser mon doctorat. Je le remercie pour son soutien constant, son amitié et sa passion de la recherche qui m’ont donné l’envie et la motivation d’aller plus loin et de finaliser ce projet. A toutes les étapes de mon parcours, j’ai apprécié sa disponibilité, son écoute, son grand intérêt pour mon sujet de thèse ainsi que la justesse et la finesse de ses analyses. Je le remercie aussi pour sa confiance et sa patience.

Je remercie aussi Michel Oris de m’avoir intégrée à l’équipe du CIGEV et à l’étude

« VLV » et de m’avoir fait pleinement confiance malgré mon profil quelque peu « aty- pique ». Je le remercie plus particulièrement pour ses encouragements et sa foi en l’équipe

« VLV ». Grâce à son énergie et son investissement dans le projet VLV, nous avons – toutes et tous – eu accès à une base de données complète et originale qui nous a permis de produire des résultats intéressants, base sur laquelle reposent l’ensemble de nos thèses.

Je le remercie aussi pour son soutien, sa générosité, son accueil toujours chaleureux et l’infrastructure (place de travail) dont j’ai bénéficié – et bénéficie toujours – au CIGEV.

Je remercie également Anna-Maija Castrén et Jean-François Bickel d’avoir accepté de faire partie de mon jury de thèse et qui ont, par leurs suggestions et commentaires, contribué à améliorer et compléter mon manuscrit de thèse. Je suis reconnaissante envers Anna-Maija Castrén d’être venue de Finlande pour participer aux différentes soutenances de thèse et surtout d’avoir fait l’effort de lire mon manuscrit en français et d’y avoir ap- porté de nombreuses améliorations. Merci aussi à Jean-François Bickel de m’avoir orienté vers de nouvelles lectures qui m’ont permis de corriger et de compléter mon texte. Experts dans les configurations familiales (Anna-Maija), en gérontologie et en politiques sociales (Jean-François), je suis particulièrement ravie et honorée de leur présence au sein de mon jury de thèse.

Les résultats que je présente dans ce manuscrit ont donné lieu à plusieurs articles scientifiques et ceux-ci sont à la base de mon travail de thèse. Je remercie particulière- ment Eric Widmer qui a initié et co-écrit l’ensemble de ces articles, mais aussi Ingrid Connidis, Anna-Maija Castrén, Rita Gouveia et Barbara Masotti pour leur intense par- ticipation à l’article « Ambivalence » ainsi que Catherine Ludwig pour sa collaboration

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à l’article « Santé ». Par ailleurs, je souhaite aussi remercier Emmanuel Rousseaux pour sa disponibilité, sa fiabilité et son aide incommensurable pour tout ce qui a trait à R et LateX. Son aide m’a été très précieuse tout au long de ces années de thèse et je lui en suis très reconnaissante.

Je tiens aussi à remercier tous mes collègues du CIGEV qui ont collaboré de loin ou de près à l’étude VLV: ils ont préparé les questionnaires, formé et suivi les enquêteurs, supervisé le terrain et la saisie, trié, rangé et listé le matériel, créé, nettoyé et codé la base de données, etc. Merci à Aline, Alessandra, Aude T., Barbara, Catherine, Delphine, Laure, Laurie, Marie, Marjorie, Marthe, Nora, Julia, Rainer et Stefano pour leur travail appliqué et leur persévérance. Merci aussi à l’ensemble des Cigevistes – Aude M., Oana, Claire, Eduardo, Nathalie, Greg, Solène, Sylvie et Julia pour leur soutien, leur hospitalité et les nombreux moments de convivialité, et cela même le dimanche (Merci Aude !). Un grand merci aussi à mes collègues du « 5e » pour les nombreux moments passés ensemble non seulement à l’Uni mais aussi en dehors à l’occasion d’anniversaires et de fêtes en tout genre ! Je remercie particulièrement Jana, Manuela, Rita – mes précieuses collègues

« widmériennes » ! – ainsi qu’Adrien, Alexis, Anne-Laure, Danilo, Ilka, Jonathan, Gian- nina, Maurizio, Pauline, Reto, Stéphane et Vanessa. Merci aussi à Nadia, Ivan et Gaelle pour leurs syntaxes « réseaux » et leurs explications. Je remercie aussi l’ensemble de mes collègues actuels du département de sociologie et plus particulièrement Marie-Eve, Olga, Sabrina, Emilie et Solène qui m’ont énormément soutenue lors de cette dernière année de thèse.

Finalement, je souhaiterais remercier Stephane, mon compagnon, pour son solide sou- tien, sa patience et son humour. Merci aussi à ma maman, ma soeur Pascalyne et son ami Marc, mon frère Vincent et son épouse Laurence ainsi qu’à Mathieu, Antoine et Roxane, mes neveux et nièces. Ils n’ont cessé de m’encourager et je les en remercie ! Merci aussi à mes ami(e)s Brigitte, Muriel, Martine, Chantal, Lucio, Edith et Valère dont le soutien et la bonne humeur m’ont été précieux. Et finalement, je remercie Ida, ma grand-mère, 101 ans, à qui je dédie cette thèse. Je m’étais juré de finir mon manuscrit avant son départ et j’ai réussi ! Merci grand-maman !

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Résumé i

Remerciements iii

Introduction 1

1 Modèles explicatifs des relations familiales en gérontologie sociale 9

1.1 Les réseaux personnels et le modèle du convoi . . . 9

1.1.1 Le modèle du convoi . . . 11

1.1.2 Les limites du modèle du convoi . . . 13

1.2 Les relations intergénérationnelles et le modèle de la solidarité intergéné- rationnelle . . . 15

1.2.1 Le modèle de la solidarité intergénérationnelle . . . 17

1.2.2 Les limites du modèle de la solidarité intergénérationnelle . . . 18

1.3 Les normes de réciprocité et le « Support bank » . . . 20

1.3.1 la réciprocité équilibrée versus généralisée . . . 21

1.3.2 La banque de support (« support bank ») . . . 23

1.3.3 Les limites de l’approche dyadique de la réciprocité et du « Support bank » . . . 24

1.4 La sélection comme mode d’adaptation dans la vieillesse . . . 25

1.4.1 La sélection au cours du parcours de vie . . . 26

1.4.2 La théorie de la sélectivité socio-émotionnelle . . . 26

1.4.3 Les limites de la théorie de la sélectivité socio-émotionnelle . . . 27

1.5 Conclusion . . . 29

2 Facteurs explicatifs des relations familiales en gérontologie sociale 31 2.1 Le réservoir de parenté . . . 31

2.1.1 L’évolution et la pluralité des réservoirs de parenté . . . 32

2.1.2 Les limites des indicateurs socio-démographiques . . . 35

2.2 Le statut socio-économique . . . 37

2.2.1 Des réseaux personnels différenciés selon le statut socio-économique 38 2.2.2 Les relations intergénérationnelles selon le statut socio-économique . 39 2.2.3 Les manques par rapport à l’influence du statut socio-économique en gérontologie sociale . . . 41

2.3 Le genre . . . 42

2.3.1 Une vieillesse genrée . . . 44

2.3.2 Les inégalités socio-économiques entre hommes et femmes . . . 45

2.3.3 Les relations sociales et familiales selon le genre . . . 47 2.3.4 Les manques par rapport à l’influence du genre en gérontologie sociale 51

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2.4 L’âge et la santé . . . 53

2.4.1 Les « jeunes-vieux » (65-74 ans) . . . 54

2.4.2 Les « vieux-vieux » (75-84 ans) . . . 55

2.4.3 Les « très-vieux » (85 ans et plus) . . . 58

2.4.4 Les manques par rapport à l’influence de l’âge et de la santé en gérontologie sociale . . . 59

2.5 Conclusion . . . 62

3 Problématique et hypothèses 65 3.1 La perspective configurationnelle : une approche alternative . . . 66

3.1.1 Configurations d’interdépendance . . . 66

3.1.2 Configurations familiales . . . 68

3.2 Les membres significatifs de la famille dans la vieillesse . . . 76

3.2.1 Incertitude et Significativité . . . 77

3.2.2 Une ré-définition des liens familiaux et non familiaux . . . 80

3.2.3 L’influence du parcours de vie . . . 85

3.3 Le capital social . . . 87

3.3.1 Le capital social et ses différents types . . . 88

3.3.2 La composition des configurations familiales . . . 93

3.3.3 Le profil socio-démographique d’ego . . . 99

3.4 Les conflits et l’ambivalence structurelle . . . 105

3.4.1 L’ambivalence intergénérationnelle . . . 105

3.4.2 L’ambivalence dans les configurations familiales . . . 109

3.4.3 La typologie des modes de conflit et de support . . . 112

3.4.4 Les conditions d’émergence des modes de conflit et de support . . . 116

3.5 Résumé et hypothèses . . . 122

4 Données et méthodes 127 4.1 Les données . . . 127

4.1.1 L’étude « VLV » . . . 128

4.1.2 L’échantillon genevois et son contexte socio-historique . . . 129

4.1.3 Genève et sa politique de la vieillesse . . . 133

4.1.4 Description de l’échantillon genevois . . . 136

4.2 Les mesures . . . 139

4.2.1 Les membres significatifs de la famille . . . 139

4.2.2 Le capital social . . . 141

4.2.3 Les modes de conflit et de support . . . 145

4.2.4 Les facteurs explicatifs . . . 146

4.3 Les analyses . . . 148

4.3.1 L’analyse de classification hiérarchique . . . 148

4.3.2 L’analyse de variance (ANOVA) et la régression linéaire . . . 151

4.3.3 L’analyse des correspondances multiples (ACM) . . . 153

5 Membres significatifs de la famille et configurations familiales 157 5.1 Les membres significatifs de la famille . . . 157

5.1.1 L’état du réservoir de parenté . . . 157

5.1.2 Le nombre et l’identité des membres significatifs de la famille . . . . 159

5.1.3 Les membres de la famille non cités . . . 162

5.1.4 Conclusion sur les membres significatifs de la famille . . . 163

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5.2 La composition des configurations familiales . . . 164

5.2.1 Une diversité de compositions . . . 165

5.2.2 Les facteurs explicatifs de la composition . . . 169

5.2.3 Le profil des membres des configurations . . . 175

5.2.4 Conclusion sur la composition des configurations familiales . . . 179

6 Capital social et ambivalence au sein des configurations familiales 181 6.1 Le capital social . . . 181

6.1.1 Le capital social dans les configurations familiales . . . 182

6.1.2 Le capital social selon le profil des répondants . . . 188

6.1.3 Le capital social selon le réservoir de parenté . . . 191

6.1.4 Les facteurs déterminants du capital social . . . 194

6.1.5 Illustrations de types de capital social . . . 200

6.1.6 Conclusion sur le capital social . . . 204

6.2 Les conflits et l’ambivalence . . . 207

6.2.1 Les effets de composition . . . 207

6.2.2 La prise en compte des ressources dans l’analyse . . . 210

6.2.3 Illustrations de modes de conflit et de support . . . 217

6.2.4 Conclusion sur les conflits et l’ambivalence . . . 223

Discussion et conclusion 227

Références 261

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Étudier les relations familiales des personnes âgées peut paraître « a priori » ennuyeux et moins « passionnant » que d’observer des problèmes de société plus médiatisés comme la migration, la délinquance ou l’insertion des jeunes sur le marché de l’emploi. Je vais montrer dans cette thèse que l’étude des individus âgés – et qui plus est dans leur contexte familial – est un sujet fascinant, et cela à plusieurs égards. Contrairement aux idées reçues, la vieillesse est loin d’être une phase de vie « tranquille », où le temps s’arrête, et rien ne se passe. La vieillesse est au contraire une période pendant laquelle l’individu est bousculé, confronté à de nombreux changements auxquels il doit s’adapter et à de nombreux défis qu’il doit relever. Face aux changements, il se doit de se re-définir et ré-évaluer son rôle et sa place dans un contexte social et familial qui évolue. D’une part, sa mise en retraite l’astreint à repenser son rôle, son activité et son identité sociale. D’autre part, le départ de ses enfants et l’arrivée des petits-enfants impliquent des changements de rôles au sein de la famille, invitant la personne âgée à revoir sa position au sein de ses relations familiales.

Outre ce repositionnement, somme tout « involontaire », dans le contexte social et familial, les dernières étapes de la vie se ponctuent d’événements négatifs tels que le veuvage, le décès des membres « proches » de la famille (fratrie, cousins, etc.) et/ou des amis qui amenuise de manière drastique son potentiel relationnel. La vieillesse se caractérise aussi par le processus de fragilisation qui, inéluctable, aboutit au déclin de la santé des individus âgés et affecte de plein fouet leur aptitude à la réciprocité, ceux-ci ne pouvant plus rendre ce qu’ils reçoivent, perturbant de fait l’équilibre de leurs échanges aussi bien familiaux qu’amicaux.

Le maintien de l’autonomie – fonctionnelle, certes, mais aussi relationnelle – est, sans nul doute, l’un des enjeux les plus centraux aux dernières étapes de la vie. Sa perte bouscule les liens et les échanges familiaux, place l’individu dans une situation de vulné- rabilité, celui-ci devenant dépendant de l’aide des autres, de sa famille. La peur de perdre son autonomie est source de stress chez les personnes âgées et cela d’autant plus que le contexte familial évolue rapidement (décès des proches, rôles et positions dans la famille qui changent, etc.) et que l’aide familiale est incertaine en raison de la complexification des trajectoires des vies des membres de la famille (mobilité, divorce, instabilité profes- sionnelle, etc.). Ce stress est d’autant plus marqué que la vieillesse représente, pour un grand nombre d’âgés, une période pendant laquelle se manifestent certaines attentes par rapport aux membres « proches » de la famille – tels que les enfants – à qui l’on « ré- clame », en échange des ressources qu’ils ont reçues tout au long de leur vie, une aide

« inconditionnelle ». Et ces attentes sont d’autant plus fortes que la santé décline et que la mort est proche, créant une forte pression auprès des membres de la famille sollicités.

Finalement, la conscience de la fin proche est une donnée importante : elle donne une valeur, un « sens » plus profond aux choses qui nous entourent, aux activités que l’on exerce et aux personnes que l’on côtoie, sachant que toutes se termineront dans un

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avenir proche. Le temps étant fortement limité, il ne peut être perdu. Par conséquent, les relations que l’on préserve aux dernières étapes de la vie sont celles qui font « sens ».

Elles sont dès lors empruntes d’une forte significativité, particulièrement investies du point de vue émotionnel. Non, la vieillesse n’est décidément pas une étape de tout repos, ni pour l’individu ni pour les membres de sa famille. L’ensemble de ces ingrédients – changements de rôles, décès des proches, déclin de la santé, perte de l’autonomie, aptitude à la réciprocité de plus en plus limitée, attentes et l’imminence de la mort – font de la vieillesse une période durant laquelle la famille est particulièrement chahutée, questionnée, tout en étant porteuse de forte attentes et de significativité. Elle constitue, en somme, un

« laboratoire privilégié » des dynamiques familiales.

Généralement, les dynamiques familiales sont relativement peu considérées et étudiées en gérontologie sociale, du moins dans ses modèles dominants. La famille, certes, fait l’objet de nombreux travaux en gérontologie sociale, mais elle est souvent abordée sous l’angle du support social et scrutée dans sa capacité à aider l’individu âgé à s’adapter aux pertes qui caractérisent les dernières étapes de la vie. Cette centration sur le soutien familial est devenu particulièrement marquant depuis les années 90, lorsque de nombreux chercheurs se sont interrogés sur la pérennité de la famille et sa capacité à assurer la solidarité attendue. Perçus comme les conséquences d’un individualisme exacerbé, les différents changements sociaux qui ont caractérisé les années 60 – tels que l’augmentation du taux de divorce, la mobilité, et l’émergence de nouvelles formes familiales (famille recomposées, etc.) – ont souvent été interprétés – tant dans la recherche que dans le public – comme des signes avant-coureurs de la fin de la solidarité au sein de la famille (Popenoe, 1993). Face au flou et à l’incertitude autour de la famille, le soutien familial devint dès lors le cœur de nombreuses investigations en gérontologie sociale (Silverstein

& Bengtson, 1997; Marshall, Matthews, & Rosenthal, 1993). C’est dans ce contexte que de nombreux modèles théoriques se sont développés ou renforcés, avec pour objectif de mieux comprendre les relations de soutien dans la vieillesse et leur impact sur le bien-être des individus âgés.

Le modèle du convoi des relations sociales (Kahn & Antonucci, 1980; Antonucci, 1990, 2001), par exemple, considère la famille comme l’une des composantes structurelles d’un réseau personnel plus large. Elle constitue dans ce modèle le cœur du réseau d’aide, prometteur d’un support indéfectible et inconditionnel. La famille est perçue comme une

« ressource » indispensable et nécessaire, visant à protéger les individus âgés de l’isolement social et à leur assurer tout le support dont ils ont besoin pour affronter les aléas de leur vieillesse et maintenir ainsi leur santé et leur bien-être (Kahn & Antonucci, 1980; Antonucci, 1990, 2001). D’autres modèles théoriques – comme le modèle de la solidarité intergénérationnelle (Bengtson & Roberts, 1991; Roberts & Bengtson, 1990) ou celui du « support bank » (Antonucci & Jackson, 1989; Antonucci, 1990, 2001; Antonucci, Akiyama, & Sherman,2007) – se sont focalisés sur les liens intergénérationnels – parents âgés et enfants adultes – perçus dans ces modèles dominants de la gérontologie sociale comme l’une des dyades les plus centrales en matière de soutien. Ces modèles scrutent les fondements du soutien intergénérationnel dans sa complexité (modèle de la solidarité intergénérationnelle) et dans le temps (modèle du « support bank »), cherchant à dégager les éléments qui le favorisent. Finalement, le modèle de la sélectivité socio-émotionnelle (Carstensen, 1991, 1992) se centre sur l’individu et sa capacité à gérer ses relations de soutien en fonction de ses besoins. Les relations familiales sont à nouveau considérées comme des « ressources » que l’individu âgé « gère » en fonction de ses besoins et de ses capacités afin de s’adapter au mieux à sa fragilisation et préserver son bien-être, et cela

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jusqu’aux derniers moments de sa vie.

Bien que ces divers modèles théoriques nous éclairent sur le soutien familial et social, l’intérêt porté à son étude en gérontologie sociale a, à mon sens, quelque peu biaisé la re- cherche sur les relations familiales dans la vieillesse. En effet, la famille est principalement perçue comme une entité extérieure à l’individu, une « ressource », sur laquelle l’individu âgé s’appuie pour faire face aux événements négatifs qui ponctuent son parcours de vie.

En conséquence, la famille – en tant qu’« objet d’étude » – n’a jamais été réellement ex- plorée ni dans sa dynamique ni dans sa complexité, comme l’ont relevé certains auteurs dans leur bilan critique de la gérontologie sociale (Silverstein & Giarrusso,2010;Marshall et al., 1993; Allen, Blieszner, & Roberto, 2011; Connidis, 2015). Je propose dans cette thèse de changer d’angle d’analyse et de recentrer l’observation sur les relations qui relient entre eux les membres de la famille, à savoir les configurations familiales. Pour ce faire, j’applique l’approche configurationnelle (Widmer, 2010; Widmer, Castrén, Jallinoja, &

Ketokivi,2008;Castrén & Ketokivi,2015) qui permet de replacer « la famille » au centre de l’analyse. Cette approche n’a jamais été, à ma connaissance, utilisée pour étudier les relations familiales dans la vieillesse et, comme le montrent les résultats de ma recherche, elle comporte de nombreux avantages. J’en introduis brièvement quelques uns mais ils seront plus amplement présentés et débattus dans les chapitres suivants.

Premièrement, la perspective configurationnelle considère « les » définitions « person- nelles » des individus de « leur » famille, ne se contentant pas d’une définition « classique ».

Ce sont en effet les individus eux-mêmes qui désignent au sein de leur réservoir de parenté, et parfois au-delà, les membres de leur famille qu’ils considèrent comme significatifs. Dans de nombreux travaux en gérontologie sociale, la définition propre des individus âgés de leur famille significative – c’est-à-dire de celle « qui compte vraiment » – n’est, pour ainsi dire, jamais considérée. La famille est au contraire définie « a priori », reposant sur le modèle

« idéal » de la famille « nucléaire » – à savoir des parents mariés et leurs enfants – dont les comportements d’aide sont prescrits par des rôles et des statuts familiaux clairement définis, sexués, hiérarchisés et régis par de fortes obligations familiales, assurant – quelles que soient les difficultés – la cohésion et la stabilité familiale (Parsons & Bales, 1956; Murdock, 1949). S’inspirant de ce modèle, les indicateurs démographiques utilisés pour approcher la famille font – comme dans d’autres domaines de recherche – essentiellement référence à une palette limitée des statuts et des rôles qui sont « a priori » définis comme importants (Widmer, 2006; Widmer, Aeby, & Sapin, 2013; Widmer et al., 2008). Cette définition tout comme les indicateurs utilisés sont rarement remis en question. Or, comme le montrent des données sur des populations plus jeunes (Widmer,2010;Widmer & Jalli- noja,2008), la définition propre des individus de la famille, de « leur » famille significative, est plurielle, ne correspondant que pour une minorité à la définition « normative » de la famille proposée par le chercheur. Dépassée, une telle définition n’est plus suffisamment opératoire pour analyser les relations familiales contemporaines. Plus encore, elle néglige la valeur émotionnelle et symbolique – la significativité – que revêt la famille pour les individus interviewés. Pourtant, cette « significativité » est particulièrement importante aux dernières étapes de la vie, sa recherche rendue pressante par l’imminence de la mort.

Dans cette thèse, je vais remédier à ce manque et m’intéresser aux définitions personnelles de la famille des individus âgés et, ce faisant, identifier les membres de la famille qu’ils considèrent – eux-mêmes – comme « significatifs » et sur la base desquels je propose de dégager plusieurs types de configurations familiales.

Ensuite, l’approche configurationnelle offre un angle d’analyse qui va au-delà de la

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structure ou des dyades. Elle considère en effet la famille comme une configuration de liens d’interdépendance, à savoir un réseau complexe d’individus liés les uns aux autres au travers d’échanges de ressources multiples telles que le soutien. Dans cette approche, ce sont les liens d’interdépendance qui unissent les différents membres de la configura- tion familiale qui « font » famille. Une telle perspective dépasse le traitement habituel de la famille promulgué par les modèles dominants de la gérontologie sociale. En effet, la famille renvoie dans le modèle du convoi des relations sociales (Kahn & Antonucci, 1980; Antonucci, 1990, 2001) à la composante d’un réseau personnel plus large. Elle est appréhendée par sa structure (nombre et profil des membres familiaux), mais les liens entre les différents membres ne sont jamais pris en considération. Dans les modèles de la « solidarité intergénérationnelle » (Bengtson & Roberts, 1991; Roberts & Bengtson, 1990) ou celui du « support bank » (Antonucci & Jackson,1989; Antonucci, 1990, 2001; Antonucci et al.,2007), la famille est réduite à la dyade intergénérationnelle et le contexte familial plus large dans lequel elle s’insère est rarement considéré. Finalement, dans le mo- dèle de la sélectivité socio-émotionnelle (Carstensen,1991,1992), l’individu, acteur, utilise la famille comme une ressource et semble indépendant des contraintes relationnelles qui sous-tendent les liens familiaux.

Ces divers modèles théoriques peinent à nous offrir une vision au niveau « familial » qui tient compte à la fois des individus, des dyades et, plus encore, de l’ensemble des relations familiales dans lequel ils s’insèrent. En utilisant l’approche configurationnelle, j’irai plus loin que les modèles théoriques présentés ici. La prise en compte des liens d’in- terdépendance ouvre en effet de nouvelles perspectives d’analyse telles que l’analyse de réseaux qui permet, en s’appuyant sur des indicateurs spécifiques, de mesurer au sein des configurations familiales le capital social – à savoir l’ensemble des ressources indivi- duelles (dont le soutien) produites au sein de réseaux personnels – et d’en identifier les différentes formes (Bourdieu,1980,2011;Portes,1998;Widmer,2010). Je reviendrai plus longuement sur le concept de capital social, ses mécanismes de production et ses différents types dans le chapitre consacré à l’approche configurationnelle. Il me semble cependant important de souligner que le « capital social » au sein de la famille des personnes âgées est, à ma connaissance, rarement évoqué en gérontologie sociale, sans doute parce que les liens d’interdépendance au sein de la famille ne sont jamais évalués. Je propose donc d’y pallier et de mesurer, au sein des différentes configurations familiales que je dégagerai, le capital social et ses différentes formes. Je m’interrogerai, ensuite, sur ses variations et j’en chercherai les facteurs.

Par ailleurs, l’approche configurationnelle offre la possibilité de considérer non seule- ment les liens de soutien entre les différents membres qui composent les configurations familiales mais aussi les tensions qui existent entre chacun d’eux (Widmer, 2010). En effet, les liens d’interdépendance qui sous-tendent les configurations familiales ne créent pas que du capital social, elles produisent aussi du conflit et de l’ambivalence. Grâce aux outils de l’analyse des réseaux, la conflictualité de chaque configuration peut être évaluée au même titre que sa potentialité de soutien (capital social). Motivés principalement par la problématique du soutien, les modèles dominants de la gérontologie sociale ont pendant longtemps considéré la famille comme une source de soutien inconditionnel, comme une ressource nécessaire. Dès lors, le conflit ou les tensions étaient davantage perçus comme des dysfonctionnements ou comme le fait d’individus « nocifs » (Antonucci et al., 2007).

Les travaux sur l’ambivalence intergénérationnelle ont bousculé la conception « idéalisée » de la famille, en soulignant que les tensions et les conflits sont des dimensions intrinsèques des relations familiales au même titre que les relations de soutien (Connidis, 2015, 2012;

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Connidis & McMullin, 2002; Lüscher & Pillemer, 1998; Lüscher, 2002). A ce jour, ce- pendant, l’ambivalence demeure encore en gérontologie sociale une propriété structurelle principalement dyadique et majoritairement étudiée dans les relations intergénération- nelles. Je propose dans cette recherche d’aller plus loin, c’est-à-dire de sortir l’ambiva- lence de son carcan dyadique habituel et – en utilisant l’approche configurationnelle et ses outils d’analyse de réseaux – de la mesurer au niveau plus large des configurations fa- miliales. Pour ce faire, je vais – en m’inspirant de la typologie des stratégies de gestion de l’ambivalence intergénérationnelle de Kurt Lüscher (Lüscher, 1999, 2002; Lüscher, Hoff, Albert, & Ferring, 2013) – construire – comme cela a été fait sur des populations plus jeunes (Widmer, 2010) – quatre « modes de conflit et de support » qui allient le soutien et le conflit de manière distincte. J’observerai, ensuite, comment ces différents « modes de conflit et de support » varient en fonction non seulement de la composition des configu- rations familiales des individus âgés mais aussi en fonction du profil socio-démographique de ces derniers et de leurs différentes ressources.

Bien que certains chercheurs en gérontologie reconnaissent depuis cette dernière décen- nie la pluralité des formes familiales et leur complexité – comme en témoigne le nombre de travaux sur des structures familiales particulières (couples de même sexe, familles re- composées, etc.) ou l’ambivalence dans les relations intergénérationnelles – la gérontologie sociale anglo-saxonne dans son ensemble peine, étant empêtrée dans la problématique du soutien et de l’adaptation, à changer d’angle d’analyse et à placer « la » famille au cœur de ses interrogations. Selon certains auteurs, la plupart des chercheurs en gérontologie se doivent de dépasser l’influence prédominante des principaux modèles théoriques que j’ai évoqués et innover tant dans leurs approches et leurs méthodes pour aborder la diversité et la complexité qui caractérisent les réalités familiales d’aujourd’hui (Carr & Moorman, 2011; Silverstein & Giarrusso, 2010). L’approche configurationnelle que j’applique dans ce travail et les outils d’analyse de réseaux qui lui sont associés répondent pleinement à cette quête en remettant au centre de l’analyse les liens d’interdépendance – positive (soutien) et négative (conflit) – qui relient entre eux les différents membres significatifs de la famille et sur la base desquels se forment les configurations familiales. Le soutien est certes aussi analysé et mesuré – dans ses liens et son organisation – mais il ne constitue pas, en soi, le centre de l’analyse, il ne sert en somme que de prétexte pour observer les interdépendances qui sous-tendent les configurations familiales. A mon avis, seule une telle approche permet de mieux appréhender la complexité des relations familiales qui caractérisent les dernières étapes de la vie.

Par ailleurs, cette thèse allie l’approche configurationnelle initiée, entre autres, par Elias (Elias,1991) – et la théorie de l’échange social qui modélise les échanges dyadiques en s’inspirant de la logique économique (Blau,1964;Cropanzano & Mitchell,2005;Kelley

& Thibaut,1978). L’analyse porte en effet sur l’ensemble des liens d’interdépendance – po- sitifs et négatifs – qui sous-tendent les configurations familiales. Ceux-ci sont source d’op- portunités d’échanges mais aussi de contraintes puisque l’individu qui s’y insère n’est pas totalement « libre » d’agir, son comportement dépendant étroitement des autres membres familiaux avec qui il est en lien et des normes qui régissent leurs échanges. Cependant, l’individu dispose d’une certaine marge de manœuvre au sein de sa configuration fami- liale. Acteur, il peut par ses actions influencer l’organisation des liens d’interdépendance (positifs et/ou négatifs) au sein de sa configuration familiale. Pour évoquer cette marge de manœuvre, je me réfère à la terminologie de la théorie de l’échange social (Blau,1964;Cro- panzano & Mitchell,2005;Kelley & Thibaut, 1978). Il sera donc question dans ce travail de « besoins », d’« échanges de ressources », de « réciprocité » et de ses normes, d’« inves-

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tissement (désinvestissement) » ou d’« engagement (désengagement) », de « stratégies », de « dettes » et de « négociations »1. Même si ces termes suggèrent l’« intentionnalité » des individus, les actions ou les stratégies individuelles au sein des configurations familiales ne sont pas toujours conscientes ou « intentionnelles », fruit d’un choix rationnel. Cer- taines répondent à des attentes/obligations ou, plus globalement, aux normes d’échanges (réciprocité généralisée) qui, implicites, sont intériorisées par les individus qui s’intègrent dans les échanges familiaux. D’autres peuvent être « réactives » ou « adaptatives » à des changements (par exemple, le décès d’un des membres des la famille ou le déclin de la santé) qui déséquilibrent les liens d’interdépendance au sein des configurations familiales et qui poussent les individus à rééquilibrer leurs liens d’interdépendance.

Les données quantitatives sur lesquelles portent mes analyses permettent de rendre compte de ces deux aspects. D’une part, elles décrivent, de manière factuelle, l’organi- sation des liens d’interdépendance au sein des configurations familiales et mettent en exergue les contraintes relationnelles dans lesquelles baignent les individus sans que ceux- ci en aient conscience (Castrén & Ketokivi,2015). D’autre part, elles signalent la position et l’activité (nombre de membres qu’ils soutiennent ou mobilisent) des individus au sein de leur configuration familiale, révélant ainsi leur degré d’investissement/engagement et, par conséquent, l’ampleur de leur marge de manœuvre dont ils n’ont pas non plus « plei- nement » conscience. De telles données sont, cependant, limitées pour aller plus loin et saisir les motivations profondes qui justifient leurs choix, leurs décisions et leurs actions au sein de leur configuration familiale. Seule une approche qualitative, axée sur des en- tretiens, permettrait de mettre à jour les motivations, même inconscientes, qui expliquent leurs actions et leurs choix relationnels (Castrén & Ketokivi, 2015). Dans la « discussion et conclusion » de ce travail, je reviendrai sur cette limite.

Ce travail est divisé en sept parties ou chapitres. Les trois premiers sont principale- ment théoriques. Dans le premier, je reprends, en les explicitant davantage, les principaux modèles théoriques de la gérontologie sociale que je viens de présenter à savoir le modèle du convoi des relations sociales, le modèle de la solidarité intergénérationnelle, le modèle du « support bank », ou encore la théorie de la sélectivité socio-émotionnelle. Ces divers modèles ont pendant longtemps orienté la recherche en gérontologie (anglo-saxonne) et leur influence est encore aujourd’hui prédominante dans de nombreuses études géronto- logiques portant sur les relations sociales et familiales dans la vieillesse. Je souligne pour chacun d’eux leurs apports pour la recherche dans le domaine des relations sociales et familiales, mais aussi leurs limites et les manques que mon travail vise à combler. J’ex- pose, ensuite, dans le deuxième chapitre, les principaux facteurs explicatifs des relations sociales et familiales souvent avancés en gérontologie sociale, tels que l’état du réservoir de parenté, le statut socio-économique, le genre, l’âge et la santé. Je décris les résultats obtenus dans la littérature en lien avec ces divers facteurs et souligne à nouveau les ques- tions auxquelles les modèles dominants de la gérontologie sociale ne répondent pas. Après une brève conclusion de ces deux premiers chapitres, je clôture cette deuxième partie en posant les principales questions de recherche qui guident mon investigation. Dans le

1. Cette terminologie est largement utilisée par les tenants des modèles dominants de la gérontolo- gie sociale, ceux-ci ayant développé leur théorie en se basant sur les échanges dyadiques. Par exemple, Antonucci se réfère au « support bank » et aux dettes des enfants adultes à l’égard de leurs parents (Antonucci & Jackson, 1989; Antonucci, 1990, 2001; Antonucci et al., 2007), Carstensen évoque dans sa théorie de la sélectivité socio-émotionnelle la « sélectivité » et le « désinvestissement » (Carstensen, 1991, 1992) et, finalement, Lüscher conceptualise différentes « stratégies de gestion » de l’ambivalence intergénérationnelle (Lüscher,1999,2002;Lüscher et al., 2013)

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troisième chapitre, « Problématique et hypothèses », je présente l’approche configuration- nelle en mettant en exergue ses avantages aussi bien théoriques que méthodologiques pour étudier les relations familiales dans la vieillesse. Ensuite, je reprends divers concepts qui sont centraux dans mon travail de recherche et que j’ai brièvement énoncés dans cette introduction, à savoir les « membres significatifs de la famille », le « capital social » et les « conflits et l’ambivalence ». Je précise pour chacun de ces points ce que l’on sait en gérontologie mais aussi ce que l’on ne sait pas et comment l’approche configurationnelle permet de combler ces manques. Chemin faisant, je présente les différentes hypothèses opérationnelles que je testerai, ensuite, dans les analyses.

Le quatrième chapitre est consacré aux données et aux méthodes. Dans un premier temps, je décris l’étude « Vivre/Leben/Vivere (VLV) », ses objectifs et ses procédures d’enquête. Dans un deuxième temps, j’expose les raisons qui m’ont poussée à privilégier sur cinq cantons sondés, l’échantillon genevois. Après avoir décris les caractéristiques de l’échantillon sélectionné, j’introduis la « Family Network Method » (Widmer, 2010; Widmer et al., 2013) qui m’a permis de récolter les données sur les réseaux familiaux.

Ensuite, je décris les différentes mesures et les principales analyses statistiques utilisées dans ce travail. Dans le cinquième et sixième chapitres, j’expose l’ensemble des résultats obtenus. D’abord, dans le cinquième, je présente les résultats ayant trait à la composition des familles significatives. D’une part, je liste les membres significatifs de la famille qui sont le plus cités dans la vieillesse et je décris la typologie des six configurations familiales que j’ai obtenues en procédant à une analyse de classification hiérarchique sur l’ensemble des termes de parenté cités. Ensuite, dans le sixième chapitre, j’expose les résultats relatifs aux liens d’interdépendance – positifs et négatifs – qui sous-tendent l’ensemble de ces configurations familiales. En premier lieu, je traite des différentes formes du capital social (« chaîne » et « pont ») générées au sein des configurations familiales de l’étude et je mets en exergue leurs différents facteurs. Puis, je traite des résultats ayant trait à l’ambivalence et aux quatre « modes de conflit et de support ». L’analyse de correspondances multiples et une étude de cas nous enseignent que ces quatre modes s’associent à différents types de configurations familiales et à la présence/absence de différentes ressources. Dans le septième chapitre, la « discussion et conclusion », je discute les principaux résultats de mon travail et souligne en quoi ils contribuent à la recherche gérontologique dans le domaine des relations familiales. Ce faisant, je mets en exergue les points forts de la recherche, les quelques implications pratiques auxquelles elle aboutit ainsi que ses limites.

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Modèles explicatifs des relations familiales en gérontologie sociale

Ce premier chapitre vise à présenter un état des lieux de la littérature gérontologique concernant les relations familiales dans la vieillesse. Je ne cherche pas, ici, à rendre compte de toutes les études qui ont été menées sur ce thème, mais mon objectif est de présenter les principaux modèles théoriques qui ont dominé la recherche gérontologique dans le domaine de relations familiales et sociales. Je pense ici plus particulièrement au modèle du convoi des relations sociales (Kahn & Antonucci,1980;Antonucci,1990,2001), du paradigme de la solidarité intergénérationnelle (Bengtson & Roberts,1991;Roberts & Bengtson,1990), du modèle du « support bank » (Antonucci & Jackson, 1989; Antonucci, 1990, 2001; Antonucci et al., 2007) et de la sélectivité socio-émotionnelle (Carstensen, 1991, 1992).

Ces différents modèles théoriques sont, à mon sens, importants puisqu’ils ont influencé la recherche en gérontologie sur les relations sociales et familiales ces dernières décennies et orientent toujours un grand pan de la recherche gérontologique anglo-saxonne. Ils sont en effet souvent cités dans les études gérontologiques comme modèles explicatifs et leur référence est incontournable. Leur prégnance est telle dans le domaine gérontologique qu’ils sont relativement peu ébranlés par les perspectives plus critiques de certains auteurs – tels que Marshall et al. (1993) ;Allen et al.(2011) ;Carr et Moorman (2011) ;Connidis (2015) – qui remettent en question les fondements théoriques sur lesquels ils reposent. Il est clair que ces divers modèles ont apporté à la gérontologie des nouvelles perspectives d’analyse et ont contribué, ce faisant, à une meilleure connaissance des relations sociales et familiales dans la vieillesse. Cependant, à mon sens, ces divers modèles théoriques comportent de nombreuses limites. Je vais donc dans ce chapitre présenter chacun de ces modèles en soulignant non seulement leurs apports mais aussi les manques. Je précise par ailleurs que ma critique de la gérontologie sociale tout au long de ce travail concerne principalement ces divers modèles théoriques qui ont encore une forte prégnance dans de nombreux travaux en gérontologie sociale.

1.1 Les réseaux personnels et le modèle du convoi

Un premier grand pan de la recherche gérontologique s’est particulièrement focalisé sur les réseaux personnels dans la vieillesse. Dans la littérature, le réseau personnel renvoie à l’« environnement interpersonnel significatif » de l’individu (Litwin, 2001) ; il a trait, en somme, à l’ensemble des personnes qui – quel que soit le cercle de sociabilité auquel elles appartiennent (famille, parenté, amis, voisins et milieux associatifs) – sont perçues par

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l’individu comme affectivement « proches » et « importantes » quant au support qu’elles octroient (Kahn & Antonucci,1980;Antonucci,2001;Fiori, Antonucci, & Cortina,2006; Fiori, Antonucci, & Akiyama,2008;Litwin,2001;Van Tilburg,1998;Cornwell, Schumm, Laumann, & Graber, 2009). Dans cette perspective, la diversité des membres qui com- posent le réseau personnel est importante – j’en expliquerai la raison plus loin – et les membres de la famille ne constituent qu’une part de ses différentes composantes. Je vais, dans cette section, présenter rapidement l’approche des réseaux personnels en gérontolo- gie et l’un des modèles théoriques – celui du convoi des relations sociales d’Antonucci – qui a particulièrement marqué la recherche sur les réseaux personnels dans la vieillesse, puisque bon nombre d’études gérontologiques sur les relations sociales s’y réfèrent systé- matiquement.

L’intérêt marqué des gérontologues pour l’étude des réseaux personnels aux dernières étapes de la vie fait écho aux nombreuses études en épidémiologie et en psychologie qui ont montré l’effet protecteur de la diversité des relations sociales sur la santé tant physique que mentale, et cela dans des populations de tous âges (Kawachi & Berkman, 2001; Moren-Cross & Lin, 2006; Berkman, Glass, Brissette, & Seeman, 2000; House, 2001;Song, Son, & Lin,2011;Ashida & Heaney,2008;Thoits,2011;Cohen,2004;Shor, Roelfs, & Yogev, 2013). S’inspirant de cette tradition de recherche, les gérontologues ont fait de l’insertion de l’individu âgé dans plusieurs cercles de sociabilité l’un des facteurs-clé du « successful aging » (Antonucci et al., 2007). D’une part, la diversité des membres du réseau personnel témoigne de l’engagement multiple de l’individu au sein de la société et de sa bonne intégration. Ce dernier y endosse de nombreux rôles sociaux (époux, parent, ex-collègue, ami, voisin, membre d’une association, etc.), ce qui contribue au maintien de sa santé aussi bien physique que mentale (estime de soi) (Kahn & Antonucci, 1980; Antonucci et al., 2007; Ashida & Heaney, 2008; Fiori et al.,2006,2008; Berkman et al., 2000; Cornwell, Laumann, & Schumm,2008; Cornwell et al.,2009; Moren-Cross & Lin, 2006).

D’autre part, cette diversité assure à l’individu âgé un accès privilégié à une variété de ressources et de support social (soutien émotionnel, aide pratique, financière, informa- tion, etc). Ces ressources permettent à l’individu de mieux gérer le stress inhérent aux transitions de vie difficiles qu’il traverse (veuvage, déclin de la santé, baisse de revenu, etc.) et, de ce fait, de préserver sa santé tant physique que mentale (Berkman et al.,2000; Bowling, 1994; Cohen, 2004; Litwin, 2001; Litwin & Landau, 2000; Lefrançois, Leclerc, Hamel, & Gaulin, 2000; Kawachi & Berkman, 2001; Jang, Haley, Small, & Mortimer, 2002; Song et al., 2011; Moren-Cross & Lin, 2006; Thoits, 2011; Shor et al., 2013). Les données empiriques attestent effectivement que les réseaux personnels de grande taille et composés d’une variété de membres s’associent à un bon niveau de bien-être alors que les types de réseaux composés de peu de membres et/ou homogènes (centrés sur la famille) se conjuguent avec un bas niveau de bien-être (Antonucci, 2001; Antonucci et al., 2007; Cornwell et al.,2008;Krause,2006;Litwin,2001;Fiori et al.,2008,2006;Wenger,1997; Jang et al.,2002). Ces résultats confirment les résultats d’études épidémiologiques ou psy- chologiques précédentes qui montrent l’importance d’être socialement intégré et d’avoir du support social pour se maintenir en bonne santé, et cela même dans la vieillesse. Au vu de ces résultats, de nombreux gérontologues se sont interrogés sur l’évolution des ré- seaux personnels et ont cherché à mieux comprendre comment certains individus âgés développent de larges réseaux personnels « fonctionnels » alors que d’autres présentent des réseaux de petite taille et homogènes, relativement peu fonctionnels.

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1.1.1 Le modèle du convoi

Pour répondre à ces questions, Antonucci et son équipe (Kahn & Antonucci, 1980; Antonucci & Akiyama,1995; Antonucci, 2001;Antonucci et al.,2007) proposent un mo- dèle théorique explicatif – le modèle du convoi (« convoy Model of Social Relations ») – qui tient compte à la fois du profil socio-démographique des individus âgés mais aussi des étapes précédentes de leur parcours de vie. Ce modèle postule que tout individu est, tout au long de sa vie, accompagné de personnes qui lui fournissent toutes les ressources (sup- port) dont il a besoin pour, d’une part, se développer socio-affectivement et, d’autre part, faire face aux difficultés qui ponctuent son parcours de vie (Kahn & Antonucci,1980;An- tonucci, 1990,2001;Antonucci et al.,2007;Van Tilburg,1998). Ces personnes lui offrent un « cadre protecteur » qui lui permet de « poursuivre » son parcours de vie sans encombre et de préserver sa santé et son bien-être jusqu’aux dernières étapes de sa vie (Antonucci, 2001; Antonucci et al., 2007; Fiori et al., 2006). Selon ce modèle, le nombre et l’identité des personnes qui accompagnent l’individu varient selon son profil socio-démographique, les transitions de sa vie passées et les rôles qu’il a été amenés à jouer tout au long de sa vie (Kahn & Antonucci, 1980; Antonucci, 2001; Van Tilburg & Thomése, 2010). Les transitions de vie (devenir époux, ou parent, etc) que l’individu et/ou les membres de son réseau ont traversées influent inévitablement sur la structure de son réseau personnel.

Certaines d’entre elles entraînent la perte de relations (veuvage, divorce, déménagements, etc.) alors que d’autres (devenir grand-parent, par exemple) s’accompagnent de l’arrivée de nouveaux membres et, par là même, de nouvelles opportunités de développer des rela- tions personnalisées. Par conséquent, à l’orée de la vieillesse, certains réseaux sont petits ; d’autres au contraire sont vastes. Certains se centrent surtout sur la famille ; d’autres sur les amis ou les voisins alors que d’autres encore comprennent une diversité de membres tels que la famille, les amis, ou des voisins (Antonucci et al.,2007;Fiori et al.,2006,2008; Litwin, 2001;Wenger, 1997;Van Tilburg, 1998; Cornwell et al.,2009).

En plus des changements dans la structure, ces diverses transitions conduisent à des changements de rôles (sociaux et familiaux) et à l’émergence de nouveaux besoins, entraî- nant une ré-évaluation des liens existants et de leurs apports (ressources) de la part non seulement de l’individu mais aussi des membres de son réseau. Ce processus peut tout aussi bien aboutir à la rupture (désengagement) qu’à l’activation d’une relation jusque-là laissée en berne (anciens liens), à la valorisation d’une relation périphérique, au renforce- ment d’un lien existant, ou encore à l’investissement dans de nouveaux liens (Antonucci, 2001; Kahn & Antonucci, 1980; Van Tilburg, 1998; Van Tilburg & Thomése, 2010). Un voisin, par exemple, peut lors d’un événement difficile devenir un ami, par le soutien émo- tionnel dont il fait preuve et qui « outrepasse » son rôle de voisin qui, généralement, se limite à rendre de petits services. Certaines transitions de vie rendent ce mécanisme de ré-évaluation particulièrement manifeste, notamment lors du déclin de la santé qui carac- térise les dernières étapes du parcours de vie. Généralement, les individus dont la santé se détériore réduisent leur réseau personnel (désengagement) alors que les membres proches de la famille, au contraire, se mobilisent (renforcement). Toute relation est donc amenée à être re-définie et négociée au fils du temps en fonction des transitions du parcours de vie et des nouveaux besoins qu’elles génèrent (Connidis, 2010; Finch, 2007). Ces différentes dynamiques relationnelles (activation, désengagement, etc) rendent compte du « travail » de « ré-évaluation » mis en œuvre de part (individu âgé) et d’autre (entourage) du réseau personnel, tout au long du parcours de vie (Van Tilburg,1998). En principe, de telles mo- difications devraient procurer à l’individu les relations les mieux adaptées à ses besoins,

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qui changent en fonction de son développement (Antonucci, 2001; Van Tilburg,1998).

Le modèle du convoi tient donc compte du caractère dynamique et changeant des relations d’aide qui sont amenées à être investies et négociées différemment selon les be- soins des individus au cours du temps (Connidis, 2010). Certaines données confirment ces processus en montrant que les individus qui disposent d’un même potentiel – à savoir un réseau d’aide à structure équivalente en termes de taille et de composition – n’ob- tiennent pas forcément le même montant ni les mêmes types de soutien (Fiori et al., 2008; Litwin & Landau, 2000). Ces résultats révèlent que, même avec un réseau person- nel à structure similaire, les individus ne développent pas forcément les mêmes relations d’aide et de soutien avec les mêmes personnes (Fiori et al.,2008;Litwin & Landau,2000).

Autrement dit, ils investissent leurs relations et les négocient différemment selon leurs be- soins qui évoluent au gré du temps et des circonstances (Campbell, Connidis, & Davies, 1999; Connidis, 2010). Selon le modèle du convoi, les réseaux personnels peuvent donc s’avérer fort différents selon les individus, non seulement en fonction de leur profil socio- démographique, de leur propre trajectoire de vie et de celles de leurs proches (mariage, divorce, veuvage, enfants, nombre et proximité géographique des enfants, etc) mais aussi en fonction de la façon dont ils ont – selon leur profil socio-démographique et familial – investis et négociés certaines de leurs relations. Le modèle du convoi souligne la pluralité des contextes relationnels et leur dynamique à l’entrée de la vieillesse.

La diversité des réseaux personnels est, dans le modèle du convoi, évaluée en fonction de la taille (nombre de membres) et de la composition (profil socio-démographique des membres, leur rôle social par rapport à l’individu âgé, leur proximité géographique, la fréquence et la durée de leur relation, et les types de support qu’ils offrent). Ces deux in- dicateurs sont donc considérés comme des éléments essentiels pour estimer non seulement le degré d’intégration de l’individu âgé dans la société mais aussi le potentiel d’aide (mon- tant et qualité des ressources) qu’il a à disposition (Antonucci, 2001; Ajrouch, Blandon,

& Antonucci, 2005). Les membres du réseau personnel sont, généralement, catégorisés en fonction du rôle social (partenaire, ami, voisin, etc.) qu’ils jouent par rapport à l’individu focal. Et en fonction de ce rôle, il leur est associé « a priori » un degré de proximité affective avec l’individu étudié et une qualité de support.

Dans le cercle périphérique du réseau se situent, généralement, ceux qui sont considé- rés comme « proches » (« the close »), il s’agit de la parenté, des amis, voisins ou d’anciens collègues. Ceux-ci rendent quelques services ou s’avèrent être de bons compagnons lors d’activités diverses. Ceci dit, ces relations, particulièrement sensibles aux transitions de vie de l’individu (déménagements, etc.), sont instables au cours du temps. Ensuite, viennent les plus proches (« the closer »), la fratrie et les amis intimes. Bien que soumises à cer- taines redéfinitions ou négociations au cours du temps (une ré-activation du lien fraternel, par exemple), ces relations sont relativement stables, source de support émotionnel, par- fois instrumental, et de compagnonnage (Antonucci et al., 2007; Campbell et al., 1999; Connidis,2010; Eriksen & Gerstel, 2002;Merz & Huxhold,2010).

Finalement, le cercle des très proches (« the closest »)— usuellement, le partenaire et les enfants – constitue le cœur des réseaux personnels (Kahn & Antonucci, 1980; Antonucci, 2001; Fiori et al., 2006, 2008; Litwin, 2001; Van Tilburg, 1998; Cornwell et al., 2009). Perçus comme l’une des sources majeures de support social, quel que soit sa forme (émotionnel, instrumental, financier, soins, conseils, etc.), dans la vieillesse (Ryan

& Willits,2007; Silverstein, Gans, & Yang,2006; Silverstein & Giarrusso, 2010;Krause, 2006; Merz & Huxhold, 2010; Thoits, 2011; Pinquart & Sörensen, 2000; Walker, Pratt,

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& Eddy, 1995), les membres primaires de la famille sont définis « a priori » comme des

« autruis significatifs » auxquels l’individu est fortement attaché (Thoits, 2011) et décrits comme fiables et stables au cours du temps, et cela, quels que soient les événements stressants que l’individu a été amené à rencontrer, comme le décès des proches ou le déclin de la santé à la fois physique et mentale (Kahn & Antonucci,1980;Antonucci,2001; Antonucci et al.,2007;Van Tilburg, 1998;Bowling,1994;Cornwell,2009a,2009b;Merz

& Huxhold,2010;Shor et al.,2013;Thoits,2011;Pinquart & Sörensen,2000;Silverstein

& Bengtson,1994;Silverstein et al.,2006). Par le support « inconditionnel » qu’ils offrent

« a priori », ils contribuent activement à la satisfaction des besoins tant psychologiques que physiques du parent âgé et participent ainsi au maintien de son identité et de sa santé, et cela jusqu’aux dernières étapes de la vie (Johnson,1988;Krause,2006;Merz & Huxhold, 2010; Carr & Moorman, 2011; Antonucci, 2001; Thoits, 2011). Par l’importance qu’ils revêtent « a priori » pour les individus, les membres qui sont au cœur du réseau personnel semblent, selon la littérature, aller de soi et sont, somme tout, peu soumis à un travail de re-définition ou de négociation par l’individu et les membres de son réseau.

1.1.2 Les limites du modèle du convoi

La manière dont les membres de la famille sont « a priori » perçus et catégorisés dans le modèle du convoi constitue, à mon avis, une première limite. Généralement, le partenaire et les enfants sont définis comme les membres « très proches » du réseau, ils en composent le cœur, et sont « a priori » qualifiés de stables, fiables et immuables. Ils sont désignés comme ceux qui accompagnent l’individu âgé jusqu’aux dernières étapes de sa vie, quels que soient les événements auxquels il est confronté. Dans cette perspective, leur soutien, perçu comme « allant de soi » n’est, pour ainsi dire, jamais questionné. De même, le travail de réévaluation et de négociation qui touche les relations périphériques ne semble pas, a priori, concerner les liens familiaux primaires. Définie, « a priori », comme relativement homogène et peu dynamique, la composante familiale du réseau personnel est dans de nombreuses études consacrées aux relations sociales finalement peu explorée. Dans mon travail, j’irai au-delà de cette conception « idéalisée » en montrant que le réseau familial est loin d’être homogène, soumis lui aussi au travail de réévaluation et de négociation qui accompagne toutes transitions de vie, donnant lieu, par conséquent, dans la vieillesse, à une diversité de configurations familiales.

Ensuite, le modèle du convoi n’explore pas toutes les facettes des réseaux personnels ; il se contente de s’appuyer sur la composition et la taille des réseaux personnels pour inférer le degré d’intégration des individus et, plus encore, le potentiel et la qualité de leur support, et d’en déduire, ensuite, leurs effets sur la santé. Cependant, la façon dont les liens de soutien s’organisent au sein du réseau personnel entre les différents membres qui le constituent ne sont jamais questionnés. En effet, le réseau personnel est, ici, considéré comme un ensemble de dyades – indépendantes les unes des autres – impliquant ego (l’in- dividu focal) et chacun des membres de son réseau personnel pris séparément (Antonucci, 2001;Fiori et al.,2006,2008;Litwin,2001;Van Tilburg,1998). Chaque dyade est étudiée en termes de fréquence des contacts, de durée de la relation et/ou d’échange de soutien (Antonucci et al., 2007;Broese Van Groenou & Van Tilburg, 2007;Moren-Cross & Lin, 2006; Cornwell et al., 2009) mais les liens entre les dyades ne sont jamais considérées.

Pourtant, comme l’ont révélé les précurseurs de l’analyse de réseau comme Élisabeth Bott (Bott, 1955), le degré de connexion entre les membres du réseau – c’est-à-dire dans quelle mesure les membres du réseau sont en lien les uns avec les autres – a un effet

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