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L’évolution et la pluralité des réservoirs de parenté

1.5 Conclusion

2.1.1 L’évolution et la pluralité des réservoirs de parenté

L’allongement de l’espérance de vie et la baisse de natalité sont, sans nul doute, parmi les changements socio-démographiques qui ont le plus influencé la structure familiale ac-tuelle dans la vieillesse. Grâce aux divers progrès techniques et scientifiques, associés à l’industrialisation et à la croissance économique de l’après-guerre, l’espérance de vie a augmenté de manière marquante alors que la natalité a baissé. Résultant de ces deux chan-gements importants (longévité croissante et faible natalité), l’augmentation du nombre de personnes âgées et la diminution du nombre d’enfants ont eu – et ont toujours – des effets directs sur la structure familiale (Bengtson,2001;Lowenstein & Katz,2010). D’une part, la longévité croissante permet à des membres familiaux de plusieurs générations de se côtoyer (Bengtson,2001;Lowenstein & Katz,2010;Lüscher,1999;Lawton et al.,1994b; Lalive d’Epinay, Bickel, Maystre, & Vollenwyder, 2000; Silverstein & Giarrusso, 2010) et, d’autre part, la baisse de natalité s’associe à la réduction du nombre des membres de mêmes générations, ce que certains chercheurs appellent la « contraction intragénération-nelle » (Bengtson,2001;Bengtson, Rosenthal, & Burton,1990;Lowenstein & Katz,2010).

La structure familiale tend donc, en moyenne, à se verticaliser et à prendre la forme d’un échalas — la « beanpole family » – allongée (plusieurs membres répartis sur plusieurs gé-nérations) et mince (membres peu nombreux par gégé-nérations) (Bengtson,2001;Bengtson et al., 1990; Lowenstein & Katz, 2010).

De plus, avec le contrôle des naissances, les transitions à la parentalité se sont « indivi-dualisées », donnant lieu à une pluralité des structures familiales, parfois fort contrastées (Bengtson et al., 1990; Bengtson, Rosenthal, & Burton, 1995; Lalive d’Epinay et al., 2000; Lowenstein & Katz, 2010). La fertilité précoce dans certaines familles se traduit par un nombre d’enfants potentiellement plus grand et par de petites différences d’âge entre générations permettant à de nombreuses générations de se côtoyer. Dans d’autres, au contraire, la fertilité tardive – liée en partie aux carrières féminines, plus fréquentes

dans les classes moyennes et supérieures – a, pour conséquence, de réduire la probabilité d’avoir un grand nombre d’enfants mais aussi de réunir des membres ayant des différences d’âge importantes, laissant moins de place à l’intergénérationnalité au sein de la famille (Bengtson et al., 1995; Lowenstein & Katz, 2010; Lalive d’Epinay et al., 2000). Plus encore, la baisse de la fertilité ainsi que la parentalité retardée ont contribué à l’augmen-tation des individus sans enfant parmi les différentes cohortes d’âgés (Schnettler, Wöhler,

& Löw,2013;Dykstra & Hagestad,2007).

Outre ces divers changements démographiques, le processus de déstandardisation du parcours de vie a entraîné, depuis les années 60, une diversification des trajectoires fami-liales, celles-ci ne suivant plus un même modèle prescrit, reposant sur des étapes chrono-logiques précises (Allan,2008;Kohli & Meyer,1986;Cavalli,2007;Widmer & Ritschard, 2009). Se manifestant par un moindre engagement des individus dans les institutions (mariage, famille, église, travail, communauté, etc.) – qui, traditionnellement, leur garan-tissaient la stabilité et la continuité – le processus de déstandardisation a contribué à libérer les individus du carcan institutionnel (Allan, 2008). Ne suivant plus à la lettre les étapes de la vie familiale prescrites et son organisation modèle, bon nombre d’individus ont modelé et individualisé leur propre trajectoire familiale. Résultat de ce processus, le taux de divorce a connu une forte augmentation depuis les années 60 et de nouvelles formes familiales ont émergé – telles que les couples sans enfants, les familles recomposées, les familles monoparentales, les unions hors mariage, les familles vivant dans des ménages différents, couples homosexuels avec ou sans enfants (Allan, 2001;Widmer,2010; Bengt-son, 2001; Smart, 2007; Lowenstein & Katz, 2010; Treas & Marcum, 2011; Manning &

Brown, 2011).

Reflétant des styles de vie différents, personnalisés (Allan, 2001; Widmer, 2010), ces diverses formes familiales se sont normalisées et « concurrencent », aujourd’hui, la famille nucléaire qui renvoie à la famille « modèle », axée sur des liens de sang ou d’alliance (Parsons & Bales, 1956; Murdock, 1949). Dès lors, la famille « nucléaire » ne représente plus qu’une forme familiale à part entière (Finch, 2007; Widmer, 2010; Smart, 2007; Bengtson,2001;Allan,2001). Se construisant, pour certaines, au delà des frontières de la relation maritale et, pour d’autres, en y insérant en leur sein des liens autres que biolo-giques, ces nouvelles formes familiales ont contribué et contribuent, toujours, à diversifier les structures familiales des individus, y compris celles des plus âgés (Treas & Marcum, 2011; Smart, 2007;Manning & Brown,2011; Widmer, 2010).

Alors que certains, parmi les « jeunes-vieux » (âgés aujourd’hui entre 65 et 74 ans), ont eux-mêmes connu au cours de leur vie ces diverses transitions maritales telles que le divorce, le remariage ou encore la cohabitation (Connidis, 2010; Pas & Van Tilburg, 2010;Van Tilburg & Thomése,2010;Elder & Johnson,2003;Marshall & Mueller,2003), les données montrent que les plus âgés – issus des cohortes les plus anciennes – ont été relativement épargnés par ces nouvelles familiales, ayant adopté, pour une grande majorité, le modèle familial de la famille nucléaire. Rares, par exemple, sont ceux qui ont divorcé comme le révèlent certaines études. A Genève, par exemple, la proportion de personnes âgées divorcées/séparées (65-94 ans) est passée de 8% en 1979 à 16% en 2011, ce qui représente en 30 ans une très légère augmentation (Lalive d’Epinay et al., 2000; Baeriswyl, 2016). La faible proportion de personnes divorcées parmi les cohortes plus âgées s’explique non seulement par leur remariage, mais aussi par la forte stigmatisation du divorce lors de leur jeunesse (Carr & Moorman, 2011). De même, la cohabitation hors mariage et vivre dans des lieux séparés (« living apart together ») sont des formes

de relations maritales particulièrement rares chez les 65 ans et plus (Carr & Moorman, 2011).

Ceci dit, même si les individus âgés n’ont pas eux-mêmes « expérimenté » ces diverses formes familiales, ils ont été témoins de ces transformations au sein même de leur famille, assistant à l’émergence de ces nouvelles formes familiales dans la vie de leurs proches (enfants, petit-enfants mais aussi frères et sœurs). Le divorce et la recomposition familiale des membres de l’entourage familial modifient indirectement la structure familiale des individus âgés, ceux-ci étant étroitement dépendants – selon le concept de « vies liées » (« linked lives ») (Elder, 1991; Elder & Johnson, 2003; Heinz, 2001) – de ceux avec qui ils sont étroitement liés. En conséquence, toutes et tous sont confronté(e)s – et cela quel que soit leur âge – à l’insertion au sein de leur réservoir de parenté de nouveaux membres sans lien de sang, ni d’alliance. De fait, la structure familiale des âgés est amenée à se modifier ; elle peut s’enrichir ou s’appauvrir en fonction des trajectoires familiales des membres de leur famille. En raison de la pluralisation des formes familiales – qui touche directement et indirectement aussi bien les jeunes générations que les anciennes – on peut faire l’hypothèse que les personnes âgées connaissent actuellement une diversité dans leurs structures familiales.

Finalement, la « contraction » du réservoir de parenté au cours des dernières étapes de la vie altère inévitablement sa structure. Le nombre restreint des membres d’une même gé-nération – résultant de la « verticalisation » de la structure familiale – s’accompagne dans la vieillesse d’un fort risque de perdre une partie ou la totalité de ces derniers (conjoint, des frères/sœurs, des cousin-e-s) et même parfois, au très grand âge, de voir disparaître ses propres descendants (Bickel & Girardin,2008;Johnson & Troll,1996;Johnson,1988; Dykstra & Hagestad,2007). Ces changements sont, par ailleurs, très rapides : Johnson et Troll (1996) relèvent dans leur étude que la part des individus n’ayant plus de frères et sœurs vivant double entre 70 et 90 ans. Les données Swilsoo – étude longitudinale portant sur des octogénaires genevois et valaisans – montrent effectivement que – sur un laps de temps de 5 ans - ils sont presque la moitié (45%) à avoir été confrontés au décès d’un de leur proches (conjoint, fratrie, mais aussi enfant) (Bickel & Girardin, 2008). Globale-ment cependant, la taille du réservoir de parenté ne varie pas significativeGlobale-ment, l’arrivée des nouveaux membres (naissances) compensant la perte des anciens (Van Tilburg,1998; Antonucci, 2001). L’étude Swilsoo révèle en effet que, sur la même période de temps (5 ans), les individus âgés sont tout autant à déclarer un décès (45%) qu’une naissance de petits-enfants et d’arrière-petits-enfants (46%). Bien que la taille du réservoir évolue peu, sa composition évolue rapidement, exigeant de la part de l’individu et de son entourage une grande capacité d’adaptation (Johnson & Troll, 1996; Van Tilburg, 1998).

Alors que la composition du réservoir de parenté se modifie pour les individus âgés qui ont des enfants, la contraction du réservoir de parenté a des effets plutôt néfastes pour les individus qui n’ont pas de descendance. En effet, le décès des membres familiaux de même génération réduit considérablement et rapidement la structure familiale des per-sonnes très âgées sans enfant, celles-ci ne pouvant, dès lors, compter que sur un réseau d’aide potentielle réduit et instable (Johnson,1988;Dykstra & Hagestad,2007). Sachant que les enfants adultes sont considérés dans un grand nombre de travaux en géronto-logie sociale comme les principaux prestataires de soins et de support des parents âgés (Lowenstein et al.,2004;Armi, Guilley, & Lalive d’Epinay,2008;Silverstein et al.,2006), les individus âgés sans enfant sont de fait désignés comme une population à « haut » risque d’isolement (Fiori et al., 2008, 2006), ayant une forte probabilité d’être les seuls

survivants de leur réservoir de parenté, après avoir perdu leur conjoint, leur fratrie et les membres de leur parenté éloignée (Johnson & Troll, 1996; Lalive d’Epinay et al., 2000).

Ils entrent donc dans la grande vieillesse, dépourvus de toutes ressources démographiques (Bickel & Girardin, 2008; Dykstra & Hagestad, 2007).

Ces divers changements socio-démographiques (longévité grandissante, baisse de na-talité, contrôle des naissances, augmentation du taux de divorce, émergence de nouvelles formes familiales, etc.) qui ont marqué ces dernières décennies ont profondément diver-sifier et pluraliser les réservoirs de parenté chez les personnes âgées (Treas & Marcum, 2011; Manning & Brown,2011;Smart,2007;Silverstein & Giarrusso,2010; Bengtson et al., 1990;Lowenstein & Katz, 2010;Pas & Van Tilburg, 2010; Widmer,2010). Certains individus ont un partenaire alors que d’autres n’en ont pas ou plus (célibataires, veufs et divorcés). Certains ont un ou plusieurs enfants, d’autres n’en ont jamais eu ou n’en ont plus. Certains sont intégrés dans une famille à structure « monogénérationnelle » disposant d’un ou de plusieurs membres de même génération (conjoint, fratrie et/ou parenté éloi-gnée). D’autres au contraire présentent une famille « multigénérationnelle » comprenant trois à quatre générations, pouvant prendre diverses formes selon les types de membres qui les constituent (enfants, beaux-enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, fratrie, et même parfois, selon l’âge, d’ascendants). D’autres encore sont des « survivants », seuls représentants de leur famille après avoir perdu leur conjoint, leur fratrie et même parfois leurs enfants (Bengtson et al., 1990, 1995; Lowenstein & Katz, 2010; Treas & Marcum, 2011;Manning & Brown,2011;Dykstra & Hagestad,2007;Lalive d’Epinay et al.,2000).

Selon la taille et la composition de leur réservoir de parenté, les individus âgés ont, aux dernières étapes de leur vie, des ressources démographiques fort variables. Autrement dit, certains ont – leur réservoir de parenté étant bien fourni – l’opportunité de développer une diversité de relations familiales alors que d’autres sont restreint, « a priori », par la pauvreté de leur réservoir (De Carlo et al., 2014; Coenen-Huther et al., 1994; Widmer, 2010).

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