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Nous tenons à présenter dans un premier temps les changements cognitifs souvent observés chez les aînés, ainsi que les hypothèses qui ont été formulées pour essayer de les expliquer. Le vieillissement des fonctions frontales sera traité plus précisément dans la section 2.4 (p. 66). De façon générale (Salthouse, 2010), les opérations mentales « fluides » qui engagent principalement des processus cognitifs comme les FE (e.g., résolution de problèmes, raisonnement) sont affectées précocement. Au contraire, les opérations mentales « cristallisées », s’appuyant davantage sur les habiletés et les expériences acquises aufil du temps (e.g., vocabulaire, connaissances générales), se modifient plus tardivement. Certains auteurs montrent même une absence d’évolution de ces compétences (Jones & Conrad, 1933 ; Kaufman, Reynolds, & McLean, 1989) qui resteraient stables dans le temps.

Il est important de préciser que la détérioration des capacités cognitives commence lorsque le sujet est jeune (18-60 ans ; Salthouse, 2009), même si l’étiologie de ce phénomène n’est pas encore claire (Lockhart & DeCarli, 2014). Ces changements pourraient être liés à une différente concentration de neurotransmetteurs, telle que la dopamine, ou à des altérations observées au niveau synaptique (Klostermann, Braskie, Landau, O’Neil, & Jagust, 2012). En effet, il existerait des associations entre la connectivité fonctionnelle frontostriatale, la dopamine et les performances des sujets jeunes (n = 12) et âgés (n = 18) dans des épreuves de mémoire de travail (Klostermann et al., 2012).

Dans une étude effectuée par Salthouse et Pink (2008), 1000 participants adultes (3 tranches d’âge différent : 18-39 ans, 40-59 ans, 60-98 ans) ont réalisé une batterie de tests cognitifs (matrices de Raven, relations spatiales, mémoire logique, vitesse de perception, mémoire épisodique, vocabulaire) et 3 tâches de mémoire de travail demandant de stocker et d’élaborer simultanément une information donnée. Les épreuves de mémoire de travail se basaient sur le rappel d’un chiffre ou d’un mot, tandis que le sujet devait résoudre un problème d’arithmétique simple, ou répondre à des questions relatives aux textes lus. Les résultats obtenus par ces auteurs ont permis de montrer une forte corrélation entre la mémoire de travail et l’intelligence fluide chez les participants. De plus, le lien observé ne semblait pas dépendre de la complexité de la tâche (augmentation des informations à maintenir en mémoire), ou d’autres processus impliqués (e.g., apprentissage) (Salthouse &

Pink, 2008). Ces résultats renforcent l’idée selon laquelle la mémoire de travail ferait partie des opérations mentales fluides, elle serait donc susceptible de subir des perturbations avec l’avancée en âge (Kirova, Bays, & Lagalwar, 2015 ; Solesio-Jofre et al., 2017 ; Van der Linden, Brédart, & Beerten, 1994).

De nombreuses études (Ducarne de Ribaucourt, 1997) sur l’évolution des fonctions cognitives révèlent, depuis une dizaine d’années, un ensemble de modifications plus ou moins spécifiques au vieillissement normal, à savoir des difficultés d’accès au lexique, de

fluence verbale et un amoindrissement des ressources attentionnelles. Il semblerait que les processus qui constituent le système de contrôle attentionnel se modifient (Andrés & Van der Linden, 2000), perturbant les capacités de se focaliser et de se concentrer sur un stimulus donné.

D’autres travaux mettent en évidence une perturbation de la capacité à prendre des décisions, surtout dans des situations nouvelles ou ambiguës, et à comprendre les états mentaux d’autrui (De Beni & Borella, 2015). En référence à des domaines cognitifs spécifiques, il est possible d’observer des modifications au niveau de la vitesse de traitement, de la mémoire, du langage, des habiletés visuo-spatiales et exécutives (Harada et al., 2013 ; Park & Reuter-Lorenz, 2009 ; Salthouse, 2009). La vitesse avec laquelle une tâche est réalisée, par exemple la vitesse d’une réponse motrice, diminuerait progressivement à partir de la troisième décennie de la vie. Cette réduction de la vitesse de traitement des informations peut impacter négativement les performances des sujets âgés dans des tests neuropsychologiques de fluence verbale et attentionnels complexes. Toutes ces aptitudes sont essentielles pour accomplir des tâches complexes du quotidien et avoir une vie sociale satisfaisante. Nous décrirons plus précisément leur évolution par la suite.

Les modifications observées dans le vieillissement normal au niveau mnésique pourraient être en lien avec le ralentissement du traitement des informations, la détérioration des capacités d’inhibition des informations non pertinentes ainsi que des stratégies d’encodage et de récupération (Luo & Craik, 2008). Selon Luo et Craik (2008), la mémoire prospective et la mémoire épisodique, se basant sur les expériences personnelles autobiographiques, montrent une détérioration progressive tout au long de la vie, alors que la mémoire sémantique, impliquée dans le langage, la signification des mots et les connaissances pratiques ne se perturberait que tardivement (exception faite pour les informations hautement spécifiques telles que les noms). En revanche, la mémoire procédurale semblerait subir très peu de changements avec l’avancée en âge.

Les FE, dont l’abstraction et la flexibilité mentale, subiraient une détérioration après 70 ans. Le raisonnement verbal et mathématique pourrait subir une perturbation à partir

de 45 ans (Harada et al., 2013). Les habiletés visuo-constructives (e.g., mettre ensemble les différentes parties d’une boîte ou d’un objet) déclineraient au cours du vieillissement, tandis que les habiletés visuo-spatiales (e.g., perception d’objets, de visages, de lieux) resteraient intactes.

Cette tendance à la moindre efficience des opérations mentales a conduit, d’une part, à parler d’une détérioration des processus cognitifs et d’autre part, à attribuer à l’âge la cause principale de ce déclin (Brouillet, 2011). À ce propos, nous tenons à préciser que les changements associés à la vieillesse ne sont pas nécessairement ressentis comme un manque par les aînés. Ceci peut être vrai, tant au niveau cognitif que psychologique (Brouillet, 2011). Comme nous l’avons déjà précisé, l’âge médiatise l’effet d’autres variables causales qui sont de nature biologique, psychologique, cognitive, sociale (e.g., santé, éducation, phénomènes de plasticité cérébrale et de compensation) (Bier & Belleville, 2010 ; Metcalfe & Open University, 1998 ; Villeneuve & Belleville, 2010). Tous ces facteurs renvoient à la notion de réserve cognitive (Stern, 2002 ; Stern, 2009 ; voir la section 2.3, p. 58) et peuvent être à la base de la forte hétérogénéité intra- et interindividuelle observée chez les aînés lors des évaluations neuropsychologiques (Brouillet, 2011 ; Resnick et al., 2000 ; Sylvain-Roy, 2013).

Un autre facteur fondamental est la façon dont chaque individu fait face aux difficultés rencontrées au quotidien et quelles stratégies il met en place pour les surmonter. Par exemple, les personnes âgées semblent réussir à combiner plusieurs stratégies decoping

(formes d’adaptation) qui sont focalisées sur la régulation des émotions et sur une meilleure acceptation, par rapport aux jeunes adultes, de leur état physique et psychologique (De Beni & Borella, 2015). Cette attitude leur permet de s’adapter plus facilement à la situation vécue et à maintenir un certain niveau de contrôle en cas d’événements stressants, de deuils, ou d’apparition de maladies chroniques. Les personnes âgées maintiendraient un niveau de qualité de vie satisfaisant grâce à leur gestion des ressources internes et sociales externes qui sont à leur disposition. Ces ressources peuvent se traduire en comportement adaptatifs proactifs (le sujet prend l’initiative de l’action, anticipe les difficultés et adopte des mesures pour les surmonter), qui incluent une meilleure prévention et une volonté à aider autrui (Martin et al., 2015).

Selon d’autres études (e.g., Vieillard & Harm, 2013), ce phénomène correspondrait à une tentative d’évitement des situations désagréables, à cause des changements subis par le cortex préfrontal (impliqué dans le contrôle émotionnel) au cours du vieillissement normal. À ce propos, il est important de préciser que les notions de "régulation des émotions" et de "coping" ne sont pas équivalentes. La première notion renvoie à une réponse adaptative

motivée de la part du sujet, la deuxième correspond aux pensées et comportements que le sujet mobilise consciemment pour faire face aux situations de stress (Vieillard & Harm, 2013).

Plusieurs chercheurs de niveau international s’intéressent, aujourd’hui, aux changements cognitifs caractérisant l’avancée en âge car ces perturbations peuvent influencer les AVQ, mais également aider à distinguer un état cognitif normal d’un état pathologique (Harada et al., 2013). Dans la section suivante, nous présentons les principales hypothèses explicatives proposées à ce sujet.