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1.3 Modèle neuroanatomique de Stuss (2008)

1.3.4 Métacognition

La partie frontale polaire du cerveau supporte les fonctions MC qui permettent la représentation de ses propres états mentaux (conscience autonoétique) ou ceux d’autrui (TDE) (Premack & Woodruff, 1978 ; Stuss, 2011). Ces habiletés sont indispensables aux contrôles de niveau sociocognitif en situation d’interaction sociale et constituent un aspect fondamental de la "cognition sociale" (Stuss, 2008 ; Stuss & Levine, 2002). En effet, cette dernière fait référence à un ensemble de processus mentaux tels que la perception des autres et de soi même, la connaissance des règles sociales qui sont à la base des échanges interpersonnels. Ces processus contribuent à analyser le monde social, à réguler et mettre en place des comportements adaptés à chaque contexte de la vie (Duval, Piolino, Bejanin, Laisney, et al., 2011).

Les capacités MC facilitent les relations interpersonnelles, permettant à chacun de comprendre, de juger, ou de prédire des comportements. Selon Stuss et Anderson (2004), le niveau supérieur de l’architecture cognitive humaine correspond à la capacité d’utiliser sa propre expérience (états mentaux, comportements, attitudes, expériences vécues) pour comprendre les états mentaux d’autres personnes.

Le sentiment que l’on a de soi et que l’on a de connaître, en général, constitue la "conscience" : une structure mentale intégrée qui relie le Soi aux objets. C’est grâce à ce niveau complexe et élaboré de conscience que chacun développe un intérêt pour d’autres Soi (Damásio, 2002). L’environnement social amènerait l’être humain à adopter progressivement le point de vue des autres. C’est la confrontation répétée à autrui qui amène peu à peu l’enfant à l’autocritique et à la conscience de soi (Rimé & Le Bon, 1984). D’où la distinction opérée par Buss (1980) entre les aspects privés (e.g., événements sensoriels, états émotionnels, attitudes personnelles) et les aspects publics (e.g., caractéristiques physiques, posture, comportement en situation sociale) de l’état de conscience.

Stuss et Anderson (2004), à partir d’études effectuées auprès de sujets adultes porteurs de lésions cérébrales focales, proposent l’existence de plusieurs niveaux de conscience, qui sont hiérarchiquement organisés. Les auteurs précisent que ces différents types de conscience sont associés à des régions cérébrales distinctes, et que les niveaux les plus élevés de conscience font référence aux notions de "perception de soi" et de "TDE", avec une implication particulière des lobes frontaux. Ils essaient également de formuler des hypothèses relatives à l’effet qu’un dysfonctionnement des régions frontales pourrait avoir sur les différentes étapes du développement. Les niveaux de conscience et leurs liens avec d’autres habiletés frontales, dont les FE, seront décrits dans les sections suivantes.

Conscience autonoétique

La conscience autonoétique, ou conscience de soi, semble dépendre de l’intégrité des régions postérieures et frontales du cerveau, selon le modèle hiérarchisé du "soi" développé par Stuss et Anderson (2004). Cette organisation serait caractérisée par des interactions, tanttop-down quebottom-up, que nous décrivons ci-après.

Le premier niveau de conscience correspond à la présence d’un niveau adéquat d’arousal. Il renvoie aux mesures médicales effectuées au moyen du Glasgow Coma Scale (Teasdale & Jennett, 1974), permettant d’obtenir un score relatif au niveau de conscience de l’individu. En effet, le coma correspond au déficit de la conscience le plus grave, observable suite à la survenue de lésions au niveau du cortex cérébral ou de la formation réticulée mésencéphalique (structure nerveuse du tronc cérébral à l’interface des systèmes autonome, moteur et sensitif). Ce déficit est associé à une absence de réceptivité et de réactivité. Des déficits moins sévères peuvent être observés en présence de lésions moins importantes dans ces zones : stupeur, bas niveaux de réactivité, détérioration de l’attention phasique (correspondant à la facilitation de la performance induite par un signal avertisseur ; Posner & Boies, 1971) et distractibilité (Stuss & Anderson, 2004).

Lorsque l’arousal est suffisant, les processus cérébraux sont capables de construire des modèles du monde sur la base des informations recueillies, au fil du temps, à travers l’expérience. Une information entrante déclenche un réseau de neurones corticaux qui génèrent des patterns d’activité spécifiques. Les niveaux les plus bas de conscience activent ainsi les niveaux supérieurs et produisent des réponses simples, des réflexes. Dans les niveaux suivants, le cerveau crée un modèle qui se base sur l’expérience. Autrement dit, l’information entrante est comparée à d’autres provenant des expériences précédentes du sujet. Les modèles qui se créent sont nécessaires pour définir les interactions d’un individu avec l’environnement qui l’entoure ainsi qu’avec les autres individus, lui permettant de produire la réponse la plus adaptée au contexte (Stuss & Anderson, 2004).

Le deuxième niveau, impliquant les régions sensorielles et motrices du cerveau, conduit à la simple connaissance du monde sensoriel et aux réponses corporelles. Les fonctions de ce niveau concernent le contenu de la conscience activé. Considérant que l’organisation des régions postérieures sous-tendant ces processus est modulaire, les déficits qui peuvent être observés en cas de dysfonctionnement dépendent de la zone lésée et du module touché (Stuss & Anderson, 2004). La détérioration, chez les patients, concerne le contenu de l’information traitée dans une région cérébrale donnée. L’arousal ne subit pas de modification. C’est le domaine spécifique du modèle qui ne fonctionne plus au niveau sensori-moteur (e.g., détérioration de la connaissance, agnosie).

Les troisième et quatrième niveaux de conscience seraient liés à l’activité des lobes frontaux. Vu la complexité anatomique et fonctionnelle des régions frontales du cerveau, Stuss et Levine (2002) proposent une subdivision caractérisée par les régions latérales et par les régions ventromédianes/orbitofrontales. La région polaire est souvent associée à la région ventromédiane (Stuss & Anderson, 2004), cette zone du cerveau étant surtout impliquée dans les capacités de TDE. La dissociation entre les régions latérales et ventromédianes permet de comprendre le rôle des lobes frontaux dans la conscience et la TDE. En effet, les lobes frontaux, surtout du côté droit, seraient impliqués dans les niveaux les plus élevés de conscience, en sachant que ces niveaux utilisent les capacités de modélisation des niveaux inférieurs (contrôle de type top-down). Alors que les informations sensorielles et les signaux d’arousal peuvent activer des modèles présents aux niveaux supérieurs de la hiérarchie (interactionsbottom-up).

Le troisième niveaude conscience implique les capacités exécutives qui, sous-tendues par les régions latérales du cerveau, intègrent l’information en provenance des systèmes sensoriels (partie postérieure du cerveau) et organisent les réponses dirigées vers un but précis en fonction du stimulus traité. Selon Stuss et Levine (2002), à ce niveau là, un modèle articulé du monde est créé à partir des modèles plus restreints développés aux niveaux inférieurs.

Les régions frontales ventromédianes joueraient un rôle essentiel dans l’émergence du niveau ultime et supérieur de conscience : la conscience autonoétique. Le dernier niveau considère l’information du point de vue de l’histoire personnelle, récupérant des informations des expériences passées et en les projetant dans l’avenir. Ce niveau de conscience de soi est associé aux lobes frontaux, surtout du côté droit, et à ses connexions avec le système limbique. Ces données ont été confirmées par d’autres études (Moll, de Oliveira-Souza, Bramati, & Grafman, 2002). Ce niveau de conscience renvoie à la notion de « Me self », que James (1890) a défini comme l’ensemble des images et représentations de soi, des pensées et des croyances stockées en mémoire autobiographique, permettant de répondre à la question « qui suis-je ? ». En revanche, l’« I self » correspondrait à l’éprouvé subjectif d’être soi-même. Plusieurs travaux montrent que le self n’est pas un concept unitaire, mais plutôt un ensemble de systèmes interconnectés et fonctionnellement indépendants (Klein & Gangi, 2010). C’est pour cette raison que la définition donnée de « conscience de soi » est souvent discordante.

Chaque individu fait l’expérience d’un seul I qui pense, choisit, planifie, éprouve des sentiments, qui a donc une image de soi-même. La notion d’« identité personnelle » incarne l’idée selon laquelle le self est un continuum entre ce qu’on a vécu dans le passé

et ce qu’on vivra dans l’avenir. Repérer chacun des processus qui constituent leself rend probablement encore plus complexe cette définition. Parmi ces processus, nous pouvons citer la mémoire épisodique liée aux événements de la vie, la représentation de ses propres traits de personnalité, la connaissance sémantique relative aux faits réels, l’expérience de la continuité dans le temps (strictement liée à la mémoire épisodique), le sentiment d’être responsable de ses propres pensées et actions, la formation de méta-représentations à travers l’introspection, la capacité à se représenter son propre corps et ses caractéristiques physiques (e.g., au moyen de photographies, image réfléchie dans un miroir) (Klein & Gangi, 2010).

TDE cognitive de premier/deuxième ordre

Les études neuropsychologiques effectuées au cours de ces dernières années (e.g., Duval, Piolino, Bejanin, Eustache, & Desgranges, 2011) ont mis en évidence des dissociations entre les habiletés de TDE qui peuvent être perturbées/préservées chez des patients présentant des lésions cérébrales (Shamay-Tsoory, Tomer, Berger, Goldsher, & Aharon-Peretz, 2005), ou ayant reçu, par exemple, un diagnostic de schizophrénie (Shamay-Tsoory, Aharon-Peretz, & Levkovitz, 2007). Les résultats obtenus par ces auteurs ont amené à distinguer la TDE cognitive (cold Theory Of Mind [TOM]) de la TDE affective (hot TOM).

La TDE cognitive fait référence à la capacité de comprendre les états mentaux cognitifs, les croyances, les pensées ou intentions d’autres individus (Coricelli, 2005). Cette capacité peut concerner des représentations mentales de premier et de deuxième ordre. Le premier ordre correspond aux représentations d’une personne qui adopte la perspective d’une deuxième personne (e.g., je pense qu’il/elle pense que...). Ce processus permet à chacun de comprendre que les autres ont une conscience qui diffère de la leur. La TDE cognitive de deuxième ordre correspond à un niveau plus élevé de méta-représentations. Elle fait référence à des représentations plus profondes du soi, qui impliquent le fait d’adopter 2 perspectives en même temps (e.g., il/elle pense qu’il/elle pense que...) (Duval, Piolino, Bejanin, Eustache, & Desgranges, 2011).

TDE affective et reconnaissance des émotions

La TDE affective fait référence à la compréhension des états affectifs, émotions ou sentiments, d’autres individus (Brothers & Ring, 1992). Cette habileté permet de comprendre et d’adopter le point de vue d’autrui, donc de se mettre à sa place sans avoir nécessairement ressenti d’émotions (Duval, Piolino, Bejanin, Eustache, & Desgranges, 2011).

La TDE affective correspond à l’« empathie cognitive », notion à ne pas confondre avec celle d’« empathie affective », ce que l’on entend souvent par le terme d’« empathie », qui concerne le fait de ressentir l’émotion éprouvée par un autre individu, sans avoir nécessairement compris les raisons qui ont amené à ce sentiment ou sensation (Shamay-Tsoory et al., 2005).

La capacité que les individus ont de reconnaître des émotions à partir des expressions du visage d’autrui, en situation réelle, ou à travers de vidéos/photos, peut donc être considérée comme une habileté de TDE affective (Duval, Piolino, Bejanin, Laisney, et al., 2011 ; Duval, Piolino, Bejanin, Eustache, & Desgranges, 2011 ; Henry, Cowan, Lee, & Sachdev, 2015).