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Hypothèse exécutive-frontale du vieillissement (West, 1996)

2.4 Vieillissement des fonctions frontales

2.4.1 Hypothèse exécutive-frontale du vieillissement (West, 1996)

D’un point de vue morphologique, le vieillissement normal est caractérisé par une réduction générale du volume cérébral de 10 % dans le cortex frontal contre 1 % en temporal, pariétal ou occipital (Haug & Eggers, 1991 ; Tisserand, van Boxtel, Gronenschild, & Jolles, 2001 ; Tisserand et al., 2002). Haug et Eggers (1991) indiquent également l’apparition d’une réduction de la taille cellulaire au-delà de 65 ans plus prononcée dans la région préfrontale (43 %, 11 % et 13 % dans le cortex préfrontal, pariétal et occipital respectivement). Toutefois, le nombre de cellules présentes dans le cortex frontal ne semble pas diminuer avec l’avancée en âge (Samson & Barnes, 2013).

D’autres chercheurs ont observé une baisse de volume concernant le thalamus (Van Der Werf et al., 2001) qui serait prédicteur de la vitesse de traitement, et une baisse de volume du striatum (Gunning-Dixon, Head, McQuain, Acker, & Raz, 1998). En effet, l’atrophie cérébrale accompagnant le vieillissement normal atteint les circuits cortico-striato-palido-thalamiques frontaux (Alexander et al., 1986) connectant le cortex frontal aux noyaux gris frontaux. Il est important de rappeler que ces boucles (circuits neuronaux) jouent un rôle important dans le contrôle du mouvement (Cambier et al., 2008), dans la régulation des comportements et des conduites cognitives complexes.

Raz (2000) avait mis en évidence une corrélation entre l’âge et le volume cérébral variable, allant de 47 % pour le cortex préfrontal et 32 % pour le striatum (noyau caudé et putamen) à 27 % pour le cortex temporal et 29 % pour le cortex pariétal. Raz, Gunning-Dixon, Head, Dupuis, et Acker (1998) avaient déjà montré l’existence d’une relation significative entre les performances des sujets âgés en mémoire de travail et leur volume cérébral frontal. D’autres auteurs (Hanninen et al., 1997) ont montré une relation significative entre le volume cérébral frontal et les capacités de flexibilité mentale chez 43 sujets âgés (70.5 ans en moyenne) présentants des troubles mnésiques.

Une étude effectuée, plus récemment, par Lindberg (2012), qui s’appuie sur le modèle neuroanatomique de Stuss (2008), confirme que l’avancée en âge est associée à une diminution du volume des régions corticales situées dans les lobes frontaux. Toutefois, les résultats obtenus (n = 505 ; 6 groupes d’âge différent : 60, 66, 72, 78, 83, 90 ans en moyenne) montrent que cette diminution du volume cérébral est plus importante dans

les régions préfrontales, comme le cortex orbitofrontal (n = 124), que dans les régions limbiques, comme le gyrus cingulaire antérieur (n = 505). Samson et Barnes (2013) soulignent que les fonctions cognitives qui dépendraient de l’hippocampe (e.g., cognition spatiale, apprentissage d’un parcours), ainsi que celles impliquant le cortex préfrontal (e.g., mémoire de travail,flexibilité), seraient particulièrement touchées lors du vieillissement normal. Cependant, des données précédentes avaient montré que la diminution du volume de l’hippocampe, dont le rôle est essentiel aussi au fonctionnement de la mémoire, était moins importante que celle du cortex préfrontal (Isingrini, 2004).

Dans une étude de Nissim et al. (2016), la détérioration des performances de 27/56 personnes âgées (70,29 ans en moyenne) dans une tâche de mémoire de travail était associée à une réduction du volume de différentes régions corticales droites : le gyrus frontal orbitaire médian, le gyrus frontal inférieur et le gyrus frontal supérieur. Cox et al. (2014), sur la base des performances de 90 sujets âgés (73 ans en moyenne) à 6 tests frontaux (Tower, Self-ordered pointing task, Simon, Reversal learning, dilemmes moraux et faux pas) et des données neuroanatomiques obtenues, montrent que le volume des régions frontales était significativement et positivement corrélé à la plupart des scores obtenus aux tests proposés. De plus, les résultats issus de cette étude suggèrent que les changements observés au niveau des régions dorsolatérales et du cortex cingulaire antérieur avaient un impact plus important sur le vieillissement cognitif par rapport aux modifications dans d’autres régions cérébrales (Cox et al., 2014). Driscoll et al. (2009) montrent que la diminution du volume cérébral s’accélère, au cours du vieillissement normal, dans le système ventriculaire qui participe à la sécrétion et à la circulation du liquide céphalorachidien, dans la matière grise frontale, mais également dans les régions supérieures, médianes et médianes frontales, et pariétales supérieures.

En ce qui concerne les changements observés, plus précisément, au niveau de la substance blanche et de la substance grise, Tisserand et al. (2002) (voir aussi Samson & Barnes, 2013 ; Wellington, Bilder, Napolitano, & Szeszko, 2013) affirment que le volume de substance blanche frontale reste relativement stable jusqu’à un âge avancé (65-70 ans), pour décroître ensuite rapidement. Cette diminution de la matière blanche de 16 à 20 % est observée au niveau du gyrus précentral, du gyrus rectus et du corps calleux (Lockhart & DeCarli, 2014), aires qui ne montrent que 6 % de réduction de matière grise (Meier-ruge, Ulrich, Brühlmann, & Meier, 1992). Kennedy et Raz (2009) ont étudié les liens susceptibles d’exister entre l’intégrité de la substance blanche dans plusieurs régions cérébrales (corps calleux, capsule interne, régions préfrontale, temporale, pariétale et occipitale) et les performances de 52 sujets (19-81 ans) dans des tâches de vitesse de

traitement, de mémoire de travail, d’inhibition, deflexibilité et de mémoire épisodique. Les résultats obtenus montrent que les modifications dans les régions antérieures étaient associées à une perturbation de la vitesse de traitement et des capacités de mémoire de travail. Les changements observés dans les régions postérieures étaient liés à une détérioration des processus d’inhibition et de flexibilité. La perturbation des capacités de mémoire épisodique était liée à des réductions de substance blanche dans les régions cérébrales centrales (Kennedy & Raz, 2009). Ces données confirment celles de O’Sullivan et al. (2001), qui montraient l’existence de liens entre la réduction de la matière blanche antérieure et le déclin des FE chez la personne âgée.

Une autre étude post-mortem (Kemper, 1994) met en évidence une atrophie plus importante de la substance blanche frontale que de la substance grise. Cependant, le volume de la substance grise commencerait à diminuer à partir de 20 ans (Wellington et al., 2013), surtout dans le cortex préfrontal, à cause de 2 phénomènes : la mort neuronale et la réduction de la densité synaptique, voire de la taille et du nombre de connexions inter-neuronales (Harada et al., 2013 ; Samson & Barnes, 2013). Même si ces données ont été confirmées en utilisant les techniques d’IRM chez l’âgé sain (Resnick et al., 2000), toutes les études ne sont pas concordantes.

En ce qui concerne le métabolisme frontal, N. D. Anderson et Craik (2000) montrent qu’il diminue lorsque les sujets effectuent des activités cognitives complexes, comme par exemple des doubles tâches. Plusieurs chercheurs (Cabeza et al., 1997 ; Grady et al., 1995 ; Schacter, Savage, Alpert, Rauch, & Albert, 1996), qui se sont intéressés au débit sanguin cérébral en réponse à des tâches de mémoire explicite, ont montré des différences liées à l’âge pour l’activation frontale au moment de l’encodage et de la récupération. D’autres études sur les différences d’activation cérébrale lors du vieillissement normal ont été présentées dans la section 2.3 (p. 58).

Malgré les modifications décrites au niveau du volume cortical et cellulaire frontal, plusieurs études ont montré une sur-activation, une dé-différentiation et un phénomème de compensation plus importants dans les régions préfrontales, chez les personnes adultes et âgées. Parmi les théories formulées pour expliquer les changements observés avec l’avancée en âge, l’hypothèse « exécutive-frontale » du vieillissement (West, 1996) semble être, à l’heure actuelle, la plus solide et celle qui est partagée par la plupart des chercheurs (Cox et al., 2014 ; Nissim et al., 2016 ; Samson & Barnes, 2013). En effet, selon cette hypothèse, l’essentiel des détériorations observées au cours du vieillissement s’expliquent par l’atteinte préférentielle des aptitudes psychologiques supportées par les lobes frontaux (West, 2000). Les modifications liées à l’âge seraient donc consécutives à une perturbation

précoce du fonctionnement frontal qui permettrait d’expliquer les principales altérations cognitives observées chez les aînés.

Selon cette conception, le contrôle exécutif serait parmi les premières fonctions cog-nitives qui se modifieraient au cours du vieillissement normal (West, 1996 ; West, 2000). Les données neuropsychologiques (Isingrini, 2004) indiquent par ailleurs que, comparées aux jeunes, les personnes âgées présentent un déclin des capacités exécutives, révélé par leur performance à des tests neuropsychologiques classiques, tels que le WCST, le TMT, les tests de Stroop, de fluence verbale, de la tour de Londres et de Hanoï, ces derniers évaluant les capacités de planification. D’autres données seront détaillées par la suite.

Les FE ne sont pas les seules habiletés cognitives à être supportées par les lobes frontaux, donc à subir des perturbations lors du vieillissement normal (Denburg & Hedg-cock, 2015). De plus, les études montrent que les différentes catégories de fonctions frontales ne sont pas toutes perturbées de la même façon (Lamar & Resnick, 2004 ; MacPherson, Phillips, & Della Sala, 2002). Ces résultats pourraient être dus aux modifi ca-tions morphologiques observées dans les différentes régions cérébrales (frontales, pariétales, temporales, occipitales) ou, plus particulièrement, dans les régions frontales dorsolatérales et orbitaires (Phillips & Della Sala, 1998). Une autre explication possible renvoie au fait que le retentissement des modifications cérébrales dépend largement du milieu de vie de la personne âgée, de son histoire antérieure et de ses ressources propres (Bouisson, 2005). Pour résumer, les arguments qui peuvent être évoqués à l’appui de cette hypothèse sont les modifications morphologiques observées chez les aînés, surtout dans les régions frontales, la diminution de l’activité métabolique frontale, et la dégradation des capacités cognitives dépendantes de l’intégrité des lobes frontaux (De Beni & Borella, 2015). L’hypothèse exécutive-frontale pose néanmoins une question fondamentale : le vieillissement normal du fonctionnement frontal affecte-t-il toutes les compétences frontales ou seulement certaines ? Les chercheurs ont souvent essayé de répondre à cette question en effectuant des comparaisons entre les performances d’aînés en bonne santé et celles de patients ayant reçu un diagnostic de trouble cognitif léger ou atteints de la maladie d’Alzheimer (Belleville, Bherer, Lepage, Chertkow, & Gauthier, 2008 ; Bherer, Belleville, & Hudon, 2004 ; Gonneaud et al., 2009), ou d’une démence frontotemporale (Gonneaud et al., 2009 ; Piquard, Derouesné, Lacomblez, & Siéroff, 2004 ; Piquard, Derouesné, Meininger, & Lacomblez, 2010), à des tests frontaux. En effet, leur objectif principal a été d’étudier les signes cliniques qui sont communs ou spécifiques au vieillissement normal et au vieillissement pathologique, en utilisant des protocoles expérimentaux toujours différents.

Dans le présent manuscrit, nous présenterons surtout les études sur le fonctionnement normal des systèmes frontaux, qui se sont basées sur les performances de sujets jeunes, adultes et âgés en bonne santé (Calero & Navarro, 2011 ; Ghisletta & Lindenberger, 2005 ; Lindenberger & Baltes, 1997). Nous tenons également à préciser que de nombreux travaux réalisés en neuropsychologie du vieillissement s’appuient sur le modèle développé par Miyake et al. (2000) qui proposent un fractionnement du système exécutif. À partir d’analyses factorielles confirmatoires, ces auteurs affirment, plus particulièrement, que la mémoire de travail est sous-tendue par 3 processus : l’alternance ou flexibilité mentale, la mise à jour et l’inhibition (Miyake et al., 2000). Considérant que ces fonctions cognitives font partie des FE décrites par Stuss et Knight (2002), nous tiendrons aussi compte des résultats obtenus à partir du modèle de Miyake et al. (2000) dans la section suivante. Il faut souligner que, même si dans le cadre de ces travaux l’inhibition est étudiée de façon spécifique, les données obtenues par Stuss et Alexander (2007) ne permettent pas d’isoler cette habileté d’un point de vue cognitif. Les auteurs expliquent leurs résultats par le fait que tout choix présuppose la sélection d’une réponse considérée comme la plus adaptée au contexte, donc l’inhibition des réponses non pertinentes. En effet, selon Stuss et Alexander (2007), l’inhibition existerait seulement d’un point de vue neurobiologique et neurochimique. Les résultats divergents relatifs à l’intégrité des capacités d’inhibition dans le vieillissement normal pourraient s’expliquer par le fait que cette fonction n’est pas un processus unitaire, mais plutôt un ensemble de processus spécifiques et distincts (Collette & Salmon, 2014).

Nous focaliserons ainsi notre attention sur les études ayant évalué au moins l’une des 4 catégories de fonctions frontales décrites par Stuss (2008) : les FE, la PD, l’énergisation et la métacognition (conscience de soi et TDE), ces habiletés pouvant être perturbées de façon sélective au cours du vieillissement normal (pour revue voir Calso et al., 2016 ; Annexe 5). Faire référence à un modèle neuroanatomique comme celui développé par Stuss et al. (2002) permettra d’étudier l’évolution d’aptitudes de niveau supérieur indispensables dans la réalisation d’AVQ ainsi que dans la réalisation d’activités nouvelles.