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La vie comprise par une finalité qui la dépasse

Dans le document Bien et bonheur chez Kant (Page 157-164)

Chapitre II : Le besoin de finalité pour comprendre l’action

2. La vie comprise par une finalité qui la dépasse

Remarques générales :

Dans la lettre qu’il adresse à Christian Garve (le 7 Août 1783), Kant explique que c’est

par une pensée « humainement sensible », que l’on donne aux dons de l’esprit leur véritable

valeur. Puis, dans l’Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, Kant parle

de la possibilité de diriger les actions humaines, selon des lois universelles valables pour toute

l’humanité d’une façon cosmopolitique qui est dite « finale ». Dans ce raisonnement, la

« félicité » ou la « perfection » est envisagé uniquement, par la « raison », et non plus par

« l’instinct ». En effet, pour Kant, c’est par son « intelligence » et la « bonté de son vouloir »,

que l’homme peut trouver les lumières de la raison (universelle). Ce n’est pas par la recherche

de son bonheur, ni par celle de son « bien-être » individuel, que l’homme peut atteindre une

« estime raisonnable de soi ». Cette estime, c’est en travaillant à s’élever (moralement), par sa

bonne « conduite », que l’homme peut la trouver. En somme, c’est en se conduisant de façon

« morale », que l’homme devient « digne » de la vie et du bien-être. (T. II, p. 191).

C’est donc en renonçant à ses inclinations animales et égoïstes, que l’homme peut

obéir à une volonté, qui est « universellement valable ». Il s’agit de renoncer à sa volonté

« particulière » (individuelle). À l’inverse, c’est par une bonne volonté (universelle), que

l’espèce humaine peut espérer atteindre une destination idéale (et morale). Cela signifie que

pour atteindre les lumières ultimes de la raison, il faut quitter définitivement « l’animalité ».

C’est uniquement de cette façon, que l’on peut espérer atteindre le « degré

suprême d’humanité ». (T. II, p. 198). Atteindre les lumières de la raison consiste donc pour

l’homme « éclairé », à se diriger vers le bien. Ces lumières consistent à espérer un « dessein

rationnel parfait », pour l’humanité. Concrètement, cela nécessite de s’intéresser au « bien

commun », et sur le plan cosmopolitique, il s’agit de travailler au bien de l’humanité dans son

ensemble. L’humanité morale, réunie sous des lois communes, est un but que la

philosophie considère comme juste et rationnel.

Pour parvenir à un bien commun, la Réponse à la question : qu’est-ce que les

lumières ? propose à chacun de se servir de son propre entendement, il propose de « penser »

par soi-même. Il suggère de raisonner dans l’intérêt de la communauté, d’une manière active

(et non plus passive). Pour chaque humain, il est question de réfléchir en fonction de son

« devoir de citoyen » cosmopolitique (et non plus de façon individuelle) car cela contribue à

faire avancer la vie commune vers un état meilleur. Il s’agit de raisonner en tant que membre

de la société (en tant que citoyen du monde). Car en réalité, le projet des « lumières » consiste

à améliorer progressivement « l’humanité » (vers plus de moralité). Pour cela, il faut que

chacun se serve de sa liberté et de son intelligence, ceci afin d’arriver à obtenir une « pensée

libre ». De cette manière, chacun sera de plus en plus apte à « agir librement » (et ainsi

chacun pourra faire le choix de la moralité). Par suite, en n’agissant non plus comme une

« machine », mais comme une personne libre, il sera possible de traiter l’homme

conformément à sa « dignité ». (T. II, p. 217).

La loi morale s’oppose à la loi naturelle. Cependant, il apparaît aussi que d’un point de

vue transcendantal, le bien peut être la « condition » du bonheur. Cela signifie que le point de

vue « universel » peut déterminer : le point de vue individuel. Le devoir peut diriger nos

désirs. Ainsi, par la liberté, nous pouvons choisir d’orienter nos actions vers le bien, et non

pas vers le bonheur. L’autonomie dont nous disposons peut nous permettre de faire des choix

éthiques, elle suppose une humanité qui soit plus forte que l’animalité. Cette finalité

suppose aussi des règles (intelligibles), qui soient plus fortes que les impulsions (sensibles).

Enfin, cette fin suprême requière une volonté, capable de soumettre toutes les inclinations. Il

qui compte alors, ce n’est plus la chance (ni les opportunités), mais le mérite (et la dignité

d’être heureux). Cette idée du bien (comme destination commune pour toute l’humanité) est

proprement philosophique. De cette façon, le bonheur ne s’oppose plus à la recherche du bien,

car ce qui est recherché : c’est la dignité d’être heureux.

Dans la Critique de la faculté de juger, Kant explique que l’idée d’un « grand système

des fins » est une aide au progrès de notre exploration de la nature. (C3, p. 1174). Pour Kant,

l’unité, la régularité, l’ordre dans la corrélation des choses et leur convergence indiquent un

fondement unique de « l’harmonie » universelle. Elles témoignent de la « commune

dépendance de l’essence de toutes les choses à l’égard d’un seul grand fondement ». (Unique

Fond., p. 355 ; AK II, 97).

Par suite, penser la finalité nous permet d’envisager la rationalité comme un moyen de

connaissance élargie. Par exemple, en supposant l’existence de Dieu, on peut concevoir une

finalité de la « nature ». Cette finalité donne alors un sens aux principes pratiques, elle nous

conduit vers plus de « sagesse » dans nos jugements. Ce recours à la finalité a pour but de

conduire notre « espèce », jusqu’à un degré suprême « d’humanité ». Ce degré suprême

consiste à se comporter avec plus de sagesse, notamment grâce à la « culture ». De cette

façon, il est possible d’envisager une finalité d’ensemble. Par suite, la perspective de cette

finalité pose les conditions idéales pour comprendre le monde. Elle permet aussi d’envisager

chacune de nos actions, sous l’angle de la « rationalité » et de l’universalité.

Du point de vue critique, la finalité nous permet aussi de percevoir la différence entre

d’une part ce qui concerne notre esprit (l’intelligible), et d’autre part ce qui concerne nos cinq

sens (le sensible). De sorte qu’à partir du monde intelligible, on peut supposer qu’il n’existe

qu’une seule fin « idéale ». Cela signifie qu’en tant « qu’intelligence », l’humanité a la

capacité de concevoir un idéal de perfection. Cette perfection a un lien avec l’Idée d’une

« finalité suprême ». Elle est conforme aux lois universelles. Cette finalité est communiquée

par la « raison », elle requière des concepts « pratiques » d’action (c’est-à-dire des principes

moraux).

Concevoir une finalité aide à comprendre la « nature » et la vie humaine. Ce

raisonnement nous amène à concevoir une unité systématique (morale) des fins, qui se trouve

dans le « monde des intelligences ». En tant que système de la « liberté », le monde des

volontés peut être appelé « monde intelligible, c’est-à-dire moral » dont les « fins suprêmes »

sont celles de la « moralité ». Elles sont accessibles par la raison. De ce point de vue, il s’agit

d’une finalité pratique, qui est pensée dans « l’idée » d’une volonté « libre ». Cette idée

constitue un principe « métaphysique » qui permet de donner à l’action humaine une finalité

suprême. Il s’agit de concevoir un monde tel qu’il « peut être suivant la liberté des êtres

raisonnables ». Et aussi de le concevoir tel qu’il « doit être suivant les lois nécessaires de la

moralité ». Ce monde (tel qu’il doit être), Kant l’appelle un monde moral. En ce sens, il est

simplement « pensé comme monde intelligible », et non pas comme monde sensible, car il fait

abstraction de la « faiblesse » et de « l’impureté » de la nature humaine. Kant propose alors

que cette « idée pratique » puisse être tout simplement l’idée d’un « monde moral ». (C1, p.

1367).

Mais il faut bien éviter de confondre la téléologie physique et la téléologie morale.

La téléologie physique cherche à comprendre comment l’idée de fin naturelle permet de

comprendre que les êtres de la nature sont un système. La téléologie morale se demande

si l’action de l’homme dans la nature peut correspondre à la finalité suprême de

l’humanité qui est morale. La finalité simplement physique et naturelle s’appuie sur une

analogie entre une idée de Dieu et l’image d’un artiste intelligent. La téléologie morale se

demande si un Dieu bon et sage accorde la création avec l’agir humain.

La téléologie correspond chez Kant à une supposition. On suppose que la perfection de

l’ensemble règle les parties et ces concepts nous font regarder le monde, comme s’il était issu

du « dessein » d’une « raison » suprême. De cette façon, la raison nous permet de « lier » les

choses du monde, suivant des lois « téléologiques ». Ceci nous conduit à concevoir une unité

« systématique » des choses. Et par suite, cela nous conduit à « supposer » une intelligence

« supérieure » comme cause de l’univers (comme une providence).

Pour Kant, il faut s’en tenir à cette « supposition », comme étant un principe purement

« régulateur ». Par exemple, penser que tout dans l’animal a son « utilité » est une supposition

régulatrice. En effet, l’animal ne pourrait vivre sans certains organes vitaux. Pour Kant, cette

supposition permet d’arriver à « l’unité » systématique la plus haute. Ceci au moyen de l’idée

de la « causalité finale » (de la cause suprême du monde), comme si cette cause (en tant

qu’intelligence suprême) avait tout fait d’après le « dessein le plus sage ». (C1, p. 1280).

Cette suprême sagesse nous permet d’envisager la « téléologie » d’un point de vue

« universel ». Il s’agit d’une « finalité » qui concerne les lois de la « nature ». Cette finalité

nous donne un principe régulateur, à partir d’une unité systématique, selon un « enchaînement

téléologique ». Ainsi, les lois universelles de la nature peuvent être envisagées par la « raison

humaine ». Le but est de donner une unité systématique à la « nature », en tant qu’elle est un

objet de notre « raison ». On peut alors penser que l’idée de la « sagesse suprême » est un

régulateur dans « l’investigation » de la nature. (C1, 1287).

En réalité, c’est « l’intelligence humaine », qui pense une « liaison » dans la diversité

de la nature. C’est l’intelligence qui produit le concept « transcendantal » d’une finalité de la

nature. En conséquence, c’est un « principe subjectif » (une maxime), qui permet cette finalité

et cette « unité ». Il s’agit de produire une « finalité formelle subjective » des objets. Cette

finalité provient de notre faculté de juger « téléologique ». Il est alors question de remarquer

une finalité dans les objets, par la raison et par la « réflexion ». (C3, p. 979).

Cela permet d’après les principes « transcendantaux » de « supposer » une finalité

subjective de la nature. Cette démarche est destinée à rendre compréhensible l’enchaînement

des expériences particulières, par « un système » (unique) de la nature. En définitive, le

concept de « fin » est possible, comme « appréciation téléologique » de la nature, et ceci par

analogie avec une « causalité finale ». Ainsi, chaque partie existe grâce aux autres, elle est

pensée comme existant aussi, pour les autres et pour le « tout ». Cela signifie que pour penser

la nature et la vie, on a besoin d’un concept, celui du « but final » (c’est-à-dire celui de la

finalité). Par suite, la « fin » de la nature elle-même doit être cherchée « au-delà » de la

nature. Dans ce raisonnement, l’idée de l’ensemble de la nature doit être pensée comme un

« système », selon la « règle des fins ». Pour Kant, il faut rechercher une « cause » universelle

(intelligente), qui agit selon des fins. Cette causalité intelligente est une « pure idée », qui sert

de « fil conducteur » pour la réflexion. (C3, p. 1183).

D’un point de vue subjectif, le concept de fin est pensé comme un fil conducteur, qui

rassemble tous les phénomènes, dans une « liaison » finale. Il s’agit de penser une loi

universelle qui soit capable de « subsumer » le particulier (tous les phénomènes particuliers),

sous l’universel. Cela permet la « dérivation » des lois particulières, à partir des lois

« universelles ». De cette façon, nous pouvons trouver un « fondement réel suprasensible »

pour la nature (dont nous faisons nous-mêmes partie).

Nous pouvons alors distinguer ce qui est de l’ordre de la « nature » et fonctionne selon

des lois « mécaniques », de ce qui n’est pas de l’ordre de la nature et se comprend selon des

lois « téléologiques ». Cette distinction permet de supposer une finalité de type providentielle,

qui pourrait expliquer un possible accord entre l’action des hommes dans l’histoire et leur

destination morale. Cela signifie que le principe « téléologique » admet de pousser aussi loin

que possible, non seulement l’explication « mécanique » des événements naturels (à condition

de ne pas perdre de vue que nous devons les « subordonner » à la « causalité finale »), mais

aussi la question des buts de la vie. Ainsi pour Kant, selon une « supposition » de notre raison,

nous reconnaissons une « finalité » (universelle) comme nécessaire en soi. Et parce que nous

en avons « besoin », nous sommes justifiés de « l’admettre » a priori, et d’en user tant que

cela peut nous « suffire ». Par suite, on peut considérer que le concept d’une « téléologie » de

la nature (a priori) se fonde sur le fait que nous percevons « en nous-mêmes » (par la raison),

un pouvoir de tout « relier » selon des « fins ». (Progrès méta., p. 1248).

Dans le document Bien et bonheur chez Kant (Page 157-164)