Chapitre III : Téléologie et théologie morale
1. Le souverain bien comme but final
La finalité produit une « unité », une régularité et de l’ordre dans les corrélations entre
les choses. Elle produit une convergence de leurs utilités, qui reflète l’ « harmonie
universelle ». Tout ceci témoigne d’une « dépendance commune de l’essence de toutes les
choses » à l’égard d’un « seul grand fondement ». (T. I, p. 355). Cette dépendance révèle une
« unité », entre toutes les choses. Et par l’harmonie qui relie toutes les choses, on observe une
« unité » merveilleuse dans le « tout ». Cette unité est nécessaire, vis-à-vis de la « perfection
finale ».
L’idée d’une unité finale résulte d’une supposition qu’il existe un principe
« régulateur ». Ce principe permet d’arriver à une unité systématique la plus haute, comme si
tout dans le monde était issu d’un « être unique », d’une seule cause suprême et parfaitement
suffisante ». (T. I, p. 1278). Ce principe régulateur permet de concevoir une « unité »
systématique, qui donne une explication du monde selon un enchaînement « téléologique ».
Dans ce raisonnement, il s’agit d’un principe de « l’unité finale ». Cette analyse du monde se
conforme à l’idée qu’il existe un auteur « suprême ». En faisant cette « supposition », il est
possible d’arriver à la « plus grande unité finale ». Ainsi, en faisant un usage élargi de la «
raison humaine », on parvient à concevoir dans notre esprit l’idée d’une finalité totale et
unique. L’idée de la sagesse suprême permet alors de mieux comprendre la nature en général,
cette idée agit comme un « régulateur » dans l’investigation de la nature. Elle donne un sens
aux phénomènes, et par suite, l’idée d’une intelligence suprême donne aussi une « unité », à
toutes les « fins » possibles.
Cette façon de se représenter le monde repose sur une idée, celle-ci est « morale » et
elle s’accorde avec l’idée du souverain bien et conduit à penser le monde, selon une théologie
transcendantale. Cette théologie fait de l’idéal de la « suprême perfection théologique » : un
principe de l’unité systématique. Ce principe sert à lier toutes les choses, selon des lois
universelles et nécessaires, car toutes ces choses ont leur origine, dans l’absolue nécessité,
d’un « unique être premier ». On sait que l’idée d’un être suprême comme intelligence
reliant les êtres naturels est une supposition et une maxime de la faculté de juger, qui ne
se fonde sur aucun dogmatisme : c’est la faculté de juger qui donne des fils conducteurs
pour sa réflexion, et elle ne prétend nullement affirmer la réalité en soi de ce qu’elle
cherche à comprendre. C’est de la « moralité » que provient l’idée d’une fin suprême de
la création. Celle-ci permet de faire un usage final de la connaissance, qui aboutit à une
« unité » finale. Ainsi, l’intelligence humaine arrive à concevoir le « concept transcendantal
d’une finalité de la nature », selon un principe rationnel.
Pour Kant, chacun a donc sujet d’espérer le « bonheur dans la mesure précise où il
s’en est rendu digne dans sa conduite ». Cela signifie, que le « système de la moralité est
inséparablement lié à celui du bonheur, mais uniquement dans l’idée de la raison pure ». Un
tel système du bonheur « proportionnellement lié avec la moralité » ne peut se penser (comme
nécessaire), que dans un « monde intelligible ». En réalité, il s’agit d’un « monde moral ». Par
conséquent, pour que ce système de la « moralité » existe, il faut que chacun fasse « ce qu’il
doit ». Pour Kant, cette « obligation émane de la loi morale ». Et par suite, la possibilité d’être
heureux résulte de « l’effort incessant pour se rendre digne du bonheur ». (C1, p. 1369).
Il s’agit de privilégier ce qui doit être, c’est-à-dire « la connaissance pratique », par
rapport à ce qui est, c’est-à-dire « la connaissance théorique ». (C1, p. 1240). Pour cela, pour
Kant, il faut se placer du point de vue « pratique », il faut faire la « supposition d’un être
suprême », « souverainement réel », exprimant la « suprême réalité ». Cet être est le
« principe premier de tout ». (C1, p. 1245). Par suite, grâce au point de vue pratique, il est
possible d’orienter notre conduite en direction du bien, et non pas en direction du mal. La
connaissance « pratique » nous permet alors de discerner : le bien, du mal. Elle nous permet
d’agir en fonction de la représentation « idéale », que nous pouvons nous faire de la « vertu ».
Cet idéal (vertueux) se situe tout à fait « en dehors des limites de l’expérience possible ». Il
s’agit de concevoir dans l’esprit, un « système du monde », où le bien général (universel) se
situe, au-dessus du bonheur particulier (individuel).
La volonté « moralement la plus parfaite » se retrouve alors « liée à la suprême
félicité ». Mais cela, uniquement à condition que le bonheur soit « exactement proportionné à
la moralité ». Kant appelle cela « l’idéal du souverain bien originaire », car la raison pure
peut trouver dans cet idéal : le « principe de la liaison pratiquement nécessaire des deux
éléments du souverain bien dérivé ». Il s’agit de la « liaison » entre la moralité et le bonheur.
Cette liaison repose sur la « qualité » de notre « conduite dans le monde sensible »,
c’est-à-dire sur notre capacité à nous rendre digne du bonheur (notre capacité à être moral).
De ce point de vue, on peut en déduire que si la « répartition du bonheur » est
« exactement proportionnée à la moralité », alors le bien et le bonheur semblent pouvoir
s’accorder également. Cependant, Kant précise que cette proportion entre la moralité et le
bonheur n’est possible, que dans le « monde intelligible » (dans le monde moral). De plus, ce
monde est « soumis à la sagesse de l’auteur qui l’a créé et le gouverne ». Par suite, la « raison
se voit donc forcée » d’admettre un « tel être », si elle ne veut pas abandonner l’espérance
d’une « unité » possible entre le bien (la moralité) et le bonheur (la félicité).
Pour Kant, les « lois morales » peuvent se réaliser dans le monde sensible. Elles
peuvent se réaliser grâce à un « être nécessaire », c’est-à-dire grâce au souverain bien
originaire. Cet « être » (Dieu) est le seul, qui rend « possible une telle unité finale ». (C1, p.
1370). Kant propose ici une « idée » qui est « pratiquement nécessaire », c’est-à-dire une idée
qui est nécessaire uniquement du point de vue pratique (moral). Elle n’a pas de portée
théorique, elle ne prétend pas être prouvée du point de vue de la science, mais simplement du
point de vue de l’éthique. Cette idée obéit aux « lois pratiques », car elle part des « raisons
subjectives d’action », c’est-à-dire des « principes subjectifs ». Il s’agit de « l’observance »
des « lois », suivant des « maximes ». Pour qu’une liaison puisse se faire entre le bien et le
bonheur, il est nécessaire que « toute notre manière de vivre soit subordonnée à des maximes
morales ». (C1, p. 1370).
Pour Kant, il faut que la « loi morale » puisse s’unir à une « cause efficiente », celle-ci
détermine « d’après notre conduite par rapport à cette loi, un dénouement correspondant
exactement », à nos « fins les plus hautes ». Pour réaliser tout cela, il faut un « Dieu » et un
« monde qui n’est pas maintenant visible pour nous ». Dans ce monde futur, nous espérons
que les « magnifiques idées de la moralité » puissent être des « objets d’approbation et
d’admiration ». (C1, p. 1371).
Le « bonheur » n’est pas le « bien complet » et le but de la philosophie pratique
consiste à se « rendre digne » d’être heureux. Il s’agit avant tout d’adopter une « bonne
conduite morale ». Donc pour que le « bien soit complet » : il faut que « celui qui ne s’est pas
conduit de manière à se rendre indigne du bonheur puisse espérer y participer ». (C1, p.
1371). De cette façon, on peut espérer « participer » au bonheur, dans un « monde futur ». Par
suite, Kant définit le souverain bien comme le « bonheur, dans son exacte proportion avec la
moralité des êtres raisonnables, par laquelle ils s’en rendent dignes ». Cette possibilité est
fondée sur la « présupposition », qu’il existe un souverain bien « originaire ». C’est-à-dire sur
la présupposition qu’il existe une « raison » subsistant par elle-même, qui « entretient et
accomplit, suivant la plus parfaite finalité, l’ordre des choses ». Cette raison (supérieure)
entretient et accomplit un « ordre universel », qui est « caché » dans le monde « sensible ».
(C1, p. 1372).
Cette « théologie morale » conduit infailliblement au concept d’un « premier être
unique, souverainement parfait et raisonnable ». Cette théologie conduit Kant à concevoir
également une « unité systématique », qu’il appelle « architectonique ». Et cette unité est
définie comme « l’art des systèmes ». Elle procède à partir d’une « fin » de la raison. Par
suite, elle s’établit de façon : systématique et finale. Ceci permet à cette unité d’englober
toutes les sciences (en se positionnant comme le système des systèmes). En procédant comme
cela, cette unité subordonne toutes les fins particulières, aux fins essentielles de la raison. (T.
I, p. 1737).
Tout cela permet d’envisager, la possibilité qu’il existe une seule « parfaite unité
systématique de la raison». Cette unité systématique représente alors le « but final », de toutes
les « fins essentielles ». En réalité, il s’agit de la « destination totale de l’homme ». Et la
philosophie, qui porte sur cette destination est « morale ». C’est par cette philosophie pratique
(morale), qu’une finalité unique peut être trouvée entre : le bien et le bonheur. La recherche
d’une « finalité » est donc bien une solution, au problème de la séparation entre : le bien et le
bonheur.
Dans le document
Bien et bonheur chez Kant
(Page 176-181)