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Ce deuxième mouvement, (auto)réflexif, est un symptôme intéressant à questionner plus avant. Il semble que la recherche intermédiale doive aujourd’hui composer avec deux donnés aux reflets aporétiques découlant du problème (à ne pas prendre au sens péjoratif) que j’ai exposé plus haut, soit la mouvance des définitions due au polymorphisme de la notion. D’un côté, les réponses à la question « qu’est-ce que l’intermédialité » proposées au cours des trente dernières années risquent de faire de l’enjeu définitoire un geste daté – voire suranné comme le suggère Rajewsky –, mais de l’autre, elles demandent encore du chercheur contemporain qu’il précise où il se situe dans ce débat, ajoutant dans le même mouvement une définition additionnelle sous le « parapluie intermédial ». La richesse des propositions et les dialogues entre différents chercheurs ont assuré la vitalité de l’intermédialité, qui continue de prouver sa pertinence devant l’évolution des champs artistique, médiatique et institutionnel. Toutefois, la question qui se pose est celle de savoir si la nouvelle génération8

de chercheurs, dont une partie est encore sur les bancs d’école, ne pourrait pas participer différemment aux développements de la recherche intermédiale. Autrement dit, en nous regardant comme des chercheurs faisant de la recherche intermédiale, pour reprendre l’expression de Müller, pourrions-nous aujourd’hui faire ressortir un nouvel éthos de l’intermédialiste?

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Le terme de « génération » ne fait évidemment pas référence à l’âge des chercheurs, mais plutôt aux différentes périodes dans l’histoire de l’intermédialité contemporaine. Certains précurseurs font tout à fait partie de la « nouvelle génération » à laquelle je fais référence, ayant eux-mêmes participé aux changements institutionnels qui favorisent son émergence.

Cette question découle d’un regard posé sur quelques changements institutionnels qui ont eu un impact sur la recherche intermédiale. À l’Université de Montréal, d’abord, qui fait partie des lieux de naissance et de développement de l’intermédialité contemporaine, la métamorphose d’un centre de recherche est signifiante : ce qui était à l’origine le Centre de recherche sur l’intermédialité (CRI) depuis 1997, centre ayant contribué de façon significative à l’essor et au rayonnement de l’intermédialité par les travaux précurseurs de ses membres fondateurs – issus de différentes institutions et disciplines – s’est vu restructuré pour devenir, en 2011, le CRIalt (Centre de recherches intermédiales sur les arts, les lettres et les techniques). Ainsi passons-nous de la recherche sur l’intermédialité aux recherches

intermédiales (notons l’utilisation du pluriel), transformant ainsi l’objet en épithète d’une large

gamme de recherches. Autrement dit, la nouvelle génération de chercheurs ferait des recherches (d’emblée) intermédiales et non plus de la recherche sur l’intermédialité. À cela il faut ajouter la formation, au sein de la même université et dans un temps assez proche, du programme de doctorat en études intermédiales, sous la tutelle du département de littérature comparée. La littérature comparée étant elle-même déjà encline à s’ouvrir aux différents médias, voilà que la discipline offre maintenant la possibilité aux étudiants d’adopter de prime

abord une perspective intermédiale. Encore à la même époque, soit au tournant des années

2010, une communauté internationale a également vu le jour. Ce qui était connu, depuis 1996, sous les noms Nordic Society for Intermedial Studies et Nordic Society for Interarts Studies, forment maintenant l’International Society for Intermedial Studies. Ainsi les études interartiales sont dissoutes dans les études intermédiales et cet élargissement de l’association au contexte international assure un lieu d’échange pour une très large communauté de chercheurs, dont plusieurs sont effectivement instigateurs ou issus de programmes d’études

qui posent l’intermédialité comme élément premier. Sensible elle aussi aux mouvements qui ont lieu à l’échelle mondiale, Gabriele Rippl ajoute à cette liste le Center for Intermedial

Studies in Graz de l’Austrian University of Graz et le Forum for Intermediality Studies de la

Swedish Linnaeus University (2015, p. 2).

Ces changements institutionnels impliquent un glissement dans la trajectoire de l’intermédialité qui peut s’avérer signifiant par rapport à la position du chercheur. Si « l’axe de pertinence intermédiatique » dont parle Müller demande à être défini pour dialoguer dans un

deuxième temps avec une discipline ou un axe de recherche autrement institué, il faut se

demander si l’axe de pertinence est encore la meilleure figure pour caractériser l’usage qu’en font les « nouveaux » intermédialistes – pour qui la perspective intermédiale précède les disciplines et objets d’étude. À ce sujet, l’hypothèse (auto)réflexive ici posée est que la recherche intermédiale9

– ou une partie de celle-ci – contribue depuis quelque temps à faire transiter l’intermédialité d’un axe de pertinence historique et théorique à une posture épistémologique. C’est du moins ainsi qu’il faut concevoir la démarche qui sous-tend la présente thèse : elle n’origine pas à proprement parler des objets du corpus pris de façon isolée, ni des concepts qui seront mobilisés, ni, même, du motif de la disparition qui s’avèrera central, mais de la posture à partir de laquelle se sont formulées des questions avant que ne se tissent les autres éléments, dans un mouvement perpétuellement relationnel. Plutôt que d’esquisser une définition de l’intermédialité, je propose donc de définir trois prismes d’une

posture intermédiale en tant qu’ils émergent dans un contexte culturel précis.

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