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Iverson & al. (2008) ont reproduit l’expérience de Bates (1979) en suivant longitudinalement de jeunes enfants italiens et américains (2 filles et 1 garçon dans chaque groupe) afin d’observer l’évolution de leurs productions vocales, gestuelles et verbales entre leur première et leur deuxième année de vie (10 à 24 mois). Elle se sont donc focalisées sur une période allant de l’arrivée des énoncés à un mot dans le discours enfantin (vers 10-12 mois) à l'émergence de actes de langages composés de deux mots (vers 17-21 mois). Pour pouvoir analyser l’évolution de leurs productions et observer si les concepts liés aux gestes durant la période préverbale étaient les mêmes que ceux que l’enfant évoque ensuite lorsqu’il devient capable de parler, elles ont filmé chaque sujet tous les mois durant 30 minutes. Ces sessions d’enregistrement se déclinaient en 3 périodes :

- 10 minutes de jeu avec des objets appartenant à l’expérimentateur ;

- 10 minutes d’enregistrement lors d’une séquence de la vie de tous les jours : un repas ou un goûter.

Codage des données :

Les auteures se sont concentrées sur les gestes et la parole (intentionnelle) de l’enfant, c’est-à-dire sur les productions communicationnelles durant lesquelles l’enfant faisait un effort clair pour diriger l'attention de son auditeur (par exemple, par le biais du regard, de vocalisations, de changements posturaux). Les actes communicationnels des sujets se composent donc au final de gestes, de vocalisations, de verbalisations et de combinaisons bimodales.

Codage des gestes :

Deux critères ont été utilisés pour veiller à ce que les gestes sélectionnés soient réellement des signe à visée communicative (voir à ce sujet Butcher, Mylander & Goldin-Meadow, 1991; Goldin-Meadow et Mylander, 1984): (a) Le geste ne pouvait pas être une manipulation directe d'une personne ou un objet (c'est à dire que le sujet devait avoir les mains vides, critère déjà mis en place par Petitto en 1988), ni un ajustement son corps (par exemple, changer de posture, plier les mains). Toutes les actions effectuées sur les objets ont été exclues, à l'exception des cas dans lesquels un enfant utilisait un objet pour attirer l'attention de l’adulte (par exemple brandir l’objet, que les auteures ont considéré comme un acte ayant la même fonction qu’un pointage). (b) Le geste ne devait pas être réalisé dans le cadre d'un acte rituel (par exemple, envoyer un baiser à quelqu'un) ou jeu (par exemple, galette-gâteau).

Les gestes ont été classés dans deux catégories :

- Les gestes déictiques désignent des référents présents dans l'environnement immédiat. Il peut s’agir par exemple d’une extension de l'index ou une extension de la main entière. Les gestes consistant à tapoter un endroit ou un objet ainsi que les extensions des bras vers un objet, généralement accompagnée de l'ouverture et fermeture répétée de la paume ont également été codées comme des pointages.

- Les gestes représentationnels : ces gestes représentent un objet, une personne, un lieu ou un événement à travers le mouvement des mains, le mouvement du corps ou l'expression du visage. Ils diffèrent des gestes déictiques en ce que leurs formes varient en fonction de leurs significations; par conséquent, ils sont moins dépendants du contexte pour l'interprétation. Les enfants ont utilisé deux types de gestes de représentation:

(a) Les gestes « iconiques » dont la forme est liée à la transparence de leurs significations (par exemple, porter la main vide aux lèvres pour montrer que l’on veut manger) ; les gestes pouvant être glosés par un attribut (par exemple, étendre les bras pour GROS; agiter les mains pour CHAUD).

(b) Ont aussi été comptabilisés dans cette catégorie les emblèmes qui sont conventionnellement liés à leurs significations (comme SECOUER LA TETE DE DROITE A GAUCHE (au moins un aller retour) pour signifier son refus).

Codage de la parole :

Les auteures ont codé toutes les productions vocales intentionnelles (ce que nous nommons les actes de langage dans le cadre de cette recherche). Il s'agit de mots de formes « adultes » en anglais ou en italien (par exemple, ‘chien’ / ‘canne’, ‘chaud’ / ‘caldo’», ‘à pied’ / ‘camminare’) ou des formes vocales atypiques utilisées constamment (voir section 1.4.2 p. 50) pour se référer à un objet ou un événement particulier (par exemple, ‘ba’ pour « bouteille », ‘ncuma’ pour « encore »).

Codage de la relation entre le geste et la parole :

Les actes formés d’un geste co-produit avec la parole ont été classés comme des combinaisons geste-mot (« gesture-word combination » dans leur terminologie) et catégorisés sur la base de la relation entre les informations véhiculées dans les deux modalités. Deux catégories ont été définies : Iverson & al., (2008) considèrent que : (a) si dans une combinaison, le geste et le mot désignent le même référent (par exemple, montrer des fleurs tout en disant « fleurs »), la relation qu’entretiennent les deux modalités au sein de cette combinaison est une relation de redondance ; (b) si au sein d’une combinaison geste-mot, le geste déictique et la verbalisation apportent une information différente, geste et parole entretiennent une relation supplémentaire au sein de cette combinaison.

Codage des concepts lié à chaque acte :

Iverson & al., (2008) ont ensuite comptabilisé les occurrences gestuelles, verbales et les combinaisons geste-mot référant à un concept.

Les gestes : Elles ont pu relevé trois types de gestes différents : les gestes déictiques, les représentationnels et les performatifs regroupés selon deux catégories : (1) les déictiques et (2) les représentationnels et les performatifs. Pour les gestes déictiques, le concept comptabilisé était le nom de l’objet ou de la personne pointée. Pour les gestes

représentationnels, le concept comptabilisé était l’action (balayer) ou l’objet (lapin) ou l’attribut (gros) que les auteurs ont glosés en analysant le geste par rapport au contexte. Pour les gestes performatifs, le concept comptabilisé était celui conventionnellement accepté comme [secouer la tête de haut en bas au moins une fois] pour dire « oui », [secouer la tête de droite à gauche au moins une fois] pour dire « non ».

La parole : En ce qui concerne les productions de la modalité vocale, les quasi-mots (« ouature » pour voiture), les onomatopées à valeur verbales (« vroum » pour voiture) et les mots à la prononciation standard (« voiture ») ont été codés.

Les combinaisons geste-mot ont aussi été en premier lieu codées en fonction du concept évoqué puis considérés comme des combinaisons geste-mot et sous catégorisés en fonction de la relation intersémiotique qu’entretiennent geste et mot au sein de ces combinaisons.

Les hypothèses de départ d’ Iverson & al., (2008) :

Le choix de ces deux populations – italienne et américaine – ne paraît pas anodin. En effet, elles se sont appuyées sur un stéréotype social : ‘les italiens adultes produisent plus de gestes communicationnels que les américains’ or, l’enfant développe le langage par l’interaction, cette particularité gestuelle devrait donc apparaître très tôt dans les productions des jeunes italiens. Deux hypothèses sont liées à ce stéréotype. Soit les enfants italiens produiront :

- H1 : plus de gestes qui recouvrent des concepts plus variés que les américains, - H2 : plus de gestes qui recouvrent autant de concepts que les américains. Par conséquent :

- H1 bis : les jeunes italiens emploieront ensuite plus de mots que leurs pairs américains,

Les résultats :

Les résultats de cette étude démontrent qu’en effet, la culture de départ influence les gestes en production. Contrairement aux stéréotypes sociaux, les italiens ne produisent pas plus de concepts liés aux gestes que les américains, par contre ils produisent beaucoup plus de gestes représentationnels et performatifs alors que les américains produisent un plus grand nombre de gestes déictiques.

Par ailleurs, la quantité et la qualité sémantique des gestes produits par ces enfants prédisent la qualité sémantique des mots qu’ils utiliseront plus tard. En effet, comme l’avait déjà montré Bates (1979) avant elles, les concepts associés aux gestes produits par les sujets durant la période préverbale recoupent les concepts verbalisés par leurs sujets lorsqu’ils commencent à parler. La production d’un geste anticipe donc sur la production du mot correspondant !

Toutefois, il est à noter que les jeunes italiens ont un vocabulaire plus limité en nombre que les américains, probablement parce qu’ils utilisent une grande quantité de gestes représentationnels en substitution à la parole lorsqu’un mot leur manque.

Iverson & al., (2008), constatant que le geste anticipait le mot, se sont aussi posé la question de l’anticipation des énoncés à deux mots et regrettent que la comptabilisation des concepts liés aux gestes ne permette pas réellement d’appréhender l’arrivée des énoncés à deux mots. Par contre, elles suggèrent pour cela d’observer les combinaisons bimodales.

2.6.2. Certaines combinaisons geste-mot annoncent l’arrivée des