• Aucun résultat trouvé

Actes bimodaux et relations intersémiotique geste-parole

Conclusion du Chapitre théorique – rappel des objectifs de cette recherche :

1. Actes communicationnels uni- et bi- -modaux de l’intégralité du corpus : analyse transversale

1.4 Les actes bimodaux

1.4.2. Actes bimodaux et relations intersémiotique geste-parole

Iverson & Goldin-Meadow (2005) ont déjà montré que les actes bimodaux « 1MG » au sein desquels la parole et le geste entretiennent une relation intersémiotique non-redondante annoncent l’arrivée des verbalisations « 2M ». Nous supposons que ceci est aussi valable pour les autres actes et que les combinaisons bimodales « 2MG » précèdent en production les verbalisations « 3M » et que les combinaisons « 3MG+ » précèdent les verbalisations « 4M+ » etc. Par conséquent, si cette modélisation s’avère exacte, les relations intersémiotiques qu’entretiennent geste et parole au sein des énoncés bimodaux sur toute la période que nous avons observée devraient être majoritairement supplémentaires. Idem pour les relations intersémiotiques qu’entretiennent les actes bimodaux « 2MG » et « 3MG+ ».

1.4.2.1. Données générales

Nous avons regroupé les relations intersémiotiques « complémentaires » et « supplémentaires » dans une même catégorie nommée « Autre »78 comme l’avaient fait Iverson & Goldin-Meadow (2005). Ainsi, les résultats de nos deux études seront comparables (pour les données brutes, voir Annexe 7 p. 283). Cependant, nous laissons apparaître la répartition des données entre les trois catégories : redondante, complémentaire et supplémentaire sur nos représentations graphiques car nous supposons que dans les combinaisons bimodales (comme ce que nous avons déjà vu pour les actes gestuels) il y aura une diminution de l’emploi des déictiques coïncidant avec l’arrivée des représentationnels, et que cette diminution des déictiques entraînera aussi une diminution des relations de complémentarité dans nos résultats. (Nous verrons tout à l’heure les types de gestes constituant les combinaisons, ce qui nous permettra de mieux voir l’évolution de l’usage de ces combinaisons).

Comme nous le supposions, les relations intersémiotiques qu’entretiennent geste et paroles au sein de tous les énoncés bimodaux (voir Graphique 60), sur la période que nous avons observée, sont majoritairement non-redondantes. Donc, à première vue, notre hypothèse semble être justifiée.

78 Une première version de ces résultats ont déjà été présentés lors d’un colloque à Lund (du 24 au 27 juillet 2012). Titre de la communication : Colletta et Batista (2012) Tracking the emergence of narratives in bimodal utterances. ISGS 5 Conference, Lund, Sweden, July, 24-27, 2012

Graphique 60 : relations intersémiotiques de tous les actes bimodaux (catégories de Iverson et al. à gauche, nos catégories à droite)

En moyenne, les actes bimodaux au sein desquels geste et paroles entretiennent une relation de redondance restent stables dans leur emploi tout au long de la période étudiée (2,47 chez les sujets les plus jeunes, 2,65 pour ceux issus de la seconde classe d’âges, 3,22 pour ceux issus de la troisième et enfin 2,35 pour ceux issus de la dernière). Les actes bimodaux au sein desquels geste et paroles entretiennent une relation dite « autre » que redondante augmentent régulièrement entre la première et la dernière classe d’âges : de 3,63 à 10,29.

Mais à la différence d’Iverson et al., regardons ce qui se passe au sein de la catégorie

« Autre ». Nous notons une augmentation régulière des moyennes des relations

intersémiotiques de complémentarité et de supplémentarité tout au long de la période étudiée. Notons aussi que dans la catégorie relation intersémiotique « Autre », la relation

supplémentaire est en moyenne la plus importante chez les sujets issus des secondes, troisièmes et dernières classes d’âges. Chez les sujets les plus jeunes, la relation de redondance est la plus importante en moyenne.

En pourcentages, nous pouvons constater que nos sujets font de moins en moins usage d’actes bimodaux au sein desquels geste et paroles entretiennent une relation de redondance (de 40,51% chez les plus jeunes à 18,6% chez les plus âgés).

Les actes bimodaux au sein desquels geste et paroles entretiennent une relation « Autre » que redondante, quand à eux, ne cessent d’augmenter (de 59,49% à 81,40%) tout au long de la période étudiée. Remarquons, au sein de cette catégorie « Autre », une stagnation des combinaisons bimodales au sein desquelles geste et parole entretiennent une relation de complémentarité (aux alentours de 30%) alors que les combinaisons supplémentaires augmentent régulièrement tout au long de la période observée (de 34 à 49% environ)

Nous nous attendions à cette chute des combinaisons redondantes et à cette augmentation des combinaisons supplémentaires puisqu’il en était de même dans l’étude de Iverson et al. Ceci est tout à fait normal et s’explique par le fait que l’enfant grandissant et entrant dans la langue a de plus en plus tendance à dire « quelque chose au sujet de quelque chose » (Volterra, 2004), ce qui explique la chute de l’utilisation des combinaisons à valeur intersémiotique de redondance. Par contre, nous sommes assez surpris de la stabilité de l’emploi des combinaisons complémentaires ; cependant Iverson et al. avaient déjà abordé le fait que la deixis gestuelle laissait peu à peu place à la deixis verbale (voir à partir de la page 90), nous pouvons dons supposer que la relation de complémentarité reste régulière au sein de nos données car l’enfant aurait tendance à continuer à produire des déictiques verbaux en grandissant plutôt que des déictiques gestuels. Nous en reparlerons tout à l’heure en regardant les types de gestes constituant les combinaisons.

Si l’on observe le détail des données en séparant les actes bimodaux en fonction du nombre de mots constituant la partie verbale de l’acte, nous constatons à peu près la même chose.

1.4.2.2. Les relations intersémiotiques au sein des « 1MG »

En moyenne (pour les données brutes, voir Annexe 8 p. 284), la majorité des « 1MG » produits sont catégorisés comme « Autre » (voir Graphiques et tables de données 61). Nous constatons aussi, grâce au pourcentages, que plus les sujets sont âgés, plus la relation intersémiotique entre geste et paroles au sein des combinaisons « 1MG » est « Autre » que redondante (55,63% à 82,46%).

Dans cette catégorie « Autre », nous ne remarquons pas d’évolution notable car la proportion des combinaisons complémentaires, supplémentaires et redondantes semblent peu évoluer.

Bien entendu, il nous parait logique, ici, de ne pas voir d’évolution au sein des relations intersémiotiques. N’oublions pas qu’Iverson & Goldin-Meadow (2005) ont réalisé leurs observations des combinaisons « 1MG » et des verbalisations « 2M » sur un public de jeunes italiens et américains bien plus jeunes que nos sujets. Elles ont donc observé des évolutions qui ne sont plus observables chez nos sujets car ils sont trop grands.

Graphiques et tables de données 61 : relations intersémiotiques des 1MG

Notons, toutefois que l’absence d’évolution des combinaisons « 1MG » entre le premier et second groupe d’âges alors que durant cette même période l’évolution des verbalisations « 2M » est statistiquement significative confirme le fait que les combinaisons « 1MG » anticipent l’arrivée des verbalisations « 2M » dans les productions de l’enfant.

1.4.2.3. Les relations intersémiotiques au sein des « 2MG »

En moyenne comme en pourcentages (pour les données brutes, voir Annexe 9 p. 285), la majorité des combinaisons « 2MG » produites sont catégorisées comme mettant en œuvre une relation « Autre » que redondante à la parole, c’est-à-dire une relation de complémentarité ou de supplémentarité (voir Graphiques et tables de données 62). Nous constatons aussi, grâce au pourcentages, que tout au long de la période étudiée, les relations intersémiotiques entretenue par geste et paroles au sein des « 2MG » restent stable (un peu moins de 40% pour la relation intersémiotique de redondance et un peu plus de 60% pour les relations complémentaires et supplémentaires regroupées sous la catégorie « Autre »). Si nous observons ce qui se passe au sein de la catégorie « Autre », nous pouvons voir que la

répartition des relations complémentaires et supplémentaires en moyenne et pourcentage reste à peu près stable durant toute la période observée.

Aussi, nous savons que les verbalisations du type « 3M » (cf. p. 162) augmentent de manière significative entre la première et la seconde classe d’âge, ce qui coïncide avec

l’augmentation en quantité moyenne des actes bimodaux « 2MG » produits (de 0,47 à 1,54).

Dans ces deux classes d’âges, la majorité des « 2MG » produits sont catégorisés comme « Autre » (autour de 62,5%). Nous pouvons donc supposer que l’augmentation de l’emploi des combinaisons « 2MG » catégorisées comme ayant une relation intersémiotique « Autre » dans la première classe d’âges et leur augmentation dans la seconde classe d’âge coïncide avec l’augmentation significative des « 3M » durant cette même période.

Graphiques et tables de données 62 : relations intersémiotiques des 2MG

Même si nos observations se basent sur de faibles quantités, nous pouvons quand même noter une augmentation des combinaisons « 2MG » entre la première et la seconde classe d’âge et que cette augmentation coïncide avec l’arrivée des verbalisations « 3M+ » dans les productions de l’enfant.

Comme l’ont montré Iverson et al. (2005) pour les combinaisons « 1MG » et les verbalisations « 2M », il semblerait aussi que les combinaisons « 2MG » précèdent les verbalisations « 3M » mais cette théorie ne serait se confirmer que grâce à une étude longitudinale qualitative.

1.4.2.2. Les relations intersémiotiques au sein des « 3MG+ » ?

En moyenne, comme en pourcentages (pour les données brutes, voir Annexe 10 p. 286), la grande majorité des « 3MG+ » produits sont catégorisés comme « Autre » (cf. Graphiques et tables de données 63). En effet, les actes bimodaux au sein desquels geste et paroles entretiennent une relation de redondance sont très rares en moyenne (0,71 par enfant au maximum).

En moyenne, les sujets :

- les plus jeunes utilisent rarement des actes bimodaux « 3MG+ », (ce qui paraît logique puisqu’ils commencent tout juste à produire des verbalisations « 3M+ »), moins d’une par enfant. Lorsqu’ils en produisent la relation intersémiotique qu’entretiennent geste et parole au sein de ces combinaisons est pratiquement toujours complémentaire ou supplémentaire.

- les sujets issus de la seconde, troisième et de la dernière classe d’âges produisent beaucoup plus d’actes bimodaux « 3MG+ » que les sujets les plus jeunes. Aussi, lorsqu’ils en produisent, geste et parole entretiennent une relation intersémiotique supplémentaire. Toutefois remarquons une légère augmentation des actes bimodaux « 3MG+ » catégorisés comme « Redondant » (de 0,12 pour les sujets affectés à la troisième classe d’âges à 0,71 pour les sujets les plus âgés) même si leur usage reste toujours rare. Cette augmentation doit être probablement due à l’arrivée de la verbalisation « je sais pas » accompagnée d’un geste performatif dans les productions de l’enfant (par exemple : écarter les mains, paumes vers le haut en faisant une moue dubitative).

Nous savons que les verbalisations « 4M+ » (voir p. 162) augmentent de manière significative entre :

o la première et la seconde classe d’âge : cette augmentation coïncide avec l’accroissement des combinaisons « 3MG+ »

o ainsi qu’entre la deuxième et la troisième classe d’âges : ceci coïncide avec l’augmentation régulière des « 3MG+ » et la chute (en pourcentages) de la relation intersémiotique de redondance et de complémentarité (et donc l’augmentation des combinaisons supplémentaire) durant cette même période.

Graphiques et tables de données 63: relations intersémiotiques (moyennes et pourcentages) des 3MG+ en fonction des classes d’âges

Pour conclure sur cette longue section, nous ne pouvons pas vérifier dans nos données que la production des combinaisons « 1MG » prédit la production des verbalisations « 2M » (Iverson et al., 2005). Cependant, nous pouvons voir que :

- l’augmentation des combinaisons « 2MG » coïncide avec l’augmentation significative des verbalisations « 3M+ »

- l’augmentation des combinaisons « 3MG+ » coïncide avec l’augmentation significative des verbalisations « 4M+ ».

Par conséquent, les résultats obtenus par Iverson et al. (2005) pourrait bien être étendus à un principe général : les « XMG » anticiperaient les « X+1M ». Cependant, même si nous montrons que les augmentations des types de production coïncident, ceci ne suffit pas à valider cette théorie. Pour ce faire, il faudrait conduire une étude longitudinale sur un groupe de sujets. Nous avons déjà mené ce genre d’étude en utilisant les données longitudinales disponibles – voir Batista, A., & Colletta, J.-M., (2010b) ; cependant, l’écart de 6 mois79 est trop long et ne nous permet donc pas d’observer précisément les évolutions des productions communicationnelles enfantines. Pour fournir plus de détails à ce sujet, il faudrait pouvoir

79

filmer des sujets de manière mensuelle voire hebdomadaire durant une période de six mois ou un an environ.

Nous avions précédemment émis l’hypothèse, que peut-être, un lien existerait entre le type de geste produit et la longueur des verbalisations constituant les actes bimodaux.

Par conséquent, allons nous aussi retrouver cette influence et ce lien plausible au sein des combinaisons bimodales ? Y a-t-il une évolution des types de gestes contenus dans les actes bimodaux ?