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Conclusion du Chapitre théorique – rappel des objectifs de cette recherche :

1. Actes communicationnels uni- et bi- -modaux de l’intégralité du corpus : analyse transversale

1.4 Les actes bimodaux

1.4.1. Quels gestes pour quels actes bimodaux

A présent, observons les gestes contenus dans les actes bimodaux. En premier lieu, nous présenterons nos résultats de manière générale, grâce à un tableau résumant les types de gestes employés au sein de tous les actes bimodaux. Ensuite, nous répartirons ceux-ci en fonction de la quantité de mots contenus dans la composante linguistique de l’acte bimodal.

Nous ne traiterons pas de la production des combinaisons à partir de l’âge linguistique des sujets dans cette section, car l’analyse serait en partie circulaire s’il s’agissait de mettre en relation la longueur des verbalisations avec la LME des sujets.

1.4.1.1. Données générales

Comme nous l’avons déjà observé page 177, les moyennes des actes bimodaux produits par enfants doublent tout au long de la période étudiée (de 6,09 par enfant chez les sujets les plus jeunes à 12,65 chez les enfants les plus âgés – voir Graphiques et tables de données 64).

Graphiques et tables de données 64 : Les différents types de gestes (moyennes et pourcentages) au sein des actes bimodaux

Grâce aux données moyennes (pour les données brutes, voir Annexe 11 p. 287), nous pouvons voir que :

- les sujets les plus jeunes préfèrent les actes bimodaux contenant des gestes déictiques. Nous supposons que ceci permet aux sujets faire de la dénomination. Lorsque ces sujets produisent un acte bimodal, 4 fois sur 6 cet acte est composé d’un geste déictique, 1 fois sur 6 d’un geste performatif et 1 fois sur 6 soit d’un geste performatif soit d’un geste représentationnel.

- les sujets issus de la seconde classe d’âges préfèrent eux aussi les actes bimodaux contenant des gestes déictiques ; cependant, notons une forte augmentation des actes bimodaux contenant un geste performatif et une légère augmentation de ceux contenant un geste représentationnel. Lorsque ces sujets produisent un acte bimodal, 5 fois sur 9 cet acte est composé d’un geste déictique, 3 fois sur 9 d’un geste performatif et 1 fois sur 9 d’un geste représentationnel.

- les sujets issus de la troisième classe d’âges préfèrent presque autant les actes bimodaux contenant des gestes déictiques que ceux contenant des gestes performatifs (respectivement 4,84 et 4,04). Remarquons l’augmentation des actes bimodaux contenant un geste représentationnel (de 0,98 à 2,24). Lorsque ces sujets produisent un acte bimodal, 5 fois sur 11 cet acte sera composé d’un geste déictique, 4 fois sur 11 d’un geste performatif et 2 fois sur 11 d’un geste représentationnel. L’augmentation des combinaisons bimodales contenant un geste performatif montre que nos sujets utilisent le geste performatif pour renforcer leur acte illocutoire par exemple :

L’adulte demande : « tu mets la voiture dans le garage ? »

Le sujet 105 âgé de 27 mois répond : [secoue la tête de bas en haut] en disant « oui » puis met la voiture dans le garage.

- pour finir, les sujets les plus âgés préfèrent les actes bimodaux contenant des gestes performatifs (5,18 contre 4,53 actes bimodaux contenant un geste déictique). Notons donc que si les actes bimodaux contenant un geste déictique augmentent entre la première et la seconde classe d’âge (respectivement 4,78 et 5,28), ils diminuent légèrement en nombre entre la seconde et la dernière classe d’âge (5,28 puis 4,84 puis 4,53). Lorsque ces sujets produisent un acte bimodal, 5 fois sur 12 cet acte sera composé d’un geste performatif, 4 fois sur 12 d’un geste déictique et 3 fois sur 12 d’un geste représentationnel80.

80

Pourquoi une augmentation des combinaisons bimodales contenant un geste performatif ? Remémorons nous que nos sujets ont été filmés lors d’une situation de jeu triadique avec un adulte. L’augmentation de ces combinaisons bimodales montre que plus l’enfant grandit, plus l’enfant et l’adulte arrivent à mettre en place une discussion sous forme question/réponse et plus l’enfant parvient à répondre aux questions et aux attentes de l’adulte, y compris par des moyens bimodaux. Ceci montre donc que l’enfant a développé des compétences pragmatiques.

Ces observations sont en accord avec les observations de Vallotton (2010) ; en effet, nous constatons que l’arrivée des gestes représentationnels (en pourcentage) coïncident avec la baisse des gestes de pointage (comme nous l’avions déjà vu pour les actes gestuels). Toutefois, notons qu’en moyenne, l’enfant produit toujours autant de combinaisons contenant un geste déictique tout au long de la période étudiée (environ 5 en moyenne), cependant plus l’enfant grandit, plus il se met à employer d’autre types de gestes dans les combinaisons.

Aussi, l’augmentation la plus flagrante, en pourcentages comme en nombres, est celle des performatifs, qui montrent l’entrée de l’enfant dans l’interaction sociale et sa capacité à répondre aux attentes de l’adulte. Aussi, remarquons l’augmentation des gestes représentationnels en association avec la parole. Nous assistons, ici, aux tous premiers usages du geste co-verbal, comme Colletta (2004) le décrit chez les enfants plus âgés. Comment nos sujets emploient-il un geste co-verbal dans une combinaison contenant un mot ou deux mots ou trois mots ? Quelle est l’utilité du geste dans ces combinaisons ?

Notre postulat est que nous devrions voir une différentiation des usages du gestes au sein des combinaisons au fur et à mesure que l’enfant grandit et produits des énoncés plus longs.

Précédemment, nous avons émis l’hypothèse que plus les verbalisations de l’enfant contenaient de mots et plus l’enfant produisait d’acte gestuel représentationnels et performatifs au détriment des déictiques. Nous supposons que l’évolution du geste au sein de l’acte bimodal subit la même évolution que les actes gestuels et que plus la partie linguistique composant l’acte bimodal sera longue, plus l’enfant aura tendance à préférer l’accompagner d’un geste représentationnel. En effet, selon nous, le geste déictique permet la dénomination alors que le geste représentationnel supporte la fonction prédicative (et quand un enfant produit un énoncé long, il produit logiquement une prédication ce qui n’est pas toujours le cas des verbalisations composées d’un seul mot).

Nous nous posons aussi la question de l’usage du geste performatif dans les combinaisons bimodales. Chez l’adulte, ce type de geste produit en combinaisons avec une verbalisation modifie la valeur illocutoire de cette dernière. Nous supposons que, quand l’enfant produit un énoncé long, il est aussi capable de modifier la valeur illocutoire de son énoncé grâce à un geste performatif, comme le font les adultes.

1.4.1.2. Les gestes dans les combinaisons « 1MG »

Les Graphiques et tables de données 65 nous permettent de voir que nos sujets, quel que soit

leur âge, préfèrent employer un geste déictique au sein d’un acte bimodal composé d’un geste et d’un mot (« 1MG ») – (pour les données brutes, voir Annexe 12 p. 288). En

moyenne, sur 12 actes bimodaux :

- les sujets les plus jeunes préfèrent employer 11 actes bimodaux composé d’un geste déictique et 1 acte bimodal composé d’un geste performatif ;

- idem pour ceux issus de la seconde classe d’âges ;

- les sujets les plus jeunes préfèrent employer 10 actes bimodaux composé d’un geste déictique et 1 acte bimodal composé d’un geste performatif et 1 acte bimodal composé d’un geste performatif ou d’un geste représentationnel.

- idem pour les sujets les plus âgés

Nous ne commenterons pas les pourcentages au regard de la faible quantité de données accessibles dans cette analyse.

Graphiques et tables de données 65 : différents types de gestes au sein des actes bimodaux « 1MG » (en moyenne et en pourcentages)

Comment nos sujets emploient-ils ces combinaisons geste-mot ? (1) Les gestes déictiques dans les 1MG :

« voituè »

Le sujet n°107 âgé de 22 mois emploie des combinaisons bimodales contenant un geste déictique afin de dénommer la voiture qui se trouve dans le garage.

« lésa ? » (gloser : c’est quoi çà ?)

Le sujet n°410 âgé de 19 mois emploie des combinaisons bimodales contenant un geste déictique afin de demander à l’adulte le nom d’un objet.

« dodo »

Le sujet n°503 âgé de 22 mois brandit un personnage contre le visage de l’adulte en disant « dodo » (cette combinaison est considérée comme un pointage + prédication, voir

méthodologie p. 113)

Grâce aux combinaisons bimodales associant un geste déictique à un mot, nos sujets peuvent dénommer un objet et ce servir de cet acte pour attirer l’attention de l’adulte sur un objet ou encore demander une confirmation du nom de l’objet ou bien dénommer l’action qu’a subi un objet (tombé) – dans ces exemples les combinaisons sont redondantes - ou dire que va faire un personnage (dodo) – dans ce dernier exemple la combinaison est supplémentaire.

L’observation en qualité des combinaisons supplémentaires contenant un geste déictique nous pousse à réfléchir à l’usage réel de ces combinaisons. Jusqu’à présent, dans la littérature du genre, elles étaient glosées comme apportant deux informations différentes :

- une information apportée par le pointage : quand l’enfant pointe du doigt un chien en train de tomber, l’information apportée par le pointage est le concept « chien ».

- une information apportée par la verbalisation : quand l’enfant pointe du doigt un chien en train de tomber et dit « tombé » l’information verbale apportée est le mot « tombé ». L’association de ces deux informations est glosée comme un énoncé complexe : « le chien est tombé ».

Cependant, cette analyse pose problème. Le pointage semble être l’apanage de la désignation : l’enfant pointe un objet du doigt et prononce son nom. Or, ne pourrait-on pas considérer que, dans certains cas, un pointage associé à la verbalisation d’un verbe peut aussi être, plus simplement, le témoignage que l’enfant dénomme l’action comme il dénomme un objet ? Autrement dit que dans ce cas, l’enfant ne semble pas réellement produire de prédication, mais pose plutôt un nom/un mot sur l’action effectuée. Dans ce cas, il faudrait changer la méthodologie de nos analyses futures puisque les deux éléments constituant une combinaison bimodale pointage + prédication verbale (« tombé » par exemple) entretiendraient au final une relation redondante et pas supplémentaire ! Dans la littérature sur la communication enfantine, les combinaisons bimodales pointage + prédication verbale

(pointage + « tombé » par exemple) sont considérées comme les premières formes prédicatives employées par l’enfant. Or si nous considérons que ces structures (ou au moins certaines d’entre elles) sont des structures de dénomination de l’action, elles ne peuvent plus être vues comme des structures prédicatives ! Il ne faut donc pas se contenter de regarder ce qui compose la combinaison (pointage + prédicat) mais replacer cette combinaison en contexte pour définir si elle est redondante (dénomination de l’action) ou supplémentaire (les deux modalités apportent réellement deux informations différentes). Conséquemment, quelles structures peut-on considérer comme les premières formes prédicatives produites par l’enfant ?

(2) Les gestes performatifs dans les 1MG :

Dans un premier temps, l’utilité du geste performatif au sein des combinaisons « 1MG » redondantes est de renforcer l’acte illocutoire. Par exemple, quand l’enfant dit « oui » tout en secouant la tête de haut en bas. Cependant, il existe des combinaisons supplémentaires constituées d’un geste performatif que l’enfant commence à produire dès qu’il atteint la seconde ou la troisième classe d’âges.

Par exemple, l’enfant 109 âgé de 33 mois dit « méchant » tout en secouant la tête de droite à gauche plusieurs fois (un geste de négation - Gloser : c’est pas bien !). Dans cet exemple, le mouvement de tête donne la valeur pragmatique de l’énoncé. Colletta (2004) avait déjà noté cet usage dans les productions des enfants âgés de 6 ans.

(3) Les gestes représentationnels dans les 1MG :

Dans cette première capture d’écran, la combinaison geste-mot peut être glosée par le verbe : « tombé »

« tombé »

Sur cette capture d’écran, l’enfant n°119 âgé de 30 mois dit le mot « tombé » en faisant un aller retour vertical du plat de la main pour illustrer le déplacement du personnage qui est tombé.

Le geste et la parole contiennent la même information. Conséquemment, le geste ici produit réitère le contenu sémantique de l’acte illocutoire.

Or, notons qu’un enfant un peu plus âgé utilise les combinaisons de manière différente : dans le second exemple ci-dessous, nous pouvons constater que le geste représentationnel et la verbalisation ne contiennent pas le même message.

Le sujet 121 âgé de 33 mois, nourrit les personnage à la main en disant « tato » (gloser : gâteau).

« tato » (gloser : gâteau)

Dans ce cas, le sens transmit de manière bimodale contient deux informations : le geste que nous pouvons gloser « manger » et l’aliment que l’enfant donne à marger au personnage : « gâteau ». La production bimodale dans son ensemble pourrait être glosée : « il mange du gâteau » c'est-à-dire par un énoncé contenant un sujet, un verbe et un complément.

L’analyse de l’usage des gestes représentationnels pourrait nous permettre de répondre à la question que nous nous posions tout à l’heure sur les premières formes prédicatives employées par l’enfant. Comparons ce que l’enfant apporte en terme d’informations lorsqu’il produit un geste représentationnel accompagné par la verbalisation « tombé » ou lorsqu’il produit un geste déictique accompagné par la verbalisation « tombé ».

Si nous suivons notre raisonnement, la combinaison bimodale : deixis gestuelle + prédication verbale aurait pour but, dans certains cas, de dénommer une action. Dans l’exemple (1) ci-dessus, un personnage tombe du lit et roule sur la table, l’enfant 101 âgé de 23 mois assiste à cette action et pendant qu’elle a lieu produit un geste déictique et dit