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Quels gestes chez les adultes et les jeunes français d’âges scolaires ?

comprendre 3 à 5 mots nouveaux par semaines, durant cette phase d’explosion du lexique, il devient capable d’apprendre 8 à 10 mots nouveaux par jour

2. Sémiotique de la communication

2.3. Quels gestes chez les adultes et les jeunes français d’âges scolaires ?

Par exemple, en France, [secouer la tête de droite à gauche (au moins un aller-retour)] est un geste culturel autosuffisant par lequel un locuteur signale son refus. Ce même locuteur peut aussi signifier son refus verbalement en produisant l’énoncé « non » ou de manière bimodale en associant cette même vocalisation au geste sus décrit.

Pour finir, Kendon définit deux autres types de gestes qui ne sont en aucun cas associés à la parole : les mimes ou pantomimes, ou encore les gestes issus des langues signées.

(3) Les mimes sont des séquences de gestes exécutés dans le but de transmettre une narration ou une séquence d’une narration sans utiliser la parole.

(4) Les langue signées (ou LS), quand à elles, sont des systèmes linguistiques culturels et codifiés (des « langues » au sens de Saussure). Dans ce cadre, on ne parlera pas de gestes mais de signes ; en effet, comme le lexique du français est composé de mots, celui des LS est composé de signes au sens saussurien du terme : du point de vue des langues vocales, un signe est considéré comme une unité de sens associant l’image mentale d’un objet ou l’idée attachée à un concept A une forme sonore conventionnelle et arbitraire (dans ce cas un mot). Idem pour les LS, le signe correspondra à l’association de l’image mentale liée à un objet ou de l’idée attachée à un concept A une forme gestuelle conventionnelle et possiblement arbitraire (un signe). ‘Possiblement’ car les signes issus des LS peuvent être dotés de particularités iconiques que les mots n’ont pas. Pour reprendre les termes de Saussure, le signifié correspond donc à l’image ou l’idée de l’objet ou du concept et le signifiant à un geste articulatoire pour les langues vocales ou un geste manuel pour les langues signées.

Nous ne nous attarderons pas sur l’étude de ces deux derniers types de productions gestuelles car notre étude porte sur l’utilisation des gestes co-verbaux. De quels gestes s’agit-il exactement ?

2.3. Quels gestes chez les adultes et les jeunes français d’âges

scolaires ?

Colletta (2004) nous propose une grille de lecture complète des gestes produits par l’enfant français âgé de 6 et 11 ans. A travers sa typologie, qui recoupe celle de Kendon (2004), il classe les gestes d’après leur fonction (Colletta, 2004 ; Colletta & al. 201138). (Il faut noter que cette classification à ensuite été utilisée dans le cadre d’un projet de recherche

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sur la multimodalité39 afin d’étudier les gestes produits par des adultes et enfants français, américains, italiens et isi-zulus.) Nous tâcherons d’expliciter ces valeurs en utilisant soit des exemples tirés du corpus dont nous reparlerons dans les pages suivantes, soit des exemples tirés du corpus de l’ANR multimodalité40 :

- Le geste à fonction déictique : « C’est un geste manuel ou céphalique de pointage dirigé vers un objet présent dans la situation, vers l’interlocuteur, vers soi-même ou une partie de son corps, ou indiquant la direction dans laquelle se trouve le référent à partir des coordonnées absolues de la situation ». (Colletta & al., 2011).

Par exemple, dans une séquence du corpus que nous avons analysée et dont il sera question à partir de la section « Méthodologie », Y. 35 mois, pointe du doigt la poussette pendant qu’elle en parle.

Y. 35m : « c’est pas la maman qui va dans la poussette » Geste : pointe la poussette de l’index droit

- Le geste à fonction représentationnelle : « C’est un geste de la main ou mimique faciale,associant ou non d’autres parties du corps, qui représente un objet ou une propriété de cet objet, un lieu, un déplacement, une action, un personnage ou un attitude, ou qui symbolise,par métaphore ou par métonymie, une idée abstraite » (Colletta & al., 2011). Par exemple, dans le corpus que nous avons analysé, un enfant de 28 mois produit un acte communicationnel multimodal associant un énoncé voco-verbal « garage vroum » à geste représentant le mouvement de la voiture entrant dans le garage :

I. 28m : « garage voum »

Geste : (main gauche – main plate – mouvement de gauche à droite) imite le mouvement de la voiture entrant rapidement dans le garage

39 ANR-05-BLANC-0178-01 et -02 40 ANR-05-BLANC-0178-01 et -02.

- Le geste à valeur performative : « C’est un geste qui permet la réalisation non verbale d’un acte de langage (réponse, question, demande de confirmation, etc.), ou qui renforce ou modifie sa valeur illocutoire lorsqu’il est verbalisé » (Colletta & al., 2011). Cette catégorie regroupe des gestes à valeur d’emblème (Ekman & Friesen, 1969, Kendon, 1988): en effet, les gestes permettant de réaliser un acte de langage non verbal sont, à priori, tous des emblèmes (puisque qu’ils peuvent être compris sans l’appui de la parole). Par conséquent cette catégorie regroupera des actes communicationnels réalisés de manière unimodale comme les actes communicationnels gestuels (autrement dit actes non-verbaux) ET des actes communicationnels réalisés de manière bimodale (actes communicationnels associant une vocalisation et/ou une verbalisation et un acte gestuel).

Exemples (1) d’actes gestuels et (2) d’actes bimodaux : (1) lorsque un locuteur [Secoue la tête de droite à gauche (au moins un aller-retour)] pour signifier son refus ou lorsqu’un locuteur [Place son index face extérieure sur la bouche] pour montrer qu’il veut obtenir le silence (2) ou encore lorsque un enfant dit « apu » tout en [Secouant la tête de droite à gauche (au moins un aller-retour)] ou lorsqu’un adulte [Place son index face extérieure sur la bouche] pour montrer que l’on veut obtenir le silence en verbalisant le mot « silence ».

- Le geste à fonction interactive : « C’est un geste et/ou regard par lequel le locuteur requiert ou vérifie l’attention de son interlocuteur, manifeste son attention, ou manifeste qu’il a atteint la fin de son tour de parole ou de son récit » (Colletta & al., 2011).

Par exemple, [Donner un coup de coude à son interlocuteur] afin de regagner son attention.

- Le geste à fonction énonciative : « C’est un geste manuel ou une expression faciale qui manifeste que le locuteur cherche un mot ou une expression » (Colletta & al., 2011).

Par exemple, dans le corpus de l’ANR multimodalité :

V. 6 ans : « heu le le le petit heu »

Geste : (index droit) index pointe intérieure posée sur les lèvres.

Lorsqu’un locuteur du français cherche un mot, il arrive très souvent qu’il produise la vocalisation « heu », yeux levés vers le ciel, tout en touchant ses lèvres de l’index dans une attitude de recherche. Les enfants de 6 ans connaissent et utilisent ce mouvement exprimant la réflexion.

-Le geste à fonction de cadrage : « C’est un geste réalisé à l’occasion d’une narration (pendant le récit d’un événement, en commentant un aspect de l’histoire, ou en commentant la narration elle-même) et qui exprime un état émotionnel ou un état mental du locuteur » (Colletta & al., 2011).

Par exemple, l’enfant secoue sa main de bas en haut en disant « C’était trop marrant ».

-Le geste à fonction discursive : « C’est un geste généralement bref qui participe à la structuration de la parole et du discours par l’accentuation ou la mise en relief de certaines unités linguistiques, ou par la segmentation ou le bornage des propositions ou de constituants discursifs plus larges, ou qui participe à la cohésion discursive par la mise en relation de ces propositions ou constituants discursifs à l’aide de gestes anaphoriques ou de gestes accompagnant des connecteurs » (Colletta & al., 2011).

Par exemple, dans le corpus de l’ANR multimodalité : J. produit un geste accompagnant les connecteurs « et et puis ».

Nos hypothèses, quand à cette grille d’analyse, sont que nous ne trouverons probablement pas tous ces types de gestes dans les productions des enfants de 18 mois à 3 ans et demi puisque leurs compétences verbales sont en cours de développement. Ainsi, il est probable que nos sujets ne produiront ni :

- geste de cadrage : il paraît très complexe pour un jeune enfant de produire un énoncé verbal et, en plus de cet énoncé, un geste traduisant son propre état mental.

- geste discursif : nos jeunes sujets forment en majorité des énoncés courts (un ou deux mots), nous supposons qu’ils ne disposent pas encore d’habiletés textuelles et ne pourront donc pas borner leurs énoncés par des gestes discursifs.

- geste énonciatif : les sujets que nous voulons étudiés sont âgés de 18 mois à 3 ans et demi or ce geste arrive plus tard dans la production de l’enfant.

Maintenant que nous avons cerné les différents types de gestes qui peuvent être produits, nous devons essayer de comprendre comment ils fonctionnent en association avec la parole. Existe-t-il des règles de synchronie ou d’autres règles qui déclencheraient la production du geste ?

2.4. Le fonctionnement de l’association geste-parole

Pour saisir le fonctionnement de l’association geste-parole, il nous faut observer la coopération des deux modalités d’émission du message et entrevoir les critères qui entraînent la production du geste. Nous observerons, dans un premier temps, le fonctionnement de la synchronisation geste parole et la durée des gestes afin de voir si leur synchronisation ne dépend pas de critères temporels.

2.4.1. Synchronisation geste / parole et durée du geste

D’un point de vue temporel, il n’y a pas vraiment de règle de synchronisation entre geste et parole. Le geste peut démarrer bien avant, être produit un peu avant, en même temps ou un peu après le segment de parole auquel il est associé. Il peut aussi s’arrêter avant, en même temps ou un peu après la production du segment correspondant.

Au niveau de la durée du geste (uniquement le geste de pointage dans ce cas), Ducey-Kaufmann (2007) nous donne quelques informations. Elle a étudié le timing entre geste de pointage et mot chez le jeune enfant lors de la production du babillage et lors de la production d’énoncés composées d’un seul mot. Elle s’est rendue compte qu’il existe un lien rythmique entre verbalisations et geste de pointage, c'est-à-dire que le temps dont les enfants ont besoin pour produire un geste de pointage est équivalent en moyenne au temps que les enfants emploient pour produire un mot de deux syllabes. La relation entre la durée du geste de pointage et la durée de la syllabation fonctionne donc selon un ratio de 1 pour 2.

Il existe donc bien un lien de durée entre geste et parole. Toutefois, ceci ne suffit pas à expliquer ce qui déclenche la production du geste. Lorsqu’un locuteur entendant parle, il n’utilise pas toujours la bimodalité pour exprimer ses idées. Qu’est ce qui déclenche l’exécution des gestes lors de certains énoncés ?

2.4.2. Genèse du lexique et du geste, un même processus

Krauss et al. (2000) montrent que les gestes produits lorsqu’on recherche un mot ou lorsque la communication est déficiente ne sont pas improvisés. Selon eux, les mots nouvellement appris seraient encodés à la fois de manière gestuelle et de manière verbale dans le répertoire mental de chaque individu. Pour cette raison, la production du geste aiderait à récupérer un mot, et en sens inverse, la prononciation du mot entraînerait la production du geste lorsque celui-ci a été assimilé dans le répertoire mental lors de l’apprentissage du nouveau lexème (Ducey-Kaufmann, 2007 : 252).

L’exécution du geste ne répond pas à des règles de synchronie avec la parole. Geste et parole semblent toutefois être encodés ensembles dans le répertoire mental du locuteur. Geste et parole serait donc liés au niveau du sens. Cependant, lorsqu’un adulte prononce un mot, il ne va pas forcément produire le geste associé dans son répertoire. Pourquoi ?

2.4.3. Le déclenchement du geste serait du à des besoins expressifs

McNeill (2005 : 105) considère que les deux modalités exécutées simultanément co-expriment une idée commune et font partie de la même structure sémantique. C’est ce qu’il appelle le Growth point, c'est-à-dire :

“It is the smallest packet of an idea […] encompassing the unlike semiotic modes of imagery and linguistic encoding”

[C’est une idée exprimée grâce à un minimum d’unités et grâce à deux modes d’encodage sémiotique : un encodage imagé et un encodage linguistique.]

“The smallest package that retains the property of being a whole; […] the imagery-language whole that we see in synchronized combinations of co-expressive speech and gestures”

[La plus petite unité à laquelle on puisse attribuer les propriétés d’un tout ; […] c’est ce tout, à la fois composé d’image et de langue, dont nous voyons les parties co-exprimer de manière synchrone une idée au sein des combinaisons geste-mot].

En conséquence, il semblerait qu’il n’existe pas de règle entraînant le déclenchement du geste chez les locuteurs entendants mais que sa production serait entièrement liée à des critères expressifs et sémantiques, c'est-à-dire qu’un locuteur utiliserait intentionnellement un geste pour produire du sens.

Cependant, si l’on observe le cas particulier des jeunes déficients auditifs qui n’ont ni la langue des signes si le français oral pour s’exprimer, nous pouvons voir que, certes, le geste est produit afin d’exprimer ce que ces sujets ne peuvent pas dire avec des mots ; toutefois, dans ce cas précis, geste et parole semblent fonctionner en respectant des règles spécifiques. En effet, Millet & al. (2008) démontrent que les structures produites par leurs sujets sourds obéissent à des caractéristiques syntaxiques. Ces structures témoignent, la plupart du temps, d’une organisation interne invariante où l’élaboration de la relation thème/rhème se fait à travers diverses modalités exécutées en synchronies ou dissociées : c’est à dire que le thème est le plus souvent énoncé dans un seule modalité (orale) ou deux modalités simultanées [oral + geste] ou [oral + LSF] et que le rhème est ensuite produit dans une modalité ou plusieurs modalités différentes [gestes et onomatopées] ou [onomatopées et LSF] mais très peu souvent grâce à la modalité orale seule. Par exemple, dans le corpus de Isabelle Estève41, un des sujets raconte une séquence d’un dessin animé qu’il a visionné à l’adulte.

Dans l’extrait ci-dessous, l’enfant essaye de raconter le moment où la souris essaye d’enlever une partie de coquille que l’oisillon porte sur la tête. Dans cet exemple, le sujet

41 Estève Isabelle & Batista Aurore (à paraître). Utilisation et construction de l’espace dans les conduites narratives d’enfants sourds oralisants et d’enfants entendants. Colloque pluridisciplinaire Repères et Espace.

énonce le thème à l’oral (« et le bébé oiseau »), fait un commentaire verbo-gestuel (« c’est moi le bébé oiseau » + auto-pointage) et produit le rhème en utilisant la modalité voco-gestuelle (onomatopées + tracé dans l’espace).

Frs : et le bébé oiseau…. c’est moi le bébé oiseau et puis il… il.. des grosses avec

Ono. : tchuchuchuchuchuchu chu ::::::::

Gestes : PTAGE+ main sur la coquille place la coquille dessine la coquille

Figure 7 : Extraits des productions d’un enfant sourd sans langue – corpus de Estève I.

Pour conclure, chez les entendants, il est probable que l’utilisation du geste co-verbal ne respecte pas de règles définies ; cependant, chez les sujets sourds, gestes et productions linguistiques semblent être associées en respectant des règles syntaxiques. Ceci démontre qu’en fonction des usages, la bimodalité répond à « des modes d’emplois » différents.

Pour conclure, chez les entendants, la production de geste ne semble pas répondre à des règles définies, ce qui nous pousse à nous poser les questions suivantes : Quelle est l’utilité du geste dans la communication pour un locuteur qui reçoit un message bimodal ? Quelle est l’utilité du geste pour un locuteur qui produit un message bimodal ? Aussi, Millet et al. ainsi que McNeill suggèrent que le geste est produit pour des besoins sémantiques. Quels sont ces besoins ?