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2. Sémiotique de la communication

2.1. La communication : un outil universellement multimodal

Qui n’a jamais évoqué ou entendu évoquer la quantité de gestes produits par un italien ou un français originaire du Sud de la France lorsqu’il parle ? Dans notre univers collectif, cette idée de production gestuelle est fortement liée à l’origine géographique d’un individu. En dehors de ce stéréotype social, des études scientifiques ont été menées sur la production des gestes co-verbaux (Cosnier, 1977), ces gestes produits en même temps que la parole, notamment par McNeill (entre autres : 1992, 2000, 2005, 2008). Comme l’expose ce dernier dans son livre “Hand and mind. What gestures reveal about thought” (1992 : 2) :

« Gestures are an integral part of language as much as words, phrases and sentences – gesture and language are one system ». [Les gestes font partie intégrante du langage, tout autant que les mots, les syntagmes, les phrases – geste et langage forment un seul système]

En effet, depuis les années 1990, certains défendent l’idée que la communication humaine est multimodale, c'est-à-dire que l’on considère que geste et parole sont issus d’un même

système communicationnel et que la conjonction des contenus sémantiques exprimés dans les productions issues des deux modalités permet de produire un message sémantiquement complet.

Les gestes sont donc à étudier comme des éléments actifs dans les processus de parole (McNeill, 2005 : 16), éléments qui jouent un rôle important dans la transmission du sens. Pourquoi cette conception multimodale ? Pour expliquer l’origine de la gestualité et définir ce besoin qu’à l’homme d’utiliser les gestes en communication, McNeill s’appuie surtout sur les conclusions de Damasio (1994, 1999) en exposant que :

« Language is inseparable from imagery […]. The imagery in question is embodied in the gestures that universally and automatically occur with speech ».

[Le langage est inséparable de l’imagerie mentale… l’image mentale en question est matérialisée par le geste qui survient, universellement et automatiquement, avec la parole]

Deux points sont à retenir de cette citation :

- D’abord, l’utilisation du geste en association à la parole serait universelle parmi le genre humain. Ceci est réaffirmé par de nombreux travaux sur les enfants et adultes (McNeill, 1992, Bouvet, 2001, Calbris, 2003, Kendon, 2004), notamment en France (Colletta, 2004), Italie (Graziano, 2009 ; Volterra & al., 1994, 2004), aux Etats-Unis (Goldin-Meadow, 2003, 2005a, 2005b), en Afrique du Sud (Nkosinathi Kunene, 2010)… L’universalité de l’utilisation de la bimodalité dans les pratiques communicationnelles humaines démontre le caractère multimodal intrinsèque du langage.

- Ensuite, la vision est le sens qui nous met en contact avec le monde qui nous entoure. Ce contact visuel avec les éléments composant notre contexte de vie nous pousse à analyser le monde en passant par l’imagerie mentale (imagery). L’universalité des pratiques bimodales serait donc due à notre utilisation de la vision. Ainsi, nos actes communicationnels seraient conditionnés par notre perception audio-visuelle du monde et l’utilisation des gestes en association à la parole nous permettrait de reproduire des représentations iconiques mémorisées au préalable lors de la communication.

Pour préciser cette idée :

l’homme voit le monde ;

cette perception est imagée et globale ;

pour transmettre du sens, l’homme utilise un code linguistique linéaire et séquentiel ; le code linguistique peut être insuffisant pour transmettre des images complexes ; l’homme se sert donc des gestes pour transmettre ces images de manière spatiale et

compléter ses verbalisations. Nous pouvons conclure de cette dernière remarque que les gestes ont pour fonction de transmettre du sens (puisqu’ils complètent les verbalisations).

Pour conclure, les gestes et la parole sont donc liés aux processus de communication au niveau anthropologique – puisque tous les Hommes emploient des productions bimodales quelle que soient leur culture d’origine et au niveau sémiotique – car les gestes transmettent du sens.

Comment ces liens entre les gestes et la parole se manifestent-t-il dans la communication humaine au quotidien ? Quels types de gestes l’homme produit-il ? Comment les unités communicationnelles bimodales sont-elles organisées pour transmettre du sens ?

2.2. Qu’est ce qu’un geste communicationnel ?

Nous produisons nombre de mouvements lorsque nous communiquons, pourtant on ne peut pas imputer de sens à tous ces mouvements. Ici, il est question d’étudier les gestes communicationnels que l’on peut définir comme des gestes volontaires ou involontaires,

associés à la parole (co-verbaux) ou non associés à la parole, auxquels du sens peut être attribué. De quoi parle-t-on exactement ? D’après Kendon (2004 : 15) :

“ Gesture is a label for actions that have the features of manifest deliberate expressiveness” [Le ‘geste communicationnel’ désigne des

mouvements corporels caractéristiques d'une expressivité manifeste et délibérée].

En fait, le geste communicationnel est avant tout une production corporelle délibérée et expressive36. Kendon (1988), dans son premier continuum, définit quatre catégories de gestes communicationnels37 :

(1) (2) (3) (4)

Gesticulation Emblems Pantomime Sign Language

Obligatory presence Optional presence Obligatory absence Obligatory absence

of speech of speech of speech of speech

Nous commenterons ce classement selon deux catégories, les gestes obligatoirement ou optionnellement associés à la parole et ceux qui ne le sont pas.

Commençons par les gestes dont nous parlerons tout au long de cette étude, les gestes associés obligatoirement ou optionnellement à la parole, ce qu’on nomme habituellement les gestes co-verbaux :

(1) Kendon appelle ‘gesticulation’ « des gestes automatiquement accompagnés de la parole auxquels un sens peut être attribué ».

Par exemple :

Enfant – 6 ans : « et puis et puis le papa lion, il il attrape hihi »

Geste : deux mains ouvertes devant le visage puis les referme sur une proie imaginaire Dans la séquence ci-dessus, un enfant (6 ans) raconte le dessin animé qu’il vient de voir et dans lequel le roi lion agrippe une hyène pour lui faire peur. L’enfant ne parvenant pas à expliquer avec des mots précis le geste du lion, il imite ce dernier en utilisant ses mains.

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Nous avions déjà débattu au sujet de l’intentionnalité de l’acte communicationnel produit par le jeune enfant dans le chapitre précédent, nous retrouvons ici ce même critère qui fait la différence entre un mouvement corporel et un geste communicationnel : le geste communicationnel est produit intentionnellement par le locuteur.

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(2) Ensuite, Kendon distingue un autre type de gestes : les emblèmes. Ce sont des gestes culturellement codifiés, des signes conventionnels qui peuvent être produits soit simultanément, soit en décalage, soit détachés de la parole, car ils peuvent être employés de façon autonome et compris en tant que tels, sans l’appui de la parole.

Par exemple, en France, [secouer la tête de droite à gauche (au moins un aller-retour)] est un geste culturel autosuffisant par lequel un locuteur signale son refus. Ce même locuteur peut aussi signifier son refus verbalement en produisant l’énoncé « non » ou de manière bimodale en associant cette même vocalisation au geste sus décrit.

Pour finir, Kendon définit deux autres types de gestes qui ne sont en aucun cas associés à la parole : les mimes ou pantomimes, ou encore les gestes issus des langues signées.

(3) Les mimes sont des séquences de gestes exécutés dans le but de transmettre une narration ou une séquence d’une narration sans utiliser la parole.

(4) Les langue signées (ou LS), quand à elles, sont des systèmes linguistiques culturels et codifiés (des « langues » au sens de Saussure). Dans ce cadre, on ne parlera pas de gestes mais de signes ; en effet, comme le lexique du français est composé de mots, celui des LS est composé de signes au sens saussurien du terme : du point de vue des langues vocales, un signe est considéré comme une unité de sens associant l’image mentale d’un objet ou l’idée attachée à un concept A une forme sonore conventionnelle et arbitraire (dans ce cas un mot). Idem pour les LS, le signe correspondra à l’association de l’image mentale liée à un objet ou de l’idée attachée à un concept A une forme gestuelle conventionnelle et possiblement arbitraire (un signe). ‘Possiblement’ car les signes issus des LS peuvent être dotés de particularités iconiques que les mots n’ont pas. Pour reprendre les termes de Saussure, le signifié correspond donc à l’image ou l’idée de l’objet ou du concept et le signifiant à un geste articulatoire pour les langues vocales ou un geste manuel pour les langues signées.

Nous ne nous attarderons pas sur l’étude de ces deux derniers types de productions gestuelles car notre étude porte sur l’utilisation des gestes co-verbaux. De quels gestes s’agit-il exactement ?

2.3. Quels gestes chez les adultes et les jeunes français d’âges