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Qu’advient-il des gestes après l’entrée dans la syntaxe ?

énoncés à deux mots

2.6.3. Qu’advient-il des gestes après l’entrée dans la syntaxe ?

L’article de Colletta (2011) dans Rééducation Orthophonique sur Le co-développement du langage et des gestes chez l’enfant âgé de trois ans et plus propose un résumé des dernières recherches concernant l’utilisation des gestes par des sujets de divers âges issus de trois corpus filmés.

L’auteur évoque une première étude auprès d’enfants âgés de 6 à 11 ans. Ce corpus est composé de discours spontanés filmés en classe. 334 séquences filmées d’une longueur moyenne de 12 secondes chacune produites par des élèves du CP au CM2 ont été prélevées de ces discours. Ces dernières ont été sélectionnées car elles contenaient des récits, des descriptions, des explications, et des séquences argumentatives.

Colletta évoque une seconde étude auprès de sujets âgés de 6 ans et 10 ans ainsi que d’adultes narrant une histoire. Le corpus se compose de « 122 sujets, dont 41 enfants de 6 ans, 43 enfants de 10 ans et 38 jeunes adultes étudiants. Tous avaient pour tâche de produire un récit à partir d’un extrait d’un épisode de Tom & Jerry50 ».

49 Extrait de l’article : “If gesture facilitates the emergence of early speech combinations, one might expect

children who produce supplementary gesture-plus-word combinations to be the first to make the transition to two-word speech. And indeed, we found a significant correlation between age of onset of supplementary gesture-plus-word combinations and age of onset of two-word combinations (Spearman rs = .94, p < .001)” (Iverson &

al., 2008 : 3). [Si les gestes soutiennent l’émergence précoce des combinaisons composées de deux unités verbales dans le discours enfantin, nous pourrions nous attendre à ce que les enfants employant des combinaisons bimodales supplémentaires en premier soient aussi les premiers à produire des énoncés à deux mots. Et effectivement, nous avons trouvé une corrélation significative entre l’âge auquel nos sujets commencent à utiliser des combinaisons bimodales supplémentaires et celui auquel les énoncés à deux mots sont introduits dans leur discours (Spearman rs = .94, p< .001)].

50 « A l’occasion d’un programme de recherche financé par l’ANR en 2005, [Colletta (2011) ont] collecté et

analysé les récits parlés de 122 sujets, dont 41 enfants de 6 ans, 43 enfants de 10 ans et 38 jeunes adultes étudiants. Tous avaient pour tâche de produire un récit à partir d’un extrait d’un épisode de Tom & Jerry (la série en dessin animé) montrant les trois premières minutes de l’épisode et composant une histoire complète, avec un début et une fin. Tous ont été filmés dans la même situation, en train de raconter cette histoire à un adulte leur demandant de le faire du mieux qu’ils pouvaient» (Colletta, 2011).

Il mentionne enfin une troisièlme étude auprès d’enfants âgés de 3 à 6 ans expliquant un phénomène. Le corpus se compose de 268 explications parlées filmées lors d’observations dans des écoles maternelles auprès d’enfants en classe de petite, moyenne et grande section – donc âgés d’environ 3 à 6 ans (Simon, 2009).

Dans ces trois corpus, la même méthodologie a été utilisée pour coder : - la parole grâce à une transcription orthographique ;

- les gestes en suivant la typologie des gestes de Colletta (2004 – voir section 2.3 p. 79).

Les résultats de la seconde étude montrent qu’il y a manifestement une évolution des ressources gestuelles, linguistiques et prosodiques due à l’âge. En effet, l’auteur note que dans cette étude (Colletta, Pellenq et Guidetti, 2010), la longueur et la complexité des récits évoluent avec l’âge ainsi que la quantité et les types de gestes employés. Il constate que la quantité de gestes produits en situation de récit augmente avec l’âge : « le taux de gestes par proposition passe de à 0.27 à 6 ans à 0.50 à 10 ans, puis à 0.77 chez l’adulte), mais elle connaît dans le même temps une évolution qualitative intéressante » (Colletta, 2011 : p. 5 de l’article).

En effet, si les jeunes enfants (6 ans et plus) produisent en majorité des gestes représentationnels illustrant des caractéristiques ou des mouvements des personnages ou des évènements de l’histoire, les sujets plus âgés et les adultes peuvent employer des gestes de cohésion discursive – gestes qui marquent les épisodes du récit ou les frontières des propositions, ou encore, qui fonctionnent comme renvoi anaphorique à un référent pré-cité – ou de cadrage pragmatique – gestes ou mimiques faciales par lesquels le narrateur témoigne de son sentiment par rapport à l’histoire narrée (par exemple : une expression faciale de doute produite lors du discours peut témoigner de l’incertitude quand à la compréhension d’un événement de l’histoire).

De plus, il note que « cette évolution se poursuit au-delà de l’enfance puisque chez les adultes, la gestualité représentationnelle ne représente plus que la moitié des coverbaux produits pendant la narration » (Colletta, 2011 : 5 de l’article).

En ce qui concerne les explications orales51, Colletta (2011) note que si tous les jeunes enfants du corpus étudié emploient un forme prototypique de l’explication ayant la

51 Ici, Colletta (2011) rapporte les résultats une étude à partir d’ un corpus de 268 explications parlées collecté par Simon et collaborateurs (2009) lors d’observations dans des écoles maternelles auprès d’enfants âgés de 3 à 6

forme < P parce que Q > ; lorsqu’on observe leurs explications en quantité et en qualité, il est possible de se rendre compte que :

- comme dans le cas des narrations, la longueur et la complexité des explications augmentent avec l’âge,

- la proportion de gestes utilisés par l’enfant (en fonction du nombre d’énoncés produits) s’accroît aussi avec l’âge,

Toutefois, les gestes utilisés pour expliquer sont différents de ceux employés pour narrer une histoire. En effet, selon Colletta (2011 : p.6 de l’article) :

- si les enfants les plus jeunes produisent en majorité des gestes de pointage,

- les sujets les plus âgés emploient surtout des gestes représentationnels symbolisant des concepts abstraits (pointages anaphoriques, expressions emblématiques de l’ignorance …)

Tous ces éléments démontrent que le lien intrinsèque qu’entretient geste et parole s’appréhende en observant leur complexification conjointe, et que le geste n’est pas l’apanage d’une seule forme locutive puisqu’il contribue à l’élaboration de diverses tâches communicationnelles.

Certes, l’usage des productions gestuelles des jeunes enfants français a déjà été étudié dans des activités narratives et explicatives ; malgré cela, nous ne connaissons rien de sa contribution au développement linguistique enfantin en ce qui concerne les énoncés composés de plus de deux mots, ni de son usage en situation quasi-naturelle chez les enfants français de 18 à 42 mois comme c’est le cas dans notre étude. En effet, les compétences gestuelles se développent parallèlement aux compétences linguistiques chez les enfants issus d’autres cultures ; par ailleurs, le geste collabore au développement linguistique enfantin jusqu’à la production des énoncés à deux mots, il peut donc être supposé, grâce aux conclusions de Colletta (2011), que son usage évolue durant la période qui va de 18 à 42 mois et qu’il joue aussi un rôle dans l’acquisition des énoncés plus longs par nos jeunes sujets.

Au vu des informations présentées dans ces dernières sections, nous nous doutons que les jeunes enfants français, comme les italiens et américains, produisent des gestes, des vocalisations, des combinaisons geste-mot, des verbalisations et que ces productions évoluent au fur et à mesure que l’enfant français grandira. Il serait très intéressant d’apporter une

ans, complété avec un corpus de 232 explications parlées collectées lors d’entretiens avec des enfants scolarisés du CP au CM2 et âgés de 6 à 11 ans (Colletta, 2004).

dimension qualitative à notre travail, en observant comment un jeune enfant français, avec les ressources dont il dispose, parvient à communiquer avec un adulte. En effet, d’après le résumé des études que nous venons de faire il paraît évident qu’un enfant qui ne verbalise pas encore utilise des gestes pour communiquer avec l’adulte, tout comme un enfant qui ne peut verbaliser que quelques mots. Mais comment fait un enfant qui produit des énoncés à deux mots ? Ou plus longs ? Emploie-t-il toujours des gestes même s’il peut produire des verbalisations ? Si oui, comment les utilise-t-il ? Produit-il toujours des combinaisons bimodales composées d’un geste et d’un mot ? Ou alors la partie verbalisée constituant ces combinaisons est-elle composée de plusieurs mots ?