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Elisa vida mía (1976), Los ojos vendados (1978) et Mamá cumple cien años (1979): une nouvelle liberté politique et musicale (1979): une nouvelle liberté politique et musicale

FICTION NON MUSICALE DE CARLOS SAURA

CHAPITRE PREMIER : L’ÉVOLUTION DE LA MUSIQUE DANS L’ŒUVRE DE FICTION

B) Elisa vida mía (1976), Los ojos vendados (1978) et Mamá cumple cien años (1979): une nouvelle liberté politique et musicale (1979): une nouvelle liberté politique et musicale

Elisa vida mía et Los ojos vendados marquent un tournant dans l’œuvre de

Saura. Il semble qu’après la mort de Franco, le cinéaste se sente dégagé du devoir moral de réaliser des films traitant de façon plus ou moins directe, métaphorique ou symbolique de la période de la dictature ou de la guerre civile. Agustín Sánchez Vidal

65 Les films musicaux mis à part, Carlos Saura réalise Antonieta en 1982 à partir d’un scénario de Jean-Claude Carrière, collabore avec Fernando Fernán Gómez pour Los Zancos en 1983, écrit à nouveau avec Rafael Azcona pour ¡Ay Carmela!, adapte une nouvelle de Enzo Monteleone, en1993, pour ¡Dispara!, travaillera avec Agustín Sánchez Vidal pour Buñuel y la mesa del rey Salomón en 2001 et enfin réalise un scénario de Ray Loriga, El séptimo día, en 2004.

66« […] creo que la razón que realmente explica el que Saura haga uso de viejos temas clásicos reside en que disfruta seleccionándolos, al tiempo que da un paso más hacia el total control de su película, hacia la plena responsabilidad y autoría. » HIDALGO, M., Carlos Saura, op.cit., p. 78.

souligne qu’au succès international de Cría cuervos, permettant des perspectives de travail plus aisées, s’ajoute en effet « […] la libération, après la mort de Franco de l’obligation de traiter des thèmes plus directement politiques. » 67 C’est le cas dans

Elisa vida mía, mais Los ojos vendados renoue avec un engagement politique, puisque

ce film dénonce la responsabilité collective face à la torture et la violence. A travers ces deux films, qui appartiennent à une transition tant cinématographique que politique, Carlos Saura, dans une mise en abyme de sa propre pratique après quinze années de réalisation, interroge la création artistique. Dans l’un, un vieil intellectuel, retiré dans la campagne castillane, rédige des fragments de récits en partie inspirés de la vie de sa propre fille Elisa et en partie autobiographiques. Dans l’autre, un metteur en scène de théâtre tente de créer et de diriger une pièce en utilisant des témoignages d’hommes et de femmes torturés par des militaires dans une dictature latino-américaine. Si la première œuvre constitue une réflexion intimiste et la deuxième interroge l’engagement artistique, c’est bien le processus de création qui est au cœur des deux films. D’un point de vue musical, l’apparition d’une musique « non-espagnole » marque cette étape et réunit les deux œuvres, une ouverture sans doute rendue psychologiquement possible par la fin du régime politique répressif. Saura a en effet beaucoup souffert de n’avoir pas pu accéder à toute une partie de la tradition culturelle espagnole et européenne, comme le souligne Agustín Sánchez Vidal :

Le protagoniste de La hoja de paja de Jesús López Pacheco, se souvenant de ses années d’étudiant, nous a laissé un témoignage impressionnant du degré d’obscurantisme dans laquelle a dû grandir sa génération qui est exactement celle de Saura : « Avec des frissons de clandestinité nous prenions dans nos mains des œuvres de Platon, Faulkner, Darwin, Rousseau, Voltaire, Sartre, Diderot, Fernando de Rojas, Clarín, Baroja, Alberti, Louis, Neruda, Dostoievski,Tolstoï, Andreiev, Aristote, Pratolini, Gacía Lorca, Miguel Hernádez, Machado, Patrone, Valle Inclán…Quatre-vingts pour cent de la culture mondiale de toutes les époques et cinquante pour cent de la nationale étaient interdits. 68

Le réalisateur aragonais appartient à cette génération sacrifiée de l’après-guerre, qui a été complètement coupée de ses racines culturelles. Tout au long des films réalisés sous la dictature, il ressent le besoin de tisser un lien avec ce passé et cette tradition

67 « […] la liberación tras la muerte de Franco de la obligación moral de incidir en temas más directamente políticos ». SÁNCHEZ VIDAL, A., EL cine de Carlos Saura, op.cit., p.106.

68« El protagonista de La hoja de parra, de Jesús López Pacheco, recordando sus años de estudiante, nos ha dejado un impresionante testimonio del grado de oscurantismo en que hubo de crecer su generación, que es exactamente la de Saura: “Con escalofríos de clandestinidad tomábamos en nuestras manos obras de Platón, Faulkner, Darwin, Rousseau, Voltaire, Sartre, Diderot, Fernando de Rojas, Clarín, Baroja, Alberti, Louis, Neruda, Dostoievsky, Tolstoy, Andreiev, Aristóteles, Pratolini, García Lorca, Miguel Hernández, Machado, Patronio, Valle Inclán…El ochenta por ciento de la cultura mundial de todas las épocas y el cincuenta por ciento de la nacional estaba prohibido.” » Ibid., p.21.

avant tout espagnole. Après la fin du franquisme, le personnage de Luis dans Elisa vida

mía renoue pleinement avec la figure de l’intellectuel libéral du début du XXème siècle,

un protagoniste qui reviendra d’ailleurs quelques années plus tard dans Los zancos sous les traits de Fernando Fernán Gómez. Le second, Luis, le metteur en scène de théâtre - la coïncidence des prénoms n’est sans doute pas un hasard, renvoyant peut-être également à un autre Luis, figure emblématique, dont Saura fera le protagoniste de son film Buñuel o la mesa del rey Salomón (1999) -, dans Los ojos vendados, est quant à lui une projection du cinéaste lui-même, appartenant à la même génération et partageant les mêmes préoccupations. À quelques très rares exceptions près, telle la réutilisation d’un chœur composé par Prokofiev pour le film Alexandre Nevski d’Eisenstein, les morceaux de répertoire cités jusqu’alors étaient presque exclusivement hispaniques. En revanche, les œuvres utilisées dans les deux films s’inscrivent dans le mouvement de divulgation de la redécouverte de la musique baroque en Europe dans les années soixante-dix. Cette redécouverte était encore controversée à cette période et les interprétations des œuvres, aujourd’hui souvent considérées comme trop « classiques », n’étaient, dans bien des cas, pas encore revenues aux sources historiques, en particulier en ce qui concerne l’utilisation d’instruments d’époque et l’interprétation vocale. Le goût des deux Luis pour la musique « préclassique », de Mainerio à Rameau en passant par Purcell (tous ces morceaux apparaissent à la fois dans des modalités de fosse et d’écran), correspond bien au renouveau international de ce courant dans le milieu intellectuel de l’époque, tout en évoquant, bien sûr, une époque de splendeur de la représentation théâtrale où jeux de miroir, illusions et mises en abyme se multipliaient. Luis, le metteur en scène, et Luis, l’intellectuel, écoutent respectivement un air de haute-contre et de contreténor - qui renvoient par ailleurs à l’androgynie et dont nous reparlerons dans la suite de ce travail - encore peu connus du grand public dans les années soixante-dix. Néanmoins, ces morceaux italiens, anglais et français s’inscrivent également dans un rapport direct ou indirect avec les œuvres de la période baroque espagnole. Directement dans Elisa

vida mía qui convoque des œuvres majeures de Garcilaso, Calderón et Gracián,

indirectement et directement dans Los ojos vendados. Quand à Mamá cumple cien años, il s’agit d’une des rares incursions du réalisateur dans le genre de la comédie, qui, reprenant les personnages de Ana y los lobos, témoigne également de l’évolution politique de l’Espagne depuis la fin de la dictature. Dans ce film, l’utilisation du Lied de Schubert Mignon und der Harfner constitue un prolongement de cette ouverture aux œuvres non hispaniques.

Elisa vida mía (1976) : la symbiose musicale du père et de la fille

Le récit principal retrace l’histoire d’Elisa, une jeune femme de trente ans en pleine crise matrimoniale, qui rend visite à son père âgé, Luis, qu’elle n’a pas vu depuis de nombreuses années et qui vit retiré à la campagne près de Ségovie. Ce résumé succinct ne rend pas compte de l’extrême complexité narrative du film. En effet, la multiplicité et l’ambivalence de statut des niveaux narratifs, l’intervention, dès le début, d’une voix off masculine (qui se révélera être celle de Luis) racontant une histoire qui semble largement inspirée de celle d’Elisa, mais s’écarte néanmoins de ce que nous en montre le récit premier, et enfin la citation d’œuvres emblématiques de l’art espagnol et européen contribuent à l’élaboration d’un long métrage complexe et polysémique. Il s’agit tout d’abord d’un film sur les difficultés de la création et sur la solitude qu’elle implique, à travers le personnage de Luis qui vit seul et retiré. Néanmoins, bien que le père et la fille aient été séparés pendant de longues années, la relation d’Elisa et de Luis paraît très rapidement symbiotique : les images mentales ou les souvenirs de l’un ou de l’autre ne sont pas toujours identifiables et semblent même parfois circuler entre les deux personnages. Dès le début du film, Elisa raconte l’un de ses rêves et la séquence enchâssée pourrait être une projection de son imagination, mais également de celle de son père. Le récit écrit par Luis et secrètement découvert par Elisa, est un reflet plus ou moins fidèle des désirs et des sentiments de la jeune femme. La mise à l’écart définitive d’Antonio, le mari d’Ana, permet le développement d’une relation exclusive entre père et fille, allant jusqu’à l’évocation du fantasme de l’inceste (dont il est impossible de déterminer s’il s’agit de celui de Luis ou d’Elisa). Cette relation constitue également une métaphore de la création puisqu’Elisa est à la fois la fille de Luis, la création de sa chair, et un personnage littéraire que le vieil homme façonne lorsqu’il écrit. Le brouillage créé par la multiplication des niveaux narratifs permet un va-et-vient, souvent incertain, entre fictions secondaires et fiction première. Enfin, l’auto sacramental monté par Luis et ses jeunes élèves, El gran teatro del mundo (Le grand théâtre du monde) de Pedro Calderón de la Barca qui met en scène la création du monde et dans lequel le créateur octroie à chacun son rôle sur terre, met en place une double mise en abyme. Au sein de la diégèse, celle de Luis façonnant le double littéraire d’Elisa, et également, celle de l’auteur du film qui en a, seul, écrit le scénario et l’a réalisé. La fin du film, la mort de Luis et la reprise du récit du début par la voix d’Elisa, confère à la narration un aspect

cyclique et pourrait donc représenter métaphoriquement l’autonomie de l’œuvre d’art qui, une fois créée, échappe à son créateur et se nourrit d’elle-même.

La musique, qui n’occupe que vingt-trois minutes sur une durée totale d’une heure cinquante-huit minutes (soit une proportion de 20%) est néanmoins extraordinairement prégnante. Preuve en est l’importance des travaux qui lui ont été consacrés : plusieurs articles69 et une partie de la thèse de Catherine Berthet.70 Elle se compose d’un morceau de musique vocale extraite de l’acte de ballet Pygmalion de Jean-Philippe Rameau, dont le sujet renvoie à la relation des deux personnages et sur lequel nous reviendrons longuement, et de deux morceaux instrumentaux : Schiarazula

Marazula, une danse de Giorgio Mainerio, compositeur italien du XVIème siècle et la

troisième Gnossienne d’Erik Satie, composée en 1890.

Si la danse de Mainerio ouvre le film et clôt la vie de Luis, par sa diffusion au générique de début et au moment où Elisa découvre la mort de son père, la troisième

Gnossienne de Satie baigne l’œuvre de ses occurrences car elle apparaît à huit reprises

dans le tissu filmique. L’œuvre de Satie semble avoir pour fonction principale de réunir père et fille dans une relation presque symbiotique car ses interventions créent toujours un lien entre l’intériorité d’Elisa et celle de Luis dans un jeu de miroir entre les deux personnages.

Los ojos vendados (1978) : une stylisation musicale de la violence

Le long métrage suivant renoue avec une thématique politique. Il est directement lié aux circonstances historiques de l’époque : les dictatures latino-américaines, d’une part, et la violence de l’extrême droite espagnole durant la transition, d’autre part. Luis, un metteur en scène de théâtre, assiste à une conférence, au cours de laquelle une femme latino-américaine raconte sa détention et les supplices qu’elle a subis aux mains de ses geôliers. À partir des témoignages entendus, Luis décide de créer une pièce de théâtre dans laquelle Amélia, l’épouse d’un ami qui devient sa compagne, tiendra le rôle du témoin. Tout au long de l’œuvre, l’histoire d’amour entre les protagonistes se développe parallèlement au processus de création théâtrale. Le phénomène de la

69 En particulier : PÉREZ-VICTORIA, B., GILLE, B., « Elisa Vida Mía et la troisième Gnossienne de Satie : figure de l’échange » in Le cinéma de Carlos Saura, Actes du colloque sur le cinéma de Carlos

Saura des 1 et 2 février 1983, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1983.

70 BERTHET, C., Sociocritique de la musique de film : 1-Elisa, vida mía, Montpellier, Editions du CERS, 1994.

violence est donc appréhendé à trois niveaux : dans la relation amoureuse, le bonheur de Luis se faisant au détriment de celui du mari d’Amélia qui en souffre, au sein du processus créatif puisqu’il s’agit du thème de la pièce de théâtre et dans une perspective politique, car tout au long du développement du projet, Luis est menacé, puis brutalement battu et sa maison saccagée. Enfin, dans la dernière séquence, lors de la représentation théâtrale, deux spectateurs se lèvent et mitraillent les acteurs et les personnes présentes dans la salle. S’agit-il d’une séquence réaliste ou au contraire d’une séquence enchâssée illustrant un fantasme de Luis dans l’ambulance qui l’emmène à l’hôpital ? Comme souvent, l’œuvre de Saura n’est pas univoque et se prête à diverses interprétations ouvertes.

D’un point de vue musical, le film est d’une grande homogénéité. En effet, toute la musique utilisée (diffusée pendant 20% de la durée du film), entièrement de répertoire, est principalement composée d’œuvres d’Henry Purcell, très majoritairement vocales, (soit environ vingt des vingt-trois minutes de musique totale) : un duo de sopranos extrait du Masque de Timon d’Athènes qui intervient à quatre reprises, deux airs de contreténor (deux occurrences pour le premier et une pour le second) et enfin d’un ground 71 en mi mineur au clavecin. Ces œuvres contribuent majoritairement à une évocation stylisée de la souffrance et et des cris de douleurs dont la représentaion réaliste ne semble pas concevable. Par ailleurs, deux airs populaires viennent compléter la bande musicale : un mambo instrumental intitulé Norma la de Guadalajara, composé par Dámaso Pérez Prado et interprété par son orchestre accompagne une scène de danse et la chanson La lirio (La « Iris ») de León et Quiroga, chantée par Conchita Piquer, en modalité de fosse, constitue une réminiscence musicale de l’adolescence du protagoniste.

Mamá cumple cien años (1979) : musique et tragicomédie

Mamá cumple cien años clôt cette période de transition cinématographique par,

comme le signale Román Gubern, une « […] Tragicomédie saurienne,72 en soulignant

71 Le ground est une pièce à quatre temps fondée sur une basse continue ou obstinée (ostinato) qui répète indéfiniment le même motif, sur lequel les autres parties construisent diverses variations.

72 Ce néologisme est couramment utilisé dans les études universitaires sur Carlos Saura en France. Je me permettrai donc de l’employer dans ce travail de recherche.

davantage le deuxième terme que le premier […] ».73 Premier grand succès public du réalisateur en Espagne, c’est aussi le dernier film qu’il tourne avec sa compagne Géraldine Chaplin dont il se séparera peu après. En réutilisant les personnages et le cadre spatial de Ana y los lobos, un film qui évoquait la société espagnole franquiste sous forme de parabole, Carlos Saura s’intéresse à l’évolution de cette société qui a des difficultés à trouver un équilibre après la fin de la dictature. En effet, Ana, revient quinze ans après son départ - miraculeusement ressuscitée ou alors sa mort n’était qu’un fantasme inassouvi des trois frères - dans la grande maison, accompagnée de son mari Antonio pour fêter le centième anniversaire de la matriarche. Entre-temps, José, le militaire, est mort. Cette mort a été, par ailleurs rendue « nécessaire » par le décès de José María Prada, l’acteur qui interprétait le personnage de José. Juan, l’obsédé sexuel, s’est enfui avec la bonne et Fernando, le mystique, a abandonné sa grotte pour se consacrer à un désir ascensionnel plus pratique, le deltaplane, qu’il n’arrive d’ailleurs pas à faire décoller. Dans ce qui peut être interprété comme une représentation symbolique et humoristique de la nouvelle société espagnole, le dictateur a disparu, mais sa présence est prégnante puisque son portrait trône devant son couvert, encore dressé à la table commune et sa tombe est révérée chaque jour. La famille est désagrégée, car l’hypocrisie du mariage cède sous la nouvelle liberté sexuelle.74 D’autre part, même si l’ombre du dictateur plane encore sur la famille, un joyeux désordre règne dans la maison et la nouvelle génération ne respecte pas ses prédécesseurs et les défie. Seule la cupidité réunit la génération des parents : Luchy, Juan et Fernando se mettent d’accord pour supprimer leur mère afin de pouvoir morceler le terrain et le lotir. Il s’agit d’un crime par « omission », car ils ont l’intention de lui administrer un placebo lors d’une de ses crises d’épilepsie et donc de la laisser mourir. L’individualisme postmoderne semble avoir touché une Espagne qui n’est pas passée par la modernité et le jugement final de la mère qui sépare les bons des méchants (car ses capacités extrasensorielles lui permettent de savoir qui a eu l’intention de la tuer) renvoie à la permanence de la blessure fondatrice de la guerre civile, source de la division de la société espagnole, que la transition, réalisée dans la continuité du régime dictatorial, ne fait qu’occulter.

73 “[…] Tragicomedia sauriana, subrayando más el segundo término que el primero […]” GUBERN, R., Carlos Saura, Huelva, Festival de cine iberoamericano, op.cit., p.47.

74 Selon François Géal : « Dans un entretien donné à l’époque, Saura constate que l’un des plus grands changements intervenus depuis la mort de Franco a trait à une plus grande liberté sexuelle. » GEAL, F., Onze films de Carlos Saura, cinéaste de la mémoire, Lyon, ALÉAS, 2006, p. 164.

D’un point de vue musical, seule une des pièces de Ana y los lobos est réutilisée dans le film : il s’agit du pasodoble Dos de mayo de Federico Chueca qui était, dans l’œuvre de référence, étroitement associé au personnage de José. C’est toujours le cas dans Mamá cumple cien años dans lequel, par l’intermédiaire de la musique, l’ombre du militaire - représentation allégorique de la dictature - semble encore planer sur l’Espagne de la transition. Il s’agit du seul morceau purement instrumental qui intervient à trois reprises pendant cinq minutes trente-six secondes sur une durée totale de musique de vingt-et-une minutes trente secondes pour un film d’une heure trente-quatre minutes, soit une proportion de 23%. Tous les autres morceaux sont des pièces vocales, très diverses d’ailleurs. Le premier, un duo de Schubert Mignon und der

Harfner (Mignon et le harpist) extrait du cycle Wilhelm Meister composé en 1826 sur

des textes de Goethe, illustre musicalement l’éloignement inéluctable du couple formé par Ana et Antonio. Un morceau de musique populaire iranienne est associé au personnage de l’aînée des filles de la famille, attirée par les charmes de l’orient. La

sevillana Sevillanas de colores composée par Manuel García et Manuel Garrido semble

évoquer la récupération par le régime franquiste de la tradition andalouse lors de la séquence finale. Enfin, une chanson populaire anonyme Milagros de San Antonio (Les miracles de Saint Antoine) et une berceuse également anonyme, Pajarito que cantas (Petit oiseau qui chante) sont interprétées par les personnages.

Même si la société postfranquiste est encore sclérosée, l’espoir semble pouvoir être présent dans ce joyeux désordre. Cet espoir, paradoxalement, est à nouveau

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