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FICTION NON MUSICALE DE CARLOS SAURA

DEUXIÈME CHAPITRE : CARACTÉRISATION DES MORCEAUX À TEXTE UTILISÉS

A) Le texte implicite

La musique instrumentale contient presque toujours une composante textuelle sous la forme d’un programme plus ou moins développé. En effet un simple titre donné à un morceau est déjà un programme en soit, d’autant plus qu’il est en général cité au générique du film, ce qui permet au spectateur d’en prendre connaissance. Le Concierto

de Aranjuez de Joaquín Rodrigo, Dolor, un preludio vasco du père Donostia, Canción y Danza de Federico Mompou, le pasodoble Dos de mayo, le tango Queja de Arrabal,

pour n’en citer que quelques-uns renvoient à des espaces – Aranjuez, le Pays Basque, l’Argentine -, à un événement historique – Dos de mayo -, à la danse, à la souffrance, etc… Nous distinguerons néanmoins les morceaux dont le programme est a priori peu connu ou inconnu du spectateur et qui ne pourra être perçu qu’à travers le générique ou grâce à la culture musicale spécifique d’une partie du public, des pièces dont le programme est fourni dans le film ou très largement connu par les spectateurs.

107 Il s’agit des morceaux se fondant sur un texte qui n’est pas intégré à l’œuvre musicale et dont la structure et le développement sont inspirés par ce texte. Le poème symphonique en est l’exemple par excellence, mais tout titre constitue déjà un programme.

Programmes non fournis

Outre les morceaux instrumentaux dont le seul programme - non négligeable néanmoins - est constitué par leur titre, certaines pièces utilisées par Carlos Saura sont composées à partir d’un texte ou en sont l’illustration. Dans El dorado, la Recercada de Diego Ortiz utilisée en musique de fosse a été composée sur un madrigal Italien intitulé

O felichi occhi miei et la Canción del emperador de Luis de Narvaéz est une adaptation

instrumentale de la chanson Mille regretz de Josquin des Prés. La Valse de Ravel ou la

Symphonie Fantastique utilisées dans Dulces horas sont, quant à elles, des musiques à

programme stricto sensu.

Le cas du traitement filmique de La Valse de Ravel est un bon exemple de l’importance narrative de la musique à programme. Il s’agit d’un poème chorégraphique composé en 1920 juste après la première guerre mondiale, un hommage aux valses viennoises, représentant, après les horreurs subies par les populations, une sorte de paradis perdu. Lorsque La Valse est interprétée en concert, le texte suivant est fourni à l’auditeur :

Des nuées tourbillonnantes laissent entrevoir par éclaircies des couples de valseurs. Elles se dissipent peu à peu, on distingue une immense salle peuplée d’une foule tournoyante. La scène s’éclaire progressivement. La lumière des lustres éclate au fortissimo. Une cour impériale vers 1855.108

Les spectateurs du film, dans leur immense majorité, ignorent cette composante et établiront, simplement, une relation entre la musique et les images qui lui sont associées. Néanmoins, les morceaux composés sur des textes possèdent sans doute une composante narrative supérieure, une expressivité plus « dirigée », mais surtout, le réalisateur a pu avoir accès au programme et pourra donc exploiter la musique dans une fonction narrative étroitement associée au texte littéraire. C’est le cas, en partie, en ce qui concerne La Valse de Ravel dans Dulces horas puisque si son caractère tourmenté est utilisé pour traduire l’intériorité changeante du protagoniste, son aspect tournoyant est constamment illustré visuellement dans le film par des mouvements de caméra. L’importance de la lumière dans le programme est traduite par des variations d’éclairage allant jusqu’à la saturation. Dans ce cas, le programme est tout particulièrement révélé par le traitement visuel, qu’il semble orienter afin que l’association entre musique et image constitue une sorte de transcription du texte

d’origine. Dans le même film, l’utilisation d’un extrait de la Symphonie Fantastique d’Hector Berlioz est différente, lors du récit que fait l’oncle de Juan, qui appartient à la Division Azul, de ses exploits sur le front russe. La citation tient également compte du programme, dans une utilisation parodique, cette fois, par le biais des mouvements et des angles de caméras très accentués qui l’accompagnent.

Programmes fournis ou connus

Parfois, les programmes sont fournis dans le film lui-même ou déjà largement connus, ce qui permet au spectateur d’associer plus aisément texte et mélodie. C’est le cas de la reprise, par des instruments, d’un thème ou d’une partie d’un thème précédemment chanté avec des paroles. Dans Los golfos ou Llanto por un bandido, la

petenera n’est chantée qu’à certains moments, mais sa ligne mélodique est jouée

longuement à la guitare. Une fois les paroles entendues, lorsque la mélodie réapparaît, elle est alors, en partie, porteuse de la charge sémantique des paroles, en fonction de la connaissance préalable du spectateur et des réitérations de diffusions de la mélodie chantée. Le fonctionnement est similaire lorsque la musique originale reprend des thèmes de musique vocale. Les thèmes musicaux de la jácara anonyme du XVIe siècle

No hay que decirle el primor, dans Goya en Burdeos ou encore, la mélodie

judéo-espagnole M’enamori d’un aire, dans Buñuel y la mesa del rey Salomón, associées toutes deux à la fascination amoureuse d’un homme pour une femme, sont citées et transformées en leitmotive par la partition originale de Roque Baños.

Enfin, dans La prima Angélica, l’hymne de la phalange espagnole Cara al sol est uniquement interprété au piano par la tante Pilar pour célébrer la victoire nationaliste dans la ville. L’immense majorité des spectateurs de l’époque connaissait les paroles de cet hymne, leur citation est donc implicite mais bien réelle, au moins pour un public espagnol.

Néanmoins, si un programme existe souvent de manière sous-jacente dans un morceau instrumental, le cas inverse de la musique vocale sans paroles constitue également un cas limite symétrique.

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