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144 Varsovie à peine six mois avant l’épisode du MOCA P195FP195F

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Réalisée sur l’un des rares édifices du centre-ville de la capitale polonaise à avoir échappé aux bombardements lors de la Seconde Guerre mondiale, elle montre des soldats-pantins articulés au moyen de longs fils qui sont vêtus d’uniformes ornés de symboles de devises (fig. 3.9) (Sural 2015). Blu n’en est donc pas à sa première exploration des thèmes de la cupidité et de l’enrôlement militaire, l’œuvre créée pour Art in the Streets entretenant d’évidentes similitudes avec ses travaux récents.

Figure 3.8 Blu, Sans titre, Deitch Studios, Long Island City, New York, 2009.

Figure 3.9 Blu, Sans titre, Varsovie, 2010.

35 L’œuvre fait l’objet d’un débat public enflammé en 2015, alors que le bâtiment où elle se trouve est convoité par un

institut de théâtre pour un nouveau projet de murale. La pression des internautes et de la communauté de street art locale, qui mettent notamment sur pied une pétition et une campagne d’opposition élaborée, a finalement raison de la nouvelle commande, l’œuvre de Blu étant préservée (Sural 2015).

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Les éventuelles frictions avec la communauté de Little Tokyo, de même que la proximité temporelle avec le déclenchement de la polémique entourant l’exposition Hide/Seek – couplés à l’inexpérience de Deitch – expliquent en partie la destruction de l’œuvre de Blu, bien que ces éléments constituent en eux-mêmes des prétextes plutôt minces pour justifier la censure de la murale. Les véritables raisons à l’origine du blanchiment inopiné semblent plutôt loger, d’une part, dans l’histoire de la Geffen Contemporary en matière de commande d’art public et, d’autre part, dans le rapport complexe à l’utilisation du drapeau américain dans l’histoire de l’art contemporain aux États-Unis. En effet, un projet d’œuvre destinée au même site, qui, incidemment, portait sur des enjeux comparables et avait été réalisé par l’artiste vedette d’une exposition collective organisée au MOCA, avait provoqué un débat houleux une vingtaine d’années auparavant. C’est à l’occasion de la présentation de A Forest of Signs : Art in the Crisis of Representation, exposition portant sur l’influence des médias et de la société de consommation sur l’art produit dans les années 1980 (Gudis 1989 : 11), que l’artiste américaine Barbara Kruger est invitée à concevoir une murale pour le mur sud de la Geffen Contemporary (alors appelée Temporary Contemporary), attenant à l’entrée principale. Reconnue pour ses montages photographiques inspirés de l’univers publicitaire et médiatique où des éléments textuels se marient à un discours politique, elle propose initialement de créer une version monumentale de son œuvre Untitled (Pledge) (1989). Il s’agit d’un bumper stickerP196FP196F

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où est inscrit le serment d’allégeance au drapeau des États-Unis en lettres majuscules blanches sur fond rouge (« I PLEDGE ALLEGIANCE TO THE FLAG OF THE UNITED STATES OF AMERICA AND TO THE REPUBLIC FOR WHICH IT STANDS, ONE NATION UNDER GOD, INDIVISIBLE, WITH LIBERTY AND JUSTICE FOR ALL »), les couleurs employées et la disposition des mots rappelant la bannière étoilée. Des questions rhétoriques qui évoquent les rapports de pouvoir et le patriotisme viennent border la composition rectangulaire : « Who is bought and sold? Who is beyond the law? Who is free to choose? Who follows orders? Who salutes longest? Who prays loudest? Who dies first? Who laughs last? Who does time? Who is beyond the law? Who is bought and sold? ». Des reproductions de l’autocollant sont apposées massivement à l’intérieur du musée, les rendant de cette façon presque indiscernables d’une campagne de guérilla marketing. En plus d’offrir une signalétique à la Temporary Contemporary, bâtiment industriel anonyme, la version agrandie de Untitled (Pledge) devait pour sa part revêtir l’apparence d’un immense panneau d’affichage surplombant le stationnement public adjacent au musée (fig. 3.10) (Doss 1995 : 1-2).

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Figure 3.10 Barbara Kruger, proposition de murale pour la Geffen Contemporary, mai 1989.

Or, comme le révèlent des recherches menées par la spécialiste en études américaines Erika Doss (1995), le projet rencontre une vive opposition lors de sa présentation devant un comité de citoyens au printemps 1989. L’œuvre est perçue comme affront direct à la communauté nippo- américaine (Drohojowska-Philp 1999), pour qui le serment d’allégeance, et même le drapeau lui-même dans une certaine mesure, est symbole de douloureux souvenirs (certains des acteurs locaux consultés avaient personnellement vécu la période de l’internement). Les questions sélectionnées paraissent particulièrement blessantes aux yeux des résidents, ces derniers accusant Kruger de faire preuve d’arrogance et d’insensibilité à l’égard des sanctions injustifiées imposées aux Américains de descendance japonaise lors de la Deuxième Guerre mondiale. La proposition de murale coïncide de surcroît avec une période de regain d’hostilité envers les Nippo-Américains, segment de la population qui connaît une forte croissance économique au moment où les États-Unis sont en récession (Davis 2006 : 135-138). Le gouvernement venait également d’entériner le Civil Liberties Act de 1988, comprenant des excuses officielles du Congrès et un montant alloué aux anciens prisonniers (Doss 1995 : 10). L’artiste, qui jongle délibérément avec une « politique du malaise » (Elmaleh 2013) dans son travail, faisant de l’inconfort sa stratégie de prédilection, n’avait toutefois pas anticipé une telle réception. Elle envisage au contraire son œuvre comme une dénonciation des dérives du nationalisme, jugeant

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évidente sa portée oppositionnelle. Kruger conçoit l’œuvre projetée comme une invitation directe à se réapproprier le drapeau à des fins de résistance à l’heure où son utilisation est plus que jamais restreinte (Doss 1995 : 3-4).

Untitled (Pledge) se veut en effet une réponse au Flag Protection Act, législation fédérale interdisant la profanation du drapeau américain entrée en vigueur en juin 1989 faisant de l’action de brûler, de piétiner ou de mutiler la bannière nationale une offense passible d’une amende et d’une peine allant jusqu’à un an de prison.P197FP197F

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Cette loi voit le jour quelques mois après une polémique déclenchée par l’exposition d’une œuvre d’art remettant en cause le devoir patriotique à la School of the Art Institute of Chicago (SAIC). L’installation participative réalisée par l’artiste afro-américain Dread Scott, intitulée What Is the Proper Way to Display a U.S. Flag? (1988), invite les visiteurs à inscrire leur réponse à cette question sur un carnet disposé au-dessus d’un drapeau américain posé au sol (fig. 3.11). Un montage photographique apposé au mur complète l’installation. Deux usages bien différents du Stars and Stripes y sont mis en opposition, mettant en tension les significations opposées que cette entité peut revêtir (fig. 3.12). Les visiteurs de la SAIC se trouvent devant un choix : marcher sur la bannière pour atteindre le carnet ou exécuter leur geste citoyen en contournant le drapeau, adoptant une posture inconfortable afin de ne pas piétiner le symbole national. Il faut savoir que les usages et les représentations de l’Old GloryP198FP198F

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sont savamment régulés, le drapeau faisant notamment l’objet d’un code de conduite fédéral ayant force de loi depuis 1942 dans lequel il est indiqué que la bannière ne doit en aucun moment toucher le sol.P199FP199F

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L’œuvre suscite l’hostilité des membres de la Citizen Flag Alliance et d’associations de vétérans, qui manifestent par milliers devant et à l’intérieur de la SAIC, littéralement assiégée, et envoient des menaces de nature raciste à Scott. Ils font également pression auprès de politiciens afin que l’installation soit retirée de l’exposition et que de telles utilisations du sacrosaint drapeau soient dorénavant interdites au moyen d’une législation plus sévère (Dubin 1992 : 102-122).P200FP200F

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37 [En ligne] https://www.gpo.gov/fdsys/pkg/STATUTE-82/pdf/STATUTE-82-Pg291-2.pdf. Consulté le 20 août

2017. Cette loi est abrogée en 1990 car elle constitue une violation du premier amendement.

38 Nom alternatif du drapeau américain.

39 [En ligne] http://legisworks.org/congress/77/publaw-623.pdf. Consulté le 20 août 2017.

40 La School of the Art Institute of Chicago ne fléchit pas face aux menaces, mais elle voit son financement public

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Figures 3.11 et 3.12 Dread Scott, What Is the Proper Way to Display a U.S. Flag? et détail, 1988.

Le projet de murale de Kruger intervient donc à un moment où l’art contemporain apparaît comme une menace à l’intégrité des valeurs nationales aux yeux de certains acteurs de droite. Rappelons que c’est à cette période qu’éclate un conflit sans précédent au sujet du National Endowment for the Arts et des prétendus excès des artistes en arts visuels, qui verseraient à dessein dans le blasphème et l’obscénité pour promouvoir des visées « nihilistes et antiaméricaines », pour reprendre les termes du journaliste Patrick Buchanan (1989 : D1). La murale du MOCA condense à cet égard les enjeux des guerres culturelles, la vague de censure qui déferle alors au pays constituant une atteinte flagrante aux idéaux de démocratie et de liberté d’expression, pourtant brandis à l’envi par les culture warriors eux-mêmes (Kwon 2010 : 94). L’œuvre de Kruger, renommée Untitled (Questions), est finalement inaugurée en 1990 sous une forme modifiée dans laquelle est omis le serment d’allégeance à l’issue de dix-huit mois de délibérations avec des représentants de Little Tokyo (fig. 3.13). Elle restera en place pendant deux ans. Indiquons enfin que les considérations soulevées ci-haut relativement au climat politique et artistique dans lequel ont lieu les premières phases de conception de la murale n’invalident en rien les préoccupations exprimées par la communauté nippo-américaine. L’art public, du moins dans sa forme pérenne, doit se plier à des exigences en matière d’acceptabilité, le processus de commande comprenant bien souvent des consultations publiques – et c’est à certains égards ce qui le distinguerait du street art. Les modifications apportées à la proposition

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originale de Kruger ne peuvent par conséquent être entendues comme le fruit d’un acte de censure.

Figure 3.13 Barbara Kruger, Untitled (Questions), Museum of Contemporary Art, Los Angeles, 1990.

La lisibilité du « symbole résumant » (Ortner 1973 : 1340)P201FP201F

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qu’est le drapeau américain et la multiplicité des significations qu’il convoque en font un symbole-clé pour tester les libertés civiques dans les arts visuels (Boime 1990 : 8). En effet, les créations de Blu, de Kruger et de Scott s’inscrivent dans une longue histoire d’œuvres controversées où le drapeau est utilisé ou représenté de manière critique, et ce, parfois pour faire valoir une position antimilitariste.P202FP202F

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La murale de Blu en particulier pourrait être comparée au travail de l’artiste Marc Morrel. Ancien marine et vétéran du Vietnam, il réalise au milieu des années 1960 une série de « sculptures souples » où le drapeau, rempli de bourrure, devient un corps malléable mis en scène dans des situations diverses se rapportant à l’expérience de la guerre. Éminemment critiques, ces œuvres entraînent d’ailleurs l’arrestation de Stephen Radich, qui les avait présentées dans une exposition solo de l’artiste organisée dans sa galerie de Madison Avenue en 1966-1967, en vertu d’une loi de l’état de New York sur la profanation du drapeau (Baldwin 1974 : 50).

41 Dans son célèbre article intitulé « On Key Symbols », l’anthropologue culturelle Sherry Ortner (1973 : 1340) définit

le drapeau étasunien comme un summarizing symbol. Il s’agit d’une entité qui, par métonymie, incarnerait un

ensemble de valeurs et encouragerait une forme d’allégeance aveugle, ne favorisant ni la nuance ni la critique : « [T]he American flag […], for certain Americans, stands for something called “the american way”, a conglomerate of ideas and feelings including (theoretically) democracy, free enterprise, hard work, competition, progress, national superiority, freedom, etc. And it stands for them all at once. It does not encourage reflection on the logical relations among these ideas, nor on the logical consequences of them as they are played out in social actuality, over time and history. On the contrary, the flag encourage a sort of all-or-nothing allegiance to the whole package ».

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Les quelques exemples ici évoqués témoignent du fait que le drapeau et ses multiples déclinaisons occupent une place de choix dans l’art militant étasunien. La murale du MOCA, bien qu’elle soit réalisée par un artiste étranger et qu’elle évoque le drapeau sans toutefois le représenter de manière directe, est en ce sens héritière d’une riche tradition iconographique. Il est également possible considérer la murale de Blu au regard des restrictions relatives aux images qui ont vu le jour pendant la « guerre contre la terreur »P203FP203F

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. Un vaste programme de censure étatique est mis en place dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, affectant aussi bien les médias que les arts. On procède alors à une véritable entreprise d’épuration du visible, épisode que la philosophe Marie-José Mondzain (2002 : 9) qualifie de « jeûne des images ». Les artistes qui portent un regard critique sur la politique étrangère américaine ou le patriotisme dans leur travail sont considérés comme des traîtres ou, pire encore, comme des suspects. Plusieurs d’entre eux sont arrêtés ou voient leur travail censuré par les autorités policières à la suite de l’entrée en vigueur du USA PATRIOT ACTP204FP204F

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. Cette loi antiterroriste approuvée par le Congrès en octobre 2001 est contestée par de nombreux militants en raison notamment des limitations qu’elle impose en matière de libertés individuelles. L’interdiction concernant la diffusion d’images ou de vidéos de cercueils de soldats américains morts durant leur service constitue l’une des nombreuses mesures décriées par les opposants de Bush. Elle vise à orienter la perception de la population étasunienne face aux conflits armés dans lesquels est impliqué le pays, donnant pour ce faire l’image une guerre en apparence « propre » et sans victimes dans le camp américain. Cette consigne n’est pas inédite, les premières directives qui visaient spécifiquement les photojournalistes ayant été instaurées lors de la Première Guerre mondiale, pour ensuite être levées en 1942. La censure des images des militaires tombés au combat est ensuite réactivée en 1991 pendant la Guerre du Golfe, le Pentagone empêchant dès lors les membres de la presse de documenter la cérémonie de retour des troupes, opération qui a lieu à la base aérienne de Dover au Delaware. Ce règlement est réitéré peu après l’entrée des forces américaines en Afghanistan en 2001, alors que l’invasion de l’Irak signe le début d’une politique plus sévère encore, les journalistes se voyant désormais refuser l’accès aux opérations et aux installations militaires. Ce protocole est enfin élevé au statut de loi en 2005 (Alinder 2012 : 176-180). Si l’on peut douter de l’efficacité réelle d’un pareil règlement à long terme, il a à tout le moins pour effet de réduire sensiblement le nombre d’images de militaires blessés ou tués en Irak publiées dans les journaux américains (Alinder 2012 : 182). L’historien de l’art

43 « War on Terror »

44 Il s’agit d’un acronyme pour « Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required

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Richard Meyer (2007 : 98), spécialiste des questions liées à la censure, voit en cette mesure un signe puissamment révélateur de l’attitude de Bush fils, étant prêt à invisibiliser l’acte le plus élevé dans la hiérarchie du patriotisme pour mieux contrôler l’opinion publique : « The directive effectively suppressed what might seem to be the ultimate image of national sacrifice and patriotism—the flag-draped coffins of US soldiers killed in the line of duty ».

Des artistes, à l’exemple de la féministe Anita Steckel, se saisissent par ailleurs de cette thématique dans leur travail afin d’exprimer leur mécontentement à l’égard des décisions militaires du gouvernement au pouvoir. Steckel crée en 2005 A Family Affair (2005), un photomontage qui donne à voir un portait du président et de la première dame, tout sourire alors qu’au-dessous d’eux se trouvent trois rangées de drapeaux alignés à la manière de cercueils, deux d’entre eux portant l’effigie des filles jumelles du couple. Aujourd’hui introuvable sur le web, l’œuvre n’a été reproduite qu’une seule fois par crainte de représailles.P205FP205F

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Steckel luttait pourtant activement contre la censure dans le milieu artistique depuis des décennies (Meyer 2007 : 99-100), ayant réalisé un vaste corpus d’œuvres érotiques controversées pendant sa carrière. Ceci montre sans contredit que le USA PATRIOT ACT et les autres mesures ayant trait au contrôle des images ont eu un effet non négligeable sur la production artistique dans l’Amérique post 11 septembre 2001. On peut aussi tracer un parallèle entre la murale de Blu et une autre œuvre créée pendant cette période trouble aux États-Unis. Il s’agit de One Thousand Coffins, intervention urbaine d’envergure orchestrée par Jenna Hunt et Mike DeSeve à New York en 2004 peu avant l’ouverture de la convention nationale républicaine (Bogad 2016 : 32- 35). L’action artistique hautement médiatisée revêt la forme d’une énorme manifestation lors de laquelle des participants « performent » l’image censurée en portant des répliques de cercueils en carton recouverts de drapeaux dans les rues de la métropole à la manière d’une procession funèbre en l’honneur des quelque mille soldats américains qui avaient jusqu’alors trouvé la mort en Irak (fig. 3.14). Ce n’est finalement qu’en en février 2009, sous l’administration Obama, que l’interdiction des images de l’arrivée des dépouilles des soldats à Dover est abolie, laissant plutôt aux familles la discrétion de décider si elles souhaitent que la cérémonie soit documentée ou non (Bumiller 2009). L’héritage des mesures censoriales de la guerre contre la terreur est toutefois encore bien palpable au tournant des années 2010.

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Figure 3.14 Jenna Hunt et Mike DeSeve, One Thousand Coffins, New York, août 2004.

Ces controverses brièvement esquissées mettent en évidence le potentiel subversif de la représentation du drapeau américain. La polémique n’est en effet jamais bien loin lorsqu’il est question de son usage ou de sa représentation dans des œuvres à connotation politique, particulièrement lorsque les artistes font valoir des positions antimilitaristes ou critiques de la notion d’identité nationale. La murale de Blu apparaît en ce sens comme doublement contentieuse, faisant appel à un type d’imagerie proscrite de l’espace public pendant près de vingt ans aux États-Unis et mobilisant la présence – indirecte certes – du drapeau américain, associé à un grand nombre de controverses artistiques au cours des dernières décennies. Sachant qu’une œuvre destinée à l’extérieur du pavillon du MOCA avait déjà fait l’objet d’un débat avec la communauté locale par le passé, commander une murale à un street artist pour le même site sans exiger d’études préparatoires constitue un pari risqué. L’équipe curatoriale du MOCA aurait certainement pu tirer leçon des démarches qui ont présidé à la réalisation de Untitled (Questions), apportant des modifications au projet de Blu en amont plutôt qu’en aval. Il faut admettre que le moment apparaît particulièrement inopportun pour le musée d’être accusé de cautionner une murale qui ferait preuve d’insensibilité culturelle ou d’hostilité envers les vétérans; or, il l’est possiblement encore moins pour détruire une œuvre de street art alors que son directeur nouvellement entré en poste souhaite légitimer les pratiques artistiques urbaines au sein de la sphère institutionnelle.

Il semble que des considérations liées aux droits moraux de Blu aient cédé le pas à des préoccupations plus immédiates, Deitch tenant à prévenir coûte que coûte une controverse qui pourrait nuire au projet de relance du MOCA. C’est ainsi que des ouvriers se présentent sur le

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site de la Geffen Contemporary le matin du 9 décembre 2010. Équipés d’une nacelle élévatrice, ils procèdent en quelques heures au blanchiment de la murale. Dans le jargon du graffiti, elle se voit ainsi buffed.P206FP206F

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La procédure permet de rétablir l’aspect original du pavillon, à l’exception de la bande signalétique peinte qui parcourait le haut du bâtiment.