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77 raconte-t-on en ondes.P83FP83F

2.3 Entre destruction et création

Tandis que des internautes et des riverains expriment leur soulagement face à la disparition de l’œuvre, des artistes et d’autres personnes impliquées dans le milieu de l’art s’affairent quant à eux à organiser un mouvement de contestation dans l’urgence. Le 17 juin en début d’après-midi, alors que Dialogue avec l’histoire est réduite à une pile de gravats, Philip Després, étudiant en arts visuels, se rend sur la Place de Paris avec la ferme intention de montrer son désaccord face à l’opération brutale qui vient d’avoir lieu. Després réalise une intervention de plus d’une heure dans laquelle il offre ses excuses à Raynaud, muni d’une toile blanche sur laquelle on peut lire « Désolé Monsieur Raynaud de faire partie d’un peuple d’incultes ». Afin d’incarner l’esprit de

42 L’auteur Samuel Mercier (2015) considère la destruction de l’œuvre, aussi brutale soit-elle, comme son véritable

aboutissement : « Peut-être ne faut-il pas seulement lire la médiocrité provinciale de nos décideurs dans cet acte de barbarie culturelle, mais bien comprendre la destruction du Dialogue avec l’histoire comme l’achèvement d’une œuvre qui n’aura jamais été aussi grande qu’au moment de son effondrement ».

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l’œuvre – et de faire une entrée remarquée – l’artiste porte un béret, une longue perruque blanche ainsi qu’un maillot deux-pièces de la même couleur sur lequel est peint un motif de carreaux, rappelant l’aspect de la sculpture. Le performeur à la silhouette filiforme est de ce fait assuré d’attirer les regards sur lui.P110FP110F

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Cette intervention spontanée est la première de trois actions réalisées par Després sur le site au cours de l’été 2015.P111FP111F

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Des actions collectives sont aussi mises sur pied au lendemain de la démolition. C’est à l’initiative du photographe et commissaire montréalais Emmanuel Galland que naît le Collectif de défense du Dialogue avec l’histoire le 15 juin – soit la date de l’annonce du retrait de l’œuvre de Raynaud.P112FP112F

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Les individus qui s’associent de près ou de loin à cette entité (évoluant pour la plupart dans le milieu culturel, dont Paul Brunet, artiste en arts visuels) souhaitent dénoncer la destruction de la sculpture, geste qualifié de honteux, de même que l’attitude cavalière du maire de Québec dans cette affaire, car celui-ci s’est empressé de raser l’œuvre sous prétexte qu’elle n’était pas sécuritaire sans engager une quelconque forme de dialogue ou de consultation au préalable. Par les actions qu’il entreprend, le Collectif entend faire valoir que la décision du maire est loin d’être unanime et qu’il a agi de manière antidémocratique en refusant de mettre en place tout processus de médiation.P113FP113F

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Le collectif fait d’abord paraître une pétition réclamant la reconstruction de l’œuvre, « dans son intégralité et au même endroit » sur le site du Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV) le 18 juin 2015.P114FP114F

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Transférée deux jours plus tard sur le site Avaaz, plateforme internationale de diffusion de pétitions en ligne, la pétition recueille plus de mille signatures en l’espace de deux semaines (Lavallée 2015).P115FP115F

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Animés par une logique comparable à celle des activistes à l’origine du Museum of Censored Art mis en place à la suite de la censure de A Fire in My Belly de Wojnarowicz, les membres du collectif souhaitent faire tout en leur pouvoir pour que l’œuvre revienne à l’endroit où elle devrait être, en l’occurrence sur la Place de Paris. Un événement Facebook est également créé le

43 Une vidéo documentant cette performance a été mise en ligne le même jour sur la page Facebook de l’artiste.

[En ligne]

https://www.facebook.com/785022439/videos/10153539598612440/?hc_ref=ARRbttApLg0G9MQwmXbllhz0b9c3 nxU4ktpuEtw7gAtcu2oHUi8Nn3ivI-Lf_NcbwgA. Consulté le 20 août 2017.

44 Nous y revenons plus loin.

45 Une autre personne s’est jointe à lui au moment de l’amorce du projet, mais elle ne souhaite pas être identifiée. 46 Celui-ci aurait pu prendre la forme d’audiences publiques, à l’exemple de ce qui avait été fait dans le cas du Square

Viger.

47 [En ligne] http://www.raav.org/petition-pour-la-reconstruction-de-loeuvre-dialogue-avec-lhistoire. Consulté le 20

août 2017.

48 En juillet 2016, plus de mille deux cents personnes avaient signé la pétition. [En ligne]

https://secure.avaaz.org/fr/petition/M_le_Maire_de_la_Ville_de_Quebec_Regis_Labeaume_Pour_la_reconstructi on_de_loeuvre_Dialogue_avec_lhistoire. Consulté le 20 août 2017. Une pétition s’opposant à cette initiative, intitulée « les citoyens de Québec : contre la pétition du RAAV pour reconstruire le cube de Jean-Pierre Raynaud », est publiée le 7 juillet sur Avaaz. Aujourd’hui fermée, elle n’a récolté qu’un maigre quarante-six signatures. [En ligne] https://secure.avaaz.org/fr/petition/les_citoyens_de_Quebec_contre_la_petition_du_RAAV_pour_reconstruire_le _cube_de_JeanPierre_Raynaud/. Consulté le 20 août 2017.

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25 juin. On peut lire dans le message de présentation la déclaration suivante : « Donnons-nous rendez-vous LE 31 AOÛT 2017 pour le dévoilement de l’œuvre reconstruite et réimplantée […], 30 ans jour pour jour après son inauguration de 1987 ! ».P116FP116F

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Le groupe convie plusieurs personnalités politiques, dont nuls autres que le président de la République française, le Premier ministre du Canada ainsi que les médias et les citoyens de Québec, à une hypothétique cérémonie officielle de dévoilement de l’œuvre, intitulée Dialogue avec l’histoire 2, « reconstituée / restaurée / réhabilitée / réimplantée » dans son site original.

Au fil des semaines, les individus qui s’associent à cette communauté fluide publient un grand nombre d’articles d’actualité concernant la controverse et échangent au sujet de stratégies pour mener à bien leur projet sur cette page Facebook. Celle-ci constitue un endroit où se nouent des « connexions inattendues » (Latour 2006 : 8) entre les différents médiateurs impliqués : elle fait en quelque sorte office de quartier général du Collectif pour la défense du Dialogue avec l’histoire, servant notamment au recrutement de nouveaux membres. C’est aussi sur cette micro-plateforme, opérant en régime de clair-obscur (Cardon 2010), que sont diffusées des informations concernant les interventions des artistes liés au collectif. Porte-parole du groupe, Galland y documente rigoureusement les nouveaux développements de l’affaire pendant les mois qui suivent la destruction de l’œuvre de Raynaud. Une vingtaine de personnes sont actives sur la page, comprenant artistes, historiens de l’art et créateurs issus de différents milieux. Si certains internautes résument leur intervention à une seule publication ou un seul commentaire, d’autres sont cependant très présents sur la page, intervenant, pour certains, de manière quotidienne. Le maître d’œuvre du collectif insiste sur le caractère ad hoc du projet qu’il pilote, n’agissant pas au nom d’une quelconque organisation préexistante : « Les membres du Collectif de défense du Dialogue avec l’histoire sont indépendants de tout organisme, organisation, institution » précise Galland.P117FP117F

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Il s’agit là d’un exemple éloquent des associations mobiles et fluctuantes autorisées par les réseaux socionumériques. Tel que le précise Latour (2006 : 52),

les agrégats sociaux ne sont pas l’objet d’une définition ostensive – comme le sont par exemple les tasses, les chats ou les chaises, que l’on peut pointer du doigt – mais seulement une définition performative : ils existeraient en vertu des différentes façons dont on affirme qu’ils existent.P118FP118F

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49 L’auteur souligne. [En ligne] https://www.facebook.com/events/1460552414260454/. Consulté le 20 août 2017. 50 Citation tirée d’un commentaire de Galland apparaissant au bas d’une publication de Sébastien Hudon datée du 7

juillet sur la page de l’événement. [En ligne]

https://www.facebook.com/events/1460552414260454/?active_tab=posts. Consulté le 20 août 2017.

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Qu’importe alors s’il ne s’agit pas d’un groupe fixe comme l’aurait souhaité le porte-parole. Même si Galland regrette que les artistes et travailleurs culturels québécois n’aient pas été plus nombreux à se joindre au collectif, il considère les actions menées (pétition, événement Facebook) comme une réussite, dans la mesure où elles catalysent d’autres interventions contestataires par la suite et qu’elles galvanisent un public oppositionnel.P119FP119F

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Le mouvement de contestation face à démolition de la sculpture de Raynaud ne prend toutefois pas forme qu’en ligne. Un élan de mobilisation lancé par le sociologue et critique d’art Guy Sioui Durand donne lieu le 19 juin à un rassemblement en présence de quelques personnes sur une Place de Paris « désormais orpheline ». Ses intentions sont déclinées dans un message d’invitation publié deux jours plus tôt de manière publique sur Facebook :

Je vous invite à venir discuter en citoyens libres de dignité, d’envergure et d’importance d’un art qui occupe les places publiques non pas pour « les autres », ces touristes à qui l’on vend ou nos concitoyens que l’on divertit – au sens de détourner – par une culture et du spectacle « show bizz » et de « l’entertainment » [sic], somme toute empruntés au puissant voisin […]. Non, cette place publique où des œuvres fortes, puissantes, d’envergure internationale occupent justement [sic], au sens où le philosophe Jürgen Habermas utilise le mot publicité. Il s’agit de publiciser l’espace du commun usage contre les publicités envahissantes des usines à instant […].P120FP120F

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Évoquant parallèlement la situation d’Agora, œuvre aussi menacée de destruction, Sioui Durand appelle à la solidarité du milieu artistique devant les affronts répétés des gestionnaires municipaux. Il juge ces derniers hostiles aux œuvres qui ne correspondent pas à l’idéal prôné en ce qui concerne les projets d’art public. L’objectif de l’occupation orchestrée par le critique est double : d’une part, faire « réexister l’œuvre »P121FP121F

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, ne serait-ce que l’espace d’un moment, en affirmant sa validité, sur les lieux mêmes où elle avait « vécu » pendant près de trente ans et, d’autre part, susciter l’indignation des artistes et des acteurs du milieu culturel, considérant selon lui que toute la communauté artistique est touchée par cette polémique. Une fois sur place, Sioui Durand en profite par ailleurs pour récupérer un fragment de l’œuvre auprès d’ouvriers affairés à nettoyer le site – et ainsi faire disparaître toute trace de la stèle de marbre. Également présent, le sculpteur Pierre Bourgault édifie à cette occasion une réplique miniature de l’œuvre de Raynaud réalisée au moyen de cubes de bois peints en blanc superposés sur un socle qu’il dispose à l’emplacement initial de la sculpture, désormais couvert d’un mince gravier (fig. 2.13). Cette

52 Informations obtenues à l’occasion d’un entretien avec Galland en juin 2016. 53 [En ligne] https://www.facebook.com/pierre.bourgault. Consulté le 20 août 2017. 54 Tiré d’une conversation téléphonique avec Sioui Durand en juin 2016.

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création symbolique rappelle une série d’œuvres éphémères créées par l’artiste au cours des années 2000.P122FP122F

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Placées près des rives du Saint-Laurent, ces sculptures monumentales faites de blocs de sel étaient elles aussi vouées à disparaître, rongées graduellement par l’eau et l’air marin. La correspondance stylistique entre les créations in situ de l’artiste et Dialogue avec l’histoire avait justement été relevée par le passé (Dallaire Ferland 2012). Il n’est pas étonnant que Bourgault se soit impliqué dans cette controverse, s’étant lui-même retrouvé au centre d’un débat médiatique au moment de l’installation de son œuvre Latitude 51PP

o PP 27' 50'', Longitude 57PP o PP 16' 12" (1996) sur la promenade Samuel-De-Champlain à Québec en 2007. La sculpture avait alors suscité une vive opposition de la part de certains journalistes et citoyens de Québec, qui déploraient sa facture, prétendument grossière, froide et mal adaptée à son site d’accueil (Saint- Laurent 2007 : 23).P123FP123F

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Figure 2.13 Guy Sioui Durand et Pierre Bourgault devant la réplique miniature érigée

à l’emplacement original de Dialogue avec l’histoire sur la Place de Paris, 19 juin 2015.

D’autres artistes soumettent aussi des projets hypothétiques en lien avec la disparition du Colosse. Luc Archambault (2015), un artiste de Québec ayant réalisé des projets d’art public dans la capitale, propose dans une lettre ouverte publiée le 20 juin dans Le Soleil de créer une œuvre avec les restes de la sculpture, « pour témoigner de ce qui s’est passé à Québec dans la tête de nos élites en charge des œuvres d'art pour aboutir à telle aberration, sauvage,

55 Dont Pilier de sel (2002) et Un Jardin en Mer (2005).

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“gaspillatrice”, tout sauf économe ou responsable ». Il va sans dire que la Ville ne donne pas suite à sa requête. Des objets variés entrant dans la lignée des mèmes Internet apparaissent également en ligne dans les semaines suivant la démolition de la stèle. Sur un ton plus caustique, Benoît David (2015), artiste en arts visuels spécialisé en photographie numérique, suggère pour sa part sur son blogue de reconstruire l’œuvre et de remplacer les plaques de marbre par des écrans numériques sur lesquels apparaîtraient des images consensuelles et assurées de plaire aux citoyens : des fleurs, des reproductions des immeubles environnants (en guise de « camouflage » pour que la sculpture puisse se fondre dans le paysage, spécifie-t-il), une statue de Samuel de Champlain pour faire plaisir aux touristes ou encore un portrait du maire Labeaume (« une pensée à la hauteur de l’estime qu’il se porte ») (fig. 2.14).P124FP124F

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Non sans ironie, David transforme de cette façon l’œuvre méprisée en un monument à l’effigie de l’iconoclaste. Une œuvre numérique de Gabrielle Bernatchez, intitulée Dialogue avec le party, est aussi mise en ligne le 24 juin.P125FP125F

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Cette création, se présentant comme un « hommage ludique »P126FP126F

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à la sculpture détruite, prend la forme d’une animation en trois dimensions de la stèle de Raynaud qui tourne sur elle-même à l’infini. Programmée pour se transformer au fil des mouvements des internautes, l’œuvre interactive montre initialement la reproduction de Dialogue avec l’histoire couverte de carrés blancs (fig. 2.15), puis elle se pare de couleurs lorsqu’elle est survolée par une souris, rappelant de cette manière le surnom de « cube Rubik » qui avait été donné à l’œuvre (fig. 2.16) – ce qui lui confère par ailleurs un côté « festif ». L’artiste en arts visuels Patrick Fortin Boudreau publie quant à lui sur sa page Facebook personnelle en date du 7 juillet un photomontage dans lequel l’œuvre déchue est remplacée par une image de Tree (2014) de Paul McCarthy sur la Place de Paris (fig. 2.17). Il évoque ainsi ironiquement le sort commun des deux œuvres controversées. En effet, Tree, sculpture gonflable aux dimensions monumentales, avait fait polémique dès son arrivée sur la Place Vendôme à Paris en octobre 2014. Vandalisée à peine deux jours après son installation, elle n’est pas remise en état par la suite. L’œuvre, dont la forme délibérément ambigüe rappelle à la fois un arbre de Noël et un jouet sexuel, avait été installée temporairement à l’occasion de la Foire internationale d’art contemporain (FIAC).P127FP127F

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Dans le montage de Fortin, qui reprend le principe de l’image macro (où une image est associée à un élément textuel), la phrase « Regarde chérie comme c’est beau, on se croirais [sic] à Paris ! » superposée à une photographie de la Place de

57 Les photomontages de l’artiste sont disponibles à cette adresse : [En ligne]

https://licencedartiste.com/2015/07/08/jean-pierre-raynaud-2/. Consulté le 20 août 2017.

58 L’œuvre est accessible à l’adresse suivante : [En ligne] http://www.gabriellebernatchez.com/. Consulté le 20 août

2017.

59 Tiré d’un échange avec l’artiste par courriel datant de janvier 2017. 60 Pour plus de détails sur cette controverse, voir Legayet (2014).

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Paris rappelle de plus le caractère inauthentique de l’architecture du secteur de Place-Royale, conçu pour être un attrait touristique et non pas un reflet fidèle du site à l’époque de la Nouvelle-France. De telles réinterprétations numériques au ton parodique, catégorie dans laquelle il faut aussi inclure Dialogue avec les gorilles de Mercader, que nous avons vue plus tôt, s’inscrivent dans un phénomène plus large de culture du partage et du remixage de contenus visuels en ligne. Comme le montrent Dietschy, Clivaz et Vinck (2015 : 29) avec l’exemple probant du cas de l’Ecce Homo de Borja, « Le champ médiatique digital, […] défini par la reproductibilité, amplifie et accélère la réception massive des œuvres et les pratiques d’appropriation ». La sculpture de Raynaud, malgré la perception négative que s’en faisaient une partie des citoyens et des internautes, n’avais jamais fait l’objet de telles manifestations dérivées avant sa destruction, sa présence photographique en ligne avant juin 2015 étant assez restreinte (sites gouvernementaux ou de tourisme, quelques occurrences sur Flickr, etc.). Ce n’est qu’à partir du moment où l’œuvre originale cesse d’exister physiquement, sa visibilité en ligne étant dès lors décuplée grâce à une couverture médiatique soutenue, que des réappropriations de cette nature voient le jour en ligne.

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Figures 2.15 et 2.16 Gabrielle Bernatchez, Dialogue avec le party, 2015. Première capture d’écran :

aspect initial, seconde capture d’écran : après un bref survol de souris.

Figure 2.17 Patrick Fortin Boudreau, Sans titre, 2015.

Une semaine après le rassemblement de la place de Paris convoqué par Sioui Durand, une série d’autocollants représentant la sculpture de Raynaud sont apposés dans des lieux publics de la Basse-Ville, afin que l’œuvre « puisse continuer de vivre un peu partout dans la ville »P128FP128F

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. Fruits de l’initiative de Marie-Christine Tardif, citoyenne de Québec, les illustrations de style schématique se déclinent en deux versions : l’une donne à voir la sculpture avec des yeux larmoyants alors que l’autre la montre arborant un sourire, « heureuse de revivre » ainsi en différents endroits de la ville. Peu après, plus précisément le 4 juillet au petit matin, apparaissent de singuliers fantômes dans la Vieille Capitale : il s’agit de pochoirs à l’effigie de la sculpture disparue ayant été dispersés dans le quartier Saint-Roch et dans le Petit Champlain. L’un d’entre eux se trouve sur la Place de Paris, juste au-dessus du carré de granite qui faisait

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partie de l’aménagement de l’œuvre (fig. 2.18). Réalisés à partir de peinture aérosol de couleur blanche, les pochoirs reprennent les formes de la sculpture détruite, « sertie de petits éclats qui veulent représenter le surgissement de l’étonnement » (Clitandre 2015 : 103). Il faut dire que le langage visuel simple de l’œuvre originale en fait une référence particulièrement appropriée pour ce type de réincarnation furtive. L’auteur, qui n’en n’est pas à sa première intervention dans l’espace urbain, prend soin de ne pas apposer ses pochoirs sur des propriétés privées : ils apparaissent plutôt sur des parapets de béton, des cloisons de chantiers de construction (fig. 2.19) ou encore sur des parois déjà assaillies par les tagueurs, comme au Jardin Saint-Roch (fig. 2.20). Malgré la taille réduite de ces « treize petits Raynaud », comme les désigne celui qui les a créés, leur présence est rapidement remarquée, si bien que des journalistes signalent l’existence de ces curieux micro-monuments contestataires dans les jours qui suivent (Genest 2015; Plante 2015).P129FP129F

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L’artiste, qui préfère alors demeurer anonyme, affirme également avoir reçu des requêtes spéciales pour en faire d’autres à des endroits précis par la suite, demandes qu’il a déclinées.P130FP130F

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Figures 2.18 et 2.19 Wartin Pantois, Hommage à Jean-Pierre Raynaud,

Place de Paris et rue Notre-Dame, Québec, juillet 2015.

62 Les informations mentionnées dans ce paragraphe sont tirées de courriels échangés au printemps et à l’été 2016

avec l’auteur des pochoirs.

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Figure 2.20 Wartin Pantois, Hommage à Jean-Pierre Raynaud,

Jardin Saint-Roch, Québec, juillet 2015.

La quatorzième intervention de l’artiste est quant à elle réalisée à un endroit spécifiquement choisi pour son histoire, soit sous une bretelle de l’autoroute Dufferin-Morency dans le quartier Saint-Roch, ancien emplacement de l’Îlot Fleurie. Il s’agit d’un lieu phare de la résistance artistique et citoyenne à Québec, où la réappropriation de l’espace urbainPP PPest devenue, au

tournant des années 1990, le mot d’ordre de créateurs et de militants en tout genre, allant