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Chapitre 4 : Le test booléen du modèle théorique

3. L’interprétation des résultats

3.3. L’explication des cas positifs impliqués dans les configurations contradictoires à l’aide de

3.4.3. Les variables stratégiques

 L’inclusion respective des variables ALL et ALLNUC dans les deux modèles donne le résultat suivant :

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * ALL {0} → COOPNUC {1}

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �ALLNUC {0}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

Ainsi l’existence d’une alliance militaire entre un État fournisseur et un État récipiendaire ne favorise pas forcément leur coopération de même le fait que l’État fournisseur soit un allié d’un État nucléaire ne l’empêche pas de s’engager dans une coopération avec un État demandeur quelconque. Si Matthew Fuhrmann (2009a : 188) a trouvé que les États fournisseurs sont plus susceptibles d’exporter des technologies nucléaires civiles à leurs alliés militaires plutôt qu’aux États non-alliés, nous avons découvert, tout comme Matthew Kroenig (2010 : 46), qu’il n’y a simplement jamais eu de coopération nucléaire militaire entre des alliés unis par un pacte de défense. La Chine et la Corée du Nord ont signé, en 1961, un pacte de défense toujours en vigueur aujourd’hui. Mais les deux pays n’ont pas coopéré dans le cadre de leurs programmes nucléaires respectifs (Witt, Poneman, &

Gallucci, 2004). Par ailleurs, si le Brésil et le Japon, alliés militaires des États-Unis, ne se sont engagés dans aucune transaction nucléaire militaire avec quelque État que ce soit, l’alliance militaire entre la Chine et la Corée du Nord n’a pas empêché cette dernière d’assister la Syrie dans le cadre du programme nucléaire de cette dernière. Par conséquent les hypothèses selon lesquelles la coopération nucléaire militaire est un moyen de renforcer une alliance et que les décisions, en matière d’exportations nucléaires militaires, d’un État fournisseur sont susceptibles d’être influencées par le fait qu’il bénéficie indirectement du parapluie nucléaire d’un allié ne trouvent pas de confirmation dans notre étude.

Etel Solingen (2007 : 25) a montré que les garanties de sécurité offertes par les États-Unis au Japon n’expliquent pas adéquatement la décision du Japon de s’abstenir d’acquérir des armes nucléaires. Plus généralement, elle a démontré que les engagements sécuritaires des États-Unis et de l’URSS envers leurs États clients (la Corée du Nord, l’Iraq, Israël, et le Pakistan) n’ont pas conduit ces États à renoncer à la fabrication des armes nucléaires. De même, l’absence de garanties sécuritaires n’a joué aucun rôle dans la remise en cause des ambitions nucléaires de l’Égypte (1971), de la Libye (2003), de l’Afrique du Sud, de l’Argentine ou du Brésil. Du point de vue des fournisseurs, notre étude tend à confirmer ces résultats.

L’inclusion respective des variables ARMNUC, GRPUISS et PUISSREL dans les deux modèles donne le résultat suivant :

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * ARMNUC {1} → COOPNUC {1}

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �GRPUISS {1}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �PUISSREL {1}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

Dans tous les cas de coopération nucléaire, l’État fournisseur disposait d’armes nucléaires (ARMNUC {1}) pendant la période de coopération avec l’État récipiendaire potentiel même si, dans au moins deux cas, il n’avait pas effectué de test nucléaire avant les transactions nucléaires : 1) la Corée du Nord n’effectue son premier test nucléaire qu’en 2006 mais a commencé son assistance nucléaire à la Syrie dès 2000; et 2) le Pakistan n’effectue ses premiers tests nucléaires qu’en 1998,

171 bien après avoir commencé sa coopération nucléaire avec l’Iran (1987), la Corée du Nord et la Libye (1997). Toutefois, il faut savoir que ces deux pays pouvaient déjà être considérés comme États nucléaires avant qu’ils effectuent des tests officiels. Car, outre le test nucléaire, l’accumulation d’une

quantité significative de matière fissile (QS) est le second indicateur de mesure de l’acquisition d’une

capacité nucléaire par un État (Hymans, 2010). Selon cette conceptualisation du statut nucléaire d’un État, dont les tenants mettent en avant qu’elle permet d’éviter la surprise stratégique, et qui part du principe selon lequel, d’un point de vue purement technologique, l’explosion d’un dispositif nucléaire n’est pas strictement nécessaire à la fabrication des armes, la Corée du Nord était déjà nucléaire bien avant 1992 (Hymans, 2010 : 162) ou en tout cas dès 1994 (Dunn, 2009 : 156) et le Pakistan depuis 1987 (Dunn, 2009 : 156; Sasikumar & Way, 2009 : 100)204.

On peut donc penser, en prenant pour acquis le caractère anarchique du système international, que les États fournisseurs ne s’engagent dans une coopération nucléaire que lorsqu’ils se considèrent déjà capables de dissuader une éventuelle attaque nucléaire de l’ami d’hier susceptible de devenir l’ennemi de demain (on considère ici la QS) ou tout au moins lorsqu’ils sont assurés de pouvoir être en mesure de le faire avant que l’éventuelle menace ne se concrétise (on considère ici le test nucléaire). Dans notre univers empirique, aucune transaction nucléaire militaire n’a été enregistrée entre un État fournisseur qui n’a jamais fabriqué d’armes nucléaires ou qui s’est juste contenté de rester au seuil nucléaire et des États récipiendaires potentiels : le Brésil n’a jamais fabriqué d’armes nucléaires et n’a jamais non plus assisté aucun État dans son programme nucléaire; le Japon considéré comme un « État du seuil » n’a jamais assisté aucun autre État dans sa quête de la bombe. L’Afrique du Sud est le seul État fournisseur potentiel ayant fabriqué des armes nucléaires — dans ce cas-ci encore le pays n’a pas effectué de test nucléaire — à ne pas avoir coopéré avec un État récipiendaire potentiel. Mais c’est également le seul État, de toute l’histoire de la prolifération, à avoir renoncé à ses armes nucléaires en démantelant son programme nucléaire militaire. En définitive, ces résultats infirment l’hypothèse selon laquelle les États nucléaires seraient moins enclins à assister des États non nucléaires dans le but de limiter l’accès au « club nucléaire » pour des raisons de sécurité.

Le fait que la condition « grande puissance » soit présente (GRPUISS {1}) dans l’un des deux termes de la formule est à interpréter avec beaucoup de précautions compte tenu du fait que dans notre

univers empirique, seule la Chine et le Japon jouissaient de ce statut. La seule conclusion valable à tirer du résultat issu de l’inclusion de cette variable dans les deux modèles est la mise en évidence, encore une fois, des trois conditions IDEOL {1}, ENNEMI {1} et ECODEVB {0} comme nécessaires au passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matière et technologies nucléaires militaires; tout comme c’est le cas avec l’inclusion de la condition « puissance relative », à la différence que la présence de cette dernière (PUISSREL {1}) dans l’un des deux termes de la formule est beaucoup plus riche d’enseignement. En effet, dans 11 des 13 cas de coopération nucléaire avérée et suspecte, soit 85%, l’État fournisseur était beaucoup plus puissant que l’État récipiendaire. De même, la puissance relative d’Israël était supérieure à celle de l’Afrique du Sud au moment de leur coopération nucléaire. Seules les puissances relatives de la Corée du Nord et du Pakistan par rapport à l’Iran et l’Irak, respectivement, étaient inférieures pendant la période de leur coopération nucléaire. Et encore, les différences étaient minimes205. Si nous prenons en considération seulement les cas de coopération réelle, le ratio est de 100%.

Ce résultat contredit totalement la relation négative entre puissance relative et assistance nucléaire sensible découverte par Kroenig (2009a : 122) et tend plutôt à confirmer l’hypothèse contraire selon laquelle les États plus puissants serait plus enclins à partager leur savoir nucléaire compte tenu du fait qu’ils peuvent mieux dissuader une probable attaque (nucléaire) de leur ancien client. Bien évidemment, nos deux mesures de la variable « puissance relative » sont différentes. Pour déterminer l’impact de la puissance relative sur la coopération nucléaire, nous avons simplement comparé les capacités nationales moyennes des deux membres d’une dyade pendant la période de coopération alors que Kroenig, qui part du postulat selon lequel la capacité d’un État à projeter sa puissance sur un autre État dépend de la distance géographique entre les deux, procède ainsi : « Relative power, a supplier state’s ability to project power over a potential recipient, is measured as the capability of the supplier state, discounted by distance from the supplier to the potential recipient state, minus the capability of the potential recipient state » (Kroenig, 2009a : 120). Malgré tout, nous avons aussi constaté, pour notre part, que la distance géographique entre le fournisseur et le récipiendaire n’avait aucune incidence sur la coopération nucléaire.

205 Voici les différents CINC des deux dyades : Corée du Nord/Iran : 0,011573867/0,01233266; Pakistan/Irak :

173  L’inclusion de la variable CONTIG ou CONTIG+ dans les deux modèles donne le résultat

suivant :

Formule [1] : IDEOL {1} * ADHTNP {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * CONTIG {0} + IDEOL {1} * ADHTNP {0} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * CONTIG {1} → COOPNUC {1}

La présence ou l’absence des conditions CONTIG (ou CONTIG+) et ADHTNP n’affecte pas le résultat. Ces deux variables peuvent donc être ignorées selon la logique de minimisation booléenne. Ce qui donne la formule suivante : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} → COOPNUC {1}. C’était notre formule de départ; la formule de la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux. Encore une fois, nous avons la preuve que l’adhésion ou non du fournisseur ou du récipiendaire au TNP n’a aucune incidence sur la coopération nucléaire. En incluant simultanément les deux variables PUISSREL et CONTIG (ou CONTIG+) dans les deux modèles, selon la logique de Kroenig (2009a : 120) nous avons la formule ci-dessous qui confirme que la proximité ou l’éloignement géographique n’affecte en rien la coopération nucléaire, et la relation positive entre cette dernière et la puissance relative.

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0}* PUISSREL {1} → COOPNUC {1}. La théorie stratégique de la prolifération nucléaire de Mathew Kroenig (2009a; 2010) trouve ainsi ses limites ici.

 L’inclusion respective de la variable RELDIPLO ou RELDIPLO+ et de la variable COOPCONV dans les deux modèles donne les résultats suivants :

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * RELDIPLO (+) {1} → COOPNUC {1}. Ce résultat est conforme aux prédictions théoriques selon lesquelles les États qui ont des rapports diplomatiques coopèrent entre eux.

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �COOPCONV {1}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

Dans 10 des 13 cas de coopération nucléaire avérée et suspecte, soit 77%, l’État fournisseur coopérait dans le domaine des armements conventionnels avec l’État récipiendaire. Seules les

dyades Pakistan-Irak, Pakistan-Libye, et Pakistan-Corée du Nord n’étaient pas engagées dans un commerce d’armes conventionnelles avant leur période de coopération nucléaire206. En considérant juste les cas de coopération avérée, le ratio est de 100%.