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Chapitre 4 : Le test booléen du modèle théorique

3. L’interprétation des résultats

3.3. L’explication des cas positifs impliqués dans les configurations contradictoires à l’aide de

3.4.4. Les variables économiques

Pour donner plus de robustesse à notre hypothèse économique, nous avons testé l’effet de deux autres variables sur les deux modèles : ECOOUVA (ECOOUVB) et DEPCOMM.

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVA {0} * �ECOOUVA {0}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * � ADHTNP {1}ECOOUVB {0} → COOPNUC {1}

Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �DEPCOMM {1}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

L’absence de la condition ECOOUVA (ECOOUV {0}) ou de la condition ECOUUVB (ECOOUVB {0}) dans l’un des deux termes de la formule [1] confirme l’hypothèse selon laquelle l’ouverture de plus en plus prononcée de l’économie d’un État fournisseur décourage son implication dans une coopération nucléaire militaire (Solingen, 2007; Müller & Schmidt, 2010). La présence de la condition DEPCOMM (DEPCOMM {1}) dans l’un des deux termes de la formule [1] confirme l’hypothèse selon laquelle les États fournisseurs coopèrent avec les États avec lesquels ils entretiennent des relations commerciales étroites. Parmi nos cas de coopération nucléaire avérée, les fournisseurs étaient dépendants commercialement des récipiendaires dans les dyades Chine-Iran, Chine-Pakistan, Pakistan-Iran, et Israël-Afrique du Sud. Seule la dyade Pakistan-Libye ne connaissait pas une relation de dépendance économique. Malheureusement, l’absence de données économiques sur la Corée du Nord ne permet pas de se prononcer sur le cas Pakistan-Corée du Nord.

L’inclusion de la variable IMPORTSF2 dans les modèles donne le résultat suivant qui soutient l’argument économique :

206 Toutefois, l’Irak a été le client du Pakistan après leur période de coopération nucléaire. Dès 2004, les deux États

175 Formule [1] : IDEOL {1} * ENNEMI {1} * ECODEVB {0} * �IMPORTS F2 {1}ADHTNP {1} → COOPNUC {1}

Parmi nos cas de coopération nucléaire avérée, les importations des fournisseurs en provenance des récipiendaires étaient beaucoup plus significatives dans les dyades Chine-Iran, Pakistan-Iran, Chine- Pakistan, et Israël-Afrique du Sud que dans les autres dyades. Avec un seuil établi à 20.28, les importations de la Chine en provenance de l’Iran étaient par exemple de 3909.02. L’assistance nucléaire de la Chine au Pakistan reposait également sur des considérations économiques. Nous y reviendrons dans l’étude de ce cas au chapitre 5.

En somme, ces résultats montrent empiriquement l’importance des motifs économiques dans la coopération nucléaire. Théoriquement, nous nous attendions à ce que les États fournisseurs qui ont un faible niveau de développement économique, sont moins ouverts au commerce international et sont dépendants du commerce avec les États demandeurs coopèrent en matière nucléaire. C’est effectivement le cas. Puisque les variables économiques sont ordinales, nous avons refait les tests en utilisant la mvQCA qui a pour avantage d’éviter la perte des informations éventuellement dues à l’utilisation de la csQCA par la possibilité d’assigner plusieurs seuils aux variables (voir chapitre 3). Les résultats demeurent exactement les mêmes. Ce qui confirme la robustesse de nos résultats de recherche.

Ce premier chapitre empirique était consacré au test quali-quantitatif de notre modèle théorique. Premièrement, nous avons construit quatre tables de vérité à partir desquels l’analyse empirique est effectuée. Ces tables de vérité résultent de la prise en compte ou non de la Syrie en tant que récipiendaire potentiel et du choix entre deux types de codage de notre variable économique principale à savoir le niveau de développement de l’État fournisseur. Deuxièmement, nous avons présenté les équations booléennes produites par le logiciel d’analyse à partir des tables de vérité; il s’agit des équations expliquant à la fois la présence et l’absence de la variable dépendante, en l’occurrence la coopération nucléaire. Troisièmement, nous avons confronté les équations booléennes à différents cas d’étude et évalué l’effet de nombreuses autres variables sur les résultats afin de garantir la robustesse de ces deniers. Ce dernier exercice était particulièrement instructif en ce qui concerne le comportement de notre variable institutionnelle et normative à savoir l’adhésion au traité de non-prolifération.

Le test empirique initial a révélé que la présence ou l’absence de cette variable n’affectait pas l’occurrence du phénomène étudié. Les tests additionnels ont mis en lumière la présence de la variable dans certaines formules [1] alors qu’on se serait attendu au résultat contraire, c’est-à-dire que la variable soit absente dans ce type de formule et présente dans les formules [0]. Ces résultats indiquent que soit le régime de non-prolifération est ineffectif en ce sens que ses règles n’ont pas d’impact sur ses membres soit que ces derniers ne s’y conforment pas — parce qu’ils ne les ont pas internalisés ou parce qu’ils ont délibérément décidé de les violer — soit les deux à la fois.

En tout état de cause, ils montrent la fragilité du régime telle qu’illustrée, entre autres, par la coopération entre la Corée du Nord et la Syrie : la Corée du Nord a non seulement ouvertement violé le traité dont elle était membre en se lançant dans un programme nucléaire mais aussi, elle l’a dénoncé dès qu’elle l’a estimé nécessaire, devenant ainsi le premier pays à le faire; et ce, sans aucune sanction notable de la part des autres participants du régime. Plus, elle s’est engagée dans des transactions nucléaires militaires avec la Syrie, un autre État membre qui, en signant le traité avait renoncé à fabriquer des armes nucléaires.

Tout comme l’exemple syrien, l’exemple iranien montre que les États ont plus avantage à rester membre du TNP tout en poursuivant un programme nucléaire militaire qu’à le quitter notamment parce que le maintien de leur adhésion leur permet de dissimuler leurs véritables intentions nucléaires (Dunn, 2009 : 148). En profitant de leur droit inaliénable aux usages pacifiques de l’atome, ils peuvent ainsi s’échanger entre eux des technologies à double usage tout en fustigeant les suspicions de prolifération à leur égard (Dunn, 2009 : 159).

De nouvelles recherches sont toutefois nécessaires pour mieux comprendre la dynamique entre adhésion au TNP et choix nucléaires. Plus concrètement, il serait intéressant de mieux comprendre pourquoi les États adhèrent au traité comme l’explique Scott Sagan (2011 : 239) :

We know very little about why different governments joined the NPT and how their interests and interpretations have shaped the patterns of their compliance behavior. There are likely to be some states who joined the NPT to cement a nonproliferation bargain with regional rivals; some cheater states that joined while already having or planning covert nuclear weapons programs; and many more states that joined hoping membership would increase civilian nuclear technology transfer to them. There are likely to be even more states that joined the NPT as a part of joining the world order and have no intention of ever developing a civilian nuclear energy infrastructure, much less nuclear weapons […].

177 L’inclusion des différentes variables conditions additionnelles dans les différents modèles a aussi révélé que l’idéologie commune, le rival commun (ou l’ennemi commun) et le faible niveau de développement économique de l’État fournisseur étaient des conditions nécessaires au passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. En dépassant le stade strictement empirique, donc de la description pure et simple, pour franchir le stade de l’inférence causale comme l’indiquent King, Keohane et Verba (1994); et ce, par la prise en compte des cas logiquement non observés dans la réalité, dans l’analyse, l’idéologie commune ET l’ennemi commun; l’ennemi commun Et le faible niveau de développement économique de l’État fournisseur apparaissent comme des conditions suffisantes au passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires.

Les résultats des tests empiriques ont donc illustré l’aspect multi-causal du passage d’un État, de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. Ces résultats montrent que la coopération nucléaire entre les États dans le domaine militaire est un phénomène complexe qui gagnerait à être mieux appréhendé par un modèle théorique qui suppose l’acceptation de la complexité, donc un modèle éclectique; et une technique méthodologique qui prend d’assaut cette complexité, donc une méthode configurationnelle. Ainsi, aidés par la théorie interactive des échanges nucléaires militaires bilatéraux et l’analyse booléenne, nous avons pu mettre en lumière, de manière systématique, l’importance des facteurs culturels et économiques dans l’explication de la coopération nucléaire militaire. Ces facteurs ont été respectivement ignorés et minorés par la principale recherche sur le sujet dans la littérature actuelle (Kroenig, 2009a; 2010). Nous avons aussi pu confirmer l’importance des facteurs politico-stratégiques dans l’explication de la coopération nucléaire militaire à l’instar des deux principales recherches empiriques sur l’approche fournisseur- centrée des causes de la prolifération nucléaire (Kroenig, 2009a; 2010; Fuhrmann, 2012).

Passons maintenant au deuxième chapitre empirique qui s’attarde sur l’explication détaillée des échanges nucléaires entre la Chine, le Pakistan et l’Iran. Étudier, de manière plus approfondie, les coopérations nucléaires entre ces trois pays est pertinent pour au moins deux raisons : la première est que cette démarche permet de mieux comprendre la dynamique de la prolifération dans les deux principaux cas qui illustrent le mieux les formules [1] produites par le logiciel d’analyse booléenne, en l’occurrence les cas Chine-Pakistan et Pakistan-Iran; et la deuxième est que la démarche offre l’occasion d’éclairer, sous un autre angle, la question nucléaire iranienne, à l’heure où la crise qui

oppose l’Iran et la communauté internationale au sujet de son programme nucléaire est à son paroxysme, en retraçant le chemin de prolifération parcouru par ce pays qui a été à la fois le client de la Chine et du Pakistan.

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