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Chapitre 3 : Le design de recherche

2. Les définitions opérationnelles des variables

2.2. Les variables explicatives (les conditions) et leurs mesures

Un certain nombre de conditions, autant associées au concept d’opportunité qu’à celui de la volonté, ci-dessus explicités, seront utilisées pour tester les hypothèses formulées. L’affinité idéologique entre l’État fournisseur et l’État récipiendaire sera utilisée pour tester la proposition 1 du modèle théorique. Selon cette proposition, des affinités identitaires entre le fournisseur et le récipiendaire devraient favoriser la coopération nucléaire. L’adhésion de l’État fournisseur ou de l’État récipiendaire au TNP sera utilisée pour tester la proposition 2 du modèle théorique. Selon cette proposition, la participation du fournisseur ou du récipiendaire au régime de non-prolifération ne devrait pas défavoriser la coopération nucléaire. Ces deux premières variables sont donc associées au concept d’opportunité.

L’État rival commun à l’État fournisseur et à l’État récipiendaire sera utilisé pour tester la proposition

3. Selon cette proposition, la volonté de contenir un État menaçant commun au fournisseur et au récipiendaire devrait motiver l’assistance nucléaire. Le niveau de développement de l’État fournisseur, de même que l’ouverture économique de ce dernier et l’interdépendance commerciale entre lui et l’État récipiendaire, variables proxys, seront utilisés pour tester la proposition 4. Selon cette proposition, le désir de tirer profit financièrement de l’expertise nucléaire devrait justifier l’assistance nucléaire. Ces deux dernières variables sont donc associées au concept de volonté.

2.2.1. Les conditions associées à l’opportunité.

2.2.1.1. La condition identitaire: l’affinité idéologique.

Avec la variable IDEOL, il s’agit de déterminer dichotomiquement si les deux États engagés dans des échanges nucléaires ont des affinités identitaires pendant la période de leur coopération. Puisque les identités étatiques se construisent et se manifestent au niveau systémique, par le biais des interactions entre eux, et qu’il existe une relation de co-constitution entre ces identités et leurs manifestations (croyances intersubjectives), l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU), où les États ont l’occasion d’exprimer librement leurs idéologies118 — en l’occurrence ici leurs visions

118 Le terme "idéologie" fait l’objet de beaucoup d’interprétations en sciences sociales et il n’existe certainement pas de

définition unanimement acceptée du concept. Comme le note Gerring (1997 : 958-959) dans un travail intitulé “Ideology: A Definitional Analysis”: « Few concepts in the social science lexicon have occasioned so much discussion, so much disagreement, and so much self-conscious discussion of the disagreement, as “ideology” ». Ici, le concept est envisagé dans son acception la plus simple: « A set of closely-related beliefs or ideas, or even attitudes, characteristic of a group or community » (Plamenatz, 1970 : 15). Ce qui cadre avec ce constat de Gerring (1977 : 961): « Others have fled from ideology to worldview, attitude, symbol, myth, value, philosophy, rhetoric, culture, and various combinations of these core

partagées des affaires internationales —, est certainement l’environnement idéal pour mesurer les affinités identitaires entre les États.

Cette variable est donc mesurée à partir de l’Affinity of Nations Index qui reflète la similarité des préférences étatiques (reflet des identités étatiques) sur la base des votes des dyades à l’Assemblée générale des Nations Unies: «This [Affinity of Nations Index] can be seen as tapping revealed preferences, where more similar voting records indicate states with more compatible views on key issues » (Gartzke & Glenditsch, 2006 : 67)119. Dans le cadre de cette étude, nous avons utilisé la dernière version en date de la base de données de Strezhnev et Voeten qui couvre la période 1946- 2011120, et qui a été constituée à partir des votes ayant eu lieu sur les sujets suivants: le conflit palestinien (19%), les armes nucléaires et les matériels nucléaires (13%), le contrôle des armements et le désarmement (16%), le colonialisme (18%), les droits de l’homme (17%) et le développement économique (9%). L’index d’affinité constitue des valeurs sur une échelle d’intervalle [-1,1] pour tous les pays membres de l’ONU. Mais nous avons fait le choix d’utiliser la variable « agree2un » qui est l’index de similarité de vote. Cet index qui constitue des valeurs sur une échelle [0,1] est égal au total du nombre de votes où les deux États d’une dyade ont été en accord divisé par le nombre total de votes joints. L’index a été généré sur la base de deux catégories de données: 1 = vote en faveur; 0 = vote en défaveur. Nous avons choisi la médiane comme seuil de dichotomisation. La coupure à la médiane (median split) est une technique traditionnelle de transformation des variables continues en variables catégorielles dichotomiques121. Les valeurs au-dessus de la médiane sont codées 1. Les valeurs en dessous sont codées 0.

terms (often qualified by “system” or “political” ». Comme le soulignent Hall, Lumley et McLennan (1977 : 46), Gramsci, par exemple, reconnaissait utiliser des termes équivalents comme “philosophies”, “conceptions of the world”, “systems of thought”, “forms of consciousness”, comme substituts au terme "idéologie".

119 Les votes à l’AGNU ont été utilisées depuis les années 1950 pour mesurer à quel point les États avaient des intérêts

communs en matière de politique internationale. Erik Voeten (2000 : 185-186) justifie cet outil de mesure: « Although some see voting in the UNGA as largely symbolic, it is the only forum in which a large number of states meet and vote on a regular basis on issues concerning the international community. Even if the UNGA is seen as ‘‘merely a passive arena for the political interaction of member states’’, studying this interaction over a long period of time and across different issue areas should reveal changes in the behavior of states […] Analyzing voting behavior in the UNGA is in some ways problematic, but it is one of the best ways to systematically explore the questions that the current debate about the structure of […] global politics tends to address in an ad hoc fashion ».

120 Anton Strezhnev; Erik Voeten, 2012-06, "United Nations General Assembly Voting Data",

http://hdl.handle.net/1902.1/12379 UNF:5:iiB+pKXYsW9xMMP2wfY1oQ== V3 [Version]

121 La coupure à la médiane a été adoptée pour la dichotomisation de toutes les variables continues, dans le cadre de

87 2.2.1.2. La condition institutionnelle et normative: l’adhésion au Traité

de non-prolifération.

Il s’agit, avec la variable ADHTNP, de déterminer si l’adhésion au régime international de non- prolifération affecte ou non le passage de récipiendaire à fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires. Il existe une raison très simple de considérer l’adhésion au TNP pour déterminer si la participation des États au régime international de non-prolifération affecte la coopération nucléaire : le TNP est la pierre angulaire de ce régime. Nous considérons l’adhésion aussi bien du fournisseur que du récipiendaire pour déterminer le score final attribué à cette variable. Si l’un des deux États était membre du TNP pendant la période de coopération, la variable ADHTNP est codée 1. Si tous les deux n’en sont pas membres, alors la variable est codée 0. Les données sont issues de la base que maintient l’Office des Nations Unies pour le Désarmement sur l’adhésion des États au TNP depuis sa signature en 1968122. Dans le cadre de cette étude, nous considérons la date de ratification plutôt que la date de signature par l’État.

2.2.2. Les conditions associées à la volonté.

2.2.2.1. La condition stratégique: l’État menaçant commun.

Avec la variable RIVAL, il s’agit de déterminer dichotomiquement si l’État fournisseur et l’État récipiendaire ont fait face à un État menaçant commun au cours de la période de leur coopération nucléaire. Il existe trois principales conceptualisations de la rivalité entre États, qui ont donné naissance à trois mesures du concept: Thompson (2001), Hewitt (2005) et Klein, Diehl et Goertz (2006). La mesure de la rivalité chez Klein, Diehl et Goertz (2006) est basée sur l’occurrence des disputes militaires interétatiques (militarized interstate disputes) (Jones, Bremer & Singer, 1996). Les auteurs considèrent deux États dans une dyade comme rivaux s’ils se sont engagés dans au moins trois MIDs tout au long de la période 1816-2001.

Contrairement à eux, la mesure de la rivalité chez Hewitt (2005) est basée, non pas sur l’occurrence, mais sur la densité des crises interétatiques, telle que définie par l’International Crisis Behavior (ICB) project (Brecher & Wilkenfeld, 1997). Parce que la définition des crises de l’ICB ne nécessite pas explicitement la menace d’utilisation ou l’utilisation de la force, cette conceptualisation de la rivalité rejoint quelque peu, du moins par le fait qu’elle n’apporte pas caution à l’argument selon lequel les

122 http://disarmament.un.org/treaties/t/npt

relations entre rivaux doivent être ouvertement militarisées, celle de Thompson (2001). Car, chez ce dernier, la mesure de la rivalité est basée sur la perception de l’hostilité chez les acteurs étatiques. Selon l’auteur, ce qu’il qualifie de rivalité stratégique existe dès lors que deux États se perçoivent mutuellement comme des compétiteurs et s’identifient perpétuellement comme ennemis (Thompson, 2001 : 560). Comme le font remarquer Conrad et Souva (2011 : 2): « Rivalries […] are not synonymous with militarized disputes. A militarized interstate dispute (MID) is an episode of isolated conflict, but a rivalry is a sustained hostile relationship ». Cette definition de la rivalité a encore été réaffirmée récemment: « Relationships between two states in which the antagonistic decision-makers perceive each other as competitors who see their adversaries as threatening enemies » (Ganguly & Thompson, 2011 : 1). Les deux auteurs précisent:

In this approach, the identification and timing of rivalries is based on exploring decision- maker and analysts’ discussions of who constitute a given state’s primary competitive enemies. Enemy status requires some level of threat perception. Competitive status requires some rough equivalency in capability, but that does not preclude exceptions to the rule when stronger states perceive weaker states "not knowing their place" or weaker states behaving as if they were stronger than they actually were (Ganguly & Thompson, 2011 : 211).

Puisque cette définition est particulièrement adaptée au caractère relationnel de notre modèle théorique, c’est cette mesure de la rivalité que nous avons retenue pour cette étude. Les données sont codées à partir du Handbook of International Rivalries : 1494-2010 (Thompson & Dreyer, 2012). Cette base de données mise à jour identifie près de 200 rivalités ayant occasionné 80% des guerres interétatiques au cours des deux derniers siècles.

Par ailleurs, on peut aussi penser que l’État menaçant commun peut ne pas être forcément un rival commun mais juste un ennemi commun. Car, la définition de la rivalité selon Thompson et Dreyer (2012) est basée sur la prise en compte à la fois du statut d’«ennemi» et du statut de «compétiteur». Nous avons donc créée également une variable ENNEMI afin de tester la proposition 3. Les données sont issues à la fois de la base de Thompson et Dreyer (2012) — un rival étant forcément un ennemi alors que le contraire n’est pas si évident — mais aussi de sources secondaires à l’instar de Geldenhuys (2004) qui documente les comportements étatiques déviants sur la scène internationale à travers notamment les concepts d’États parias et d’États voyous.

89 2.2.2.2. La condition économique: le niveau de développement

économique.

Avec la variable ECODEVA, il s’agit de déterminer dichotomiquement le niveau de développement économique (niveau de développement économique élevé versus niveau de développement économique faible) du pays fournisseur de matières et technologies nucléaires militaires pendant la période de coopération effective ou hypothétique avec le pays récipiendaire potentiel. Les pays faiblement développés sont codés 0. Les pays fortement développés sont codés 1. Pour coder cette variable, nous nous sommes basés sur trois sources concordantes: les données de la Banque Mondiale, du Fonds Monétaire International et des Nations Unies.

Le principal indicateur de mesure de développement utilisé par la Banque mondiale pour classer les économies mondiales est le Revenu National Brut (RNB), anciennement Produit National Brut (PNB). Sur la base du RNB/habitant en dollars courants 2008, l’institution distingue: 1) les économies à faible revenu (≤ 975) ; 2) les économies à revenu moyen (subdivisées elles-mêmes en revenu moyen inférieur (≥ 976 ≤ 3855) et revenu moyen supérieur (≥ 3856 ≤ 11905); et 3) les économies à haut revenu (≥11906). Le World Development Report (WDR) publié depuis 1978 permet de retracer les États qui font partie des différentes catégories123. Les deux premières catégories correspondent à notre catégorie « niveau de développement économique faible ». La troisième catégorie correspond à notre catégorie « niveau de développement économique élevé ».

Les principaux indicateurs de mesure de développement utilisés par le Fonds Monétaire International (FMI) sont: 1) le niveau de revenu per capita; 2) la diversification des exportations—sachant toutefois que les pays exportateurs de pétrole qui ont un niveau de revenu per capita élevé ne sont pas automatiquement classés dans la catégorie des économies avancées parce qu’environ 70% de leurs exportations englobe les exportations de produits pétroliers; 3) le degré d’intégration dans le système financier international. Sur cette base, le FMI distingue deux/trois types d’économies : les économies avancées et les économies émergentes et en développement. Le World Economic Outlook (WEO)

database124 couvrant la période 1980-2010 fournit des données sur ces différentes économies. Le

Word Economic Outlook Report publié depuis 1993 permet de retracer les États qui font partie de

l’une ou l’autre des deux catégories. La catégorie « économies avancées » du FMI correspond à

123 Le WRD est accessible à cette adresse: http://wdronline.worldbank.org/worldbank/p/developmentdatabase 124 Le WEO est accessible à cette adresse: http://www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2010/02/weodata/index.aspx

notre catégorie « niveau de développement économique élevé ». Les catégories « économies émergentes et en développement » correspondent à notre catégorie « niveau de développement économique faible ».

Le principal indicateur de mesure de développement des Nations Unies, en l’occurrence celui du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) est l’indice de développement humain (IDH) qui fait « la synthèse des indicateurs d’espérance de vie, de niveau d’études et de revenu »125. Cet indicateur composite « établit un minimum et un maximum pour chaque dimension, appelés balises, et indique ensuite la situation de chaque pays par rapport à ces dernières (dont la valeur varie entre 0 et 1) ». Les données couvrent la période 1980-2010. Il existe quatre catégories d’indice: très élevé, élevé, moyen et bas. Selon le PNUD, les pays développés sont ceux qui ont un indice de développement supérieur ou égal à 0.8. Nous considérons que les deux premières catégories sont associées à notre catégorie « niveau de développement économique élevé » et les deux autres à la catégorie « niveau de développement économique faible ».

Puisqu’il est admis que la capacité d’un État à exporter et importer des biens est directement reliée à son Produit Intérieur Brut (PIB) (Anderson, 1979; Deardorff, 1998), nous avons aussi créé la variable ECODEVB pour déterminer le niveau de développement économique de l’État fournisseur en prenant en compte le PIB per capita (Sasikumar & Way, 2009 : 73-74). Les données proviennent de la base de données PWT 7.0126 qui fournit les informations pour tous les pays (189) entre 1950 et 2010. Nous avons utilisé les chiffres en dollars courants 2005. Le seuil de dichotomisation de cette variable est la médiane. Toutes les valeurs du PIB per capita supérieures à la médiane sont codées 1. Toutes les valeurs inférieures sont codées 0.

2.3. Les variables explicatives additionnelles (conditions