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Ainsi donc l’offre de présence ne peut se vivre que dans l’action, elle est située et s’actualise à travers une « geste » complète qui n’hésite pas à utiliser différents moyens de communication essayant ainsi de donner sens à la parole du formateur. Elle a comme soubassement des valeurs portées par le Travail social et qui affectent la façon de communiquer des formateurs intervenant auprès des futurs professionnels. Elles seront visibles dans les différents types d’entretiens menés et témoignent d’une éthique en relation avec la réalité de chaque situation. Cette éthique, Claude de Jonkheere (2003, p. 11) la définit comme relevant de l’éthique de l’immanence, à l’œuvre dans la mise en pratique des valeurs revendiquées et à travers les gestes et étant plus

« du côtéde la construction du problème et non de la réponse normative à un problème », que sont amenés les différents acteurs du social tant sur le terrain professionnel qu’en formation.

Le cadre théorique posé a permis de détacher des analyseurs possibles de l’offre de présence que j’avais perçus de façon concomitante dans les discours des formateurs et à travers mes observations des films. Il est temps maintenant d’exposer le protocole de recherche découlant de « cette toile conceptuelle » (Jorro, 2006, p. 1) construite au regard des matériaux que j’avais recueillis et qui me restaient à analyser.

CHAPITRE III

LA MISE EN PLACE D’UN PROTOCOLE DE RECHERCHE PLURIEL

Le dispositif méthodologique s’est construit peu à peu, en lien avec l’option que j’avais prise d’une approche phénoménologique, pour saisir en quoi consiste ce mouvement de l’offre de présence à autrui, lorsque des formateurs sont dans un face à face relationnel avec des formés.

Pour repérer les traces de l’activité de communication de formateurs j’ai utilisé différents types d’entretiens et ai procédé à des observations. L’adoption d’un dispositif méthodologique qui touche l’analyse des activités apparaissait comme le plus pertinent pour « saisir les processus d’engagement des personnes, rendre intelligible ce que font les gens et la manière dont ils font ce qu’ils font, non pas au moment où ils agissent » (Le Meur & Hatano, 2011, p. 14), mais dans la mise en mots du vécu d’une action passée.

Cette entrée par l’activité je l’ai couplée avec celle d’expérience, telle que Jean-Marie Barbier l’a définie L’expérience, « c’est le vécu de l’activité par le sujet » (Barbier, 2011, p. 2), la manière dont il est affecté par elle et la façon dont elle va constituer pour lui « une ressource pour l’action » grâce à l’interprétation qu’il en fait. L’accès à « l’élaboration d’expérience » (Barbier, 2011, pp. 5-6) a lieu, de façon privilégiée « lorsque le sujet est confronté à ses propres traces d’activité ». « Elle transforme alors l’expérience en expérience réfléchie ». Je me suis penchée tout particulièrement sur la communication d’expérience, « ce qui est montré, raconté, proposé par un sujet sur sa propre expérience, dans une interaction avec autrui ou avec lui-même », lors des entretiens de confrontation.

Ces préliminaires rejoignent l’approche phénoménologique exposée au chapitre deux, le moment présent pris lui-même dans une dynamique d’allers et retours entre « le passé remémoré et le présent existentiel » (Stern, 2003, p. 240). Ce vécu ressaisi par « le geste linguistique », tel qu’il a été décrit par Merleau-Ponty (2003, p. 217) engage le sujet dans la représentation, même minimale, qu’il a de lui-même dans l’activité. Je tiens à préciser que ce mode de connaissance vise à repérer les tout petits liens et à cultiver l’art du détail, en prêtant attention à ce qui est minuscule, éphémère, sensible et ce qui peut sembler fragile. Il s’est agi de faire advenir une réalité qui n’existait pas encore ou qui n’était pas encore conscientisée, bref de se laisser surprendre, de regarder, d’écouter, de suspendre ses habitudes de pensée, son jugement qui rejoint la définition de l’épochè

formulée par Husserl, avant de donner à voir une analyse et une interprétation des données. Cette « approche modale d’une anthropologie du sensible » (Laplantine, 2010, pp. 187-188) prend en considération « les flexions de nos comportements sensibles mais aussi intellectuels sur le mode mineur et non pas majeur », cela passe par la prise en compte du langage « comme interrogation vivante » (Laplantine, 2010, p. 188). C’est le

langage dans tous ses états dont il est question ici, « les manières de parler, d’écrire, de jouer de sa voix et de son corps » (Laplantine, 2010, p. 200) permettant à la pensée d’émerger et à l’expérience de se constituer. Cette orientation que j’étais décidée à adopter n’oubliait pas des points importants de l’analyse de l’activité : les actions sont toujours situées mais ne sont pas forcément en train de se faire puisque l’approche réflexive a été privilégiée, permettant l’accès au je en première personne. J’ai souhaité monter un dispositif de recherche pluriel donnant accès alternativement à «la position de parole habituelle où le sujet est tourné vers l’autre dans une intention de communication…et à la position de parole incarnée ou position d’évocation, où le sujet est d’abord tourné vers lui-même pour faire émerger pas à pas les éléments pré-réfléchis de son expérience» (Faingold, 2011, p. 124). Pour ce faire j’ai procédé à un certain nombre d’entretiens semi-directifs dont quelques-uns furent exploratoires : ils partaient des discours des interviewés. Ils m’ont aidée à préciser mon objet, à stabiliser mon échantillon de recherche. Par la suite l’idée de filmer les formateurs dans l’exercice de leur communication m’a permis d’inventer un processus mixte d’entretiens de confrontation à sa propre image m’appuyant sur l’approche psycho-phénoménologique de l’entretien d’explicitation, revu par Pierre Vermersch lui-même, et d’enrichir ce que je souhaitais étudier à partir des traces communicationnelles des formateurs.

La façon dont j’ai procédé au recueil des données s’est faite en lien avec la progression apportée à la formulation de mon objet de recherche et à la construction de mon cadre théorique. Je pressentais qu’un protocole pluriel permettrait de faire émerger plus facilement et de façon diversifiée « les dimensions sensibles et symboliques » (Jorro, 2002, p. 9) se déployant dans l’activité de communication de formateur. C’est par elles que se tisse ce que j’ai nommé comme chercheur, l’offre de présence.

Un tableau ci-dessous permet de visualiser les différentes étapes de ce protocole de recherche pluriel allant d’une approche globale de ce que les formateurs disent d’eux-mêmes et de leur engagement jusqu’à l’accès à l’activité de communication rendue possible par le feed-back de films et d’images par les formateurs eux-mêmes puis par le chercheur seul.

Construction d'un protocole de recherche pluriel

1 2 3 4 Ce que les formateurs disent d'eux-mêmes Accès à l'activité a posteriori via le film et le discours Repérage des gestes Relations entre les gestes et le discours 10 entretiens

exploratoires confrontation Entretiens de à partir des films Observations + 7 autres

entretiens 10 films (2 par formateur)

Ces trois méthodes d’analyse de l’activité se sont également appuyées sur d’« autres cadres d’analyse importés d’autres disciplines » (Le Meur & Hatano, 2011, p. 16) comme l’histoire de l’art, les sciences de l’éducation, les sciences de l’information et de la communication.

3-1 Les entretiens semi-directifs : une approche globale de ce que les formateurs