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4-2-2 L’analyse expérimentée avec Lucie: le gestuel fait partie de son discours

Un premier galop d’essai de confrontation de Lucie à sa propre image fut entrepris pour me permettre d’être attentive aux impacts de la caméra sur son discours. La séquence de formation s’est déroulée avec un groupe de quinze personnes, des professionnels du social. Il s’agissait pour Lucie d’animer un groupe d’analyse sur les pratiques. Nous avons visionné le film ensemble pendant trente minutes, sans pause, selon son souhait, pour qu’elle puisse se familiariser avec ce type de situation. Aucune appréhension n’était visible, un climat de

détente, de curiosité et de confiance s’était installé d’emblée. Lucie a réagi en donnant une première impression d’ensemble « j’utilise beaucoup mes gestes », avec pour seule consigne préalable de ma part d’arrêter le film dès qu’elle le souhaitait. Dans un second temps nous avons visionné le film une seconde fois avec une consigne plus précise de ma part, arrêter le film lorsqu’un passage lui semblait significatif quant à sa manière d’interpeller, de faire signe à son auditoire. J’ai repris les thèmes et les indicateurs dégagés par inférence pour montrer comment Lucie fait offre de présence en communiquant.

a) Les trois modes de communication repérés dans le premier entretien :

• Les usages de l’écrit par Lucie :

Remarquant son cahier pédagogique elle en indique l’utilité, « J’ai mon cahier pédagogique où j’inscris en amont le plan de mon discours à venir… je l’avais avec moi le jour de l’intervention». Lucie visualise aussi son utilisation de l’écrit en situation, « Généralement j’inscris le plan au tableau avant l’arrivée des participants et les titres de mon intervention ». Là c’est au fur et à mesure et «dans les changements de thème que je prends un temps d’écriture au tableau, …l’écrit donne un rythme à mon intervention, il sert de pause assurant le passage d’un point à un autre ». Il semble que l’écrit fasse office de soutien et de mémoire pour Lucie. Elle nomme ensuite les différentes fonctions qu’elle attribue à l’écrit en relation avec les formés: « C’est un trait commun entre moi et le groupe », « L’écrit synthétise, apporte un regard critique et permet de laisser une trace de l’échange». Elle remarque qu’elle utilise beaucoup le tableau noir et qu’elle « emporte toujours des feutres » avec elle.

• L’usage de l’oral par Lucie :

C’est en revoyant une deuxième fois le film et en s’arrêtant elle-même sur certains passages qu’elle s’exprime sur le rôle et le sens qu’elle attribue à l’oral dans cette séquence de formation : « Après un temps d’écriture au tableau, il y a toujours eu un temps d’échange oral ». Tout en prenant la parole Lucie était «à l’écoute de ce qui traversait le groupe en tant que questionnements, une écoute qui ne soit pas scolaire ». A partir de là Lucie s’est dite attentive à « adapter leurs préoccupations à ce qu’elle était en train de dire et réciproquement, en construisant un contenu in situ ».

Lucie a conclu en disant avoir pu «tendre un fil avec le sujet du moment, « mettre en valeur la personne, les personnes, créer des liens avec toutes les propositions, dénouer et éclairer les conflits ». Plus globalement elle redit que la parole orale est là « pour passer un contenu, transmettre un message, interpeller les participants ». C’est un peu comme si l’écrit et l’oral se passaient le relais naturellement, se soutenant l’un l’autre.

• Dès les débuts de projection du film le gestuel et l’impact de la caméra sont de suite reconnus par Lucie : -Lucie s’est esclaffée: « Oh ma coiffure ! » Et en riant « J’utilise beaucoup les gestes, les mains» !

-Là « je me vois de dos avec mes cheveux».

Le fait de se voir et de s’entendre lui donne l’occasion, dit-elle, de se rendre compte qu’elle est « cohérente dans ses propos », qu’elle « suit son fil. » Mais peut-être ajoute-t-elle, « faudrait-il que j’en dise moins, que je travaille plus la prise de parole du groupe. » Par contre elle dit se trouver « naturelle, je tiens un rôle, je suis dans ce que je fais, je tiens le cadre ».

La fin de l’entretien se termine par une liste à la manière de Georges Pérec où s’affirme en termes d’intentions ce qu’elle considère comme indispensable à son positionnement et à sa posture de formatrice. Les intentions se manifestent comme un dialogue intra-subjectif à la façon d’une synthèse basée sur du déclaratif.

b) Le corps et les gestes s’imposent au cours du deuxième entretien: ce dernier a été mené selon les mêmes règles que celles utilisées pour le premier. Lucie animait un nouveau groupe d’analyse sur les pratiques avec des formateurs terrain exerçant dans le champ du social. La manière de conduire l’analyse s’est appuyée sur la même liste de thèmes et d’indicateurs que pour le premier entretien.

Cet entretien donne à voir de façon détaillée « un corps de discours ponctué de petits gestes ». L’attitude corporelle, les gestes, l’oral et la voix élaborent ce « corps du discours » qui soutient ce que Lucie souhaite transmettre. Elle se décrit comme construisant son intervention in situ tant physiquement que mentalement pour entrer dans l’espace du public des formés avec l’objectif de les impliquer, de les rendre acteurs.

Lucie décrit avec précision les mouvements du corps qu’elle effectue, quel sens elle leur donne, constituant ainsi comme autant de plans qui reliés les uns aux autres font partie du même mouvement, celui de la formation qui est proposée. J’ai relevé neuf plans dans le discours de Lucie2, formant comme un discours scénique participant de l’installation de l’offre de présence de Lucie. C’est a posteriori que j’ai pu le reconstituer mais il est l’œuvre de la formatrice. Il se déroule à la manière d’un script de cinéma ou de théâtre. J’en donne les détails, ci-dessous, car ils sont comme des arrêts sur images permettant de visualiser la chorégraphie de l’offre de présence de Lucie à l’œuvre, grâce aux mouvements et attitudes de son corps. C’est Lucie qui m’a guidée, associant les arrêts sur images qu’elle provoquait et son discours :

-Premier plan : « Je suis debout cela me permet d’accéder plus facilement au tableau qui est derrière. Le fait d’être debout permet de créer un décalage, une dynamique, de tirer le groupe vers le sujet que je souhaite aborder, évitant de faire monter les plaintes tout en les accueillant ». « Là je cherche un équilibre à la recherche d’un appui ».

-Deuxième plan : « La façon de me poser sur le bureau, ma manière de balayer au niveau du regard pour voir si quelqu’un accroche ».

-Troisième plan : « On sent que je cherche, les étapes ne sont pas définies, je ne sais pas où je vais finalement », Lucie se dit troublée.

-Quatrième plan : « C’est au moment où j’apporte du contenu que j’effectue un demi-cercle autour du bureau. 125

-Cinquième plan : « Je décolle du bureau pour explorer tout un espace qui est le reflet de l’espace qui m’apparaît au niveau de la compréhension de ce qui se passe ».

-Sixième plan : « Je recule au niveau des yeux je regarde en haut ».

-Septième plan : « Je suis à la recherche d’un rythme physique qui passe par un temps d’arrêt avec les deux poignets sur le bureau. Cela m’aide à énoncer ce que je veux dire, à me maintenir dans un mouvement » qu’elle compare à la respiration et qu’elle associe au travail de sa pensée.

-Huitième plan : « Là je suis beaucoup plus à l’aise, il y a le regard plus appuyé, une posture qui est beaucoup plus tonique, il y a une réelle communication qui passe.

-Neuvième plan : « Ce mouvement du phrasé apporte une dynamique qui permet d’accélérer les phrases pour aller jusqu’au bout. Il déploie un rythme, insufflant une dynamique visuelle considérable, ça me permet de regarder chacun à des points différents de l’espace».

Quant aux expressions verbales utilisées par Lucie elles font appel à des images appartenant au registre du gestuel : « je balaie les questions, je rassemble les données, je pointe à partir d’une prise de parole dans le groupe, j’essaie de relever cela avec l’appui des participants, je balise le fil de mon intervention ».

Elle dit utiliser aussi beaucoup de « petits gestes », « Il y en a pas mal, souvent les mêmes ». Elle en parle comme constituant « un appui mnémotechnique qui la maintient dans ce qu’elle dit. Le corps du discours est ponctué de petits gestes permettant d’avoir plus de souplesse en haut du corps ».Ils semblent indissociables du discours. Elle ne les détaille pas mais me les montre sur écran.

Dans cette deuxième intervention Lucie ne mentionne pas son usage de l’écrit.

Ce discours verbal et gestuel est adressé. Lucie se montre attentive aux formés, à ce qu’ils disent, à leur comportement, elle se dit respectueuse des difficultés qu’ils peuvent apporter, de leurs centres d’intérêts, de leurs relations entre eux. Elle semble sensible à leur feed-back et voit que « les gens sont captés », même si elle ne les voit pas sur écran lors de l’entretien.

L’entretien se clôture de lui-même par les intentions de la formatrice. Le film semble avoir permis à Lucie d’exprimer sous forme de synthèse ce qu’elle considère comme étant essentiel dans son positionnement et sa posture de formatrice. De se voir ainsi sur écran lui a permis, dit-elle, d’exercer des critiques ou pour le moins des propositions pour l’avenir, « peut-être faudrait-il un cadre plus rigoureux pour faire émerger la parole avec un timing plus serré ». « Ce qui compte c’est d’être à l’écoute, de favoriser une parole vraie, de partir du groupe… ».

Le dernier arrêt du film a été l’occasion pour Lucie de revenir ce qui lui semble primordial dans sa posture de formatrice, « la générosité, le don dans l’écoute, le fait d’être proche des personnes, le contact, la proximité quelque chose de vrai qui passe donnant la possibilité de faire tomber les masques et de se connecter à un certain nombre de savoirs, de données ».

Cette dynamique, ce mouvement, Lucie en synthétise elle-même le résultat, « ça donne une attitude vivante au sens d’animée, non figée du discours et qui contrebalance l’attitude immobile des participants».

Les deux entretiens menés avec Lucie ont permis de voir l’usage alterné qu’elle pouvait faire de l’écrit et de l’oral, le gestuel étant bien présent. Le deuxième entretien met plus l’accent sur les relations entre posture physique, gestes et discours oral. Son positionnement physique l’aide à amener du contenu qui, à son tour, va « soutenir et ouvrir un espace plutôt constructif avec le public ».C’est avec son corps, ses gestes, le phrasé de son discours oral, le contenu de son intervention, que les deux entretiens menés avec Lucie ont permis de voir l’usage alterné qu’elle pouvait faire de l’écrit et de l’oral, le gestuel en relation avec le gestuel.