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4-2-5 Une première classification de styles d’offres de présence

Le fait d’avoir accepté d’être confrontés à leur propre image via les films a permis aux formateurs d’apporter une dimension professionnelle aux gestes, corrélée cette fois-ci à la profession de formateur. Une dimension nouvelle est apparue, celle de style d’intervention de chacun, à partir d’un certain nombre de gestes que j’ai regroupés sous le terme de gestuelle. A partir des entretiens de confrontation menés avec Lucie et les quatre autres formateurs eux-mêmes ont relevé les modes de communication qu’ils privilégient et les façons de les faire vivre pour faire offre de présence à autrui. La façon dont ils parlent de leurs gestes, de leur gestuelle semble indiquer que ces derniers sont des facilitateurs pour rentrer dans l’espace des formés et apportent un rythme au déroulement de l’intervention. C’est ainsi qu’une première classification des styles d’offre de présence a pu être établie. Il sera intéressant de la comparer avec celle que j’ai réalisée à partir de mes observations menées seule face aux films pour déceler peut-être des différences et les points communs entre ce qu’ils disent de leurs gestes et ce que j’ai vu de leurs gestes et de leur gestuelle. Intuitivement je pressentais la possibilité de dégager une culture gestuelle commune chez les formateurs choisis et des singularités « sachant que le style est toujours situé à l’intérieur du genre » (Clot, 1999, p. 44) une fois l’expérimentation des deux méthodologies achevée.

J’ai récapitulé dans le tableau qui suit les trois styles que j’ai dégagés de l’analyse des discours des formateurs, confrontés à leur propre image via les films. Ils sont à mettre en relation avec mon choix d’une approche phénoménologique exposée dans le cadre théorique de cette thèse et qui sous-tend l’ensemble de cette recherche. C’est ainsi qu’a pu émerger la face du sensible de tout agir communicationnel, comme partie intégrante de tout «geste propositionnel » (Bergeron citant Jousse, 1968, p. 13 et p. 17), à travers ses différents modes d’expression. L’intelligible disposait dès lors d’alliés précieux souvent ignorés, des gestes que je pouvais reconnaître comme aidant à l’élaboration d’une activité de communication en présentiel.

Le fait que tout geste professionnel en présentiel « se construit dans l’interaction avec un contexte » exclut le monopole d’ « un seul geste opératoire » (Jorro, 2006, p. 8) et donne à voir des variations dans la façon dont le formateur s’y prend pour faire offre de présence à autrui. Par variations j’entends comme en musique « des modifications apportées à un même thème par différents procédés » (site consulté le 15 janvier 2014). Ce souci d’être attentive aux

variations comme chercheur rejoint « l’anthropologie modale » proche de la phénoménologie, développée par François Laplantine, renonçant ainsi au modèle au profit du modal pour « privilégier le percept au concept. Il y a bien insistance sur les processus et les vibrations» (Laplantine, 2010).

C’est ce que donne à voir ce tableau. Chaque sujet formateur s’exprime par différents gestes qu’il a nommés dont celui du discours oral, la parole étant considérée comme un geste à part entière. C’est « le geste linguistique » tel que l’a défini Merleau-Ponty (2003, p. 217). Par les gestes le formateur donne corps à ce que j’ai nommée une phénoménologie de l’offre de présence en mouvement. Les cinq formateurs

usent de l’oral, de l’écrit, du gestuel.15 Ils ont une façon singulière de les combiner dans le déroulé de chaque intervention. C’est cette approche par les gestes, telle qu’ils en parlent, qui m’a permis d’aboutir à ce repérage de trois styles d’offre de présence. « Le geste linguistique » est toujours présent. Il est accompagné d’autres gestes cheminant de concert et formant à chaque fois comme un processus inédit d’offre de présence en mouvement.

Le schéma conclusif qui fait suite au tableau expose les trois styles de gestes qui accompagnent le discours et renvoient à la façon de faire offre de présence par le formateur.

Quand les gestes font partie du discours à la manière de l’habitus de Bourdieu (1980, p. 112) ils semblent indissociables, intervenant ensemble, donnant l’impression de dialoguer entre eux, se passant la parole de façon naturelle ou s’exprimant de façon synchrone.

Lorsqu’ils accompagnent le discours les gestes cheminent côte à côte, avancent ensemble, pendant toute la durée de l’intervention. Ils semblent donner comme un rythme au discours sans être omniprésents.

Lorsque le discours est accompagné ponctuellement de gestes le discours reste premier. De temps à autre des gestes viennent soutenir le discours du formateur, seuls le regard et l’écoute sont constamment sollicités.

15 Il s’agit de Lucie 1 et 2 et des 4 formateurs de l’échantillon stable dans les 2 situations d’intervention.

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Trois styles d’offre de présence se sont dégagés de l’analyse des entretiens de confrontation

Le premier style, celui de Lucie et d’Yves : une offre de présence où les gestes font partie du discours.

-Lucie 1 : L’écrit et l’oral se passent le relais, soutenus par le gestuel. -Lucie 2 : Gestes, corps et oral sont indissociables.

Dans les deux situations elle remarque qu’elle est debout et s’appuie parfois.

-Yves 1 : Le gestuel et l’oral sont indissociables ou de la nécessité des gestes. Il dit faire usage d’écrits rédigés par avance et certains sont projetés sur écran in situ.

-Yves 2 : Les gestes sont toujours présents. L’usage de l’oral et de l’écrit se fait en alternance remarque-t-il.

Les gestes s’adaptent au contexte et à la situation.

Sa position est debout en grand groupe. Il dit s’appuyer de temps à autre. Il justifie sa position assise en petit groupe.

Deuxième style, celui de Rosa 1 et 2 et de Désiré 1 : une offre de présence où les gestes accompagnent le discours.

-Rosa 1 : Oral et usage des mains. Un document écrit est lu via un support matériel, il lui sert, dit-elle, de soutien à l’oral. Le discours est porté par le regard et de petits gestes.

-Rosa 2 : Gestes et oral s’accompagnent. Un document écrit est lu sur écran, il lui sert là encore de soutien à l’oral. Les gestes accompagnent son discours.

-Désiré 1 : Oral et gestes s’accompagnent avec des recours ponctuels à des documents écrits. Les gestes accompagnent son discours.

Dans leur discours, en grand groupe, des similitudes apparaissent chez Rosa et Désiré. Un cas isolé : lorsque le discours domine

-Désiré 2 : il ne semble pas remarquer le fait que son discours oral et son contenu semblent tout dominer. Lors de cet entretien de confrontation Désiré 2 fait peu mention de gestes. Le discours est porté par le regard et l’écoute.

Troisième style, celui de Justine : une offre de présence où le discours est accompagné ponctuellement de gestes.

-Justine 1 : Oral et quelques gestes récurrents avec la présence de documents écrits. Le discours est porté par le regard, l’écoute, et quelques gestes.

-Justine 2 : L’oral et son contenu sont premiers dit-elle. Elle ne parle pas de ses gestes en dehors du regard et de son attitude d’écoute. Justine remarque qu’elle écrit elle-même et dispose de quelques livres et de polycopiés. Des gestes ponctuent son discours.

Les résultats obtenus semblent apporter la confirmation de mon hypothèse, à savoir que l’offre de présence est elle-même un geste, un geste en mouvement qui se nourrit des différents gestes par lesquels le sujet formateur entre en relation avec son auditoire. Différentes parties du corps peuvent être sollicitées pour effectuer des gestes. Ainsi en est-t-il de la main pour le geste scriptural, de la voix, du visage ou d’une position du corps pour signifier le fait de s’adresser à autrui.

A l’image des poupées russes qui s’emboîtent les unes dans les autres chaque geste comme chaque personnage constitue un tout mais peut vivre de façon autonome. Qu’ils soient petits ou plus visibles ils apparaissent comme reliés entre eux et indispensables les uns aux autres. La plus grosse poupée qui les contient toutes les abrite, leur donne l’hospitalité, assure le lien avec chacune, formant une famille de matriockas. Le phénomène se retrouve dans chaque catégorie de gestes qui, par définition, contient plusieurs gestes. Sans pousser trop loin l’interprétation j’avance la possibilité que la plus grande et la plus grosse joue le même rôle que l’offre de présence qui rassemble et porte les autres gestes. L’historique des matriockas en font un symbole de fécondité, l’étymologie permettant de reconnaître le mot mater dans matriockas. La suite de la recherche apportera peut-être d’autres indicateurs pouvant attester de la fécondité des gestes dans l’agir professionnel de formateur.

Schéma conclusif

Une offre de présence, trois styles de gestuelle…

Les gestes