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J’ai pu disposer de trente à quarante minutes d’enregistrement vidéo pour chacune des deux séquences filmées par formateur : l’objectif a été de recueillir des traces de l’activité du formateur. Je n’ai pas souhaité manier la caméra et encore moins observer le formateur pendant son intervention. En premier lieu par manque de temps, mais aussi parce que je ne souhaitais pas qu’il y ait interaction entre moi et le formateur filmé, du fait que je les connaissais ou les côtoyais pour la plupart. Quant au choix de la caméra, cette dernière devait être simple d’utilisation et produire une image et un son suffisamment bons pour être exploitables. La première expérience menée avec la petite caméra du conservatoire national des arts et métiers avait pointé la nécessité d’un maniement facile de la caméra et que je puisse connecter la caméra à un ordinateur portable. Les films suivants ont été réalisés avec un caméscope léger et facile de maniement, sans prétention technique et encore moins esthétique.

A partir de là j’ai pu donner des consignes à la personne qui filmait pour faire en sorte que la caméra suive le formateur dans l’espace où il intervenait en se focalisant sur les expressions de son visage ou de son corps. Mon souhait a été de recueillir des films avec une qualité suffisante d’image et de son pour procéder aux entretiens de confrontation puis à mes observations.

Pour le choix des séquences filmées j’ai souhaité, en accord avec chaque formateur, qu’une séquence se déroule en petit groupe et la seconde en plus grand groupe, faisant l’hypothèse que les pratiques de communication pouvaient varier en fonction du contexte mais comporter aussi des similitudes . Chaque séquence filmée s’est déroulée au début de l’intervention pour ne pas perturber, ou le moins possible, le déroulement du cours.

A chaque fois les étudiants présents dans la salle ont été prévenus que quelqu’un allait filmer le formateur, eux-mêmes constituaient l’auditoire mais intentionnellement n’étaient pas filmés.

3-2-2 L’entretien de confrontation : une spécificité au regard de l’entretien

d’auto-confrontation (J. Theureau) et de l’entretien d’explicitation (P. Vermersch).

Ce dispositif mixte est adapté aux données verbales recueillies au fil des entretiens, à mon objet et à mon hypothèse de recherche. Au départ j’oscillais entre l’entretien d’auto-confrontation de Jacques Theureau et l’entretien d’explicitation de Pierre Vermersch, mais la réalité de mes matériaux nécessitait d’inventer une autre approche bien que plus souple, tout aussi rigoureuse.

De Jacques Theureau j’ai retenu le fait de mettre en valeur la verbalisation sur l’action par les sujets à la première personne et le recours à un retour réflexif sur l’action, « l’activité était bien considérée comme montrable, racontable et commentable » (Theureau, 2004, p. 48). Comme lui j’ai eu recours à la caméra et aux films.

L’entretien d’explicitation de Pierre Vermersch me satisfaisait, dans sa première définition, « une « technique d’écoute, d’accompagnement et de questionnement qui vise l’aide à la description du vécu subjectif de l’activité d’un sujet dans un moment singulier ». De plus l’approche psycho-phénoménologique qu’il développe et pratique depuis 1996 rejoignait l’ancrage de mon objet de recherche dans la phénoménologie. Il reprend et développe d’un point de vue psychologique « les découvertes essentielles de la phénoménologie de Husserl concernant la conscience, l’attention et la mémoire » (Faingold, 2011, p. 117). Cette méthode permet l’accès à l’expérience subjective capable d’être traduite et explicitée par le langage.

Je puisais dans ces approches des soutiens méthodologiques pour mon propre dispositif de recherche mais une nouvelle confrontation à mes matériaux et à mon objet de recherche exigeait cependant un pas de plus vers une autonomie de pensée et de construction. Il me fallait certes partir des vécus des interviewés mais je ne pouvais en rester au récit de leur expérience.

L’entretien mené face au film a obligé et entraîné le formateur à se confronter à sa propre image, (même s’il y avait eu accord négocié au préalable). Cette confrontation n’est pas sans évoquer les entretiens d’auto-confrontation formalisés par Jacques Theureau auquel j’ai emprunté l’utilisation des moyens vidéo et l’apport de sa réflexion sur l’expression de la conscience préréflexive (Theureau, 2011, p. 29), à savoir « un langage de l’ensemble du corps en situation » fournissant des données empiriques, des traces sur « l’activité devenue montrable, racontable et commentable » (Theureau, 2011, p. 30). Ces traces, des gestes, des discours, constituent pour lui un moyen et enregistrent un comportement, mais ne recouvrent pas l’ensemble de l’activité de formateur. Cependant elles peuvent aider à « connaître l’activité d’un acteur de l’intérieur » mais sans pour

autant apporter « une connaissance » exhaustive « du cours d’action ou du cours de vie relatif à une pratique». Il insiste également sur les conditions de mémorisation conduisant à « la prise de conscience » et se positionne dans le cadre d’ « une anthropologie cognitive » (Theureau, 2004, p. 39).

Je faisais le constat que les entretiens d’explicitation et les entretiens d’auto-confrontation visent certes à la verbalisation de l’action et touchent l’analyse des activités, mais mon approche n’était pas cognitiviste, centrée sur le « cours d’action » (Theureau, 2004, p. 41) et n’entrait pas davantage dans la démarche d’aider le sujet à expliciter de façon assez systématique et très précise des savoirs d’action mobilisés dans l’action, restés souvent jusque-là implicites (Faingold, 2011, p. 121). J’ai adopté cette position de parole spécifique dont parle Pierre Vermersch et Nadine Faingold, entre « position de parole incarnée ou position d’évocation, où le sujet revit la situation dans toutes ses dimensions, y compris sensorielles et corporelles, le sujet étant présent à ce qu’il a fait et à ce qui s’est passé pour lui dans ce moment singulier » se remémorant le passé, le rendant vivant .Il n’est plus alors tourné vers autrui mais vers lui-même (Faingold, 2011, p. 124). Dans le cas des entretiens de confrontation que j’ai menés j’ai plus mobilisé la notion de « passé vivant … résultat d’un passé remémoré et d’un présent existentiel, … le passé n’étant vivant que sur la scène du moment présent » (Stern, 2003, p. 240). Il a pu arriver qu’un formateur s’absente de « la situation d’interlocution » (Faingold, 2011, p. 124) pour faire émerger des éléments pré-réfléchis de son expérience mais la situation d’entretien de confrontation provoquait l’interviewé à se tourner à la fois vers le film et vers lui-même, en ma présence.

Mon propos souhaitait mettre en lumière « une mobilisation globale de l’être » (Ph. Breton, 2003, p. 53 et Jousse, p. 18) des formateurs, à l’œuvre dans leur activité de communication. Je ne cherchais pas à mesurer « les effets et les contraintes de l’activité humaine choisie dans les corps, situations et cultures » (Theureau, 2011, p. 37) mais « à capter le mouvement de la vie, la présence au monde qui est corporelle » (Lacroix, 2012, p. 35) tels qu’ils en parlent face au(x) film(s). Cette reconnaissance du sujet voué au monde, regardant le monde, agissant dans le monde avec son corps, a l’avantage de réhabiliter le sujet relationnel, le monde étant son champ d’action. Elle apporte « un contrepoids à la suprématie actuelle du discours objectif et objectivant » (Lacroix, 2012, p. 35) et permet de réintroduire la dimension sensible d’une activité telle que l’entendait Merleau-Ponty, le monde étant offert aux sens.

Les gestes me semblent témoigner de cette présence corporelle au monde. Ils ne font pas que dénoter un comportement, « ils font naître un corps de l’immobilité de la chair » (Galimberti, 1998, p. 115). Par eux un sujet s’expose. C’est ainsi que peu à peu j’optais pour un protocole de recherche qui s’appuierait sur les

apports conjoints de la philosophie et de l’anthropologie permettant de rendre compte de la création d’une phénoménologie de l’offre de présence à autrui.

Ma différence avec les chercheurs précédemment cités réside dans mon positionnement, mes intentions, dans la définition que je donne à la subjectivité du sujet. Cette dernière ne vise pas une introspection expérimentale systématique, mais tient compte de cette première réalité subjective que sont « les perceptions, les sensations, les rêves, les fantasmes, les hallucinations, les attentes, les idées, tout ce qui occupe la scène mentale et sensible de l’être humain» (Stern, 2003, p. 25). L’interviewé ne se retrouvait pas seul, confronté à sa propre image et à son propre discours. J’étais là et je jouais le rôle discret de tiers. La subjectivité du sujet est passée alors à travers ce qu’il donnait à voir et à entendre de ses pratiques. Il était certes relié à lui-même mais ne pouvait s’abstraire ici de l’image, il était confronté à elle qui apparaissait comme un révélateur. J’étais simplement attentive à créer un climat de confiance qui allait permettre au formateur de revivre ce vécu de l’expérience par l’irruption de l’image et du son, mobilisant ainsi de l’émotion, des affects. Il était affecté par ce qu’il voyait de lui-même, avant qu’il ne s’en ressaisisse par le langage. Sa pratique de communication était visible. Elle ne passait pas uniquement par le discours mais donnait à voir d’autres dimensions que le discursif grâce au film. Il se livrait et était vu par moi chercheur, en même temps qu’il se voyait lui-même, d’où la nécessaire déontologie que j’ai dû exercer lors des entretiens.

Cela rejoignait mon objectif de ne pas en rester aux discours des formateurs. Ainsi pouvais-je espérer faire se croiser le niveau phénoménologique, apparemment « superficiel » de ce qui pouvait être vu et perçu, avec l’acte réfléchissant du formateur sur sa propre pratique de communiquant. L’objet final étant de recueillir quelques traces me donnant accès à l’expérience subjective du vécu du formateur.