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1-1-2 De la notion de formateur à celle de métiers de la formation

A travers l’historique de la Formation des adultes deux constats sont apparus:

• L’histoire des formateurs est indissociable de celle des conceptions de la formation et du contexte d’intervention, de l’évolution de la société, des bouleversements apportés par la mondialisation, des enjeux socio-économiques associés à la formation.

• La formation des adultes requiert une pédagogie spécifique qui s’est construite, peu à peu, au contact des formés, prenant en compte leur expérience et leur pratique. De ce fait les formateurs ne peuvent être assimilés uniquement à des enseignants, même s’ils dispensent des enseignements, des savoirs. Différentes idéologies ont forgé l’histoire de la formation et l’apparition des formateurs dans le champ de l’éducation et de la formation. Elles ont été recensées dans la partie historique de la formation. Les valeurs qui les soutenaient étaient soit référées aux mouvements d’inspiration laïque (Les Lumières, la République, le Front Populaire, la Résistance) soit inspirées par le courant de l’humanisme chrétien (Témoignage chrétien, Economie et humanisme…) Quelle qu’ait été l’obédience de ces courants tous ont témoigné de leur engagement, oeuvrant pour l’égalité de l’accès au savoir et la promotion sociale, et cela dans tous les secteurs d’activité professionnelle.

La formation des adultes s’était constituée, en France, en marge le plus souvent de l’Education Nationale, sinon en rupture avec elle. Les critères de recrutement des formateurs ont donné lieu à des prises de position différentes de la part de ceux qui les engageaient, ainsi que sur les fonctions et les statuts à leur attribuer. J’ai retenu trois périodes qui ont compté et contribué à leur reconnaissance, donnant à voir des profils différents de formateurs: celle de l’immédiat après-guerre où les ingénieurs deviennent formateurs ; les options prises dans les années 1960-1970 par le CUCES, la pédagogie qu’il a développée et son refus de la

professionnalisation des formateurs, le rôle des syndicats dans ces débats ; la poursuite des débats autour « des métiers de la formation », depuis les années 1970 -1990 jusqu’à aujourd’hui.

a) Au lendemain de la seconde guerre mondiale la formation est dispensée dans les entreprises par des ingénieurs devenus formateurs. Le patronat industriel de l’époque avait envoyé leurs ingénieurs aux Etats-Unis pour qu’ils se forment aux méthodes de management, basées sur la prise en compte des relations humaines tant sur le plan individuel que collectif. L’objectif visé était de leur montrer l’importance de créer un climat serein et dynamique, permettant de développer un esprit d’entreprise pour améliorer les performances des ouvriers et leur adaptabilité à de nouveaux dispositifs techniques. Les formateurs avaient donc été recrutés au départ sur la base de leur expérience professionnelle d’ingénieur et sur leurs capacités à encadrer une équipe.

A côté de cette formation dispensée intra-muros de grandes entreprises ont monté une dizaine de centres de formation sur l’ensemble du territoire français, dans un cadre interprofessionnel. L’idée était de sortir de l’entreprise .Cela a été le cas par exemple de Renault qui a fondé le Centre interentreprises de formation qui deviendra le CESI (centre d’études supérieures industrielles). Chaque centre faisait appel à de nombreux acteurs extérieurs tels que le CEGOS (organisme de formation professionnelle continue), l’ARIP (Association pour la recherche et l’intervention psychosociologiques), le CUCES (Centre universitaire de coopération économique et sociale), et d’autres, reconnus pour leur savoir faire et leurs compétences en formation des adultes (Prost, 2008, p. 52-53). Les formateurs ingénieurs ont eu la possibilité d’animer des stages problèmes « où chaque demi-journée est consacrée à l’étude d’un problème exposé par la personne qui l’a rencontré en présence de son supérieur » (Prost in Laot & de Lescure, 2008, p. 52).

La visée était pragmatique. Les formateurs rendaient actrices les personnes qu’elles formaient, à partir toujours des situations concrètes que ces dernières avaient pu rencontrer.

b) Le rôle du CUCES dans les années 1960-1970.

Dirigé par Bertrand Schwartz le CUCES n’a fait qu’amplifier cette approche des formés, basée sur l’expérience des participants, leur parcours de vie, leur situation personnelle. D’où l’importance qu’il avait repérée d’une formation à la pédagogie pour les formateurs ingénieurs, en partant des difficultés qu’eux-mêmes pouvaient rencontrer dans leur nouvelle fonction de formateur. Le CUCES a par ailleurs toujours défendu le fait de recourir à des formateurs occasionnels en nombre plutôt qu’à des formateurs professionnels qui ne sauraient pas répondre aux « changements constants du monde social et du système productif » (de Lescure, 2008, p. 92).

Un film, réalisé au CUCES de Nancy, retrace la façon de penser une formation, le rôle des formateurs et l’engagement des formés. Ce film, en noir et blanc s’intitule « Retour à l’Ecole » (Laot, 2008, p 67-68). Il a été produit en 1966 par l’ORTF. Il s’attache aux détails, « l’organisation de l’espace, l’utilisation d’un tableau et d’une craie… » (Laot, 2008, p. 69). C’est un film qui avait la volonté de convaincre de l’importance de se lancer dans une formation malgré les difficultés et les remises en question. Ilse voulait surtout un instrument de formation de formateurs, donnant à entendre la parole des bénéficiaires, en direct, pendant leur temps de formation. Le support du film était prétexte à discussion pour travailler sur les représentations que les formateurs pouvaient avoir des formés et les aider à changer leurs comportements (Laot, 2008, p. 87).

Ce refus de la professionnalisation des formateurs était également défendu par certains syndicats, comme la CFDT (Confédération française démocratique du travail) et FO (Force Ouvrière), au moment de la mise en œuvre de l’accord interprofessionnel du 9 juillet 1970. Pour eux aussi une rotation de formateurs occasionnels était préférable à la constitution d’un statut professionnel de formateur. Par contre ils se sont démarqués du CUCES en considérant qu’une formation à la pédagogie pour les formateurs était inutile, préférant ainsi s’éloigner du modèle des enseignants. Leur représentation du rôle de formateur se réduisait à exercer une faible responsabilité, « organiser les situations de formations ». Seule « une maîtrise de l’existence » leur semblait nécessaire à avoir comme bagage, le rôle de formateur devant être tenu par le groupe de formés, … le formateur étant plus un organisateur de situations de formation » (de Lescure, 2008, p. 94). La CGT (Confédération générale du travail) revendiquait, de son côté, un autre type de modèle s’apparentant à celui de l’AFPA (Association pour la formation professionnelle des adultes). Les formateurs devaient « tirer sa légitimité de son expérience de travail hors de la formation, sachant qu’ils pouvaient être amenés à retourner périodiquement exercer leur métier d’origine » (de Lescure in Laot &de Lescure, 2008, p. 94). Ils devaient être formés à la pédagogie et pouvaient venir de l’enseignement. In fine la CGT souhaitait « la mise en place d’un service public de la formation construit autour de l’AFPA et de l’Education nationale » (de Lescure, 2008, p. 95) pour garantir la qualité de l’offre de formation.

La traversée des années 1960-1970 a fait apparaître des désaccords profonds quant aux critères de choix des personnes pouvant assurer les formations, le type de pédagogie à mettre en place et le contenu prioritaire à faire passer. L’appellation de formateur recouvrait dans les intentions et dans la pratique des réalités fort différentes. Le service public de la formation n’avait pas été mis en place. De ce fait une prolifération de formateurs occasionnels ou faisant office de formateurs « professionnels » s’est impliquée dans le champ de la formation. Une seule spécialité a émergé, celle de « formation de formateur » avec l’idée que « tous les adultes doivent un jour pouvoir devenir formateurs » (de Lescure, 2008, p. 96), que les activités de formation n’ont pas

forcément à être assurées par des professionnels spécialisés mais qu’une formation peut permettre à chacun de se rendre rapidement apte à remplir cette fonction.

c) La poursuite des débats autour des métiers de la formation, des années 1970 jusqu’à aujourd’hui. Ce refus de la professionnalisation de formateur semble représenter une spécificité française. Il a fallu attendre les années 1980 pour qu’elle puisse être évoquée en ces termes, malgré le vote de la loi de 1971,« organisant la formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente ».Lors de conférences internationales il est fait mention de formation d’ « éducateurs d’adultes » et non de formateurs occasionnels en nombre. Dès 1949 la conférence de l’Unesco qui s’était tenue à Elseneur, au Danemark, plaidait pour l’existence de formateurs à plein temps et pour une reconnaissance, en termes de statut et de salaire. Les conférences suivantes, celle de 1960 à Montréal, puis celle de 1972 à Tokyo, ont défendu « une formation formelle » de formateurs d’adultes (de Lescure, 2008, p. 93).

Des typologies de fonctions voient le jour : ainsi, en 1975, le Conseil de l’Europe a publié un document où Jean-Joseph Scheffknecht (cité par de Lescure, 2008, p.96) détermine deux types de formateurs, « l’éducateur d’adultes ou formateur-enseignant et l’agent de changement ou formateur-animateur». La pédagogie qu’ils vont utiliser est différente. Le premier type est « à dominante informative et théorique. Il s’applique à transmettre un contenu déterminé et est sélectionné sur des critères de connaissances et d’aptitudes intellectuelles ». Le deuxième prend en compte les obstacles éventuels auxquels l’individu peut être confronté, « le cadre social dans lequel la formation est réalisée ainsi que les problèmes de compréhension et d’utilisation du savoir et la facilitation du développement personnel : il est recruté sur ses dispositions aux contacts humains et à l’animation comme à la réflexion critique et à la mise en question de sa pratique » (de Lescure, 2008, p. 97).

Une nouvelle période s’ouvre avec les années 1980. « La fascination d’une reconnaissance des professions » (de Lescure in Laot & de Lescure, 2008, p. 98) parcourt tous les champs du monde du travail. Le groupe des formateurs augmente, sans règles bien définies, d’où l’hétérogénéité des recrutements de formateurs, « les nouveaux entrants se confondant parfois avec les publics dont ils ont la charge », publics de jeunes ou de chômeurs (Hédoux, 1984, cité par de Lescure, 2008, p.98). A cet état de fait s’ajoutent des différends entre Gérard Malglaive, responsable du centre de formation de formateurs du CNAM et les responsables de formation en entreprise. Suite à une demande qui lui avait été faite par Marcel. Rigout, ministre de la formation Professionnelle, en 1982, Gérard Malglaive propose de nommer « agents de laformation » tous les personnels qui contribuent au fonctionnement des structures de formation, le terme de formateur étantréservé à ceux qui « à titre principal sont chargés du face à face pédagogique ». S’ensuit une nouvelle « typologie des fonctions de formateurs : les formateurs-enseignants qui ont une spécialité professionnelle, les formateurs en relations

humaines, ayant comme spécialité la psychosociologie et les formateurs-animateurs qui connaissent le milieu dans lequel ils interviennent, mettent en place des cursus, exercent des fonctions de conseil et d’assistance technique» (Malglaive, 1983, p. 92).Il identifie également le coordinateur de formation organisant des actions ou programmes de formation, en contact avec les formateurs, les stagiaires et les commanditaires. Les responsables de formation sont chargés de « créer, d’animer, d’organiser, de gérer des structures de formation relativement importantes : ces derniers ont une fonction stratégique et politique, ils conduisent les plans de formation, les concertations nécessaires et établissent les conventions avec les prestataires». Gérard Malglaive s’est servi de son travail pour dégager des profils professionnels , redire l’obligation pour les formateurs d’avoir des diplômes homologués par les pouvoirs publics afin de pouvoir exercer en tant que formateur et encourager ainsi la reconnaissance de leur statut.

La postface de ce rapport fait mention de trois notes exprimant les divergences des différents membres de ce groupe de travail sur le statut de formateur .Tous attiraient l’attention sur le risque de figer la profession de formateur alors que la fonction de formateur ne représente qu’«un passage dans le déroulement d’une carrière » (de Lescure, 2008, p. 102). Les uns souhaitaient voir le statut de formateur intégré « dans une problématique d’ensemble, celle de l’Education, « elle-même construite autour d’un projet de société ». D’autres exprimaient leur désaccord quant au choix « des critères de qualification » retenus, privilégiant plus l’aspect universitaire qu’«une expérience de l’entreprise et des qualités humaines » (de Lescure, 2008, p. 101).

Ce questionnement sur le métier ou la profession de formateur a refait surface, lors d’un séminaire, organisé par la Délégation professionnelle du Ministère des Affaires sociales et de l’Emploi, les 15 et 16 octobre 1986, à Versailles, avec comme intitulé, «Quelle formation ? Quels formateurs » ? Deux points de vue se sont à nouveau affrontés. Le premier parlait des métiers de la formation et « les a approchés à partir de leurs pratiques professionnelles, des tâches accomplies, des statuts et des qualifications ». Le deuxième décrivait un processus de professionnalisation des formateurs qui se caractérise par « un savoir issu de la pratique formative» (de Lescure, 2008, p. 103). En 1984, Guy Jobert insistait déjà sur la nécessité de « formaliser des méthodologies d’action, pouvant constituer des référentiels communs à toute la profession » (de Lescure, 2008, p. 104), de façon à objectiver les pratiques de formateur, à pouvoir discerner une certaine unité dans cette diversité de pratiques afin d’arriver à donner une visibilité à une politique de la formation.

La revue Education Permanente, créée en 1969 par Bertrand Schwartz, donne à voir les débats qui ont animé le milieu de la formation et continue d’être un vivier de réflexions et d’expériences. En 1988 la signature d’une convention collective nationale des organismes de formation allait permettre de poursuivre les débats et de reparler des formateurs. Les revues Education Permanente et Actualité de la formation permanente (revue du

Centre INFFO2, organisme sous la tutelle de l’Etat) ont fourni et continuent d’apporter leur contribution aux évolutions des demandes et des pratiques de formation. Au mot de formateur est substituée l’expression «métiers de la formation » (de Lescure, 2008, p. 106) de façon à mieux rendre compte de la diversité des fonctions de la formation et de ses activités. Le terme de formateur restait cependant utilisé dans la pratique et une attention est portée à la dimension européenne des formations, aux « organismes de formation considérés comme acteurs de la formation et aux modes de gestion de leur personnel ».

Depuis les années 1990 jusqu’à aujourd’hui il semblerait que l’idée de professionnalisation fasse consensus chez les formateurs mais que « les idéaux de l’éducation permanente » et de « la formation tout au long de la vie » (de Lescure, 2008, p. 108) questionnent à nouveau le sens et les moyens à donner à la formation des adultes, surtout en temps de crise.

Le champ de la formation n’échappe pas à l’influence des exigences de rentabilité, de rationalisation, d’efficacité, avec des logiques gestionnaires de marché qui sont observables dans le monde du travail. De plus l’arrivée des nouvelles technologies, de la formation à distance, modifient et diversifient les modes d’accès à la formation et le rôle des formateurs. Le monde de la formation et des formateurs bouge plus que jamais, avec le souci des acteurs de la formation de se professionnaliser (Gérard, 2002, p. 39), tout au long de leur parcours professionnel. Le 3 décembre 2013, l’Institut Jacotot de Dijon organisait une audition des experts dans le cadre de la conférence de consensus sur le métier de formateur, avec plusieurs partenaires associés dont le Cnam. Cet Institut vise à répondre aux questions de la formation dans leurs interactions avec « les besoins des personnes, des territoires et des entreprises » (Site Institut Jacotot, 2013).