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5.2 À la recherche de mesures de l’activité de la Bourse de Lyon

5.2.3 La valeur des offices d’agents de change

La dernière mesure que nous utilisons pour évaluer l’activité de la Bourse de Lyon est la valeur d’un office telle que déterminée lors de la cession de celui-ci. Lorsque le prix de l’office d’un opérateur est librement fixé sur le marché, il reflète les anticipations de profit du nouveau titulaire (Schwert 1977, Golbe 1986, Keim & Madhavan 2000). La somme de la valeur des offices représente donc, implicitement, la valorisation de la bourse en tant qu’institution. Depuis l’ordonnance du 28 avril 1816, les agents de change ont la possibilité de choisir et de présenter leur successeur. Le prix de vente de l’office est alors fixé entre l’agent de change et son successeur. Toutefois la Chambre syndicale dispose d’un droit de regard et cherche à ce que le prix de l’office soit le plus proche possible de sa valeur « intrinsèque », tout en veillant à une certaine homogénéisation du prix entre les charges afin de développer un esprit « corporatiste ». Il s’agit également d’une tentative des Chambres syndicales pour homogénéiser le « crédit » de chaque agent de change afin d’assurer la sincérité des cours. Dans son évaluation des offices, la Chambre syndicale de Lyon prend en compte la taille de la clientèle de la charge9 et la situation générale de la Compagnie. Ainsi, en 1889, elle déclare qu’elle ne peut évaluer un office à un montant supérieur à 125.000 francs en « tenant compte du solde de la dette de la Compagnie et des charges qu’elle impose »10. De la même manière, agissant dans l’intérêt « des créanciers de l’agent de change sortant », la Chambre syndicale rejette, le 27 août 1886, l’acte de société d’un nouvel agent de change au motif que l’office n’était évalué qu’à 100.000 francs alors que la valeur courante des offices était de 135.000 francs11. Le prix de l’office n’est donc pas entièrement et librement déterminé par la rencontre de l’offre et de la demande. Nous montrons d’ailleurs dans l’annexe 5.B qu’il n’existe pas, à Lyon, de corrélation significative entre la valeur d’un office, le montant des courtages reçus et l’IOB versé par l’agent de change vendeur ou « sortant ». Cela suggère que la CAC privilégie une logique « corporatiste », notamment en limitant les écarts d’évaluation des offices d’une charge à l’autre, plutôt qu’une logique de marché dans la détermination de la valeur des offices. Le prix de l’office renseigne toutefois dans une certaine mesure sur les anticipations des agents de change eux-mêmes quant à la rentabilité moyenne des charges12.

Le graphique5.6présente les valeurs annuelles minimales et maximales du prix des offices à la Bourse de Lyon et la valeur de la dernière transaction de l’année pour la Bourse de Paris au cours de la période de 1875 à 1913. Nous considérons pour cela à la fois les transmissions d’office et les estimations lors des renouvellements de société d’agents de change13. Entre juillet 1883 et

9. ADR, CAC Lyon, PV CS, 3 août 1867, 12 février 1869 et 10 juin 1869. 10. ADR, CAC Lyon, PV CS, 6 décembre 1889.

11. ADR, CAC Lyon, PV CS, 27 août 1886.

12. Par exemple, à l’occasion de l’installation d’un agent de change, le Syndic de la CAC lyonnaise déclare : « en 1869, la valeur de nos offices était à peine de 100.000 francs, nous n’avions aucun fonds de réserve. Le chiffre de nos comptes courants à la Caisse syndicale était lui-même entamé. Depuis, grâce aux sacrifices que notre Compagnie a su s’imposer, tout a été réparé, nos comptes courants sont intacts et notre réserve atteindra bientôt 1.200.000 francs, soit, près de 40.000 francs par charge ; aussi leur prix est-il remonté à 180.000 f. et est-il légitimement permis de compter sur des cours bientôt supérieurs » (ADR, CAC Lyon, PV AG, 1eravril 1876).

13. Dans l’immense majorité des cas, un agent de change s’adjoint des bailleurs de fonds et forme une société en commandite pour l’exploitation de son office. Pratiqué dès le début du XIXesiècle, le droit de s’adjoindre des bailleurs de fonds pour les agents de change d’une bourse disposant d’un parquet est consacré par la loi du 2 juillet

CHAPITRE 5 : LUTTE POUR LA SURVIE

Figure 5.6 – Valeur d’un office d’agent de change à Paris et Lyon, 1875–1913

Sources : Pour les deux séries lyonnaises : ADR, CAC Lyon, PV AG et PV CS, 1875–1913. Pour Paris : nous considérons la dernière transaction de l’année d’aprèsWhite(2007, p. 129).

Notes : Les montants sont exprimés en francs courants. L’axe de gauche concerne les deux séries lyonnaises : « Minimum_Lyon » et « Maximum_Lyon », tandis que les données concernant la Bourse de Paris se lisent sur l’axe de droite.

juin 1914, 54 installations d’agents de change et 134 renouvellements ou demandes d’estimation de la charge ont lieu, soit 188 estimations d’offices au total. Le boom financier entre 1878 et 1881 se traduit par une augmentation de la valeur des offices : le prix maximum à débourser pour devenir agent de change double au cours de cette période. Après le krach de 188214, la valeur minimale atteinte par un office est divisée par six, passant de 300.000 à 50.000 francs. Cette valeur augmente jusqu’en 1885, puis stagne autour de 130.000 francs entre 1886 et 1899. Ce n’est qu’à partir du début des années 1900 et l’extinction de la dette de l’ancienne Chambre syndicale que la valeur minimale d’un office dépasse les 150.000 francs, montant similaire, en valeur nominale, à celui d’avant l’euphorie du début des années 1880.

En comparaison, la valeur de l’office à Paris varie dans de proportions bien moindres, notam- ment parce qu’elle est plus strictement fixée par la Chambre syndicale de Paris et reste constante pendant plusieurs années (Riva & White 2011). Après le krach de 1882, il passe de 1,8 à 1,7 million de francs, montant en vigueur jusqu’à la fin des années 1880, où il diminue à 1,6 million. À partir de 1901, en accord avec le ministère des Finances, la Chambre syndicale décide de fixer

1862. Une estimation de la valeur de l’office est demandée par un agent à la Chambre syndicale lorsque celui-ci doit renouveler sa société ou lorsqu’un commanditaire souhaite sortir de l’association. VoirLevain & Verley(1987) etVerley(1989) pour une étude des sociétés d’agents de change à Paris pour la deuxième moitié du XIXesiècle. 14. La cession d’un office d’agent de change lyonnais en novembre 1881 pour une valeur de 425.000 francs constitue un record, en valeur réelle, ou le « highest price ever » pour la Bourse de Lyon, pour paraphraserDavis et al.(2007), pour le XIXe et le XXesiècles.