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Un des défis à relever avant toute étude sur les marchés boursiers régionaux tient à l’iden- tification de sources propres. En effet, si les archives de la CAC de Paris et du Trésor sont désormais connues et largement utilisées16, il n’en demeure pas moins qu’elles n’offrent qu’une vision limitée du rôle des bourses régionales, essentiellement orientée vers les règlements de ces derniers17. Si ces archives ont pu nous être ponctuellement utiles, nous avons préféré fonder notre étude sur un fond émanant directement d’un marché régional. Le corpus principal d’ar- chives utilisé dans cette thèse est constitué des documents de la CAC de Lyon. Ce fonds privé, propriété d’Euronext, conservé aux Archives Départementales du Rhône, couvre la période 1832 à 1967. Il se compose de 243 cotes et est constitué de quatre blocs principaux.

Le premier bloc est formé des procès-verbaux des réunions de la Chambre syndicale et de la Compagnie. Ils constituent le cœur de notre étude et n’ont, à notre connaissance, jamais été utilisés auparavant, à l’exception d’Antoine Genevet, Syndic de la CAC de Lyon de 1886 à 1892 et auteur en 1890 d’une Histoire depuis les origines jusqu’à l’établissement du Parquet en 1845 de la Compagnie des Agents de change de Lyon. Étant donnée sa position privilégiée, il a pu consulter les registres de la CAC de Lyon pour la période 1832 à 1845. Le premier compte-rendu d’une réunion de la Chambre syndicale est daté du 4 juin 183218et d’une Assemblée générale de la Compagnie du 10 décembre 1855. Les procès-verbaux de la Chambre syndicale, disponibles pour la période de 1832 à 1959, sont consignés dans 14 volumes, tandis que les comptes-rendus des Assemblées générales tiennent en 4 volumes pour la période 1855 à 196619. L’apparition de ces comptes-rendus en 1832 n’est pas anodine et correspond à un besoin d’organisation de la Compagnie, comme l’expliqueGenevet (1890, p. 199) :

« L’introduction de ce nouveau genre d’affaires [les opérations sur valeurs mobi- lières, à terme notamment] allait provoquer une véritable révolution dans la vie de la corporation. Avec le danger qui pouvait en résulter, avec le besoin de s’en défendre, 16. Pour un court descriptif des archives de la CAC de Paris déposées au CAEF, voirLagneau-Ymonet & Riva

(2010a) etLagneau-Ymonet et al.(2014a). Pour des travaux publiés reposant sur ces archives, voir entre autres

Hautcœur & Riva(2012) etLagneau-Ymonet & Riva(2012).

17. Au sein du fonds CAC Paris conservé au CAEF, nous avons eu ponctuellement recours aux cartons suivants mentionnés dans l’annexe1.B.

18. Un extrait du compte-rendu de la première réunion de la Chambre syndicale à notre disposition est repro- duite en annexe1.C.

1.5. SOURCES

s’imposait aux agents de change la nécessité d’avoir à leur tête une autorité vigilante et forte. Aussi, est-ce au début de l’année 1832 que nous voyons s’ouvrir enfin les registres, ou Livres des délibérations, de la compagnie : ces témoins, plus vivants et plus intimes, vont nous faire assister aux laborieux efforts de la compagnie pour pro- céder à une réorganisation de ses moyens d’action, afin qu’ils fussent plus en rapport avec la transformation de ses moyens d’existence ».

Deux types de comptes-rendus sont donc disponibles : ceux des réunions de la Chambre syndicale et ceux des Assemblées générales de la Compagnie. La Chambre syndicale est l’organe dirigeant de la bourse. Composée, à Lyon, d’un Syndic et de six Adjoints, élus pour une année par l’ensemble de la CAC réunie en Assemblée générale, la Chambre syndicale joue un double rôle de surveillance du marché et d’autorité lorsqu’elle se mue en chambre de discipline ou lorsqu’elle règle un conflit entre deux agents de change. Outre ces fonctions, la Chambre syndicale prend les décisions et fixe les règlements du fonctionnement de la bourse : admission de valeurs à la cote officielle, détermination du cours de compensation, fixation du tarif de courtages, etc. Le compte-rendu de ces réunions s’avère le plus souvent décevant, sauf à deux principales occasions : d’une part, lors de l’admission de valeurs à la cote, il est possible, selon les périodes, de disposer d’informations très complètes sur les émetteurs des titres ; d’autre part, lors de la mise en place de nouveaux règlements ou de nouvelles pratiques. Avant d’être ratifiés par l’ensemble de la Compagnie réunie en Assemblée générale, ils font l’objet de discussions détaillées à la Chambre syndicale, ce qui permet de reconstituer le fil des évènements et de la réflexion sous-jacente à la nouvelle règlementation. Moins fréquentes que les réunions de la Chambre syndicale, les Assemblées générales servent le plus souvent à ratifier les décisions préalablement prises par la Chambre syndicale. L’ensemble des agents de change de la Compagnie y participent. Les Assemblées générales de fin d’exercice comptable, en décembre de chaque année, ont été les plus intéressantes pour nous. Outre une présentation de la situation financière de la Compagnie par le rapporteur de la commission de comptabilité, elles sont constituées d’un discours du Syndic revenant sur les principaux évènements concernant l’institution boursière au cours de l’année écoulée.

Le graphique1.2 représente le nombre de réunions annuelles, tant de la Chambre syndicale que de la Compagnie. Il est, en tant que tel, informatif. En effet, un nombre élevé de réunions est, en règle générale, associé à la discussion d’une question importante pour la Compagnie. Les plus hautes fréquences de réunion de la Chambre syndicale sont regroupées dans le tableau 1.2. Les deux exemples les plus marquants pour Lyon sont, sans aucun doute, la période 1879–1882 et l’année 1898. Au cours de la première, sont, tout d’abord, discutées les modalités d’installation d’un fil télégraphique reliant directement les Bourses de Paris et de Lyon, ainsi que les mesures à prendre face à l’emballement financier, puis suite à la déroute du marché en 1882. En 1898, les agents de change se réunissent le plus souvent pour débattre de la réforme du marché financier français votée la même année. Inversement, au cours de la Première Guerre mondiale, alors que de nombreux agents de change sont mobilisés et que le marché tourne au ralenti, le nombre de réunions suit un rythme faible. Les rares réunions de la Chambre syndicale ont lieu dans le seul

CHAPITRE 1 : INTRODUCTION GÉNÉRALE

but de discuter l’application des décisions prises à Paris concernant la liquidation des opérations à terme à échéance fin juillet 1914 (voir chapitre 6).

Table 1.2 – Quelques évènements marquants à la Bourse de Lyon, 1832–1967 Chambre syndicale

Année Nb de réunions Événements particuliers

1853 29 La position comptable de la Caisse syndicale est exceptionnellement publiée après chaque liquidation

1877 & 1879 48 & 49 Installation d’un télégraphe privé à la Bourse de Lyon (voir chapitre

5)

1882 76 Krach de l’Union Générale (voir chapitre5)

1898 70 Réforme du marché financier en France (voir chapitres3,5et6) 1903 67 Nombreuses admissions en bourse (voir chapitre4)

« Affaire des téléphones » (voir chapitre5)

1912 50 Les procurations sont publiées dans les PV de la CS Assemblée générale

Année Nb de réunions Évènements particuliers 1882 14 Krach de l’Union Générale (voir chapitre5) 1913 11 Affaire Girinon (voir chapitre6)

Installation de quatre agents de change

1966 12 Création de la Compagnie Nationale des Agents de change (disparition de la CAC de Lyon)

Les pièces comptables constituent le second bloc des archives de la CAC de Lyon. Elles se composent des procès-verbaux de la Commission de comptabilité, des Inventaires, des Grands Livres de la CAC, du Livre journal et des Livres de caisse. Les pièces les plus intéressantes sont les Inventaires, ainsi que les Grands Livres. En effet, les premiers donnent, sous une forme synthétisée et agrégée, un état de la situation comptable de la Compagnie – bilans, comptes de profits et pertes, frais généraux, etc. – pour chaque année entre 1896 et 1957. Les derniers fournissent l’évolution précise de chaque compte de la Caisse syndicale. Nous les avons utilisés en particulier pour reconstituer une série d’impôt versé par la Caisse syndicale (voir chapitre6). En revanche, les procès-verbaux de la Commission de comptabilité, disponibles pour la période 1892- 1967, se sont révélés être assez décevants : ils ne comportent le plus souvent qu’une approbation des comptes de la Caisse syndicale, sans que ceux-ci ne soient discutés.

Un troisième ensemble du fonds de la CAC de Lyon est composé des dossiers personnels d’agents de change, 85 au total. Ils concernent exclusivement la période comprise entre 1884 et 1969. Ces dossiers, de taille très variable20, comportent les documents officiels concernant la transmission des offices d’agent de change (décret de nomination, dépôt du cautionnement auprès du Trésor et auprès de la Caisse syndicale, etc.) et l’acte de société formée pour exploiter la charge d’agent de change. Nous avons laissé de côté ces dossiers dans le cadre de cette thèse, mais ils contiennent le nom et l’adresse des commanditaires, c’est-à-dire des apporteurs de capitaux, et pourraient donc être mobilisés pour une étude des réseaux d’agents de change lyonnais.

Enfin, le fonds de la CAC de Lyon inclut des pièces diverses, comme les règlements successifs

20. Le dossier de Gérard Delore (161 J 141) ne comporte que cinq feuillets alors que le dossier d’Hubert Audras (161 J 121), coupable d’une escroquerie sur le marché de l’or dans les années 1950, se composent de plusieurs pochettes volumineuses.

1.5. SOURCES

de la Compagnie, certains annuaires et cotes boursières publiées dans les années 1930 et 1940 par la CAC de Lyon ou encore des dossiers couvrant diverses affaires contentieuses de l’après Seconde Guerre mondiale.

La plupart de ces archives n’était pas destinée à être publiée, voire même consultée21. Elles offrent ainsi la vision directe des acteurs qui font preuve de grande liberté de parole. Ceci constitue un grand avantage dans un travail d’histoire financière, mais cela signifie également que ces sources sont partielles et partiales. Afin d’avoir un regard le plus objectif possible sur ces discours et analyses, nous avons complété leur étude par la lecture des procès-verbaux d’autres places boursières, notamment celles de Paris, Marseille, Bordeaux et Lille22, mais également par l’emploi de données quantitatives, le plus souvent reconstruites à partir de sources primaires. Ainsi, nous avons été amené à collecter de données boursières, à partir des cotes officielles publiées par les CAC ou de la presse financière, et des informations sur les émetteurs de titres, dans les différents annuaires boursiers, rédigés par les CAC elles-mêmes ou non, disponibles pour cette période. Enfin, nous avons eu recours à plusieurs occasions à certaines archives du fonds de la CAC de Paris et du fonds Trésor, tous deux conservés au Centre des Archives Économiques et Sociales (CAEF).

21. Jean Bouvier a par exemple à plusieurs reprises, pour ses travaux sur le Crédit Lyonnais et le Krach de l’Union Générale, tenté de les consulter, sans que ses requêtes ne soient acceptées par la CAC de Lyon (Bouvier 1960,1961,1968).

22. Les archives des CAC de province ont notamment été utilisées parBlondel(1997,1998),Genevet(1890),

Gontard (1982,1985), Lambert-Dansette(1961,1966), Mastin(2007),Oosterlinck & Riva(2010), Riva(2012a)

CHAPITRE 1 : INTRODUCTION GÉNÉRALE

Figure 1.2 – Nombre de réunions, Chambre syndicale et Assemblée générale, CAC de Lyon, 1832–1967