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4.4 Analyse empirique du choix de la place de cotation

4.4.1 Estimation de modèles probit sur échantillon complet

La section précédente fournit quelques aperçus des déterminants du choix de la place de cotation des entreprises. Toutefois, afin de comparer le pouvoir explicatif de chaque variable et d’éviter les corrélations fallacieuses, nous poursuivons notre étude par une analyse multivariée. Plus précisément, de manière classique dans la littérature56, nous utilisons, tout d’abord, un

4.4. ANALYSE EMPIRIQUE DU CHOIX DE LA PLACE DE COTATION

modèle probit pour étudier les déterminants du choix de cotation des entreprises. Nous estimons ainsi :

P rob(Li,j = 1|X) = F (X

0

β) (4.1)

Où Li,j est une variable muette et vaut 1 lorsque la société i a sa cotation primaire sur le marché j, 0 sinon ; X, le vecteur de nos variables explicatives ; F , la fonction de répartition de la loi normale centrée réduite et β est le vecteur des coefficients à estimer. X inclut la distance en kilomètres entre le siège social de l’entreprise et la bourse (mesurée en log), l’âge en années de l’entreprise au moment de l’admission en bourse (en log), la taille de l’entreprise, à savoir la valeur nominale de l’admission (en log également)57, des indicatrices sectorielles et des indicatrices annuelles. Nous ajoutons, pour le marché officiel de Paris uniquement, une variable Minimum. Elle vaut 1 si capital de l’entreprise est supérieur à 2 millions de francs, 0 sinon. Elle vise à vérifier si la politique d’admission à la cote suivie par la Chambre syndicale de Paris dans les années 1890 est toujours en vigueur.

Nous confrontons deux modèles explicatifs différents. Le premier, modèle de segmentation géographique basé sur la distance géographique, cherche à déterminer l’ampleur des asymétries d’information. Le second, hiérarchique, est employé pour tester l’affirmation que l’on trouve chez certains contemporains selon laquelle la Bourse de Paris accueillerait les sociétés au capital le plus élevé. Nous ajoutons ensuite chaque variable d’intérêt et de contrôle. En outre, de manière analogue àBurhop & Lehmann-Hasemeyer(2016), nous utilisons, en guise de test de robustesse, une régression de Poisson, adaptée puisque nous mesurons ici le nombre d’occurrences d’un évènement, à savoir l’introduction en bourse d’une société. Nous avons enfin vérifié que nos résultats étaient robustes à l’utilisation de la méthode d’estimation pour « évènements rares » développés par King & Zeng(2001,2002).

Le tableau4.7présente les résultats pour le Parquet. Dans un premier temps, nous choisissons un modèle minimaliste dans lequel la probabilité pour une entreprise de se faire coter pour la première fois en bourse au Parquet est expliquée uniquement par la distance entre Paris et le siège social de l’entreprise (régression 1, table 4.7). Nous ajoutons ensuite progressivement les variables suivantes : Taille, Âge, Minimum et les indicatrices sectorielles et annuelles. Dans toutes les spécifications retenues, la distance joue un rôle négatif et significatif au seuil de 0,1% dans le choix du Parquet comme place de première cotation. Ainsi, une augmentation de 1% de la distance moyenne (environ 1,4 kilomètre) réduit la probabilité d’être cotée au Parquet de 2,6%, toutes choses égales par ailleurs (régression 6, table4.7). De plus, la taille de l’entreprise explique positivement la décision de cotation primaire à Paris. Dans notre modèle complet (régression 6, table 4.7), lorsque la taille moyenne d’une entreprise augmente de 1% (soit une valeur nominale de l’admission plus élevée d’environ 30.000 francs), la probabilité d’être coté pour la première fois au Parquet augmente de 6,6%. Ce résultat n’est pas surprenant : les firmes au capital le plus important ont intérêt à voir leurs titres cotés sur le marché le plus large et liquide. L’âge de l’entreprise a également un impact sur cette probabilité. Les entreprises plus vieilles

57. Tous les relevés fournis à la Commission Jaurès ne comprennent pas le premier cours des titres cotés, ce qui nous a empêché d’utiliser ici une valeur de marché.

CHAPITRE 4 : INTRODUCTIONS EN BOURSE

ont davantage tendance à choisir le marché officiel parisien comme place de cotation primaire. Cela s’explique sans doute par la plus grande sévérité avec laquelle la Chambre syndicale de Paris sélectionne les valeurs à admettre à sa cote. D’une part, elle exige, le plus souvent, un ou plusieurs bilans lors de la demande d’admission à la cote, ce qui signifie que l’entreprise requérante doit avoir couvert au moins un exercice comptable. D’autre part, ce résultat suggère que le Parquet choisit les entreprises les mieux établies afin de répondre à des contraintes de capacité. En revanche, la variable Minimum n’est pas significative dans nos régressions. Ce résultat suggère que la Chambre syndicale a renoncé à sa jurisprudence en vigueur au début des années 1890 de n’admettre en bourse que des entreprises dont le capital social est supérieur à 2 millions de francs. Cet abandon est très certainement lié à la création et au développement de la deuxième partie de la cote, compartiment capable d’accueillir des titres qui auraient été refusés à la première partie de la cote. L’interprétation des coefficients des variables sectorielles est plus ardue. Toutefois, il semblerait que par rapport à l’industrie textile, secteur choisi comme référence, les entreprises des secteurs alimentaire, chimique, métallurgique et de transport ont moins d’être de chance de s’introduire en bourse au Parquet. La régression 7 (table 4.7) donne les résultats obtenus à partir d’une régression de Poisson, utilisée comme test de robustesse. Le signe et la significativité de nos trois variables d’intérêt – Distance, Âge et Taille – ne sont pas modifiés, ce qui nous conforte dans nos résultats.

Nous procédons à la même analyse pour la Coulisse. Les résultats sont présentés dans le tableau4.8. La taille de la société introduite n’explique plus significativement l’introduction en bourse en Coulisse, lorsque nous utilisons la distance et l’âge de la société. Finalement, seule la distance semble avoir un effet significatif parmi nos principales variables d’intérêt. L’effet de la distance est plus important que pour le Parquet. En effet, dans notre modèle complet (régression 5, table 4.8) lorsque la distance entre le siège social de l’entreprise et la Coulisse augmente de 1%, la probabilité d’être coté en Coulisse diminue de 8,6%. En effet, ce marché tend à accueillir davantage les entreprises minières exploitant des gisements en France ou à l’étranger, mais dont le siège social se situe à Paris. Ce résultat fournit donc une image complémentaire de la Coulisse : ce marché est certes celui de la négociation de la rente française, de quelques grands emprunts internationaux et des actions des compagnies de mines d’or anglaises ou transvaliennes (Léon 1896,Tréteau 1994), mais également le lieu d’introduction de nombreuses valeurs de l’économie « locale ». Enfin, les coefficients des indicatrices sectorielles indiquent que par rapport au secteur Assurance, banque et immobilier, les entreprises des secteurs alimentaire, métallurgique, textile, de transport et de valeurs diverses ont plus de chance de s’introduire en bourse en Coulisse.

Les résultats pour la Bourse de Lyon figurent dans le tableau4.9. À Lyon, sont introduites en bourse des entreprises jeunes, de petite taille et situées à Lyon ou à proximité. Une nouvelle fois, la distance est corrélée négativement et significativement au seuil de 0,1% avec la probabilité d’être admis à l’une de ces bourses. Ce résultat est toutefois remarquable par son ampleur. En effet, lorsque la distance augmente de 1%, la probabilité d’être admis à Lyon diminue de près 26,2% ! Ce résultat met en évidence le caractère résolument local des bourses de province au cours de la Belle Époque58. Il est exacerbé à Lyon par la politique singulière d’admission à la 58. Les résultats pour les Bourses de Lille et Marseille, non reportés ici, confirment le rôle des facteurs géogra-

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Table 4.7 – Déterminants de l’introduction en bourse : Parquet, 1898–1909 (effets marginaux)

(1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) Poisson Distance Paris -0.052∗∗∗ -0.027∗∗∗ -0.027∗∗∗ -0.026∗∗∗ -0.026∗∗∗ -0.304∗∗∗ (0.005) (0.005) (0.005) (0.005) (0.005) (0.056) Taille firme 0.144∗∗∗ 0.105∗∗∗ 0.098∗∗∗ 0.091∗∗∗ 0.066∗∗∗ 0.459∗∗∗ (0.012) (0.013) (0.012) (0.016) (0.015) (0.088) Âge firme 0.039∗∗∗ 0.039∗∗∗ 0.031∗∗ 0.281∗∗∗ (0.010) (0.010) (0.010) (0.072) Minimum 0.020 0.022 0.645∗ (0.031) (0.025) (0.276)

Alim., boisson, brasserie -0.052∗∗∗ -0.830

(0.015) (0.689)

Assurance, banque et immo. -0.001 -0.076

(0.049) (0.517)

Chemins de fer et tram. -0.009 -0.060

(0.043) (0.508)

Chimie -0.050∗∗ -0.732

(0.018) (0.587)

Élect., eaux et gaz 0.001 -0.010

(0.048) (0.506)

Fonderie, métal. et mines -0.060∗ -0.725

(0.024) (0.527)

Transports et ports -0.053∗∗ -0.740

(0.017) (0.580)

Valeurs diverses -0.052 -0.639

(0.028) (0.530)

Indicatrices annuelles Oui Oui

Observations 741 741 741 741 741 741 741

% de bonnes prédictions 82.7 87.6 87.6 88.0 88.0 89.2 –

Pseudo R2 0.159 0.271 0.328 0.350 0.351 0.440 0.298

Notes : Écarts types robustes entre parenthèses ;∗p < 0.05,∗∗p < 0.01,∗∗∗p < 0.001

La variable dépendante est une dummy qui vaut 1 lorsque la société est introduite en bourse au Parquet, 0 sinon. Les variables explicatives sont les suivantes : Distance Paris (calculée comme le log de la distance en kilomètre entre le siège social de la société et la Bourse de Paris) ; Âge firme (calculée comme le log de la différence entre la date d’introduction en bourse et la date de création de la société) ; Taille Firme (définie comme le log de la valeur nominale de l’admission en bourse) ; Minimum (dummy qui prend la valeur 1 si la valeur nominale de l’admission est supérieure à deux millions de francs) ; Indicatrices sectorielles (le secteur Textile est omis) et annuelles. Les modèles 1 à 6 sont estimés à partir d’une régression probit (la table présente les effets marginaux), le modèle 7 avec une régression de Poisson.

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Table 4.8 – Déterminants de l’introduction en bourse : Coulisse, 1898–1909 (effets marginaux)

(1) (2) (3) (4) (5) (6) Poisson Distance Paris -0.093∗∗∗ -0.094∗∗∗ -0.093∗∗∗ -0.086∗∗∗ -0.422∗∗∗ (0.006) (0.007) (0.007) (0.008) (0.047) Taille firme 0.082∗∗∗ -0.006 -0.005 0.015 0.038 (0.013) (0.015) (0.015) (0.017) (0.059) Âge firme -0.033 -0.021 -0.056 (0.019) (0.018) (0.058)

Alim., boisson, brasserie 0.385∗ 1.191∗

(0.154) (0.463)

Chemins de fer et tram. 0.182 0.642

(0.144) (0.505)

Chimie 0.272 0.950∗

(0.148) (0.483)

Élect., eaux et gaz 0.092 0.422

(0.122) (0.496)

Fonderie, métal. et mines 0.408∗∗∗ 1.285∗∗

(0.122) (0.436) Textile 0.493∗∗ 1.473∗ (0.182) (0.576) Transports et ports 0.280∗ 0.996∗ (0.141) (0.457) Valeurs diverses 0.426∗∗∗ 1.344∗∗ (0.118) (0.441)

Indicatrices annuelles Oui Oui

Observations 741 741 741 741 695 741

% de bonnes prédictions 72.1 69.9 77.1 73.8 82.9 –

Pseudo R2 0.253 0.035 0.254 0.257 0.364 0.254

Notes : Écarts types robustes entre parenthèses ;∗p < 0.05,∗∗p < 0.01,∗∗∗p < 0.001

La variable dépendante est une dummy qui vaut 1 lorsque la société est introduite en bourse en Coulisse, 0 sinon. Les variables explicatives sont les suivantes : Distance Paris (calculée comme le log de la distance en kilomètre entre le siège social de la société et la Bourse de Paris) ; Âge firme (calculée comme le log de la différence entre la date d’introduction en bourse et la date de création de la société) ; Taille Firme (définie comme le log de la valeur nominale de l’admission en bourse) ; Indicatrices sectorielles (le secteur Assurance, banque et immobilier est omis) et annuelles. Les modèles 1 à 5 sont estimés à partir d’une régression probit (la table présente les effets marginaux), le modèle 6 avec une régression de Poisson.

4.4. ANALYSE EMPIRIQUE DU CHOIX DE LA PLACE DE COTATION

cote : les agents de change sont incités à coter des entreprises de leur choix sans attendre le dépôt d’un dossier de candidature, à condition d’avoir vérifié au préalable leur bonne constitution. Il n’est dès lors pas surprenant que de nombreuses entreprises, situées à Lyon ou non, fassent l’objet d’une cotation primaire à Lyon59. La taille de l’entreprise impacte également le choix de cotation : en moyenne, Lyon attire des entreprises plus petites. Une nouvelle fois, ce résultat est cohérent avec les pratiques mises en œuvre à Lyon. Il est, de plus, confirmé par la régression de Poisson (régression 6, table 4.9). Enfin, l’âge de l’entreprise influence négativement le choix de la Bourse de Lyon comme lieu de cotation primaire. Ce coefficient n’est toutefois pas significatif dans toutes nos spécifications.

Le graphique 4.8 synthétise le rôle joué par la localisation des sociétés dans leur choix de place de cotation. Pour le construire, nous avons utilisé les coefficients des régressions des mo- dèles « complets » (régression 6, table 4.7 et régressions 5, tables 4.8 et 4.9). À chaque valeur (entière) de la variable de distance correspond une probabilité pour une firme d’être cotée sur la bourse considérée, toutes choses égales par ailleurs (les autres variables sont fixées à leur valeur moyenne). Ce graphique confirme le rôle majeur de la distance dans la détermination de la place de cotation. On constate que l’effet de la distance est non seulement plus fort à Lyon, mais également persistant. Ainsi, même avec un siège social situé à de plus de 50 kilomètres, la probabilité pour une société d’être cotée à Lyon est, toutes choses égales par ailleurs, de 60% environ ! Les graphiques 4.D.1 et 4.D.2 présentés en annexe fournissent des illustrations supplémentaires du rôle joué par la distance. Enfin, les tables 4.C.7,4.C.8 et4.C.9 donnent les estimations des régressions probit.

phiques dans le choix de la place de cotation primaire.

59. La correspondance de Charles Plantin, agent de change à Lyon de 1882 à sa mort en 1916, est de ce point de vue éclairante. Il oriente quasi systématiquement les clients qui lui demandent des conseils de placement, vers des valeurs de la région lyonnaise (Archives Municipales de Lyon, Fonds Eymard, 17 II 11 Correspondance reçue de la clientèle (1898-1914)).

CHAPITRE 4 : INTRODUCTIONS EN BOURSE

Table 4.9 – Déterminants de l’introduction en bourse : Lyon, 1898–1909 (effets marginaux)

(1) (2) (3) (4) (5) (6) Poisson Distance Lyon -0.262∗∗∗ -0.249∗∗∗ -0.250∗∗∗ -0.262∗∗∗ -0.261∗∗∗ (0.042) (0.042) (0.044) (0.045) (0.021) Taille firme -0.226∗∗∗ -0.187∗∗∗ -0.186∗∗∗ -0.190∗∗∗ -0.252∗∗∗ (0.019) (0.024) (0.024) (0.023) (0.041) Âge firme -0.028 -0.068∗ -0.027 (0.029) (0.032) (0.054)

Alim., boisson, brasserie -0.095 -0.029

(0.146) (0.184)

Chemins de fer et tram. 0.065 0.394

(0.165) (0.210)

Chimie 0.181 0.386∗

(0.152) (0.172)

Élect., eaux et gaz 0.102 0.384∗

(0.135) (0.184)

Fonderie, métal. et mines 0.018 0.300

(0.128) (0.174) Textile -0.172 0.344 (0.166) (0.249) Transports et ports -0.092 0.133 (0.135) (0.206) Valeurs diverses -0.057 0.140 (0.124) (0.163)

Indicatrices annuelles Oui Oui

Observations 741 741 741 741 741 741

% de bonnes prédictions 85.8 74.1 86.9 87.3 89.5 –

Pseudo R2 0.424 0.176 0.489 0.490 0.555 0.211

Notes : Écarts types robustes entre parenthèses ;∗p < 0.05,∗∗ p < 0.01,∗∗∗p < 0.001

La variable dépendante est une dummy qui vaut 1 lorsque la société est introduite en bourse à Lyon, 0 sinon. Les variables explicatives sont les suivantes : Distance Lyon (calculée comme le log de la distance en kilomètre entre le siège social de la société et la Bourse de Lyon) ; Âge firme (calculée comme le log de la différence entre la date d’introduction en bourse et la date de création de la société) ; Taille Firme (définie comme le log de la valeur nominale de l’admission en bourse) ; Indica- trices sectorielles (le secteur Assurance, banque et immobilier est omis) et annuelles. Les modèles 1 à 5 sont estimés à partir d’une régression probit (la table présente les effets marginaux), le modèle 6 avec une régression de Poisson.

4.4. ANALYSE EMPIRIQUE DU CHOIX DE LA PLACE DE COTATION

Figure 4.8 – Prédictions des modèles probit en fonction de la distance

(a) Parquet (b) Coulisse

(c) Lyon

Note : Ces graphiques représentent la probabilité prédite par nos modèles (modèle 5, table4.7pour le Parquet ; modèle 4, table 4.8 pour la Coulisse ; modèle 4, table 4.9pour la Bourse de Lyon) pour une entreprise d’être introduite sur l’une des trois bourses en fonction de la distance entre son siège social et la place financière considérée, les autres variables étant fixées à leur valeur moyenne.

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