• Aucun résultat trouvé

Une autre approche, plus féconde pour le cas qui nous intéresse, consiste à analyser le déve- loppement des marchés boursiers à travers le prisme des dynamiques concurrentielles à l’œuvre. La littérature consacrée à la concurrence entre places boursières distingue plusieurs éléments sur lesquels sont susceptibles de porter ces dynamiques (voir pour des revues de littérature Madhavan (2000),Biais et al. (2005),Gomber et al. (2017)) :

— la transparence des marchés. Cette notion renvoie à la « capacité des participants au marché à observer les informations dans le processus de négociation » (O’Hara 1995, p. 252). Le niveau de transparence des marchés, qu’elle concerne les ordres (transparence pré-transactionnelle) ou les transactions conclues (transparence post-transactionnelle) est important, car il affecte les stratégies suivies par les investisseurs. Ainsi, les opérateurs informés ont tendance à préférer les marchés opaques afin de conserver leur avantage com- paratif et de ne pas révéler leurs informations, tandis qu’au contraire, des investisseurs,

14. D’autres exemples incluent les articles de Garbade & Silber (1978,1979) et Houpt & Cagigal(2010) sur l’intégration financière respectivement aux États-Unis et en Espagne, ou encore deCastaneda & Tafunell(2001) etCuevas(2009) où des indices de marché respectivement des Bourses de Barcelone et de Valence sont construits. 15. Plus précisément, nous trouvons que 84% de la valeur des titres cotés figurant dans l’indice CAC-40 sont également cotés à la Bourse de Lyon en 1892. Ce chiffre est de 80% en 1914.

1.4. L’APPORT DE LA LITTÉRATURE SUR LA CONCURRENCE ENTRE BOURSES petits porteurs ou peu informés, préfèrent agir sur des marchés plus transparents pour obtenir davantage d’information avant de passer un ordre. Cette hétérogénéité entre les opérateurs peut alors mener à une fragmentation du marché financier (Madhavan 1995). — les coûts de transaction. Ces derniers incluent les coûts directs associés à une transac- tion, comme les commissions et les remises accordées. Une bourse peut tenter d’attirer des investisseurs et des émetteurs grâce à des coûts de transaction plus faibles que ses concurrents (Foucault & Parlour 2004). Dans le même temps, les coûts de transaction comportent également des composantes indirectes, comme par exemple les coûts liés aux délais éventuels dans l’exécution des ordres.

— d’autres éléments comme le nombre minimum de titres inclus dans chaque transaction, les horaires d’ouverture de la bourse, le montant minimal de variation des cours, etc. L’impact de cette concurrence entre bourses est incertain. Elle peut en effet mener à deux types d’équilibre différents : la concentration de l’activité financière sur une place unique, ou, au contraire, la fragmentation des places boursières, avec le développement de plusieurs plateformes différenciées concurrentes.

D’une part, la théorie économique classique standard montre que le résultat de la concurrence entre bourses est l’émergence d’un marché unique, concentrant en un même lieu l’ensemble des investisseurs et des émetteurs. Un seul marché maximise, en effet, les économies d’échelle et permet d’amortir les coûts fixes sur un nombre plus élevé de transactions, ce qui entraîne de fait une réduction des coûts de transaction. La concentration permet ainsi d’exploiter des externalités positives de réseau et génère ainsi une plus grande liquidité, des prix plus efficients et incite davantage d’entreprises à se faire coter sur ces bourses, ce qui permet en outre d’élargir les possibilités de diversification de portefeuille (Ramos & von Thadden 2008). Selon ces approches, le marché unique serait un résultat non seulement optimal, mais également naturel. En effet, dans ce cadre d’analyse, la concurrence entraîne l’homogénéisation des modèles de bourses. En effet, les bourses vont adopter le type d’organisation de la place dominante, c’est-à-dire celui permettant d’opérer avec des coûts de transaction plus faibles. À l’équilibre final, seule une bourse survit et absorbe l’activité de l’ensemble des autres places.

D’autre part, la concurrence entre bourses peut mener à la fragmentation des places bour- sières, notamment en présence d’investisseurs hétérogènes ou de barrières à l’information. S’il existe dans la littérature un consensus sur le fait que la co-existence de marchés boursiers si- milaires dans un environnement avec information parfaite constitue un gaspillage de ressources, certains arguments sont à mettre au crédit de la thèse selon laquelle différentes bourses peuvent offrir un espace de négociation à des investisseurs et émetteurs qui, sans leur existence, auraient été exclus du marché unique ne correspondant pas à leurs préférences. Un résultat fort de cette littérature est qu’il est impossible d’organiser un marché satisfaisant les préférences hétérogènes des participants au marché en matière de liquidité, transparence et immédiateté. Un trade-off majeur existe alors entre la liquidité et la transparence. Comme nous l’avons vu, les modèles classiques de microstructure introduisent deux types d’investisseurs selon le degré d’information dont ils disposent. Ce niveau différencié d’information entraîne une fragmentation de l’activité financière, avec d’un côté les investisseurs informés préférant opérer sur des marchés opaques

CHAPITRE 1 : INTRODUCTION GÉNÉRALE

(par exemple, des marchés de gré à gré), et de l’autre, les agents non informés effectuant leurs opérations sur des marchés plus transparents, fonctionnant par exemple, sur le principe des enchères.

Tout au long de ce travail, nous montrons que ce cadre théorique s’applique de manière féconde à notre cas historique et permet de penser les relations notamment entre la Bourse de Paris, marché dominant, et la Bourse de Lyon. En particulier, ces Bourses se livrent une concurrence dans un double but : attirer des émetteurs, d’une part, et les ordres des investisseurs, d’autre part.