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La transformation d’un métier

2. De la vache à lait à la vache à viande

Avec l’activité agropastorale qui relève d’une intense exploitation au XIXe siècle, le gros bétail, autrement dit les troupeaux bovins, ne concerne presque exclusivement que la race Lourdaise avec un petit nombre de représentantes de la race Casta (vallée d’Aure). Ces vaches laitières, reconnaissables grâce à leur paire de cornes ouvertes en « lyre basse », représentaient la principale exploitation de la vallée du Haut-Adour et fournissaient à la famille du lait pour tous les jours, du beurre au moins une fois par semaine, du fumier permettant l’entretient des cultures régulièrement et enfin des veaux annuellement.

Malgré quelques efforts, aucun fromage ne fut exporté et les laitages couvrirent finalement qu’une part de la consommation. La quantité de lait traitée restait insuffisante. D’autre part, cette exploitation se retrouve face à la concurrence d’entreprises industrielles beaucoup plus importantes. Les éleveurs vont alors s’orienter vers l’activité de production de viande.

44. Lourdaise. Leur robe, de couleur uniforme, va du blanc cassé au crème rosé.

Panneau d’information sur le site d’Artigussy

45. Casta. Leurs cornes sont de couleur blanche, aux extrémités brunes.

Aujourd’hui, c’est le cheptel ovin qui se démarque et qui est le mieux représenté dans la vallée. Le troupeau se constitu principalement de brebis fécondes et bien adaptées aux estives. Actuellement, sur tout le département, on compte 350 éleveurs professionnels (possédant plus de 50 têtes) correspondant néanmoins au faible effectif d’un cheptel total de 65 000 bêtes. Alors que la présence de ce cheptel a pu augmenter en vallée du Haut-Adour face à l’ancienne pratique agropastorale, l’effectif du département n’a fait que diminuer au fil du temps. Malgré tout, ces chiffres placent le département au troisième rang régional, derrière l’Aveyron et le Tarn. En revanche, à l’inverse de ses prédécesseurs sur le podium, la production de fromage, qu’il soit pur brebis ou mixte, ne représente qu’une faible part des revenus du cheptel haut-pyrénéen (chose commune à la vallée de Campan, qui exploite principalement l’élevage ovin pour la production de viande).

En ce qui concerne le cheptel bovin présent encore en estives, il est aujourd’hui, lui aussi, principalement destiné à la production de viande. D’après les chiffres de la Chambre d’agriculture en 2014, les races à viande concernent 78 % des vaches du Midi-Pyrénées. Néanmoins, d’un fait général au département, l’exploitation de troupeaux de bovins à viande est en constante diminution. Pour donner quelques chiffres, fournis par la Chambre d’agriculture, en 2006 le cheptel total de bovin à viande dans les Hautes-Pyrénées était égal à 40 000 têtes (pour 1 600 exploitations), alors qu’en 2014, on remarque une diminution de près de 40 % en 9 ans, puisqu’il ne concerne plus que 25 000 têtes, pour 1 300 exploitations.

Graphique 1. Evolutions des effectifs d'exploitations des éleveurs Bovin Viande (en milier) de 2006 à 2014

A propos des races bovines, par rapport à l’effectif départemental, c’est la Blonde d’Aquitaine qui est largement en tête, avec même une augmentation de 2 % depuis 2006. Alors qu’en parallèle, le nombre de vaches laitières de cesse de baisser.

Sur les estives en vallée du Haut-Adour, les Lourdaises et Auroises ont été remplacées par des races bonnes fournisseuses de viande : la Blonde d’Aquitaine et la Gasconne essentiellement. La Blonde d’Aquitaine est même la deuxième race de la région avec une présence à 24 % (mais perd de ses effectifs depuis 2010). La Gasconne avec sa robe grise et ses poils noirs aux oreilles est une espèce robuste (ancienne race de travail), dont les qualités d’élevage et de reproduction en font la race des zones de montagnes par excellence.

Quant à l’éleveur présent de nos jours en vallée de Campan, peu d’éléments vestimentaires le spécialisent véritablement. Il est reconnaissable, comme toute personne devant allait en montagne : manteau imperméable ou ciré (à supposer que la météo ne soit pas

47. Blonde d’Aquitaine

IMBERT André. Paysans des Pyrénées. Montagnes de

Bigorre. Toulouse : Loubatières, 2001

46. Gasconne

IMBERT André. Paysans des Pyrénées. Montagnes de

Bigorre. Toulouse : Loubatières, 2001 Graphique 2. Répartition raciale des vaches (évolution depuis 2006)

au beau fixe) et bottes ou chaussures de montagne. En revanche, le pâtre pyrénéen ne s’est pas déshonoré en retirant le béret (pouvant être remplacé de nos jours par une casquette), accompagné toujours de son bâton qui lui sert, entre autres, à « toucher »79 ses bêtes. Alors que cela ne concernait principalement que les troupeaux ovins, aujourd‘hui, le vacher est accompagné d’un, voire de plusieurs chiens (le plus souvent un labrit ou un berger des Pyrénées, néanmoins remplacé de plus en plus par le border collie). Il est aussi à préciser que certains pâtres, que ce soit berger ou vacher, quand ils partent en montagne, n’oublient pas leur salière80 attachée à la ceinture. En revanche, l’instrument qui a pu se multiplier, au point d’en trouver aux mains de chaque pâtre, sont les indispensables jumelles.

Autant la tenue vestimentaire a subi quelques modifications, autant le mode de vie des bergers et vachers d’aujourd’hui à considérablement changé. A présent, les éleveurs de Bigorre n’effectuent plus qu’une surveillance hebdomadaire en montagne. Par contre, la confusion ne doit pas être faite avec une activité qui s’occupe peu et mal d’un troupeau d’élevage (tout au contraire). Cela est simplement dû au fait qu’il n’est plus exploité autant de vaches à lait, qui demandaient un entretien quotidien. Les bovins à viande n’ont besoin que d’être contrôlés au moins une fois par semaine, l’occasion de leur porter une dose de sel ou de son et de surveiller leur état sanitaire.

De nos jours, la fréquentation des courtàus par les pâtres est donc devenue complètement obsolète, pour ne pas dire inutile. Les cabanes sont abandonnées et la plupart ne ressemblent aujourd’hui qu’à un tas de ruines. Même les troupeaux, habitués annuellement au même trajet, ont délaissés petit à petit le stationnement au courtàu de leurs ancêtres. C’est ce que nous raconte Marie-José en expliquant le trajet actuel de son troupeau bovin (la famille possède aussi, depuis M. Labadens un troupeau ovin). Sans véritable raison, au fil du temps, le troupeau Labadens, qui stationnait à Tramesaïgues, a commencé à vouloir pacager un peu plus loin, pour aujourd’hui se désintéressait complètement du courtàu au point même de le

79 Le bâton est effectivement utilisé à diriger d’un simple coup la bête qui commence à s’égarer du troupeau 80 Poche à sel

48. Transhumance à Campan. On remarque en dernière ligne deux chiens affairés à canaliser le troupeau bovin.

contourner. A cela, même le pâtre ne trouve d’explication, le bétail évoluant simplement au même rythme que le métier de vacher. De nombreuses études s’accordent sur les conséquences d’une telle évolution. A savoir que si aujourd’hui se sont les bêtes qui choisissent leurs pâturages, ils en surexploitent cependant les meilleurs secteurs.

Les « vieux usages » pastoraux respectant des règles strictes ont aussi été abandonnés (la vaine pâture, les bédats, ou encore les dates impératives de montée et de descente des troupeaux). G. Buisan va même jusqu’à parler de la disparition de « la notion de collectif et de privé qui était le fondement même de ces sociétés « primitives » par leur forme ancienne, mais exemplaires par la solidarité qui unissait nécessairement tous leurs membres »81. Aujourd’hui, les pâturages d’altitude en vallée du Haut-Adour ne sont plus l’objet des multiples règlements qui en limitaient l’usage. En revanche, ils sont strictement réservés au bétail campanois, les éleveurs étant libres de monter quand ils le souhaitent. Comme c’est le cas de la majorité des communes toujours propriétaires des pâturages de montagne, Campan a décidé d’ouvrir ce territoire aux éleveurs locaux pendant toute la période de transhumance, voire même sur toute l’année.

Il faut savoir que de toute la chaîne des Pyrénées, c’est le département des Hautes- Pyrénées qui possède le plus vaste domaine pastoral (avec une superficie totale en 2001 de 130 000 hectares, dont 92 000 ha sont des pelouses pacagées à 98 %). Les estives appartiennent alors, en grande majorité (97 %) à des collectivités locales (communes ou commissions syndicales).

En revanche, particulièrement en vallée de Campan (où auparavant les troupeaux étrangers ne concernaient que les ovins), à cause de l’importante perte en nombre de vaches depuis le début du XXe siècle, l’ouverture des estives aux troupeaux bovins étrangers (appartenant à des éleveurs n’habitant pas la commune), est permise sous forme d’une rente pouvant représenter une importante source de revenus à la communauté.

En ce qui concerne les transhumances, elles sont maintenant beaucoup moins fréquentes qu’autrefois et agissent uniquement en période estivale. L’amélioration de la productivité des terres en fourrage ayant corrigé la possibilité de nourrir le bétail sur place toute l’année et ainsi éviter les coûts de la transhumance (entre location des estives, transport

81 Georges BUISAN. 1991 (p. 38)

et intervention rémunérée de pâtres communaux) représente la raison majeure à la diminution de cette pratique. Cette baisse de la fréquentation des estives a provoqué de lourdes modifications des usages traditionnels. Ainsi, les bovins, mais aussi les chevaux, évoluent aujourd’hui en autonomie, sur un secteur à peu près déterminé.

Malgré tout, cette pratique arrive à subsister. D’autant plus que les stations de sports d’hiver ont besoin des pacages estivaux afin d’entretenir la qualité du sol, de manière à avoir une meilleure tenue de la neige en période hivernale (même si de nouvelles technologies arrivent de plus en plus nombreuses dans le but de palier à ce défaut). Néanmoins, les transhumances de nos jours sont de plus en plus pratiquées à l’aide de camions et de remorques qui amènent le bétail le plus loin possible en montagne. Cette pratique peut aussi faire l’objet de grands rassemblements touristiques (folklore) quand elles respectent la tradition pédestre.

De nouveaux usages sont aussi imposés au gré de nouvelles normes. Les bêtes prêtes à partir sur les estives doivent obligatoirement être marquées. Les vaches sont marquées aux cornes et aux oreilles, alors que les ovins présentent plus généralement les initiales du propriétaire sur l’arrière-train.

Autre nouvel usage, avant de rejoindre les estives, les troupeaux subissent un contrôle sanitaire (vaccination, hygiène). Pour cela, on utilise un couloir de contention qui permet de caler la tête du bovin au moment de l’examen.

Ces souvenirs du passé face à l’observation des pratiques actuelles appellent à se poser la question à propos des générations futures, forcément condamnées à ignorer ce à quoi étaient liées les cabanes en pierre sèche situées en estives.

49. Gripp. Les vaches de Mérilheu arrivent au contrôle sanitaire en camion

IMBERT André. 2001.

50. Contrôle de l'état sanitaire des vaches