• Aucun résultat trouvé

Plus qu’un métier, une vie laborieuse

2. Le quotidien du vacher en estives

A partir de la première transhumance qui monte vers les estives, le vacher va s’installer en montagne pour vivre au courtàu afin de rester auprès de son troupeau. N’oublions pas que seul le vacher, ou la vachère (un féminin qui ne doit pas surprendre, car d’après de nombreux témoignages, la femme participait au même titre que l’homme aux soins du troupeau), montait au courtàu, tandis que la vie agricole se poursuivait à la borde.

Avant de parler des occupations qui pouvaient remplir la journée d’un vacher en estive, on peut faire une brève introduction sur la représentation du pâtre en montagne. Il est vrai qu’aujourd’hui ce métier fait face à l’image peu flatteuse d’une profession « archaïque » déterminée à chercher une certaine modernité, mais qui pourtant reste plutôt à la marge du monde civilisé. En tout cas, un métier qui de nos jours est assez peu recherché et qui concerne en majorité les « enfants du pays » ayant grandi au contact d’une structure agropastorale. Mais au XIXe siècle, favorisé par le développement du thermalisme et de l’ethnographie, les bergers illustrent l’archétype de l’homme savant vivant en communion, entre faune et flore, avec la nature.

47 Georges BUISAN. 1991 (p. 175)

« Le portrait d’un être un peu marginal, grand connaisseur en plantes et en bêtes, faisant corps avec la nature et, à ce titre détenteur de quelques pouvoirs, ou tout au moins d’une certaine sagesse, cette figure est maintenant bien fixée et remplit l’imaginaire des hommes d’aujourd’hui. »48

La vérité n’est pas aussi poétique que ce qu’il en paraît. Certes, le pâtre est un homme connaisseur de son territoire, mais une vie (plus qu’un métier), à laquelle il devait sans cesse s’adapter. Avant toute chose, il est aussi important de garder à l’idée que ces vachers, ces vachères, ces bergers et ces bergères restent « des hommes et des femmes comme nous, faisant leur vie de leur mieux sur la terre qui les avait vu naître »49.

Si l’année est dictée par les besoins des bêtes et de la communauté, entre les transhumances et les fenaisons, la journée du vacher en estives doit se faire, elle aussi, en fonction de son troupeau, qu’il soit au nombre de deux ou de dix vaches. Le besoin le plus important et la raison pour laquelle le vacher devait rester en estive est la traite. L’assunta ou

de affrontare50 devait s’effectuer matin et soir avec les vaches laitières. A cette première et

dernière activité de la journée devaient s’ajouter les soins portés aux veaux non sevrés et la

48 Georges BUISAN.1991 (p. 18)

49 Idib

50 « assunta » et « affrontare » désignent la position contre le flanc de l’animal au moment de la traitre. Ces

termes permettent alors de différencier la traite des vaches de la traite des brebis, cette dernière ce réalisant derrière l’animal.

3. Petit temps libre entre pâtres, propice à compter les aventures de chacun et à transmettre les savoirs

surveillance du troupeau en pacage. En plus, si les moyens permettaient de disposer d’un troupeau de brebis, il fallait monter un peu plus haut en estives et leur accorder du temps.

La journée de travail en montagne peut alors s’avérer interminable. Il fallait déjà se lever aux aurores, dès 5 heures du matin, pour traire les vaches, puisqu’en journée, elles se dispersaient sur les pâturages d’estives. Cette tâche terminée, on pouvait libérer le troupeau qui partait pacager sur un circuit déterminé, le bidaro. Les vaches à la recherche d’air frais essayaient de monter le plus haut possible pendant que le vacher, suivant ses obligations, pouvait s’accorder un peu temps libre à proximité de ses bêtes. Le troupeau ayant arrêté de brouter avant la grosse chaleur de la journée, reprenait en milieu d’après-midi, et cela, jusqu’à la fin de la journée, moment où il faut rentrer au courtàu pour la traite du soir, à la suite de quoi le vacher doit se faire à manger.

Après le tirage de lait, les bidons sont déposés dans les leytés51, permettant de pouvoir garder au frais le produit et ainsi faire monter la crème. Cette dernière était expressément descendue au village pour être barattée (une tâche réservée à la femme de la maison) afin d’obtenir une boule de beurre de quelques kilos qui servirait de revenu et non à la consommation personnelle. Mais il n’est rien sans exception, et on peut imaginer que si le vacher en avait l’occasion et les moyens, il pouvait lui-même baratter la crème en estive, lui rajoutant une tâche à son quotidien bien chargé.

C’est ce que de nombreuses illustrations de carte postale portent à nous faire croire. Autant la femme est souvent représentée munie d’une quenouille ou d’un fuseau (alors que l’activité était rependue entre les deux genres), autant le pâtre est représenté aux côtés d’une baratte ou directement en train de baratter la crème. Une saynète en bas-relief sur le monument aux morts de Campan bourg, présentant les richesses de la vallée, en est un exemple.

En début de la saison d’estive, il était fréquent de retrouver le courtàu meurtris par l’hiver : des toits effondrés, des murs affaiblis par la charge de neige, etc. Il fallait donc rajouter aux soins portés au troupeau, l’entretien à sa cabane.

Il ne semble pas qu’il y est une vie collective au sein de courtàus, même si certains présente un ensemble de cabanes, parfois juxtaposées (les Esclozes, en vallée de la Gaube, portent même le surnom de « vieux village » ou « village abandonné » à cause des rues formées par l’alignement des unités). Autrement dit, les obligations de chaque troupeau appartenaient au vacher qui en était responsable, les tâches n’étaient pas distribuées, ce qui n’empêchait pas, bien entendu, l’entraide bienvenue entre bons camarades. Ainsi, chacun avait ses propres occupations.

Pour les vachers qui demeuraient tout l’été en estive, les repas étaient plutôt monotones, généralement de la soupe ou une petite variante avec les tourrîs (un lourd potage composé de pain détrempé et d’oignons, pouvant être accompagné de patates et de lards), généralement clôturé d’une tasse de petit-lait. Mais le véritable plat qui reste traditionnel aux estives n’est autre que le pastet : une pâte à base de farine de maïs (facile à transporter et à stocker dans la cabane) mélangée à de l’eau ou du lait, présent en quantité sur place.

4. Détail du monument aux morts de Campan (bourg). Saynète du beurre en bas-relief.

Néanmoins, on trouvait une certaine vie en communauté autour de l’organisation du

courtàu. C’est ce que nous prouve l’entretient des marres à purin, comme certaines règles

précédemment citées nous l’ont indiqué. Une technique qui demandait beaucoup de main d’œuvre puisqu’il fallait dans un premier temps délayer, puis surveiller qu’aucun bouchon ne se forme le long du trajet et accélérer la course du fumier, enfin nettoyer les rigoles. Un labeur qui ne pouvait donc pas se réaliser seul.

Seuls les vachers s’occupant du troupeau montaient en estives, mais lorsque la famille était nombreuse, elle pouvait se permettre d’envoyer une autre personne faire la navette entre la cabane et la maison (femme, fils ou fille, frère ou sœur, chacun pouvait être accompagné du mulet afin d’aider au transport des charges). Cela permettait de laisser le vacher en permanence à la montagne. Une navette qui devait au mieux s’effectuer tous les jours et qui servait à ravitailler le vacher, en viande par exemple, mais surtout à redescendre le lait et la crème à la maison.

Dans le cas contraire, où la famille peu nombreuse ne pouvait se le permettre, c’était alors au vacher lui-même d’effectuer ce va-et-vient quotidien. Il montait au courtàu pour la traite du soir, dormait à la cabane, trayait à nouveau le matin avant de redescendre dans la vallée (chargé des produits issus des traites) pour aider aux travaux agricoles, enfin remontait en estives, renouvelant les opérations, ainsi de suite. Ce phénomène de manque de main

5. Les vachers de Hount-Blanque accélèrent la descente de l'eau boueuse

Georges BUISAN. Des cabanes et des hommes, Vie pastorale et cabanes de pâtres

dans les Pyrénées centrales, Vallées de Campan et de Lesponne. Tarbes :

d’œuvre est une des principales raisons d’abandon de cette pratique agropastorale en vallée du Haut-Adour.

« C’était dans ces conditions une vie pénible, le vacher faisant deux journées de travail avec le trajet en plus »52

Comme nous le livre de nombreux témoignages de personnes parties à la découverte de la montagne ou l’utilisant comme leur espace de travail (chasseurs), on était toujours sûr de trouver un abri et des rafraîchissements désintéressés.

« Ils [les pâtres] acceptent cependant de la meilleure grâce du monde un bon coup de vin en échange de l'eau fraîche, du petit lait « purry » et du lait gras « matoun » qu’ils offrent avec d'autant plus de plaisir qu’ils n'ont que cela à offrir. »53

« [...] franche et la plus cordiale hospitalité et tous les devoirs de l'humanité » (Rousseau)54

On peut tout de même deviner sans mal que la vie en montagne pouvait avoir ses charmes.

« [...] loin des obligations familiales et communautaires [...] ; chacun organisait sa journée sous la seule contrainte des tâches à accomplir, mais avec une certaine liberté et sans la tutelle d’un maître. »55

La majorité des gens envoyés en estives se trouvait être des jeunes hommes et des jeunes femmes. On peut donc s’imaginer une ambiance festive sur ces grandes étendues vertes. Un bal représentait une belle occasion pour faire venir les jeunes des courtàus voisins. Autant les parents et les aînés bénéficiés de la chaleur familiale lors des célèbres veillées pyrénéennes autour du foyer, autant les jeunes envoyés en montagne se débrouillaient pour oublier rapidement leur pénible condition.

Les souvenirs laissés au courtàu des Esclozes qui se trouvait souvent très animé en sont une preuve. Cela est expliqué non seulement par l’importante présence de cabanes appartenant chacune à un vacher ou une vachère, mais aussi par sa faible distance avec d’autres courtàu des alentours. La seule grange présente sur le site (dont l’étage supérieur est

52 Georges BUISAN.1991 (p. 79)

53 Christine BONNETON (dir.). 1988 (p. 111) 54 Pierre DELAY (dir.). 1986 (p. 34)

aujourd’hui laissé en libre-service par la commune de Campan) était déjà un célèbre point de rendez-vous.

« Un vacher qui y était monté tout jeune, avant son départ pour la guerre en 1917, avait gardé le souvenir de cette vie intense et de l'ambiance dans ces montagnes où la jeunesse se retrouvait plus librement qu'au village ; il y avait même à l'occasion des fêtes et des bals et les jeunes du courtàu voisin de Sarroua venait se joindre à eux. »56