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Des cabanes et des hommes : reflet d’une vie spartiate et monotone

1. Les éléments caractéristiques d’un courtàu

Pour satisfaire autant l’homme que le troupeau, l’installation d’un courtàu se faisait en fonction de certains critères devant alléger la difficulté d’une vie en estives. Pourtant, cela peut se contredire. Dans ce cas, l’homme va tout faire pour pallier aux déficits de la nature en lui apportant quelques modifications. L’excès de ces installations en montagne, aboutissant presque à une surcharge des pâturages, ne peut s’expliquer que par la richesse en herbage que présente la vallée du Haut-Adour. Une ressource qu’il ne fallait pas gaspiller, en particulier face aux bénéfices de la vente du beurre de Campan. L’homme allait donc s’installer comme il pouvait, où il pouvait.

Un des caractères essentiels à l’installation d’un courtàu est la qualité du terrain. Les larges pelouses vertes aux alentours représentent l’une des principales priorités, afin d’accueillir les troupeaux en pacage. A cela s’ajoutaient des conditions plus météorologiques et/ou qualitatives. On comprend donc que le site de chaque courtàu ne pouvait pas être choisi au hasard. Ces conditions ne semblent toutefois pas avoir été un frein au développement de l’installation de ces courtàus dans le Haut-Adour. Poussée par la croissance démographique,

61 George BUISAN. 1991 (p. 21)

cet aménagement, autant en vallée de Lesponne, qu’en vallée de Campan, a fini par occuper une grande majorité de l’espace.

L’accès à l’eau devait aussi être primordial et notamment essentiel pour l’activité laitière et la fabrication du beurre. En effet, le lait, à la suite de la traite, devait reposer au contact d’une source fraîche permettant à la crème de monter. Quand l’accès ne pouvait être direct, mettant en cause l’absence d’une étendue ou d’un cours d’eau, les vachers devaient faire au mieux en trouvant une façon d’amener cet élément jusqu’à eux. C’est pourquoi aux alentours d’un courtàu, il n’est pas rare de trouver des canaux d’irrigation dérivés d’un cours principal. C’est ce que nous montre le courtàu des Esclozes en vallée de la Gaube, où les unités sont alignées pour une bonne raison, puisqu’elles sont installées le long d’un petit canal dérivé du torrent plus en amont. Cela n’est pas chose réservée aux courtàus. Dès le XVIe siècle, on note l’existence d’un syndicat qui gérait l’installation des canaux d’irrigation (agous) pour arroser les prairies de basse altitude.

Au-delà du fait qu’un courtàu présente un ensemble de cabanes, on pouvait aussi y trouver certains agencements liés aux besoins des éleveurs.

C’est le cas du leyté. Cette niche à lait (comme son nom l’indique) est réalisée à l’aide de grosses pierres juxtaposées et traversée par un courant constant d’eau fraîche dans lequel étaient déposés les pots à lait au frai, notamment afin de faire monter la crème qui servirait à la fabrication du beurre. D’autant plus que ces produits laitiers pouvaient être parfois conservés plusieurs jours, en attendant qu’une personne du village vienne le récupérer. Le

leyté représentait un complément indispensable à la cabane.

Dessin 2. Dessin d’un leyté réalisé par G. Buisan

Georges BUISAN. Hier en vallée de Campan : vie montagnarde et

Ce garde-manger présentait divers agencements. Il pouvait être interne, installé au sein même de la cabane (grâce à la présence d’une petite rigole qui allait d’unité en unité) ou bien externe, autrement dit directement placé près d’une source (rigole, torrent ou bord de lac). Dans ce dernier cas, puisque chaque vacher possédait son leyté, ces niches à lait étaient généralement alignées en série les unes aux autres.

Certains d’entre eux étaient fermés de façon plus ou moins rudimentaire, soit par une simple planche coulissante, soit avec une porte sur gonds. De même, la plupart étaient aménagées de petites étagères en pierre.

10. Série de leytés longeant la Gaube au Courtàu d’Artigussy

Photographie prise le 04/10/2014

11. Leytés à Campan bourg. On remarque encore la présence d’une porte

Georges BUISAN. Des cabanes et des hommes, Vie pastorale et

cabanes de pâtres dans les Pyrénées centrales, Vallées de Campan et de Lesponne. Tarbes : association Guillaume Mauran, 1991

12. Leytés d’Arricat.

On remarque la présence d’étagères en pierre

Georges BUISAN. Des cabanes et des hommes, Vie pastorale et

cabanes de pâtres dans les Pyrénées centrales, Vallées de Campan et de Lesponne. Tarbes : association Guillaume Mauran, 1991

Cette façon de conserver le lait se retrouvait à tous les niveaux d’exploitation de la vallée,. Autrement dit le leyté était autant installé dans un courtàu, qu’aux alentours d’une grange sur les prairies de basse altitude, ou bien encore au sein même du village (comme le démontrent les leytés encore en place à Campan bourg, près du parc à jeux). Ces constructions présentaient une nécessité en toute saison et représentent aujourd’hui l’image ancestrale de notre réfrigérateur.

Alexandre Brongniart, grand voyageur et naturaliste, nous en livre la description dans une lettre datée du 17 messidor en II62, qu’il rédige à la suite d’une promenade en montagne partie de Bagnères-de-Bigorre à la recherche d’un filon minier :

« [...] un ruisseau d’une eau glacée prenait sa source dans ce lieu et allait se jeter dans les lacs à vingt pas de distance ; à deux pieds de sa source le lit de ce ruisseau était pavé de grosses pierres plates. Sur ces pierres étaient élevées six ou huit espèces d’armoires presque quarrées adossées deux à deux – le haut de ces armoires était couvert d’autres pierres qui mettaient leur intérieur bien à l’abri du soleil, le devant était fermé jusqu’à la moitié de sa hauteur par une autre pierre verticale. Sur cette pierre glissait une épaisse planche qui fermait exactement le fond de l’armoire où coulait le ruisseau. C’est dans cette armoire qu’est placé le lait dans des vases de bois ou de cuivre ; il est continuellement rafraîchi par le ruisseau qui y coule, c’est avec ce lait et un morceau de pain que nous dînnâmes, je ne te dirai pas que c’était du lait très frais, mais du lait à la glace, il gelait les dents et jamais tu n’as bu de pareil lait ni en aussi grande quantité [...] »63

En vallée de Campan, on trouve aussi des courtàus ne présentant que quelques sources d’eau, de quantité alors insuffisante à l’installation de leytés. L’homme va donc redoubler d’imagination pour palier à ce manque. C’est le cas des courtàus du Teilhet et d’Ordincède où était utilisé un puits à glace ou « puits glacé ». Cet équipement consistait en une excavation cylindrique d’un diamètre assez important pour une profondeur équivalente, consolidé d’un appareil de pierre sèche, au fond d’une doline naturelle. Ce trou obligeait les pâtres à venir tasser de la neige en hiver, afin d’obtenir un énorme bloc de glace enterré et protégé du soleil par des branchages. Cette glace pouvait être conservée un certain temps et était débitée en saison estivale et partagée entre les vachers pour rafraîchir l’eau des bassins dans lesquels ils déposaient les bidons de lait. Sur l’exemplaire situé à Ordincède, on remarque l’agencement

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d’une rampe qui permettait facilement d’atteindre le fond du puits au fur et à mesure que le bloc de glace diminué.

Autre structure utilisée collectivement, mais plus en lien avec les pâturages situés au niveau inférieur : la marre à purin. Le fumier représente un sous-produit important de l’élevage qu’on ne pouvait pas abandonner en montagne. En effet, au niveau inférieur, les prés dépourvus des bêtes (parties profiter des pâturages communaux), étaient en manque de sels minéraux (apportés par les déjections des troupeaux au printemps et à l’automne). Tout le fumier présent en estive devait alors descendre pour enrichir les champs au-dessus du village. La marre à purin ou marre à fumier, si le terrain le permettait, représentait l’une des deux

13. Teilhet. Le puits a été construit au fond d'une doline

Georges BUISAN. Des cabanes et des hommes, Vie pastorale et

cabanes de pâtres dans les Pyrénées centrales, Vallées de Campan et de Lesponne. Tarbes : association Guillaume Mauran, 1991

15. Ordincède. Le puits glacé véritable réserve de glace pour l’été

Georges BUISAN. Des cabanes et des hommes, Vie pastorale et

cabanes de pâtres dans les Pyrénées centrales, Vallées de Campan et de Lesponne. Tarbes : association Guillaume Mauran, 1991

14. Un coumet bassin de cabane

Georges BUISAN. 1991

Dessin 3. Coupe du puits à glace du Teilhet

Georges BUISAN. Des cabanes et des hommes, Vie pastorale et

cabanes de pâtres dans les Pyrénées centrales, Vallées de Campan et de Lesponne. Tarbes : association Guillaume Mauran, 1991

façons d’y parvenir. Cet agencement demandait un espace assez plat sur lequel était d’abord rassemblé le troupeau en cercle, puis au fur et à mesure, on alimentait la formation de la marre avec le reste des déjections. De là, on creusait un petit canal alimenté en eau qui reliait la marre aux prairies inférieures. Toutefois, le fumier mélangé à l’eau ne circulait qu’avec un peu d’aide jusqu’à la vallée. Le canal le plus impressionnant, partant d’une marre placée en haute altitude et desservant les champs situés à des kilomètres, est celui qui partait du courtàu de Tramezaygues. Ce dernier disposant donc d’une marre à fumier, tout comme le courtàu d’Hount-Blanque.

Mais ce dispositif ne pouvait pas être installé à tous les courtàus, dû à la faible distance qui pouvait être parcourue jusqu’aux cultures de basse altitude. Et cela même si l’homme, redoublant d’imagination avec des aqueducs creusés dans des troncs, parvenait à franchir des affaissements de terrain ou encore à passer les barres rocheuses grâce à de petites cascades en étage. Le moyen le plus courant était donc de faire sécher le fumier sur place, au mieux protégé par un appentis, et de le descendre à pied, en même temps que les produits de la traite.

16. Vacher travaillant la mare à fumier. Hount-Blanque

Georges BUISAN. Des cabanes et des hommes, Vie pastorale et cabanes de

pâtres dans les Pyrénées centrales, Vallées de Campan et de Lesponne. Tarbes :