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XX e XXI e SIECLES : UNE NOUVELLE FAÇON D’UTILISER LA MONTAGNE

1. Le phénomène du thermalisme

Dès le XIXe siècle, à la suite des romantiques qui succèdent aux scientifiques du Siècle des Lumières, on commence à venter les bienfaits de la nature, en opposition à l’image des villes de plus en plus polluées. Va alors se développer un véritable tourisme médical, diffusé par une multitude d’auteurs de récits de voyage, tel que Victor Hugo, ou encore Hippolyte Taine (envoyé par leur médecin sur la Route thermale des Pyrénées). Le phénomène du thermalisme se développe grâce à l’abondante présence des eaux curatives sur toute la chaîne des Pyrénées. Cela s’explique par l’utilisation médicale d’eaux naturellement chargées d’un certain nombre de composants reconnus pour leurs qualités thérapeutiques. On va donc se déplacer directement dans les lieux où se trouve cette eau bienfaitrice, permettant en même temps de sortir de la ville insalubre.

« Lorsqu’au XIXe siècle, notamment, se manifeste à nouveau la mode de la vogue

d’aller « prendre les eaux », il y a nous semble-t-il, comme un paradoxe à voir toute une catégorie privilégiée de population, notables et bourgeois, se mettre en marche vers les eaux salvatrices ; en somme, emboîter le pas du berger qui lave ses yeux à l’eau de la fontaine guérisseuse, reproduire l’humble geste de la paysanne qui frotte sa plaie de chiffons imbibés d’eau. »71

Rétrospectivement, on reconnaît qu’après un long silence durant le Moyen Age, succédant au culte du corps de l’Antiquité, et une timide fréquentation à la Renaissance, les thermes refont parler d’eux, en particulier les thermes pyrénéens. A cette époque, ce sont directement les médecins qui recommandent d’aller « prendre les eaux », faisant référence à la qualité des eaux et aux bienfaits du climat pyrénéen. Ils conseillent de s’octroyer un peu de temps, loin des villes, dans les diverses stations thermales d’altitude et de piémont qui se développent que toute la chaîne des Pyrénées : Bagnères-de-Bigorre avec ses eaux déjà connus depuis l’Antiquité, ou encore Cauteret qui va notamment accueillir une gare de chemin de fer pour l’arrivée de ces nouveaux touristes, ainsi que bien d’autres stations. Ce phénomène va aussi toucher la petite bourgeoisie, de plus en plus nombreuse. Avec cet attroupement de malades, on pourra rencontrer de saines personnes, trouvant simplement l’excuse d’accompagner leurs malades pour venir dans les Pyrénées.

Le motif de la cure, et surtout de la venue dans les vallées pyrénéennes, recouvre en réalité des raisons multiples et touche une clientèle diversifiée au fil des années. On trouve bien entendu de vrais malades qui trouvent leurs places plutôt en début ou en fin de saison. Puis, en pleine saison, on trouve les malades (presque entre guillemets) qui suivent la mode des villégiatures en se mettant périodiquement sur la route des cures pour rechercher le grand air et surtout le changement des habitudes ou l’éloignement de diverses préoccupations. L’explication est toujours d’actualité en ce qui concerne la motivation des personnes à s’installer en résidences secondaires. Côtoyant tout ce nouveau monde de piémont, il y avait aussi ceux qui ne répondaient à aucune véritable raison, sinon les règles élitistes de la société de loisir (il s’agissait juste d’être là où il fallait être). S’ajoutait les familles de chacun, leurs gouvernantes et si cela était possible, leurs domestiques, puisque « quelle qu’aient pu être les motivations, on ne venait guère seul aux eaux »72. Avec tout cet engouement qui se développe pour ces stations thermales, on comprend bien que Bagnères-de-Bigorre eut pendant un

71 Lise GRENIER (dir.). 1987. Le Voyage aux Pyrénées ou la Route thermale (p. 138) 72 Idib (p. 137)

certain temps le surnom de « Petit Paris », puisque c’était l’endroit où les célébrités du siècle se retrouvaient. Chose que l’on peut reporter à d’autres stations de piémont qui s’en servaient comme d’une publicité, une certaine vitrine pour la célébrité des vallées pyrénéennes.

Alors qu’à partir des années 1850, on se trouve en pleine théorie climatique avec le développement non seulement des bienfaits de l’eau, mais aussi de l’air, allant jusqu’à englober les avantages de la montagne et de la nature en général, la vogue va quelque peu se tarir dès la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Dans les hauts lieux du thermalisme, concurrencés par la balnéothérapie du front de mer, ne se rendent principalement plus que les personnes concernées par des cures, alors que la montagne est de plus en plus désenclavée. On constate une certaine révolution des transports, avec notamment le chemin de fer, mais aussi la mise en place de tramways, (à Campan, les valléens l’utilisent pour alléger le trajet jusqu’aux estives). Avec cela, la plupart des

sentiers muletiers sont remplacés par des routes carrossables, munies de ponts pour traverser les gorges pyrénéennes et ainsi créer le réseau de la Route thermale, avec la Compagnie des chemins de fer du Midi et d’Orléans qui ira jusqu’à proposer un service d’autocars sur la route des Pyrénées.

28. Brochure éditée par la Compagnie des chemins de fer du Midi et d'Orléan, 1914. Publicité montrant les véhicules qui devaient assurer le service d'autocars de la Route des Pyrénées.

GRENIER Lise (dir.). Le Voyage aux Pyrénées ou la Route

Avec cette révolution des transports se multiplient les infrastructures de villégiature, ainsi que des instituts du thermalisme. A Campan, en 1854, les thermes du Bagnet s’installent à Gripp, à 1 050 m d’altitude. Cela

prouve l’engouement porté aux cures thermales, puisqu’on a du mal à imaginer un tel bâtiment à une telle haute altitude. Malheureusement, le site fut détruit en 1895 par une avalanche (comme si la nature voulut reprendre ses droits).

29. Publicité de 1914 pour le service d'autocar de la Compagnie du Midi

GRENIER Lise (dir.). Le Voyage aux Pyrénées ou la Route thermale. Tarbes : randonnées pyrénéennes, 1987.

26. Etablissement des bains du Bagnet à 1 050 m 'd’altitude

Ce phénomène du thermalisme a eu un impact considérable sur le paysage du Haut- Adour, de telle façon à générer un bouleversement qui touchera aussi la population valléenne au sein de son organisation. Mais ces changements ne sont pas uniquement physiques, matériels ou paysagers. Le regard porté sur les sociétés locales par ces nouveaux venus va avoir un impact culturel, car thermalisme et folklorisme sont concomitants, sinon complémentaires.

Avec les Romantiques, au début du XIXe siècle, il s’agissait avant tout de prendre contact avec les coutumes et traditions d’une communauté rurale. Ces us, véhiculés principalement par l’intermédiaire de récits de voyage, procurent une certaine publicité aux Pyrénées. La vallée du Haut-Adour va pouvoir en faire les frais, profitant de la proximité de grands centres du thermalisme, tel que celui de Bagnères-de-Bigorre à quelques kilomètres.

Il s’agira dans un premier temps d’une vision ventant l’image du bon sauvage grand connaisseur de son milieu de vie. C’est aussi ces natifs du pays qui vont être particulièrement sollicités par les nouveaux arrivants souhaitant s’aventurer en montagne. En effet, même si une certaine spécificité de la structure économique est perçue au travers de certains récits de voyage, on ressent aussi la pauvreté du milieu montagnard, d’autant plus que ce public d’observateurs vient des élites bourgeoises. Certains vachers, malgré leurs journées déjà bien chargées, vont essayer d’arrondir leurs fins de mois en proposant leurs services aux touristes voulant visiter la montagne du simple chemin muletier, aux monts des plus escarpés. Ils se proposent d’abord comme porteurs afin que l’élite citadine ne s’essouffle pas trop dans des chaises à porteurs, puis ils accompagneront, à pied ou à cheval, la petite bourgeoisie venue se délecter du grand air.

« On donne le nom de guides aux habitants des districts montagneux qui, depuis que

Jacques Balmat mena de Saussure au sommet du mont Blanc en 1787, font profession de guider les touristes et les alpinistes dans des promenades faciles ou des ascensions périlleuses. »73

73 Claude BAILHE. 1992 (p. 27)

On voit, de ces simples bergers et vachers devenus les premiers guides de montagne, un métier se professionnaliser au fil du temps.

Avec tout cela, on sent une frontière délicate entre tourisme et thermalisme, ne donnant à voir l’un sans l’autre. C’est en partie, grâce au phénomène du thermalisme que se développe le tourisme de montagne.

Une montagne, qui n’était qu’alors un espace pastoral pour une population valléenne, qui va devenir un espace de loisir, mais aussi et surtout d’exploits physiques, pour un nouveau public de masse venant des villes, les citadins.