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CHAPITRE 7: DISCUSSION GÉNÉRALE

7.2 Développement et mise en œuvre de l'intervention

7.2.1 Utilité de l'« Intervention Mapping » dans la planification

La qualité de planification d’une intervention et le degré d’implantation sont reconnus comme des éléments importants permettant d’optimiser l’efficacité de celle-ci [191].

L’Intervention Mapping (IM), qui a guidé ce projet de recherche est un cadre de planification et d’analyse qui a été choisi parce qu’il permet une planification adéquate d’une intervention en vue d’optimiser son potentiel de succès [11, 139,

147].

L’utilité et le potentiel de succès de l’IM sont reconnus en raison de ses caractéristiques essentielles à savoir : sa vision globale des déterminants de santé (perspective écologique), son ancrage à la participation des acteurs concernés, le recours aux cadres théoriques appropriés et sa structuration dans un processus systématique par étapes [192]. Par ailleurs, ce cadre est considéré comme un outil approprié pour réduire les inégalités sociales de santé, en particulier dans les interventions visant les populations vulnérables et défavorisées [193, 194].

Dans ce présent projet, le choix de l’IM visait aussi à éviter les faiblesses

conceptuellesdes programmes de prévention du VIH/Sida en contexte africain qui

sont implantés parfois sans ancrage sur des données de recherche [195], et produisent des changements mitigés en termes d’adoption des comportements et de couverture des populations visées. Ainsi, l’IM a été privilégié pour servir comme cadre de référence de nos travaux de recherche parce qu’il permet de s’inscrire dans la vision globale de la santé et de ses déterminants. Ce faisant, ce cadre permet de prendre en compte la nature sociale des comportements de santé qui sont avant tout des comportements sociaux. Cette vision nous a conduit à ne pas faire porter le poids du changement sur les seules femmes TS dont l’adoption du dépistage régulier du VIH était visée. Par ailleurs, le recours à des cadres théoriques appropriés a permis l’ancrage des stratégies sur des bases scientifiques en évitant de s’appuyer sur des intuitions et la vision simpliste des professionnels

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de la santé et des intervenants communautaires, laquelle est axée sur la transmission d’informations auprès des populations cibles.

Les résultats globalement encourageants de l'intervention démontrent l’utilité et l’efficacité de ce cadre de planification pour guider le développement et l’implantation de ce projet. Au-delà de ces résultats encourageants concernant l’augmentation de l’adoption régulière (trimestrielle) et volontaire du dépistage du VIH, l’IM a permis de mettre en lumière plusieurs aspects positifs que nous décrivons ci-après sous forme de constats ou de leçons tirées.

Premièrement, la démarche, rigoureuse et structurée en plusieurs étapes de l’IM

est à la fois enrichissante et flexible. Contrairement aux appréhensions, elle est loin d’être un processus rigide et linéaire, car elle autorise des va-et-vient permettant de s’ajuster en revenant sur les activités antérieures ou en anticipant sur celles des étapes suivantes. Cette flexibilité a permis d’optimiser la participation et l’adhésion des partenaires impliqués, en particulier des femmes TS elles-mêmes dans les différentes phases de la planification (validation des objectifs d’apprentissage, identification et adaptation des stratégies d’intervention en lien avec les théories, adaptation de matériels et contenu des messages , etc.). En ce sens, sous la coordination de l’étudiant chercheur, l’intervention développée est considérée comme une coconstruction de l’ensemble des acteurs. La combinaison d’informations provenant de l’analyse des besoins dans les localités d’intervention avec les données empiriques issues de la littérature a permis de développer un programme adapté aux caractéristiques et préoccupations en termes de barrières et opportunités exprimées par les femmes TS et par les principaux intervenants. L’importance de considérer les facteurs individuels et les facteurs liés à l’environnement sociostructurel pour développer le contenu du programme de promotion du CDV s’est révélée comme essentielle. En effet, le processus collaboratif de planification a contribué à faire émerger le consensus sur la pertinence de la démarche elle-même et sur l’obligation de considérer le niveau individuel et l’environnement pour la promotion du comportement du dépistage du VIH et même des autres comportements.

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La littérature souligne que très souvent la prise en compte de l’influence des facteurs environnementaux (sociostructurels) pour l’action n’est pas aussi systématique et globale qu’elle devrait être pour favoriser les changements [196]. Ces faiblesses conceptuelles limitent à notre avis l’atteinte des changements de comportements souhaités dans le cadre des interventions promouvant le changement de comportement en matière de VIH en contexte africain.

Ainsi, l’approche globale de promotion du dépistage adopté dans l’intervention s’est inscrite dans une démarche à la fois de renforcement des aptitudes, connaissances individuelles, mais aussi de changement de l’environnement social et structurel et d’accompagnement visant le développement du pouvoir d’agir des femmes TS.

Cette démarche se démarque de l’approche éducative encore prépondérante qui caractérise les programmes de prévention du VIH en s’appuyant sur la communication pour le changement de comportement (CCC). Repris comme un slogan, qui a remplacé l’information, l’éducation et la communication (IEC), la CCC axée sur l’individu demeure limitée pour produire les changements de comportement [195], car très souvent, elle ne s’inscrit guère dans une approche holistique de promotion de la santé visant le changement du comportement et des conditions qui le sous-tendent. En milieu prostitutionnel, cette approche CCC s’applique encore avec enthousiasme comme une entreprise de contrôle normatif des comportements individuels des populations à risque. Elle s’exerce dans une perspective prescriptive, comme s’il y avait d’un côté ceux qui savent (les intervenants ou les professionnels) et de l’autre ceux qui ignorent et qu’on doit éduquer (les TS) [197].

Les résultats du présent projet contribuent à renforcer les preuves déjà existantes soutenant l'utilité du cadre de planification de l’IM à concevoir et améliorer le succès potentiel des programmes de promotion de la santé, et spécifiquement les

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programmes de prévention du VIH/Sida. En effet, comme dans ce projet de recherche, le cadre de l’IM s’était avéré efficace pour guider le développement d’interventions de prévention du VIH/Sida, notamment dans la promotion de divers comportements [142-144].

Dans notre étude, toutes les étapes incluant les tâches recommandées par le protocole de l’IM ont été appliquées, ce qui renforce la pertinence et l’intérêt de nos travaux en termes d’apprentissage et de leçons à tirer pour des interventions futures dans des contextes similaires. L’un des intérêts de l’IM est de fournir un processus détaillé et structuré. Le degré de précision de ce cadre sur les tâches à accomplir à chacune des étapes a permis de nous guider en tant qu’étudiant- chercheur dans la complexité des enjeux et défis méthodologiques et sociaux qui jalonnent l’entreprise de planification et d’implantation des interventions, en particulier auprès des populations marginalisées comme les TS. Par ailleurs, l’approche participative qui est centrale dans le processus, qui implique d’associer les femmes TS et les autres acteurs clés de l’environnement (agents de santé, propriétaire et gérant des sites de prostitution, PE) a permis que l’intervention élaborée s’inscrive dès le départ dans une perspective d’optimiser son adoption, augmentant ainsi sa légitimité et sa pertinence dans le milieu.

Toutefois, il importe de reconnaître que l’application du cadre de l’IM a nécessité de faire preuve de patience, de mobiliser des connaissances théoriques et pratiques, de s’adapter aux contextes du milieu d’intervention. Il est crucial d’être attentif aux enjeux et attentes parfois divergentes et aux défis opérationnels afin de prioriser l’adhésion des parties prenantes au programme et l’implantation optimale des activités. Le travail en partenariat et en équipe que nous abordons dans la section suivante s’est révélé essentiel dans l’application du cadre de l’IM.

Un regard critique sur des programmes revendiquant l’application du protocole d’IM indique qu’il est parfois difficile de savoir si, dans certains programmes, une approche participative a été réellement mise en œuvre. Dans d’autres programmes,

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une étape essentielle sur laquelle les composantes du programme fondent leur pertinence théorique [192]. Une prudence est donc recommandée face aux programmes revendiquant l’application de l’IM, alors qu’ils sont développés en mode «expert» dans lequel la participation est plutôt symbolique ou absente [192] et où certaines étapes essentielles du protocole seraient escamotées.

7.2.2 Travail en partenariat entre milieu universitaire et acteurs du milieu