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Urgence et Reconstruction de 1971 : entre experts et participation citoyenne

catastrophe occultée (1971)

B) Urgence et Reconstruction de 1971 : entre experts et participation citoyenne

Bien que les experts aient joué un rôle important pour l’élaboration du plan de reconstruction suivant les principes du gouvernement de l’Unité Populaire, la participation des services publics et des organismes de la société civile a été un élément important du

processus, aussi bien pour l’élaboration du plan que pour la réalisation de celui-ci264. Selon le

plan officiel de l’ODEPLAN265, pour calculer le montant des dommages, les services publics

ont organisé des commissions spéciales chargées d’évaluer sur le terrain les types de dommages par zones. Ces informations ont été transmises à l’ONEMI qui a consolidé un rapport avec celles-ci, mais elle a également étudié les expériences antérieures de reconstruction en ajoutant de nouvelles bases pratiques et théoriques. Sachant que les précédentes actions face à la catastrophe se concentraient plutôt dans le domaine de logement

263 Entretien à Miguel Lawner, 20 juin 2017

264 D’après Lawner, des jeunes étudiants d’Architecture et d’Ingénierie ont collaboré pour élaborer un rapport de base qui a été utilisé pour faire un premier calcul de dommages. (Entretien à Miguel Lawner, 20 Juin 2017) 265 ODEPLAN (1971). Plan de Reconstrucción de las provincias de Coquimbo, Aconcagua, Santiago, Valparaíso y O’higgins afectadas por el sismo del 8 de julio de 1971. Odeplan Publicaciones Especiales, pp. 24-25

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et l’infrastructure publique, il fallait ajouter d’autres dimensions d’intervention266. Pour sa

part, le Ministère des Finances à travers la Direction du Budget DIPRES a fait un rapport avec sa propre estimation des dommages. Avec les rapports d’ONEMI et DIPRES, l’ODEPLAN a conseillé au gouvernement de ne pas construire seulement un projet pour répondre directement à la catastrophe mais aussi pour permettre d’accélérer le développement

économique et social des territoires concernés267. C’est ainsi qu’ils ont eu recours et modifié

la Loi de Reconstruction qui organisait l’étape d’urgence et la reconstruction, afin de permettre d’établir une collaboration plus étroite et conduite conjointement par des Comités Communaux de Planification qui étaient constitués par des représentants des organismes

communautaires locaux et par des services publics268. À partir des rapports et des discussions

sur les besoins de chaque zone sinistrée, la version finale du plan de reconstruction proposait de réduire les déficits des services publics tels que l’éducation, la santé, les télécommunications ou l’assainissement, de développer l’agriculture présente dans les territoires etc.

La participation des citoyens concernés dans l’étape d’urgence a aussi été un axe important pour l’action du gouvernement. Les organisations de jeunes (universitaires, scouts, etc.) et des organisations syndicales ont fait partie lors des premiers moments critiques des concertations coordonnées par le gouvernement à l’échelle nationale. Le gouvernement mis à disposition un train qui a parcouru le pays pour construire des coopérations d’aide et qui ensuite se dirigea vers les zones de catastrophes pour distribuer de l’aide. En parlant de cette participation massive, Lawner souligne qu’elle fut spontanée mais les travaux à faire ont été organisés par le gouvernement central :

« (…) ils se sont spontanément proposés, (les organisations surtout des jeunes, syndicales, sportives), à collaborer avec la reconstruction, mais pas dans des journées de travail spontané, (…) mais de manière organisée en ayant un corps

266 Op.cit., p. 14

267 ODEPLAN (1971). Plan de Reconstrucción de las provincias de Coquimbo, Aconcagua, Santiago, Valparaíso y O’higgins afectadas por el sismo del 8 de julio de 1971. Odeplan Publicaciones Especiales, p. 19

268 Les comités étaient constitués par: le sous-délégué local (représentant le Ministère de l’Intérieur), le maire, le chef local des Carabineros (gendarmerie), le chef de l’unité du service national de la santé, le représentant de la Croix Rouge, celui des pompiers de la commune et celui de la Direction d’Assistance Sociale ; aussi, en tant que conseillers assistaient deux régisseurs de la commune élus après un unique vote de la municipalité, ainsi qu’un élu des institutions suivantes : union communale des « juntas de vecinos », de la centrale des travailleurs CUT, des conseillers communaux agricoles, union communale de centre de mères, union communale de parents et tuteurs, union communale des organisations de jeunes, union communale des organisations sportives, union communale des coopératives, de la défense civile, du registre national de commerçants. (Information obtenue du Plan de reconstruction et de l’entretien avec Lawner).

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chargé des activités de l’urgence et en collaborant. Elle fut énorme, énorme, la participation surtout celle de la jeunesse dans l’étape d’urgence et la reconstruction. (...) elles se sont caractérisées, toutes les activités du gouvernement, par un grand niveau de participation. [Participation] des familles sinistrées ? [Oui], mais occasionnellement. En fait, il y a eu une certaine solidarité des groupes surtout jeunes, des étudiants, etc. mais cela s’est manifesté énormément, ça faisait plaisir, dans l’étape d’urgence ».

Figure 9 : Affiche Officielle du gouvernement de l’UP pour le processus de reconstruction après le tremblement de terre de 1971269. Sur le texte on peut lire : « Avec la reconstruction, renaît la vie. Reconstruction de la zone dévastée par les séismes ». Il donne aussi une longue liste des organisations qui ont participé telles que la Fédération des étudiants des différentes universités publiques, les scouts, des syndicats, etc.

A la différence des autres catastrophes, les sinistrés ont participé au processus de reconstruction dans les Comités qui ont été créé dans ce but. Cette catastrophe intervient au moment d’un changement dans la manière dont on concevait la politique sociale, particulièrement celle du logement. En effet, l’Unité Populaire considérait que le logement

269 Cette image vient de mon archive personnelle, il s’agit d’une reproduction de l’affiche qui m’a été offerte par les membres de l’Observatoire de la Reconstruction de l’Université du Chili en août 2011, et ce fut ma première approche à cette catastrophe. Cette reproduction est encore en vente de nos jours, dans un petit magasin de Santiago appelé “Tienda Nacional” spécialisé dans la vente de produits propres à la culture chilienne où ils l’ont acheté pour moi.

102 était un droit inaliénable et de ce fait, l’État avait la responsabilité de le fournir en tenant

compte des besoins et des conditions sociales de la population et non dans un but lucratif270.

Pour faire face au problème du logement urbain, l’UP a créé des agences locales qui faisaient des études et travaillaient directement avec les populations les plus pauvres pour essayer de

trouver ensemble des solutions aux problèmes271. Un modèle similaire fut implémenté pour le

cas de la reconstruction. Selon Hidalgo, le rôle de l’État était essentiel :

« Il devait être le propriétaire du sol et chargé de construire et contrôler selon les exigences urbanistiques et sociales, lesquelles devaient primer sur celles à caractère spéculatif. Les nouveaux fondements de la gestion fiscale ont provoqué la réaction des groupes d’entrepreneurs impliqués dans le secteur du bâtiment en même temps qu’ils ont encouragé les travailleurs et pobladores face au début de l’étatisation de ces entreprises. Ils ont supprimé l’autoconstruction, considérée socialement injuste car elle prenait des heures de repos aux travailleurs, contribuait à augmenter le chômage et était techniquement inefficace et

antiéconomique »272.

Bien que la participation de la population fût une composante importante du plan de reconstruction et en général dans la gestion de l’Unité Populaire, quelques minorités touchées par la catastrophe sont quand même restées ignorées. Par exemple, même si Allende a approfondi la réforme agraire que commença timidement Jorge Alessandri et que promut Frei Montalva, les problèmes des paysans se sont revelés dans toute leur ampleur et complexité pour le reste du pays. De ce fait, les peuples autochtones sont restés en dehors du système solidaire mais ils n’ont pas été discriminés comme ceci fut le cas sous les gouvernements antérieurs. En effet, le plan officiel de reconstruction ne considérait pas la population indigène des zones affectées (rurales ou urbaines) mais se focalisait plutôt sur les sinistrés pauvres, prolétaires sans tenir compte de leurs origines ethniques. Cependant, cette catastrophe, une nouvelle fenêtre d’opportunité était ouverte pour mettre en marche les principes d’inclusion prônés par l’Unité Populaire dans le domaine de politique du logement car on considère que le logement est un droit. Ainsi, à la différence des reconstructions antérieures, les sinistrés

270 BRAVO, Luis et MARTÍNEZ, Carlos (1993). Chile: 50 años de Vivienda Social (1943-1993), Edit., Universidad de Valparaíso, p. 21

271 Fundación para la Superación de la Pobreza y Escuela de Periodismo, Universidad Diego Portales (2011). Pobreza: 200 años en la prensa escrita. Santiago: Programa Comunicación y pobreza, p. 113

272 HIDALGO, Rodrigo (1999). “La vivienda social en Chile: La acción del Estado en un siglo de planes y programas”. Scripta Nova, 45 (1). Archive numérique sur le lien http://www.ub.edu/geocrit/sn-45-1.htm#N_31_

103 n’ont pas eu la responsabilité de bâtir leur futur logement et ils ont pu rester dans leurs territoires et dans leurs bassins de vie.

C) Une reconstruction au milieu de la Guerre Froide : entre pression et